Un dialogue imaginaire (suite chronique Le plongeon de l’humain) 1/4
Constituant cette nouvelle chronique, voici un dialogue avec un lecteur réceptif imaginaire, dialogue bien sûr censé apporter de nouveaux éléments, complémentaires à la chronique de mars 2016, consacrée au « Plongeon de l’humain » (qui pourrait utilement être relue avant de lire ce qui suit). Prêtez bien attention au présent dialogue imaginaire et, pour le rendre plus parlant pour vous, remplacez au besoin les mots écrits entre crochets ([ ]) par ceux qui traduiraient mieux votre propre problématique, vos propres ressentis ou réactions. Ce qui y est proposé vous sera pareillement utile.
Le lecteur imaginaire n’étant qu’un emploi rhétorique, ne cherchez pas à lui assigner une valeur particulière. Retenez simplement que les questions auxquelles des réponses sont apportées peuvent être celles d’une personne qui médite depuis longtemps ou qui s’ouvre à la présence ou à la libération en rencontrant quelques difficultés. Et comme c’est un dialogue écrit au gré de l’inspiration, ne vous attendez pas non plus à trouver là une suite absolument logique. Lisez-le tranquillement à des moments plus favorables pour vous ! Déjà écrit et faisant une vingtaine de pages, le texte sera publié en quatre parties (chroniques mensuelles).
Le lecteur – La lecture de la chronique sur « Le plongeon de l’humain » m’a été agréable, d’un effet heureux, mais je ne sais comment en venir à l’application ou comment recevoir pleinement ce qui est proposé. J’ai bien compris qu’il n’était pas question de pratique, ni de faire, mais, comment dire ? Disons que j’ai envie de profiter de ce qui est suggéré ou, sinon, que je ne sais comment m’y prendre. Et toute cette belle évocation de la présence doit bien avoir son utilité, non ? En ce moment, je reste plutôt [tourmenté] émotionnellement et j’en appelle à la présence. J’ai besoin d’aide ! Quand l’invitation à être dans l’observation ou quand l’observation ne semble pas produire son effet, que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui m’échappe ?
La réponse – La demande est belle et juste. Perçois que tu demandes, que tu t’exprimes, que tu formules peut-être même une telle demande pour la première fois. Or, bien que tu fasses cette demande pour la première fois, perçois aussi que tu la fais néanmoins (le cas échéant) comme toute autre, comme en [déplorant] plus ou moins de n’avoir jamais ce que tu demandes. Entre nous, pourquoi l’aurais-tu puisque tu ne l’as jamais demandé et, pire, puisque – vraisemblablement – tu t’es toujours attendu à ne pas recevoir ? On attend le meilleur en s’attendant au pire et cela n’est pas moins vrai quand il s’agit d’une prière ou d’une demande que l’on pourrait qualifier de spirituelle. Ajoutons que nous n’avons toujours pas demandé toute chose, en définitive, voulue et demandée à travers cette double attente contradictoire. Plutôt qu’une vraie demande, c’est davantage une plainte ou c’est chercher à faire pitié ou à confirmer que l’on ne peut recevoir…
L. – Ces mots ont un effet sur moi, c’est indéniable ! Je perçois ou devine une ambiance [demande] ou [attente] familière, conditionnée, effectivement présente en l’occurrence. Il y a bien cette double attente contradictoire mentionnée : attendre le meilleur ou le vouloir et s’attendre au pire ou au moins à ne pas recevoir. Je perçois cela et je perçois aussi que c’était certainement à voir, à reconnaître. Il est évident, notamment, que la double attente ne pouvait que me maintenir dans le malaise, dans l’insatisfaction, dans l’impossibilité d’en sortir. Je suis toujours stupéfait de découvrir l’absurdité de nos fonctionnements.
R. – Et ces mots, même s’ils peuvent être utiles à tout autre lecteur, risquent ici d’être un peu superflus ou de limiter l’expérience à laquelle tu aspires, de « repousser » la réponse même à ta demande. « Oui, je vois », par exemple, aurait pu suffire, mais tout est bien cependant. Il y a surtout que tu vois, n’est-ce pas ? Peu importe ce que tu vois car si tu vois, c’est qu’il y a présence. Une perception est un témoignage de présence, certes encore limitée ou « recouverte » dès lors que le mental occupe encore trop de place, dès lors qu’il domine à nouveau ou qu’il domine toujours et encore.
