Le « soi séparé » et le « Soi Conscience »
out ce qui se passe dans l’existence nous montre potentiellement que nous avons toujours été positionnés de façon erronée, de façon inversée, que nous restons faussement identifiés. Cela nous est montré partout et tout le temps, mais nous ne le considérons pas, nous ne le regardons pas et nous ne le voyons donc pas. Nous ne voyons rien, nous restons aveugles, nous restons inconscients, et c’est pourquoi nous souffrons d’une manière ou d’une autre. Notre manière d’exister est si habituelle que nous la vivons comme tout à fait normale, que nous ne réalisons pas à quel point nous sommes limités, que nous sommes surtout malheureux, peut-on dire. Toutefois, nous ne le sommes que par ignorance.
Nous sommes peu conscients de notre état misérable, tout en pouvant passer le plus clair de notre temps à critiquer les gens et les circonstances. Certains peuvent même insister pour dire qu’ils vont très bien, en continuant de pester contre ce qui se passe autour d’eux. On peut donc se dire très bien tout en étant en pleine réaction, alors que réagir, c’est souffrir. Une épreuve est censée, non pas nous faire réagir, mais reconnaître le douloureux en nous. Comprenons que nous nous privons du meilleur ou du plein épanouissement si nous restons dans le déni de ce que nous éprouvons, si nous l’ignorons ou si nous ne voulons absolument pas y mettre notre attention. Beaucoup fonctionnent exclusivement de cette façon et tous, nous réservons un peu de cette tendance générale à certains aspects de notre conditionnement.
D’ailleurs, si nous finissons par souffrir au point de ne plus pouvoir le nier, l’ignorer, forcés alors d’y mettre notre attention, c’est précisément parce que nous avons trop longtemps tenté de restés positionnés ainsi, à savoir dans le déni ou l’ignorance. Certaines personnes se satisfont d’une vie quotidienne confortable et prévisible, avec tout le confort moderne, rythmée par le « métro-boulot-dodo », ponctuée d’un mois de vacances au soleil. Cependant, cette routine peut être brutalement bouleversée par un événement tragique, comme un diagnostic grave, le suicide d’un proche ou un accident mortel. Arrive toujours le moment où l’on ne peut plus raconter d’histoires aux autres, ni surtout s’en raconter à soi-même.
En réalité, ce que nous pouvons comprendre alors, ce que nous gagnerons à comprendre, c’est qu’aussi bien que ce qui souffre que ce qui fait comme si tout allait bien, c’est ce pour quoi nous nous prenons et que nous pouvons tout de suite appeler le « moi séparé ». Dans cette évocation, on est simplement passé du « moi séparé ignorant » au « moi séparé souffrant », mais c’est toujours le « moi séparé ». Quoi qu’il en soit, ce qui souffre est ce pour quoi nous nous prenons. Cela est important, parce que cela suggère que si nous ne nous prenions pas pour ce quoi nous nous prenons, nous ne souffrions pas. « OK », pourriez-vous me dire, « mais ne pas se prendre pour quoi l’on se prend, qu’est-ce à dire ? » Eh bien, c’est répondre à la question « que ou qui sommes-nous ? Que suis-je ? Qui suis-je ? »
De même que l’on peut réaliser un jour que l’on habite pas au bon endroit, que l’on n’occupe pas le bon emploi ou que l’on se maintient dans une relation disharmonieuse, de même on peut ou pourrait finir par découvrir que l’on reste intérieurement positionné d’une manière qui nous lèse, qui nous blesse. On vit avec le penser au premier-plan, aux dépens de l’être, alors qu’il y a épanouissement lorsque tombent les voiles de l’Être, de la Conscience. Principalement, est-ce que nous pensons ou est-ce que nous sommes ? Est-ce que nous déplorons ou est-ce que nous observons ? Est-ce que nous réagissons ou est-ce que nous nous savons conscients ? Où « habitons-nous » ?
