Un conflit subi
De façon plus ou moins véhémente, il peut nous arriver de réagir à des choses auxquelles nous sommes confrontés, si sûrs alors d’avoir raison, d’être dans notre bon droit ou même qu’autrui devrait penser et agir comme nous. C’est d’autant plus le cas quand la circonstance est incontestablement incohérente, illogique ou que rien ne puisse l’expliquer dans le contexte du moment. Or, c’est oublier ou méconnaître que rien n’arrive, que rien ne nous arrive par hasard. Toutefois, par exemple, dire qu’une injustice apparente que nous subissons n’est pas le fait du hasard n’implique pas pour autant qu’il nous faille l’expliquer, ni que nous puissions d’ailleurs le faire. Comprendre que ce qui nous arrive n’est pas dû au hasard est une chose, essentielle, et comprendre à quoi cela tient en est une autre, de bien moindre importance.
Nous pouvons dire que la vie nous invite à nous éveiller, à penser moins et à observer davantage, à relâcher le passé (l’intérêt que nous lui accordons), à renoncer au souci de l’avenir et à honorer le moment présent. Et comme nous y résistons (c’est humain), il semble qu’elle nous mette parfois à rude épreuve, prompte à nous déstabiliser. Pour prendre un simple exemple, imaginez que votre voisin vous fasse un scandale, parce que vous avez garez votre voiture devant chez lui. Peut-être va-t-il jusqu’à entraîner contre vous d’autres voisins.
Si je fabriquais un exemple sans vous mettre en cause en aucune manière, cela ne changerait rien à mon propos. Quoi qu’il en soit, des choses vous arrivent, n’est-ce pas ? Et elles peuvent même être terribles parfois… En vous garant devant le voisin, dans notre exemple, votre intention n’était pas de l’embarrasser et sa réaction violente est seulement due à sa propre histoire dont nous n’allons pas nous occuper ici. Ce qui vous arrive à vous, par l’intermédiaire du voisin, est repérable à travers la façon dont vous êtes traité, dont vous vous sentez traité, juste une fois de plus !
Ce que vous fait éprouver le comportement du voisin est ce que vous avez maintes fois éprouvé dans votre vie. Vous ne vous y êtes jamais vraiment arrêté et vous n’avez fait qu’y réagir, au minimum en pensant, en vous disant des tas de choses ou, « mieux » encore, en faisant comme s’il ne se passait rien. Or, une fois que vous avez compris tout ça, il reste le voisin ! Il pourrait soudainement se montrer sous un meilleur jour, mais dans l’exemple qui nous intéresse, il ne lâche pas le morceau ! Il n’est pas disposé à voir ce qui se rejoue en lui alors qu’il explose de rage en voyant votre voiture devant sa maison. Et comme vous êtes « l’accusé », vous êtes – disons – bien mal placé pour tenter de lui ouvrir les yeux. Il serait facile pour lui d’affirmer que vous essayez de vous en tirer à bon compte.
Ce qui vient d’être dit pour cet exemple du voisin en colère peut s’appliquer à tout conflit, tout autant à celui que vous n’avez pas suscité en conscience ou auquel vous ne vous seriez certainement pas attendu. Or, dans ce dernier cas, nous pouvons reconnaître qu’il est souvent plus délicat d’en sortir, surtout si en sortir veut dire ici se sentir en paix avec son voisin, avec la personne qui a manifestement provoqué le conflit. C’est souvent cette dernière étape qui reste (longtemps) si difficile à franchir. Il ne s’agit pas de changer l’autre, bien entendu, mais quand « le voisin », c’est votre conjoint(e), l’un de vos parents ou même votre chef direct, il peut y avoir à tout le moins un inconfort relationnel persistant, l’impression d’une ombre pesante.
Le douloureux en nous jamais considéré, ai-je dit et répété, nous attire les conflits que nous vivons. Même si nous avons d’abord résisté à cette idée, nous pouvons finir par la vérifier en devenant plus conscient de notre façon d’interagir avec le monde. Quand nous voyons que nous le provoquons, lui résistons, par exemple, nous sommes moins étonnés des effets produits. Or, qu’en est-il de ces choses qui nous arrivent et qui semblent n’être reliées à rien ? C’est par exemple quelqu’un qui vous fait soudainement une scène et avec qui, jusqu’alors, vous viviez en parfaite harmonie.