L. – Je vois.
R. – Oui, vois et vois que tu vois. Attention cependant à ne pas « jouer au bon élève », à ne pas y plaquer un éventuel « il ne faut pas que je… » ! Parfois, on devient le « bon élève » et parfois, le « cancre ». Le « bon élève » risque de se soumettre aux propositions sans les tester en profondeur et le « cancre » ne les teste pas du tout en se cantonnant à les juger et/ou y réagira sa manière. En te permettant d’être ce que tu es dans ton chemin d’ouverture, « je » peux t’éclairer au besoin. Je te dis ce qui est et ce n’est ni du jugement, ni du reproche. Puisque tu viens jusqu’ici, puisque tu te disposes à voir, puisque tu aspires à la présence, si tel est effectivement le cas, je suis prêt à tout te donner et/ou à tout te montrer à partir de ce qui nous est accessible maintenant.
L. – Je reçois.
R. – Bien ! Peux-tu déjà percevoir qu’ici, il n’y a pas de problème, point de [tourment] ? Ici et maintenant, il n’y a rien à résoudre. Si tu ne fais pas appel aux souvenirs, aux pensées, tu peux percevoir que, dans l’instant, rien ne va de travers. En revanche, tu peux très bien être encore avec du [vouloir] ou de la [résistance], voire de la projection. C’est ici un point d’une importance primordiale : on se croit souvent avec un problème (lequel n’existe pas, n’est en rien actualisé) alors que l’on est seulement avec de la réaction au problème (imaginaire).Et ne t’abuse pas en évoquant en toi une circonstance « actuelle » pouvant être objectivement qualifiée de conflictuelle, problématique ou même horrifiante car c’est de toute façon ce que tu en penses qui en fait un « problème inexistant » (surajouté à l’éventuelle circonstance malheureuse). Le vrai problème existant (du moment) est celui pour lequel tu poses un acte, prends une décision, exprimes quelque chose, non de façon réactionnelle. Toute réaction (contrôle, résistance, attachement…) est en fait sans objet, injustifiée, en ce sens qu’elle n’est qu’une répétition, qu’une projection, qu’une habitude.
L. – Oui, de cette façon qui est juste habituelle, il y a de [l’attente], la fameuse attente (le vouloir), laquelle peut d’ailleurs bien cacher de la résistance, j’imagine ! Je perçois aussi une sorte de peur, de [la peur]. Et je perçois déjà que c’est toujours la double attente qui est concernée. J’attends du bon et j’ai peur. Et à l’image du problème inexistant, en définitive, je ne sais même pas ce que j’attends, ce que je veux, ni ce que je crains. Je suis prêt à dire ici que ce que j’attends n’existe pas sous la forme que je l’attends, de façon confuse et compensatoire.
R. – Oui, tu as toujours [attendu du bon] et tu as toujours eu [peur]. Tel est ton conditionnement et tu ne le changeras pas vraiment. Chacun a le sien. Il n’est pas à changer, il est à relâcher. Le relâcher veut dire le reconnaître encore plus, l’accueillir pleinement, le percevoir. Quand tu perçois le conditionnement, tu ne le subis plus ou tu n’y es plus dépendant, tu n’y es plus collé. Alors, perçois-le maintenant (une tendance, une peur, de la culpabilité…) comme tu pourrais percevoir le chagrin d’un enfant ou un ami qui se blesse en ta présence sans que tu en sois tout retourné. Perçois-le, juste parce que ce n’est pas à ignorer et encore moins à nier. Perçois-le purement et simplement. Sois avec comme tu pourrais être avec le chagrin de l’enfant, avec l’enfant lui-même ou avec l’ami blessé. N’y a-t-il pas alors de la douceur ?