D’abord, remarquons qu’il y a un « élément » toujours et infailliblement présent dans tout ce que nous vivons, dans tout ce que nous avons vécu jusque-là, que nous l’ayons d’ailleurs déploré ou apprécié. En effet, quoi que nous vivions, nous en sommes conscients. Certes, nous ne sommes ordinairement pas conscients d’être conscients, mais nous sommes toujours conscients. Nous sommes conscients d’un mal de dos comme du plat que nous sommes en train de manger. Être conscient d’une chose ne veut pas forcément dire lui accorder beaucoup d’attention. Si nous accordons peu d’attention à une chose, nous en accordons davantage à une autre, à des pensées par exemple, mais quoi qu’il en soit, nous restons conscients. Il n’y a pas un moment où nous ne sommes pas conscients.
Nous sommes en permanence conscients, quel que soit l’objet de notre conscience. Nous sommes conscients du chaud, du froid, du vide, du plein, d’un son, du silence, de la feuille qui vole au vent comme du seul fait d’être conscient… Observons que ce dont nous sommes conscients est TOUJOURS changeant, sauf le fait d’être conscient, et précisément, ce qui est conscient, ce que nous sommes en essence ne change jamais. Nous pourrions lui imaginer une fin, à tort, mais nous serions bien incapables de lui trouver un début. Non seulement nous sommes toujours conscients, quoi que nous vivions, mais nous sommes conscients en cet instant comme nous l’étions au moment de notre souvenir le plus ancien.
J’ai cinq ans lorsque, après une semaine d’hospitalisation, j’attends sur un banc du jardin de l’hôpital ma mère qui doit venir me chercher. Je me suis plusieurs fois rappelé ce qu’était mon état d’esprit à ce moment-là, ainsi que le seul fait d’avoir été conscient, assis sur ce banc, conscient en l’occurrence du voisin adolescent qui était passé me voir, d’une hirondelle dans un arbre et des voitures qui allaient et venaient… Je ne perçois pas la moindre différence entre le « je suis conscient » de ce jeune âge et le « je suis conscient » de l’instant. Il n’a jamais été autre que ce qu’il est. Cela s’applique à n’importe quel moment de l’éternité et cela s’applique à tout être, donc aussi à vous évidemment !
Et ce que vous êtes, est-ce ce qui est conscient ou est-ce ce dont vous êtes conscient ? Ne seriez-vous pas positionné comme si vous étiez ce dont vous êtes conscient ? Vous êtes conscient, parce que vous êtes Conscience, comme vous êtes aimant, parce que vous êtes Amour. À l’instant où vous rayonnez vraiment l’amour, la bonté, la douceur, il est peu probable que vous soyez simultanément identifié à vos rôles et à quoi que ce soit d’autre. Pourquoi ne pourrions-nous pas envisager qu’il en soit toujours ainsi, la Conscience et l’Amour ne faisant qu’un ?
Maintenant, si l’idée d’être ce qui perçoit, à savoir la conscience, ne vous parle pas ou ne vous touche pas, pire encore si vous n’êtes pas d’accord, trouvez et dites ce que vous êtes. Êtes-vous vos pensées, vos émotions, vos perceptions ? Petit problème ici : elles changent continuellement et parfois mêmes, elles disparaissent complètement ! Vous n’avez pas toujours joué les rôles que vous jouez aujourd’hui et vous cesserez de les jouer tôt ou tard. Allez-vous utiliser quelque chose d’éphémère ou de transitoire pour définir ce que vous êtes ? Et si le corps est ce que vous êtes, ceux qui ont perdu un sens ou des membres ne vous confirmeront pas qu’ils font l’expérience d’être moins. Ils restent aussi conscients que vous de leur corps et de ce qui s’y passe. Comme vous, ils sont ce qui est conscient.
Vous êtes conscient d’une chose, parce que vous êtes conscient avant que la chose se produise ou se rappelle à vous et vous le resterez quand elle aura disparu. Réalisez que la conscience que vous êtes ne dépend de rien. Et vous n’êtes donc pas cette entité timide dont vous pouvez être conscient, ni cette entité maladroite, ni cette entité injustement traitée, ni cette entité qui peut se croire supérieure, ni cette entité percluse de honte. Vous n’êtes pas une entité séparée, mais c’est bien ce pour quoi nous nous prenons tous, à notre détriment !