Ce cas de figure est peut-être très exceptionnel pour la plupart d’entre nous, mais d’autres circonstances similaires, non relationnelles celles-là, aboutiront au même phénomène, à la même problématique. Tout va bien dans votre vie, à tous les niveaux, et survient un gros coup dur ou une cascade de contrariétés. Vous débutez votre journée en pleine forme et voici que votre voiture ne démarre pas, que votre garagiste est fermé (congés annuels), que personne n’est disponible dans l’instant pour vous venir en aide. Ce genre de choses est certainement plus courant ! D’ailleurs, prenons encore quelques exemples de ces contrariétés qui peuvent surgir tout à coup alors que tout semble aller au mieux dans sa vie (des choses qui m’ont été racontées) :
Deux jours avant de partir en vacances, heureux et insouciant qu’il était, une partie du toit de sa maison s’est effondrée (vacances retardées) ;
Ils avaient tout préparé dans leur maison pour faire faire des travaux par un ami professionnel qui s’est cassé une jambe le matin du jour où il devait commencer ;
Il a eu un grave accident de voiture en se rendant au mariage de son fils ;
Il était content de rédiger l’article qu’on lui demandait en urgence et son ordinateur est tombé en panne ;
Heureuse de prendre sa retraite, avec des enfants et petits-enfants épanouis, voici qu’un cancer du sein lui est diagnostiqué deux semaines après son dernier jour de travail.
Dans ce genre de situations, il n’y a généralement personne que l’on pourrait incriminer directement, quoiqu’on puisse être très doué pour trouver des coupables. En se demandant pourtant comment on se sent traité dans telle ou telle situation, on peut là encore reconnaître que ce qu’elle nous fait éprouver est bien quelque chose de familier et c’est quelque chose qui réclame de l’attention, qui la réclame depuis si longtemps. Or, quand cette attention a été accordée en grande partie, quelle signification donner à la situation qui demeure problématique ? La réponse à cette question est d’autant plus importante quand la situation problématique est donc votre conjoint(e) qui se maintient dans un positionnement à l’encontre de toutes vos priorités.
D’abord, cette situation éprouvante nous fait ou nous a fait retrouver notre attitude réactionnelle ordinaire avec le malaise général bien connu. Oui, on est là dans du revécu émotionnel. Ensuite, il y a la possibilité fort utile de conscientiser des peurs, des croyances, des choses à libérer. Précisons que le positionnement réactionnel est si puissant qu’il reste encore impliqué même lorsqu’il est enfin perçu de façon globale. D’ailleurs, c’est encore en étant pareillement animé par la réaction que, décidément, on ne comprend pas pourquoi la chose nous arrive !
On cherche et trouve facilement des explications qui confirment l’incohérence de ce qui se passe. On y pense beaucoup, on en parle peut-être autour de nous, on revient sans cesse sur ces explications prouvant en quelque sorte sa bonne foi. Cette dernière peut d’ailleurs être évidente, incontestable, mais dans ce cas, pourquoi tant d’explications ? Pourquoi un tel intérêt accordé aux preuves ? On pourrait sans doute observer qu’une personne accusée à tort et en rien affectée par la circonstance ne cherchera pas à s’expliquer, ni à se justifier.
Et le faire, en revanche, ne suffit pas pour révéler qu’on ne serait pas de bonne foi, ni que nous serions en tort. Par conséquent, le faire dans ce cas doit bien révéler autre chose. En fait, toute personne qui tient à s’expliquer longuement, à vrai dire à se justifier, témoigne malgré elle d’un sentiment fort de culpabilité. Nul besoin d’être coupable pour se sentir coupable, pour se croire inconsciemment coupable ou pour être positionné comme s’il y avait culpabilité. Et ce sentiment de culpabilité, profondément enraciné, est ce qui n’est toujours pas perçu, ressenti en conscience, ce qui n’est donc pas libéré. C’est aussi ce qui attire et fait durer ces circonstances déplorées ou simplement les vivre comme on les vit.
Comme dans l’exemple du voisin colérique, un problème auquel on peut être confronté est souvent chez la personne qui le provoque et non pas chez celle qui est prise en grippe. Soi-même pris en grippe, on adoptera facilement ce point de vue, dans la réaction toutefois, en se justifiant de mille manières, et ce n’est de loin pas sentir que l’autre est manifestement en difficulté, ni ne pas réagir comme si l’on n’était en rien concerné. Autrement dit, on déclare que l’autre est en tort (ce qu’il est), non pas parce qu’on le perçoit clairement, non pas parce qu’on le sait simplement, mais juste pour se défendre. On ne sait pas qu’il est en tort, on l’accuse de l’être. Dans ce contexte, se défendre ne s’explique que parce qu’il y a un vieux ressenti « culpabilité » toujours fui (je parle des contextes émotionnels).
En invitant des personnes à explorer ce qui se passait en elles juste avant de se blesser d’une manière ou d’une autre, juste avant un gros accident ou n’importe quel coup dur, elles finissent par retomber sur de la culpabilité. Globalement, rien ne pourra changer de façon heureuse et durable dans sa vie en conservant ce sentiment profond de culpabilité que l’on a ramené de sa prime enfance. Il s’agit de savoir qu’il en est ainsi davantage que de savoir comment s’en sortir. Des gens peuvent ne pas y croire, mais même s’ils y croient, ils ne s’y arrêtent pas. Ils n’arrêtent pas vraiment leur attention sur le fait qu’ils vivent ce qu’ils vivent, endurent ce qu’ils endurent, du fait de continuer, et de se croire inconsciemment coupables, et de sous-estimer la réalité de cette croyance en cause.