L. – Je perçois au moins la possibilité de cette douceur, mais tout autant le malaise à l’arrière-plan.
R. – « À l’arrière-plan », dis-tu ! Quand tu as dit ton besoin d’aide, au départ, ce même malaise n’était-il pas davantage au premier-plan ? La reconnaissance de cette différence a ici toute sa place. Elle est généralement occultée par [l’attente] ou même la [double attente] qui subsiste. Cette différence est l’effet de quelque chose qui est reçu, pourrait-on dire, et ne pas reconnaître ce qui est reçu en limite la portée. Vois cela, simplement, ou vois comment ça parle, ça touche de façon globale. Les mots ne sont que des mots et ce qui importe est l’ambiance qu’ils désignent, non pas leur signification respective. Ne va pas dans la tête, n’y reste pas ou perçois que tu ne peux faire que penser !…
L. – Oui, c’est clair, je commence à me sentir comme porté ou, plus exactement, à reconnaître que c’est bien ce qui se passe : je suis porté ! Je vois aussi comment, ordinairement, je ne vois pas. Du coup, maintenant, je vois que je vois et qu’il y a de l’effet. Mais [j’attends] encore, je ne peux pas le nier ! Je me reconnais comme dans un [état d’attente vague et habituelle].
R. – Il n’y a rien à nier. Intéressons-nous un peu à cette [attente] ! Elle est faite du conditionnement, lui appartient. On peut dire aussi qu’elle appartient à l’égo, mais ce n’est pas ici tellement important. Puisqu’il y a attente, peu importe son « propriétaire » ou son origine et même son objet, il y a attente ! Elle se plaque justement sans cesse sur différents objets ou circonstances et, dans l’instant, l’un de ces « objets » pourrait tout aussi bien être un effet spécifique de la présence. On se dispose à confier à la présence son trouble du moment et l’on en attend quelque chose, quelque chose de spécial, quelque chose d’extraordinaire.Peut-être crois-tu que l’attente est inévitable. Vérifie s’il ne t’est jamais arrivé d’offrir quoi que ce soit à quiconque sans la moindre attente, ne faisant alors que suivre un élan spontané : donner une pièce à un mendiant, renseigner un passant, aider un enfant ou une personne malade, et ainsi de suite. Nos propres comportements démentent souvent nos croyances ou positionnements ordinaires auxquels nous tenons tant, observons-le ! Oui, il est possible de s’exprimer, de confier un problème, sans attente !…D’ailleurs, l’état de présence n’a pas d’attente : surgit sans attente, est vécu/reconnu sans attente. C’est parce que toute attente, toute pensée est soudainement relâchée qu’une expérience de présence peut être vécue. La présence semble moins accessible quand on veut lui confier son désarroi. De fait, c’est plus délicat, non pas seulement parce qu’il y a de l’attente, mais parce que l’on tient aussi à son problème. Oui, on y tient, ne serait-ce d’ailleurs que pour pouvoir nourrir l’attente elle-même, la justifier, la conserver ou, de façon plus large, pour pouvoir réagir comme on a toujours réagi, comme on réagit toujours. C’est comme si l’on ne s’était pas encore assez plaint, que l’on n’avait pas encore assez déploré, ressassé, etc.
L. – Je reçois toujours ; ces évocations me touchent, c’est tangible, mais je reste comme un peu [lourd], un peu [endormi] ou [sonné].
R. – Ce n’est pas grave, c’est même sans importance (sans vouloir t’offenser). C’est juste ce qui est, dans l’instant. C’est ceci et ce pourrait être cela. Mais allons plus loin, si l’on peut dire : en fait, ce ne serait pas grave ou ce serait d’autant moins « grave », et certainement moins persistant, si tu n’y résistais pas ou si tu ne t’y attachais pas. Or, que tu y résistes ou que tu y sois attaché ne fait aucune différence car dans les deux cas, tu y es collé. S’attacher à une chose est à l’évidence s’y coller, mais pour y résister, il faut s’y coller de même. Résister à une chose est vouloir la repousser. Essaie donc de repousser un mur sans t’y coller !… Et tant que l’on est collé, on est… collé ! On est pris, on est mal, on souffre…Il y a donc ici, disons [la lourdeur] ! Pour ajouter un élément, précisons que ce ne serait pas tant un problème s’il n’y avait pas en plus des pensées, surtout une foule de pensées qui peuvent être de niveaux multiples :