Nous ne sommes pas différemment conscients des sons autour de nous ou de ces mots qui défilent sur l’écran et de la peur, de la honte, ou de la culpabilité qui peut nous envahir. Or, si je ne me prendrais pas pour le bruit qui peut m’envahir momentanément, dont je suis donc conscient, je vais facilement me prendre pour la peur ou la honte dès qu’elle pointe son nez, dont je suis alors pareillement conscient. Autrement dit, selon mon positionnement, je ne suis plus ce qui est conscient, mais je suis imaginairement devenu l’apeuré, le honteux ou le coupable, ce qui est souffrir. Je ne me suis pas identifié au bruit, mais je me suis identifié à la douleur et je le suis en réalité depuis toujours. Et c’est me vivre notamment en tant que « moi séparé souffrant ».
Dans l’aparté de mon dernier livre, « Cap vers l’acceptation véritable », je raconte une « expérience spirituelle » vécue à dix ans et demi, où un garçon de douze ans (un « ange venu du ciel ») m’a arraché malgré moi aux tourments infernaux dans lesquels j’avais sombré sans espoir de retour. Ce que je ne dis pas dans le livre, pour ne pas l’avoir perçu alors, c’est que le « Regard divin » que le garçon a posé sur moi a effacé instantanément mon image de moi-même, me rappelant en quelque sorte qui j’étais ou me laissant simplement avec qui j’étais. En étant littéralement traité divinement, je ne pouvais simplement et momentanément plus me prendre pour ce que je me prenais, à savoir pour une entité indigne de tendresse et d’attention, qui n’avait de surcroît pas le droit d’exister.
Tous, nous souffrons d’un manque affectif refoulé et nous contrarions donc l’affection que nous sommes, le besoin de vivre l’affection qui dépasse celui de la donner ou de la recevoir. L’amour n’est pas une marchandise. « L’ange » qui m’a sauvé n’avait aucune attente, ni le souci de me donner quoi que ce soit. Il était l’amour incarné ou manifesté. Comme en témoignent la plupart des enfants, l’affection s’exprime de façon naturelle et spontanée. À partir du « moi séparé », nous avons un gros problème avec l’effet que nous ne produisons pas, que nous produisons ou que nous pourrions produire. Nous sommes attachés à cet effet attendu ou déploré.
• Le « moi séparé abandonné » s’arrange pour ne produire aucun effet heureux. Il ne veut surtout pas être remarqué. Il s’efface, agit généreusement dans l’ombre.
• Le « moi séparé dévalorisé » se sent mal à l’aise s’il est fait mention de l’effet qu’il produit, qu’on le critique ou qu’on le félicite, tout lui rappelant son autodévalorisation.
• Le « moi séparé maltraité » cherche à produire de l’effet en disant sa misère, sûr qu’il est le plus malheureux au monde.
• Le « moi séparé rejeté » est prêt à tout pour produire de l’effet, en s’attribuant des mérites qui ne sont pas les siens.
• Le « moi séparé trahi » ne voit pas l’effet qu’il produit, bien sûr en déplorant de n’en produire aucun.
Nous sommes tous censés être heureux ou, si vous ne pouvez pas le concevoir, censés vivre dans l’amour, ce qui est la même chose. Or, comment pourrions-nous être véritablement heureux ou vivre dans l’amour en nous prenant pour ce que nous ne sommes pas, en ignorant précisément que nous sommes le bonheur, l’amour, la conscience ? Et quand nous questionnons-nous à propos de ce pour quoi nous nous prenons, quand nous y intéressons-nous? Se prendre pour quoi l’on se prend, pour ce que l’on n’est pas, est une réalité ancestrale et la remise en question est donc tout à fait exceptionnelle, cependant précieuse, libératrice.
