Qu’est-ce que je résiste à sentir ?
Mes expériences et observations des derniers temps attirent mon attention sur les deux questions suivantes :
– Comment « nous débrouillons-nous » pour nous attirer des conditions de vie qui, pourrions-nous reconnaître, ne nous conviennent pas ? (L’expression est souvent un euphémisme).
– Quand une transformation s’est produite, avec le temps, par un travail thérapeutique ou autrement, que s’est-il produit en réalité ?
Voici quelques éléments de réponse qui pourraient vous encourager à questionner encore ou à nous faire part de votre propre compréhension. Comme d’habitude, les points de vue émis s’ouvrent ici pour être testés et favoriser le partage et la communication.
Sur le site ou ailleurs, dans mes divers écrits, vous avez lu ou vous lirez (vous m’entendrez rappeler régulièrement) que « le problème » qui se présente à vous aujourd’hui, en vous perturbant à un certain degré, n’est pas « le problème », n’est pas votre problème. Certes, dans nombre de cas, c’est un problème dont il est judicieux de s’occuper, parfois même urgent de le faire, mais il vous affecte d’une manière qui vous est (certainement) familière, qui vous est propre. Il vous « rappelle », il remue quelque chose qui demeure en vous et c’est cela « le vrai problème » ou ce qui constitue l’épreuve du moment.
En disant cela, je ne sous-estime pas la situation problématique à laquelle vous êtes confronté (difficulté relationnelle, physique, matérielle ou autre), mais j’invite à apprécier de façon appropriée et bienveillante la véritable cause de vos préoccupations et contrariétés de tous ordres. Ce n’est pas de l’attention en moins, mais de l’attention en plus ! Parfois (pour prendre un autre exemple), des personnes se sentent accusées là où l’on veut leur montrer, a contrario, qu’elles se culpabilisent, à tort.
Pour « souffrir » le plus, que doit-il vous arriver ? (Que devez-vous vous attirer ?) Une perte d’emploi, d’argent ? Une rupture relationnelle ? Des ennuis de santé ? Un conflit familial ? Des échecs ? Des abus ? Un isolement affectif ?… En ce qui me concerne, pour évoquer un seul aspect, les pannes ou blocages de toute nature peuvent encore me faire « démarrer au quart de tour » (me réactiver émotionnellement). Qu’en est-il pour vous ? Face à des pannes ou blocages plus importants que les miens, j’en vois qui demeurent stoïques et du coup efficaces. C’est ainsi qu’il me montrent que « le problème n’est pas le problème ».
En revanche, tant d’autres choses peuvent advenir qui me feront ni chaud ni froid là où, pour d’autres, ce sera « la fin du monde ». Précisons que nous n’avons aucun mérite à ne pas réagir là où les autres s’effondrent. Nous n’avons rien en nous à être rappelé, dont nous occuper enfin – peut-être l’avons-nous déjà fait – et il en va de même pour autrui là où nous pouvons ou pourrions reconnaître que nous sommes touchés à notre tour.
Enfant, à un certain degré, vous avez pu vous sentir (par exemple) délaissé, rabaissé, trompé, ignoré et/ou accablé. Cette expérience (éventuelle) est une chose, ce qu’elle vous a fait éprouver en est une autre. L’expérience – soyons simples et directs – vous a fait mal. Qu’avez-vous fait de ce « mal » ? Jusqu’à quel point l’avez-vous ressenti en conscience ? Avez-vous pu le ressentir, effectivement, au point de pouvoir le dire, l’exprimer, le pleurer et donc l’extérioriser ? Oui, vous avez pu cela si vous avez trouvé des bras accueillants, une présence invitante, un « extracteur de chagrin ».
Maintenant, ce mal qui n’a pu être dit, parfois hurlé, qu’est-il devenu ? Où est-il ? Il reste en nous, « bien au chaud », et c’est lui qui est remué à travers les conditions de vie que nous nous attirons justement pour tenter à chaque fois de le reconnaître désormais, de le ressentir enfin, de le libérer à jamais. Les séparations qui vous font réagir aujourd’hui (jusqu’à vous faire craindre la mort parfois) veulent seulement vous dégager de la douleur accumulée en vous par trop de distance éprouvée jadis entre vos besoins essentiels et la possibilité de les satisfaire.
Ce n’est là qu’un exemple, bien sûr ! Les durables changements d’état d’âme se sont souvent produits sans conscience de la chose, mais pour les transformations dans votre vie que vous pourriez constater, vous avez en chemin laissé beaucoup de peines, regrets, remords, hontes, culpabilités ; vous vous en êtes libéré. D’ailleurs, cela a souvent demandé beaucoup de « souffrance inconsciente ». En fait, on ne peut souffrir en conscience car « souffrir » est réagir et « reconnaître une douleur » et s’en guérir.
