Une expérience de présence
Suite à la chronique du mois dernier (n° 37), Marie demande : « Suffit-il de vouloir être présent pour l’être ? Faut-il utiliser la volonté, qui va encore conduire une résistance ? Ce n’est pas facile d’être présent simplement, il ne suffit pas de le vouloir. Tout nous pousse vers l’éparpillement et le mental. On ne peut pas stopper le mental par une action volontaire, c’est comme jeter du feu sur le feu pour l’éteindre. Comment fais-tu, bien qu’il n’y ait rien à faire ? »
Oui, ici et maintenant, pour être présent, pour être conscient, il me suffit de le « vouloir ». D’autant plus pour répondre à Marie au mieux de ce à quoi j’ai accès, je tiens à être présent, conscient. En fait, c’est peut-être moins un « vouloir », moins que je le veux que le simple fait de me disposer à être présent, conscient (peut-être est-ce davantage « être d’accord » que « vouloir »). D’ailleurs, en diverses autres circonstances, quand on me dit « je ne peux pas », je propose de vérifier en soi si le ressenti est effectivement « je ne peux pas » ou si cela ne serait pas plutôt « je ne suis pas disposé à ». On finira au besoin par comprendre pourquoi l’on ne veut pas, d’autant plus aisément en ne confondant plus « je ne peux pas » avec « je ne veux pas ».
Et que je puisse personnellement être présent ici et maintenant n’a rien d’extraordinaire, ni ne témoigne de quelque rare élévation spirituelle. Je ne crois pas un seul instant, Marie, que tu ne puisses pas en faire autant (et cela vaut pour toute personne lectrice de ces lignes). Ici et maintenant, peux-tu mettre ton attention sur ta respiration ou sur l’énergie qui circule dans ton corps, par exemple ? Ici et maintenant, es-tu consciente de ta respiration ? Sauf à imaginer que tu ne sois pas disposée à te prêter à ma proposition, je sais « qu’ici et maintenant », tu perçois ta respiration, tu en es consciente. Que l’on en soit conscient ou non, on respire en tout état de cause, mais on peut aussi faire le choix d’accorder son attention consciente à sa respiration. On peut le faire ! Eh bien, si tu le fais effectivement, si tu es consciente de ta respiration, tu es présente.
Ah, mais dans cette présence, voici une pensée ou des pensées qui affluent, éventuellement une appréciation sur ce qui est expliqué ici ou tout autre chose ! Vois-tu cette pensée, ces pensées ? Oui ? Alors tu es toujours présente, toujours consciente. Non ? Tu t’étais laissée embarquer par les pensées, tu n’étais pas consciente de penser, tu n’étais pas présente. Et c’est ce que tu vois désormais, ici et maintenant ; tu es donc encore (ou à nouveau) présente et consciente. Tu l’es bel et bien, parce que tu le « veux » (y compris en ayant fait tienne ma suggestion).
Et tu dis : « On ne peut pas stopper le mental par une action volontaire ». J’entends donc, pour toi, qu’être présent équivaut à stopper le mental. Peut-être est-ce ici une confusion entre l’état de présence et l’un de ses effets importants qui se manifeste tôt ou tard à un niveau ou à un autre. Au début, en s’invitant à être juste présent, juste conscient, on peut comme jamais réaliser l’aspect compulsionnel de notre activité mentale. C’est par « la présence » que j’ai découvert combien j’étais mental, combien j’étais pris par des pensées, des jugements rabattus, souvent même par des idées saugrenues.
Une des choses que j’ai observées très rapidement, en commençant à méditer (voir plus loin) il y a 25 ans, c’est le ralentissement de l’activité mentale : un des effets de la présence vigilante. Vouloir stopper les pensées est (ou peut être) difficile, notamment parce que ce vouloir est ou implique une pensée : « que je pense à ne pas penser ». Et pourquoi « penser à être présent » serait plus facile que « penser à ne pas penser » ? Dans sa formulation, la première proposition est affirmative et la seconde négative. Si je disais « ne mettez pas votre attention sur votre respiration », que se passerait-il pour vous, un certain laps de temps ?
Marie mentionne justement « l’éparpillement mental ». Il ne doit pas être vu comme un obstacle à la présence, mais au contraire comme un besoin manifesté de la présence. À l’époque où je faisais des heures quotidiennes de hatha yoga, des gens me disaient : « Je ferais bien du yoga, mais je ne suis pas assez souple ! ».
Marie demande : « Quelle méthode emploies-tu pour t’entraîner à être dans le ressenti de l’instant et ne pas te laisser embarquer par le jugement, la comparaison, les émotions ? Comment fais-tu pour être toujours dans cette distance de discernement qui te permet de t’occuper du ressenti. »
Ma disposition à être dans le ressenti est sans préalable. Au départ, je n’ai qu’une seule intention, celle d’être présent. C’est tout ! Autrement dit, je ne me dis pas : « Je vais être présent sans ceci ou sans cela ».
Ensuite, dans l’état de présence, une pensée, un jugement, une idée surgit. Mon intention, ma seule intention est alors d’observer, de reconnaître cette « chose ». Il y a cette chose qui émerge et il y a la présence qui lui est accordée. Et parfois, bien entendu, je me laisse embarquer ou je réagis d’une manière ou d’une autre. C’est ok, voilà ce à quoi j’accorde maintenant mon attention, ce dont je suis conscient (cette réaction, cette émotion). C’est simple !
Plus on se laisse embarquer par les pensées et les émotions (ce qui est le fonctionnement humain ordinaire) et plus on amplifie l’éventuel malaise en cause. Plus j’accorde mon attention à ce qui se présente à ma conscience (dégagé ici du « vouloir se débarrasser des choses » et plus rapidement passent les pensées, se dissolvent les émotions et revient la paix qui a pu faire défaut.