Nous nous prenons d’abord pour un corps, pour une femme ou pour un homme, pour un âge, puis pour une personnalité, voire pour ses pensées, émotions, préférences, enfin pour les rôles que nous jouons. Peu importe que cette identification nous fasse beaucoup de mal, nous pouvons encore la revendiquer longtemps. Alors, sommes-nous effectivement ce dont nous sommes conscients (ce corps, ce rôle, cette personnalité…) ou bien ne serions-nous pas plutôt ce qui en est conscient, ce qui est conscient, donc la conscience ? Pour ne pas éluder la vérité, disant que ce que nous sommes n’est pas physique, évitons de répondre : « Les deux ! » Nous allons pouvoir découvrir que tout change en notre faveur en cessant de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas et en assumant de plus en plus que nous sommes la Conscience (tous la même, nous y reviendrons).
Même si c’est à notre désavantage, c’est par la conscience que nous nous identifions faussement, que nous nous prenons pour ce que nous ne sommes pas. Si je n’avais pas été conscient d’être aveugle, par exemple, je n’aurais jamais pu me prendre pour un aveugle (notamment pour quelqu’un qui n’est pas censé regarder). Vous pouvez remplacer « aveugle » par tout ce que vous voulez (un parent, un balayeur, un entrepreneur, un malade, une victime, un indigent, un miséreux, un « mieux que les autres »…).
On se prend pour le personnage d’une vieille histoire, pour un personnage légendaire, pour le produit d’un conditionnement… On se prend aussi bien pour une personne favorisée que pour une personne défavorisée. La conscience que nous sommes ne s’identifie à rien, pas même à une entité heureuse. Et tôt ou tard, on se fait mal à se prendre pour ce que l’on n’est pas, que l’on n’a jamais été. Se prendre pour quoi que ce soit, c’est y tenir, en tirer un certain bénéfice (toujours illusoire).
Il est facile de reconnaître le gros inconvénient à se prendre pour une victime, pour un problème ou pour un incapable, par exemple, parce que la souffrance est simultanément associée. Or, pour prendre des exemples plus enviables, si vous vous identifiez entièrement à votre rôle de parent, que restera-t-il de vous une fois que vos enfants auront quitté le foyer ? Il n’est pas toujours assuré que les enfants devenus adultes trouvent encore intérêt à être traités en tant qu’enfants. À partir d’un certain âge, qu’éprouve la personne qui s’est prise pour son beau corps ou pour son corps d’athlète ? Quelle est l’expérience de la personne qui s’est identifiée à son art ou à quelque compétence, lorsque survient la désaffection du public ? De telles identifications finissent toujours dans la souffrance.
Comme nous venons de l’évoquer, se prendre pour ce que l’on n’est pas fait mal ou finit toujours par faire mal, mais le seul fait de ne pas reconnaître sa véritable nature est suffisant pour assurer un mal de vivre. Si les « fausses identifications » n’étaient pas sévèrement problématiques, nous n’aurions pas besoin de nous y arrêter. Nous ne pourrons jamais être bien à fonctionner de façon inversée. C’est un peu comme si le silence se prenait pour le bruit qu’il permet, comme si la lumière se prenait pour l’ombre qu’elle permet. Oui, nous nous prenons pour ce que permet la conscience que nous sommes !
Non, nous ne sommes pas notre corps, ni rien de notre histoire passée et journalière, absolument rien. Quelle est la place de notre corps, de notre histoire passée et quotidienne, lorsque nous vivons un moment de grâce, là où nous sommes le plus heureux, là où nous sommes en paix, dans l’amour, appréciant sans raison l’instant présent ? D’ailleurs, quelle est la place des corps et des histoires personnelles dans cet échange épistolaire entre l’auteur et le lecteur ? Même si nous pouvions lui en trouver une, elle ne serait pas au niveau de celle que nous lui accordons ordinairement. Dans l’instant où j’écris et où tu me lis, nous sommes manifestement plus proches de notre nature véritable, d’autant plus que nous évoquons et invoquons ici la conscience que nous sommes.