– Nous nous attirons des problèmes (nous sommes inconsciemment attirés par les problèmes), parce que nous avons des douleurs à revisiter et à lâcher.
– Nous nous permettons des transformations, parce que nous nous sommes libérés de vieilles douleurs.
Sinon vous-même, peut-être connaissez-vous des personnes qui tournent longtemps « autour du pot » avant de formuler une demande, avant de la dire. Il arrive même que certaines de nos demandes soient satisfaites sans que nous les ayons jamais exprimées, parce que les gens sont bons, parce qu’ils les devinent… Mais si une demande doit être faite, on se retrouvera encore en situation de l’éprouver. On parle de la chose, on y réfléchit, mais on ne la dit pas. Sur ce même modèle, on vit, on traite nos problèmes : on en parle ou on les rumine, on les pense pour en parler, mais on ne s’arrête pas sur ce qu’ils nous font ressentir.
– « D’accord, il ne te comprend pas, mais qu’est-ce que cela te fait sentir ? »
– « Je sens qu’il se fout de moi ! »
– -« OK, mais qu’il se foute de toi, comment cela te fait te sentir ? »
Voyez-vous, devinez-vous, sentez-vous là où l’on ne s’arrête pas, là où l’on ne met pas son attention ? On ne la met pas là seul où il est pourtant assuré de faire une différence, de se libérer, de vivre une transformation. Tout le reste, tout ce qui n’aboutit pas à sentir enfin plutôt que de penser entretient et souvent empire les situations que nous déplorons. En réaction, on peut bien parfois mettre fin à une relation (professionnelle, par exemple), mais on ne tarde pas à s’en attirer une autre où éprouver les mêmes choses (la situation n’est pas le problème).
Bien sûr, nous n’avons pas été encouragé à sentir, à ressentir, à nous laisser aller à la seule expression du ressenti, comme le vit, comme en témoigne le bébé épanouit, comme vous pouvez pourtant le vivre à la faveur d’une crise de fou rire. Dans ce dernier cas, parfois, la propension à la justification (au blablabla) est supplantée par l’urgente et irrésistible expression du ressenti. C’est merveilleux !
Si le « ressenti non conscientisé et/ou retenu » nous attire tant de circonstances indésirables – lesquelles seront toujours bienvenues pour l’explorer enfin en conscience -, si vous comprenez ou admettez cela, pourquoi « les attendre » ? Dès maintenant, nous pouvons pratiquer le ressenti conscient, l’accueil du ressenti. Nous pouvons le préférer au « penser ». « OK, je pense à ceci ou à cela, mais qu’est-ce que cela me fait sentir ? Comment cela me fait me sentir ? OK, je veux absolument perdre du poids, mais qu’est-ce que je ressens avec ce poids « superflu », en me disant ceci ou cela à propos de mon poids ? »
Nous pouvons bien perdre ce poids, arrêter de fumer, changer d’emploi ou d’amour, mais ce que nous résistons à ressentir « ne nous lâchera pas », juste parce que nous ne le lâchons pas ou – une autre façon de le dire – parce que nous ne le tenons pas en conscience. Pour se libérer de son complexe lié (croyait-il) à sa maigreur, il a fait de la musculation. Il est devenu « monsieur muscle » et il a eu honte de sa carrure ! On obéit autant qu’on peut à ce qu’on croit, on n’en vient « jamais » à juste sentir. Sentir permet, exige en fait d’être présent. Le présent est l’inestimable cadeau toujours refusé et le seul qui ne peut nous quitter.
Quand le ressenti est sollicité (quand nous nous invitons à sentir ou quand on nous invite à sentir), alors qu’un événement particulier nous bouscule émotionnellement, il est généralement aisé d’en vivre des effets heureux, voire rapidement. Mais ressentir encore indépendamment d’une difficulté représentée pourrait sembler plus ingrat (encore que l’expérience en elle-même finit par être joyeuse ou paisible), parce que, ce faisant, nous ne savons pas ce que nous nous épargnons comme épreuves. Ma pratique personnelle des dernières semaines m’a fait extirper des sentiments de honte que je n’aurais plus soupçonnés. Il serait vain d’imaginer les circonstances qu’il m’aurait fallu m’attirer pour débusquer et libérer ces émotions et je me réjouis simplement, puisqu’elles étaient encore en moi, d’avoir ainsi dissipé ce qui est remonté (aussi peu que cela soit ou paraisse).
L’auto-invitation à sentir revient à honorer le présent car, comme déjà souligné, on ne peut sentir hier, ni sentir demain. Si vous ressentez le futur, c’est encore maintenant que vous le sentez. Et ce ressenti représente une reconnaissance qui a longtemps fait défaut et qui n’est que secondairement une guérison. C’est ultimement la réconciliation avec soi-même, les retrouvailles intimes.
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