Un dialogue imaginaire
Mon invitation à s’offrir des instants d’observation pure, au coeur de notre fonctionnement ordinaire qui nous pousse à penser, à cogiter (à expliquer, à se justifier, à porter des jugements…), convient à certains et semble susciter chez d’autres questions, étonnement ou malaises (parfois un manque d’intérêt). Un échange récent m’a soufflé l’idée de transcrire ces diverses réactions dans un dialogue imaginaire qui ferait l’objet d’une chronique. La voici. Après avoir pris connaissance de mes réponses aux commentaires et questions de mon interlocuteur imaginaire, merci et bienvenue si vous me communiquez des questions ou points de vue non évoqués (nécessairement nombreux) !
Interlocuteur – En effet, je ne vois pas d’intérêt pour moi à m’arrêter pour aller chercher ce que je sens. Je n’ai pas envie de me prendre la tête ! Encore faire des efforts !…
Robert – Si tu te sens content, si tu n’éprouves aucun manque, si rien ne te pèse, ne t’encombre, si tu te sens en harmonie avec toi-même et les autres, si ton corps ne te fait pas mal…, je comprends aisément ton désintérêt. Mais si tu es à ce point épanoui, il se pourrait bien, tout naturellement, que tu sois souvent présent, présent à ce qui est, que tu aies des moments nombreux d’observation.
En réalité, ton désintérêt peut plus sûrement se comprendre à travers ce que tu formules ici : ce serait merveilleux si l’on en avait assez de se prendre la tête au point de ne plus le faire. L’observation n’est pas une prise de tête, ni n’implique de chercher quoi que ce soit. Observer, sentir, regarder, écouter… ne demande aucun effort. Ne serait-ce pas le contraire qui implique un effort ? Pour ne pas regarder, il faut faire l’effort de fermer les yeux (à moins d’être suffisamment fatigué). L’effort pour ne pas observer, pour ne pas sentir s’appelle la résistance.
I. – Ah, c’est vrai que je me sens souvent agressé par le bruit ou tant de choses que je préférerais ne pas entendre (les mauvaises nouvelles, les critiques, les plaintes…) !
R. – Et il y a ce que tu ne voudrais pas voir, tout ce que tu ne voudrais pas vivre et qui se représente sans cesse à toi.
Tout cela qui nous arrive, quoi que ce soit, et qui nous ébranle à un degré ou à un autre touche un ressenti enfoui en nous et qui a besoin d’être constaté, reconnu. C’est l’observation consciente qui le permet. Moins nous reconnaissons combien nous sommes affectés et plus nous sommes « bousculés ».
I. – Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi nous compliquons-nous la vie ?
R. – Comment fais-tu pour réveiller quelqu’un qui dort ? D’abord, tu l’appelles gentiment. S’il ne se réveille pas, tu élèves la voix. Ensuite, au besoin, tu vas le toucher jusqu’à le secouer suffisamment pour qu’il se réveille enfin (s’il n’est pas mort).
Ce que nous nous attirons dans l’existence répond à ce même processus. SE réveiller, c’est ouvrir les yeux et, ici, c’est être présent, observer, sentir en conscience, user de son attention consciente.
Si tu veux avoir des accidents ou des problèmes, sois dans la lune, distrait, pense à mille choses à la fois…
ON a besoin de se réveiller, d’être présent, conscient, non pas pour « être spirituel », mais parce que c’est juste « bon », parce que c’est libérateur, parce que c’est se retrouver soi-même, en paix. Or, bien des choses nous arrivent dans la vie qui nous font juste réagir, juste souffrir, tandis que nous résistons encore à reconnaître une douleur qui est là touchée (par exemple). Il nous faut alors d’autres « secousses ». « Que nous faudra-t-il endurer encore pour qu’enfin, nous nous arrêtions, nous regardions, nous percevions ? Réveillons-nous ! »
I. – Pour moi, le problème, c’est que je ne parviens pas à être présent à ce que je sens quand il m’arrive une « tuile », quand on entre en conflit avec moi, quand j’ai n’importe quelle contrariété.