Alors, d’une manière très habituelle et surtout ancestrale, comment se fait-il que nous nous prenions pour ce dont nous pouvons être conscients et y tenir jusqu’au point d’en souffrir ? Pourquoi vivons-nous comme si nous étions ce dont nous sommes conscients ? Mieux encore, pourquoi ne le remettons-nous pas en question ? Quelle bonne raison pourrions-nous avoir, nous donner ? Remarquons d’abord que de la sorte, nous nous limitons et que se limiter, c’est se séparer, confirmer en fait l’idée de séparation dans laquelle nous restons inscrits. En nous prenant pour ce que nous ne sommes pas, nous avons la preuve de la séparation. Or, s’agissant de la conscience que nous sommes, où serait cette même preuve ? On ne la trouvera pas !
De même que pour déplorer quoi que ce soit, une difficulté, une maladie, le comportement d’un proche…, il faut d’abord croire que le problème va durer (sans cette croyance, nous ne souffririons pas), de même, pour souffrir d’une manière générale, il faut croire des choses, nous sentir très concernés. Nous ne pouvons pas vivre de la même façon un problème que nous savons n’être que passager ou encore ne nous concerner en rien. Arrêtez-vous un instant sur ce qui est dit là, soyez-y très attentif ! C’est fondamental, parce que nous ne pourrions jamais rester mal, face à toute forme de contrariété, sans ce que nous lui surimposons psychiquement : elle va durer toujours, sinon très longtemps, et elle nous concerne, concerne ce que nous sommes, tout cela étant faux.
L’identification dévastatrice commence avec ce que nous éprouvons, notamment la culpabilité ou la profonde honte : « ce que je suis, c’est une personne coupable, honteuse » (le « moi séparé coupable, honteux »). Elle se poursuit avec ce qui est supposé pouvoir démentir la culpabilité : « je suis une bonne personne », « je suis le meilleur », « je suis un modèle »… Bien sûr, d’autres identités assumées pourront affirmer tout le contraire, l’auto-dénigrement restant une tendance humaine très partagée. Dans tous les cas, il en résulte un « moi séparé et donc limité ». De la sorte, on marche sur la tête, on est à côté de la plaque, on passe à côté de la vie, privé notamment de l’amour et de l’inspiration.
Non seulement nous ne sommes ordinairement pas sciemment conscients d’être conscients, alors que nous sommes tout le temps conscients, mais il s’avère évident que nous n’avons jamais envisagé la conscience que nous sommes comme étant notamment illimitée, à l’inverse de ce pour quoi nous nous prenons. Ce n’est pas parce que nous pouvons admettre que nous sommes ce qui est conscient plutôt que ce dont nous sommes conscients, voire donc que nous sommes en réalité la conscience, que nous avons aussi à l’esprit sa réalité illimitée. La conscience est de fait illimitée, parce qu’il n’y a qu’une conscience. Nous avons besoin davantage de reconnaître que nous résistons à cette idée que de comprendre ce que cela implique. Sachons notre ignorance et reconnaissons notre résistance.
Francis Lucille nous dit : « On ne pourrait jamais avoir aucune preuve que la Conscience est séparée et limitée, parce que ce qui est vu (dans la conscience) ne peut rien nous dire sur ce qui voit ». Pour illustrer cette idée, on peut penser au fait que ce que tout le contenu d’une maison ne nous apprendrait absolument rien sur la maison elle-même. Vivre comme si ce que nous sommes, donc la conscience, était séparé n’est évidemment pas susceptible de nous laisser connaître la paix et l’amour.
Puisque nous n’avons aucune preuve de la séparation de la conscience, de ce que nous sommes, et qu’à l’inverse, bien des choses évoquent la non-séparation (les synchronicités, de l’aide qui surgit de partout, des intuitions saisissantes…), pourquoi ne choisirions-nous pas délibérément de poursuivre désormais notre existence avec au moins l’idée de la possibilité de la non-séparation ? C’est même la non-séparation ou la Conscience Une qui rend simple et naturel le fait d’être confronté, autant que nécessaire, aux épreuves répétitives pouvant nous éveiller.