D’abord des pensées réactionnelles dictées par le revécu enduré comme s’il était la réalité ; Ensuite, alors que l’on se dispose davantage à regarder, même des tentatives d’explication, voire de justification (impliquant éventuellement des causes probables), des considérations quant aux effets connus ou imaginables, des exemples détaillés de circonstances où [la lourdeur] a été éprouvée, etc.Quelles qu’elles soient, toutes ces pensées retardent l’expérience pure de « l’état de présence » dès lors qu’elles restent exclusives ou prioritaires (sans pauses brèves de perception pure).Si c’est le cas, quand c’est le cas, peux-tu juste maintenant percevoir cette activité mentale ? Vas-tu la percevoir effectivement ou repartir avec d’autres pensées (explicatives, justificatives, résistantes…) ? Même cela serait encore juste à voir. Cesser de penser n’est de loin pas évident (ni absolument nécessaire), mais une étape peut consister à juste remarquer la réalité de l’activité mentale et, parfois, cela seul n’est guère plus évident. Penser est si habituel, si automatique, si captivant aussi, que cela peut demander comme un « instant de grâce » pour pouvoir s’y arrêter, le reconnaître purement et simplement.Nombre des pensées sont par ailleurs des jugements, des opinions et autres détails infinis que l’on tient aussi et absolument à faire partager. Juste avant de se rendre compte que le conditionnement domine à nouveau, la difficulté à juste percevoir ces pensées – au lieu de les égrainer encore – peut être empreinte de nos vieux schémas conditionnés, des caractéristiques de nos blessures : « Je ne suis décidément pas intéressant, je ne peux pas m’exprimer, je ne suis pas écouté, je ne suis pas compris, je ne suis pas respecté, je n’ai pas le droit, pas la place, on se moque de ce que j’ai à dire, je suis toujours interrompu », etc. Avec l’un ou l’autre de ces programmes maintenus et surtout activés, le penser compulsif ne peut être lâché, ni même réellement perçu. Ceci est au moins à savoir !Autrement dit, souvent, avant de pouvoir utilement accorder son attention à une sensation, à une douleur plus profonde, il est important de percevoir les réactions de surface : parfois l’attente, la résistance, le vouloir, le contrôle, l’activité mentale incessante et « généreusement » alimentée… De la même façon, on ne parviendra pas à dépasser, ni même à accueillir quelque chose que l’on sait prenant de manière constante sans tenir compte du fait que, dans l’instant, il y a (le cas échéant) tout à fait autre chose qui nous tourmente. Cette dernière chose doit être considérée en priorité.
L. – OK, je vois bien tout ça ! Et cette [lourdeur] que je connais bien, je l’ai surtout déplorée jusque-là, de façon parfois discrète, et je ne lui ai jamais permis d’être là, je ne me suis jamais permis d’être avec, je ne l’ai évidemment jamais offerte à la présence (tout comme je n’ai jamais formulé de vraie demande).
R. – C’est une façon magnifique d’exprimer la chose. C’est une expression juste en ce sens qu’elle confie ce qui est. L’expression juste confie ce qui est et non pas des histoires autour de ce qui est, ni des réactions contre ce qui est, ni moins encore des interprétations. L’expression juste favorise l’état de présence et elle est en même temps permise par la présence. La présence est souvent révélée ou manifestée à travers l’expression juste.
L. – Décidément, tous ces points relevés semblent apporter de la clarté, mais je constate que notre conditionnement est constitué de schémas piégeants multiples et, un peu apeuré, je me demande s’il va me falloir les passer en revue tous un après l’autre. Est-ce même possible ?
R. – Cela n’est ni possible ni nécessaire. Un minimum de compréhension est utile en ce sens qu’il devient, quand on est trop identifié à son conditionnement, l’auto-disposition à être dans l’observation davantage que dans le penser. De plus, quand un vieux schéma est objet de perception, c’est aussi au bénéfice de la perception elle-même, même si le vieux schéma a alors pour effet d’être ainsi relâché. La perception de tout objet, d’une fleur, de la flamme d’une bougie, de sa respiration ou d’une peur, d’une tendance, d’une tension, etc., favorise l’état de présence. Il y a la chose observée, quelle qu’elle soit, et il y a surtout ce qui observe, la présence, ce que nous sommes.Dès lors que tu retrouves la paix avec aisance, tu n’as nul besoin de te préoccuper de ce qui a formé ton conditionnement. Or, si tu restes pris et complètement démuni, tu peux « gagner » beaucoup à percevoir ce qui se passe en toi, toujours ici et maintenant. Même cette reconnaissance reste donc l’effet de la priorité accordée à l’instant présent. (À suivre)
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