R. – Comme c’est dommage ! Si tu avais su faire, en pareil cas, tu aurais pu nous en faire profiter car je ne sais pas faire non plus !…
Qui ne peut le moins ne peut le plus. Ne t’en demande pas tant ! Dans le passé, je démarrais au quart de tour quand on m’agressait (par exemple). Aujourd’hui, il m’en faut (faudrait) beaucoup pour me sentir touché et réagir (ce qui ne veut pas dire que cela ne m’arrive plus). Qu’est-ce qui m’a aidé ? Ca n’est certainement pas de me dire, quand il m’arrive ceci ou cela, il ne faut plus que je … Se contrôler est vain.
C’est après coup, quand tu te vois ressasser l’épreuve endurée ou que tu cherches à t’en plaindre, que tu peux te rappeler d’observer simplement ce que tu ressens, comment tu es (ton positionnement, ta réaction). Puisque ces instants de vraie présence à ce qui est libèrent, tu découvres, petit à petit, que les mêmes circonstances difficiles ou douloureuses ne se présentent plus.
I. – Ce que tu expliques me fait penser à l’adage « faute avouée est à moitié pardonnée ».
R. – Nous ne recherchons pas une faute. Nous voulons seulement identifier un ressenti et/ou un positionnement. Nous voulons le voir, le reconnaître. Certes, il arrive bien entendu que se présente à notre conscience un sentiment de culpabilité. C’est alors ceci qui doit être reconnu. « Chose pleinement reconnue en conscience est dissipée en totalité ».
Mais laissons donc un peu les explications et dis-moi comment tu te sens en cet instant même ?
I. – Eh bien, je commence à mieux comprendre « ton invitation » et je me rends compte que je n’ai jamais fait vraiment l’expérience dont tu parles.
R. – Ce que tu dis est intéressant, sauf que tu ne réponds pas là à la question que je t’ai posée. Je ne sais toujours pas comment tu te sens. Peut-être es-tu content de cette compréhension ; peut-être t’en veux-tu de ne pas avoir compris avant ; peut-être est-ce autre chose.
Avant d’essayer de me dire maintenant comment tu te sens (en infirmant ou confirmant l’une ou l’autre de mes propositions), peux-tu simplement constater qu’en effet, tu ne m’as pas répondu – juste pour profiter de l’exemple qui se présente là ?
I. – Ben oui, c’est que j’ai toujours la tête ailleurs !
R. – Là encore, tu ne réponds pas à ma proposition (mais c’est ton droit) de simplement constater la chose. Tu l’expliques.
Peut-être penses-tu là que je pinaille ! Or, ce qui est là concerné est des plus importants : tu pourrais continuer de considérer sans intérêt l’invitation à être présent, à observer, à sentir, conclure que ça ne sert à rien, sans même réaliser que tu ne l’as pas encore testé. En début d’une consultation, une personne m’adit : « J’ai beaucoup pratiqué ça et ça ne m’a pas vraiment aidé ! ». A La fin de la séance, elle déclara : « J’ai l’impression d’avoir pour la première fois de ma vie ressenti des choses en toute conscience ! ».
I. – En fait, je n’y arrive tout simplement pas.
R. – Tu vois cela ?
I. – Oui, je le constate.
R. – Eh bien, tu y es, tu y arrives ! L’important n’est pas dans la chose vue, sentie, observée, mais dans le fait de sentir, de voir, d’observer car c’est être présent.
I. – Et toi, comment te sens-tu ?
R. – Je suis comblé, parce que tu m’as permis d’écrire une chronique qui me convient.
I. – Ok, j’entends que tu te sens content et même reconnaissant, mais n’empêche que tu l’expliques à ton tour !
R. – Hé, n’inverse pas les rôles, qui est « l’enseignant » ici ? N’empêche que tu as raison !
I. – Alors, tu le vois ?
R. – Oui !
(Rédigé d’une seule traite, si ce modeste texte permet quelque éclaircissement ou des contributions (questions, partages), mon objectif est atteint !)
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