N’avons-nous jamais observé le fait que nous nous attirons toujours les mêmes conflits, les mêmes problèmes, les mêmes circonstances contrariantes ? Et sinon, notre aveuglement pouvant tenir bon, ne l’avons-nous jamais observé chez certains de nos proches ? Il y a celui qui nous raconte son énième rupture, celui-là son dernier accident, le huitième, mon dentiste de mes débuts parisiens son 23ème cambriolage… Cela est possible, notamment parce qu’il n’y a qu’une conscience. C’est encore parce qu’il n’y a qu’une conscience, alors que cette cliente s’est libérée en pleurant à chaudes larmes de sa haine envers sa mère « maltraitante » qu’elle n’a plus vue depuis six ans, que sa mère l’a appelée le lendemain même pour l’inviter au réveillon de Noël…
Les personnes habituées à l’observation peuvent percevoir cela, reconnaître les changements d’expérience au fil des libérations, ou finir par l’envisager. Or, il nous faut aller plus loin, utiliser cette compréhension sage de façon littéralement pratique. Nous sommes ce qui est conscient, nous sommes la conscience, et il n’y a qu’une Conscience, la Conscience qui méconnaît la séparation et toute limitation. Dans le jargon très habituel du « moi séparé », pour moi par exemple, du « moi séparé abusé », ce pour quoi je pourrais bien encore me prendre à l’occasion, admettons que je vous dise que je me suis fait avoir une nouvelle fois, qu’une amie à qui j’ai tout donné m’a fait une vacherie innommable. Je vous épargne bien d’autres commentaires dont le « moi séparé » serait friand. Là, je suis dans le revécu ordinaire et surtout dans la séparation consommée.
Sur la proposition très inspirante de Francis Lucille, considérons différemment l’expérience : « Et si la conscience là-bas qui me joue ou même semble me jouer un sale tour et la conscience ici qui se sent abusée était la même conscience ? Aurais-je quelque preuve que cette lecture est moins valide que la précédente ? » Je confie volontiers qu’à la fois, je peux me sentir un peu dérangé aux entournures par l’évidence de la réponse et me réjouir en fin de compte qu’il en soit ainsi. « La conscience là-bas qui me … et la conscience ici qui réagit ou qui se sent … est la même conscience. Tout me montre (avec le temps qu’il ne peut pas en être autrement ! » À les observer de près, nos revécus sont si précis que seule la Conscience Une peut l’expliquer.
Maintenant, la conscience qui me sert comme sur un plateau cette nouvelle « vacherie », sans même que j’aie à me soucier de localiser la conscience, puisqu’elle est unique et omniprésente, m’offre aussi tout l’espace nécessaire pour reconnaître notamment le douloureux auquel je pourrais encore résister. Ce n’est pas pour rien que la Conscience que nous sommes nous met en situation de vivre ce que nous avons à vivre, en fait de libérer ce dont nous avons encore à nous libérer. La Conscience ne nous invite pas au déni, à l’évitement, à l’ignorance, à la résistance. Soyons conscients de tout ce qui se présente, notamment en nous-mêmes. Soyons-en sciemment conscients !
Si nous avons encore du mal à au moins accepter l’idée que c’est la même conscience qui semble infliger quoi que ce soit d’un côté et qui le subit de l’autre, soyons conscients aussi que, très souvent, nous n’avons même pas besoin d’un autre « moi séparé » pour souffrir, pour nous sentir mal. De surcroît, très souvent, cet autre qui nous … (ceci ou cela) peut, non seulement être notre interprétation des actes ou propos de l’autre, mais même encore être le seul fruit de notre imaginaire, de notre anticipation (dans ce dernier cas avant que l’autre ait dit un mot ou levé le petit doigt). En effet, nous n’avons besoin de personne pour nous torturer l’esprit ! Et l’idée de la conscience unique contrarie beaucoup le « moi séparé victime et accusateur ». À partir de cette idée, plus aucune accusation n’est envisageable.