En tant que bébé et que tout petit enfant, vous ne vous êtes certainement pas, en permanence, senti reconnu, valorisé, comblé, accueilli, compris, aimé. Non, à un degré ou à un autre, vous vous êtes senti traité mal (abandonné, dévalorisé, maltraité, rejeté et/ou trahi). Traité ou vous sentant traité de la sorte, tôt ou tard, l’impression s’est faite en vous que vous y étiez pour quelque chose, que quelque chose n’allait pas chez vous, que vous étiez fautif, que vous étiez donc… coupable. Pensez-vous qu’il ait pu en être autrement ? Si vous admettez que tel est le fonctionnement humain, poursuivez, suivez-moi, fort de votre compréhension.
Pour tenter de démentir le message toujours mensonger « je suis coupable », en gros, soit l’enfant se résigne, se soumet ou s’isole, donc se montre « raisonnable », soit il se plaint ou se rebelle, pour tenter d’obtenir capricieusement de quoi prouver qu’il n’est pas cet enfant indigne, non méritant. Dans le premier cas, il cherche à donner des messages de non-culpabilité. Dans le second, il cherche à en recevoir. D’année en année, il développera de plus en plus l’une et/ou l’autre de ces stratégies, bien sûr illusoires, inefficaces, et il s’installera dans sa vie d’adulte avec bien au chaud en lui… son sentiment de culpabilité. Sinon, quand et comment aurait-il disparu ?
C’est ainsi, étant cet ex-enfant, que nous continuons de tenter de nous montrer sous notre meilleur jour ou/et d’obtenir les messages d’autrui qui attestent de notre grandeur. Ce faisant, la culpabilité n’est pas délogée, ni jamais ressentie en conscience. Serions-nous condamnés à la conserver à jamais ? Il y a qu’elle nous conditionne au-delà de ce que nous pourrions imaginer. Elle nous fait faire ce qui ne nous convient pas, nous empêche de faire ce qui nous conviendrait, toujours à seule fin saugrenue et inconsciente de démentir une indignité imaginaire. Dans le même but, elle nous fait également accuser les autres.
Et il y a donc aussi, entre autres, qu’elle attire et maintient ces circonstances relationnelles ou matérielles que l’on ne comprend pas, dont l’existence nous étonne et qui, même acceptées, se perpétuent encore et encore. Les accepter n’est plus le problème quand la culpabilité qui les cause demeure intacte, comme protégée à l’intérieur. Au mieux, on tente de la projeter dehors en accusant le monde ou l’on ne la considère pas par peur d’incriminer autrui. Si la faute n’est pas en soi, quand il y a problème, elle doit bien se trouver quelque part. « Et si Papa et/ou Maman étaient en cause ? Quelle horreur ! Non, le coupable, c’est moi ! ». La cause de notre mal-être est toujours en nous, aimé-je dire, et cette cause est parfois la résistance à voir qu’il y a là, dehors, quelqu’un qui manifeste un dysfonctionnement grave.
En fait, notre mal-être n’est dû, ni à une faute qui serait en nous, ni même à la faute de celui là-bas qui réagit comme il le peut selon sa propre culpabilité, mais au seul fait de continuer de se croire (inconsciemment) coupable, autrement dit de vivre en coupable. Ne cherchez pas de coupables, ni en vous ni en autrui (laissez cette tâche à la police), mais découvrez désormais qu’inconsciemment et à tort, tout un chacun se croit coupable, à commencer par vous-même, et que là-dessus, repose le drame humain. Une fois encore, percevez que vous vous en voulez et soyez sûr que la perception pure et directe de tout ressenti l’absorbe, le libère.
Alors, soit en lien à certaines circonstances qui vous affectent, soit à travers une humeur occasionnellement appropriée, cela vous arrive-t-il d’être avec l’impression plus ou moins vague qu’il y a en vous l’une ou l’autre des choses suivantes : du banal, de l’insipide, du sale, du laid, du pervers, du répugnant, du mauvais, de l’exécrable, du méchant, de l’idiot, du « pas normal », du visqueux, du dégueulasse, du dangereux, du monstrueux ? C’est en quelque sorte la forme énergétique du ressenti « culpabilité » que vous allez libérer désormais, en la percevant enfin en pleine conscience.
En se permettant d’accueillir ainsi et de percevoir purement et simplement un tel ressenti encombrant, c’est une libération que l’on s’offre et que rien d’autre ne pourra offrir. Dès lors que vous entretenez des pensées justificatives, autodéfensives, soyez sûr que de la culpabilité est concernée, qu’il n’est question que de cela en réalité. Puissiez-vous vous permettre de voir cela ! Vous êtes ce qui perçoit et non jamais toute chose perçue. Ce qui est perçu se transforme, ce qui perçoit demeure à jamais !
Lisez ou relisez le texte consacré à la culpabilité :
La vieille culpabilité cachée
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