Dans ces instants privilégiés, je suis simplement présent, conscient ; j’observe alors ce qui émerge (quoi que ce soit), incluant le fait de réagir ou de ne plus observer, de ne plus être présent pendant un temps. Et, finalement, quand je vois que je ne regarde pas, donc que je ne vois pas, je vois ! Ici, un des nombreux tours du mental pourrait être de proclamer : « Oui, mais comment faire pour être toujours dans cet état de présence et d’observation ? » La seule question qui m’aide est : « Ici et maintenant, suis-je présent, conscient ? »
Et Eckhart Tolle nous suggère une autre question : « Quelle est ma relation avec le moment présent ? » Suis-je dans l’accueil de ce qui est, juste maintenant, ou est-ce que je lui réserve de la négativité (de l’hostilité, de la dépréciation ou une tentative de le nier) ? « Suis-je ou non amical envers le moment présent ? » Souvent, nous sommes terriblement inamicaux envers l’instant présent. Sinon normal, c’est tout à fait habituel, mais pouvons-nous le reconnaître, le voir ? Le voir est important car, quoi qu’il en soit, j’en verrai le retour et je ne le comprendrai pas. Si je suis inamical envers une personne, ai-je vraiment à m’étonner de sa réaction éventuelle ? Le retour n’est pas une punition, il est une fabrication (par soi-même) qui est au diapason de ce qui l’a appelé, de ce qui l’a engendré.
Évoquée plus avant, la méditation peut être perçue comme un « gros mot » pour quelques personnes et comme une « grosse affaire spirituelle » pour d’autres. Je l’envisage ici comme cette simple invitation à être présent, conscient, puis à juste observer la forme prise par le moment présent. En fait, « je » suis la présence, la conscience, et le moment présent est formé du clavier sous mes doigts, de mes doigts qui bougent, des mots qui surgissent, du vrombissement de l’ordinateur, du fauteuil que je sens sous mes fesses et dans mon dos. Tout cela se déverse dans l’espace de conscience, de présence, tout cela m’habite. Tout cela est perçu.
Et dans cette expérience transcrite en direct, je me sens aussi paisible, joyeux, presque émerveillé. Votre propre « moment présent » de lecture peut être ressemblant à certains égards, mais peut-être y a-t-il aussi une pensée qui s’impose ou une émotion qui se réveille. Accordez-lui de l’attention consciente, donc observez-la comme n’importe quel autre élément constitutif de votre moment présent et voyez ce qui se passe… Voyez encore que le moment présent demeure égal et que seul sa forme change. J’aime réaliser qu’il y a toujours eu et qu’il y aura toujours ce moment présent, qu’il ne dépend donc pas du temps. « Maintenant » pourrait être la réponse à certaines questions (quand ? combien de temps ?…).
Des pages pourraient être écrites sur ce sujet – et je renvoie lecteurs et lectrices intéressés aux livres d’Eckhart Tolle (notamment Le pouvoir du moment présent et Nouvelle terre) -, mais pratiquer, faire l’expérience est mieux. Si vous voulez un petit truc qui peut aider parfois, je propose encore une question : « Ici et maintenant, comment est-ce que je me sens ? » ou « Ici et maintenant, qu’est-ce que je ressens ? ». Sans être présent, conscient, sans observer, vous ne pourrez pas répondre à la question, quelle qu’elle soit. En revanche, tout élément de réponse qui surgit annoncera un certain niveau de présence.
Que des pensées et des émotions se présentent lors de ces instants d’attention consciente que l’on s’accorde, non seulement ne signifie pas a priori une inaptitude à la présence, mais c’est la présence elle-même qui le permet et l’accueil toujours conscient de ces pensées et émotions devient une libération.
Un des ressentis les plus douloureux qui émergent tôt ou tard est le sentiment de culpabilité sous une forme ou sous une autre (justifications, regrets, auto-reproches, auto-rejet, angoisse…). Et ce ressenti « culpabilité » que l’on ne reconnaît généralement pas ou dont on ignore l’ampleur n’est pas l’obstacle à la présence consciente ; il est exclusivement la séparation d’avec soi-même, la non-présence à ce qui est. Se sentir coupable, c’est être coupé, donc séparé.
Et la culpabilité se niche partout. Vous verrez qu’elle s’est immiscée quand, par exemple, un chagrin devient envahissant, se mue en angoisse et dépression. Une vigilance plus forte est alors requise pour pouvoir basculer de la culpabilité éprouvée à l’observation qui pourra la dissoudre. Ce mois-ci, le 14 décembre, jour de la Ste-Odile, qui a recouvré la vue après être née aveugle et qui est invoquée pour guérir les maladies oculaires, j’étais auprès de ma mère hospitalisée qui a ce jour-là quitté son corps. Non pas seulement pour moi-même, j’ai vu que le chagrin était une douleur naturelle et d’autant plus facile à vivre accompagnée de gratitude pour l’être cher qui se libère ; j’ai vu que ce chagrin devient insupportable, une souffrance terrible, quand la culpabilité s’en empare.
Face à un chagrin occasionné par la douleur qu’endure un être cher, vérifiez, reconnaissez vos éventuels chagrins/culpabilité et, doucement, offrez-vous, offrez-lui de les transmuer en chagrins/gratitude. Vos « larmes de sang » ou larmes retenues seront bientôt des larmes chaudes, libératrices. Je rends grâce et hommage à ma mère à qui je dois aussi ces derniers mots inspirés.
Et en ce début d’année, j’émets le voeu que chacune et chacun deviennent ou demeurent son propre maître, sa propre autorité.
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