Malgré la prise en compte de la « Conscience Une » ou de la conscience simplement de ce qui se joue en nous-mêmes, du fait que nous nous rappellerons désormais davantage ce que nous sommes, le « moi séparé » n’aura pas pour autant dit son dernier mot. Des pensées vont continuer de nous embarquer bien des fois et bien sûr, c’est le « moi séparé » qui aura repris du service. Cependant, le savoir et se le rappeler fera toute la différence. Amusons-nous-en ! Le vieux conditionnement fait le « moi séparé » et la conscience permet de s’en amuser.
Et ne soyons plus dans l’oubli total que nous sommes la Conscience, au bénéfice du « moi séparé », à l’instar de ceux qui, au cinéma, oublient totalement qu’ils sont juste en train de regarder un film, se laissant complètement envahir par leurs émotions. Comme on peut apprécier un film sans être dupe, on peut se prêter aux jeux de l’existence sans s’identifier à rien ni à personne. De même que l’on peut apprécier un film ou un roman, sans avoir à se dire qu’il n’est question que de fiction, on peut vivre la vie sans avoir à se répéter « je suis la Conscience ». Quelle que soit notre expérience, notre véritable nature finira par s’imposer définitivement comme une évidence.
L’une des difficultés à se reconnaître en tant que conscience pure, qui plus est en tant que conscience illimitée, repose sur le fait que la chose est d’abord envisagée par le mental. À la place des diverses entités auxquelles il est identifié, il en projette une autre, lui assignant des caractéristiques similaires, principalement celle d’être perçue. Il ne peut pas y croire, à juste titre, mais elle lui plaît bien. Ce que nous sommes en essence n’a rien à voir avec aucune des entités qui nous composent, qui composent le « moi séparé », pas davantage s’il s’agit par exemple d’une entité religieuse ou même spirituelle. La conscience que nous sommes n’est pas une entité. Nous ne sommes pas une entité, nous ne sommes pas une personnalité.
Nous sommes ce qui est conscient, nous sommes la conscience, la conscience qui est illimitée, non séparée, mais cela n’est pas être quelqu’un qui peut ou veut ceci ou cela. Ce « quelqu’un » est toujours le « moi séparé ». Le pouvoir ou le potentiel illimité que nous sommes ne se manifestent pas à partir du vouloir ou des intérêts qui sont l’apanage du « moi séparé ». Ce que nous sommes en essence se manifeste à travers la légèreté, l’insouciance, le naturel, la spontanéité, en fonction du seul besoin de l’instant.
Et si nous ne pouvons toujours pas réaliser ce que nous sommes en essence, si nous ne pouvons pas le concevoir, devenons de plus en plus conscients de ce que nous ne sommes pas. Y aurait-il un intérêt à rester positionné comme si nous étions un incapable, par exemple ? Et même un rôle, un métier, une nouvelle passion, à la réflexion, serait-ce intéressant au point d’en faire sa définition ? Non, ce que je suis n’est ni un aveugle, ni une personne qui commence à avoir des perceptions visuelles (sans les yeux), ni un praticien de la relation d’aide, ni un salarié, ni un retraité, ni un trahi, ni un abandonné, ni une victime, ni un malade, ni ce que l’on pourrait dire de moi (en cherchant peut-être à le démentir)…
S’agissant de ce que nous sommes essentiellement, il peut assez vite sembler évident que nous sommes pleinement et exclusivement ce qui est conscient de ce pour quoi nous nous prenons donc à tort. Nous sommes incontestablement ce qui est conscient du fait de rester positionnés comme si nous étions une entité limitée à tous points de vue. Or, qu’est-ce que cela va changer de ne plus être positionnés de la sorte ? Si cela ne devait rien changer, nous n’aurions pas à nous y intéresser. Et cela change tout !
Fidèles à notre nature profonde, nous ne jugeons rien, nous ne pensons rien de rien, tout est accueilli tel que cela se présente, incluant les idées, paroles et décisions inspirées. Fidèles à notre nature profonde, nous ne sommes affectés par aucun échange relationnel, libres du besoin compulsionnel de juger la nature humaine inévitablement limitée. L’amour embrasse toute chose. Fidèles à notre nature profonde, nous sommes inspirés. Fidèles à notre nature profonde, nous sommes heureux, nous ne souffrons pas.
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