Problèmes ou bénédictions ?
Et si nombre de nos satanés problèmes étaient en fait des bénédictions ? C’est ce que je crois, c’est ce que je découvre de plus en plus. Pour en réfuter l’idée, on pourrait hâtivement mentionner des expériences de vie extrêmes, mais intéressons-nous à ce que nous vivons personnellement et ne faisons pas témoigner les autres à partir de nos seules interprétations de ce que ces derniers endurent. D’ailleurs, les témoignages sont nombreux où d’apparentes victimes du pire disent leur avancée qu’elles en ont retirée. S’imaginer vivre quelque chose qu’en définitive, on n’a pas à vivre rendrait le propos moins accessible. Alors, dans ce que nous subissons nous-mêmes de façon chronique ou récurrente, y a-t-il quelque chose que nous pourrions envisager comme « bénédiction » ?
La proposition est hardie, n’est-ce pas ? Pourtant, si nous acceptons de tenter une réponse affirmative, bien des choses pourraient devenir plus facile à vivre. Il se pourrait même alors qu’on n’ait plus à les vivre, plus besoin de les maintenir dans son existence, ni de se les attirer avec constance. Ordinairement, la résistance à ce qui est (à ce que nous sommes confrontés) cause sa persistance (plus ça résiste, plus ça persiste). La compréhension du fonctionnement humain à partir du « regard qui transforme » repose exclusivement sur une intention féconde et généreuse. Lisez attentivement les quelques paragraphes qui suivent et voyez, décidez ensuite !
Une personne me confie récemment qu’elle a sans cesse à déplorer dans sa vie un manque de reconnaissance de la part de ses proches. Et, bien sûr, elle annonce cet état de fait comme l’un de ses gros problèmes qui se présente à elle dans sa vie régulièrement, comme quelque chose qui la rend très malheureuse. Je connais bien cette personne ; je sais ce qu’elle vit puisque je sais ce qu’elle a vécu enfant (savoir ce qu’une personne endure dans sa vie d’adulte m’informe de toutes façons sur ce qu’elle a éprouvé enfant) ; après l’avoir écoutée suffisamment, je peux lui parler sans crainte (elle peut commencer à m’entendre) :
« Tu sais (tu l’as dit toi-même) que tu donnes et fait pour les autres mille choses avec attentes. Donner avec attentes, c’est donner avec la peur de ne pas recevoir et la peur non reconnue comme telle attire à soi la chose crainte… (Mais laissons cela, nous en avons parlé si souvent !). Tu as besoin de reconnaissance… de la part d’autrui, reconnaissance que tu te refuses. Tu te la refuses, parce que – pour faire simple – tu continues de croire que tu ne la mérites pas, que tu ne mérites pas. Croire cela est insupportable, non ? Alors, il faut le démentir et si les autres te reconnaissent, ouah, quel soulagement ! ».
De la reconnaissance ou de la gratitude pour cette personne, de l’affection, des preuves d’amitié ou des services rendus pour l’un ou l’autre d’entre nous, on a chacun ses propres attentes et de quoi les croire légitimes sans s’interroger jamais sur la frustration récalcitrante, sans la remettre en cause. Une circonstance relationnelle douloureuse permet de le faire et c’est en cela qu’elle peut être vue comme un cadeau. Cependant, l’aspect « cadeau » (bénédiction) peut être laissé de côté dans un premier temps. Son évocation sert seulement à envisager l’idée qu’une épreuve peut contenir ou signifier bien autre chose que le souffrant, l’insupportable avec quoi l’on y répond, réagit.
Puisqu’on n’est pas habitué à appréhender de façon constructive les situations conflictuelles de notre existence, quelle est l’alternative ? Au mieux, on pourrait croire au hasard ou à la malchance. Au pire, on croit en l’injustice, on se croit maudit ; on croit qu’on nous en veut et que l’on est punit. On croit qu’autrui s’en prend réellement à nous, qu’il nous traite délibérément mal. Il est difficile de souffrir comme beaucoup d’entre nous le font sans cultiver du « croire » de cet acabit. Pour souffrir émotionnellement, Il faut penser, il faut croire, il faut se dire des choses. Ayez à l’esprit de ces choses que vous vous dites quand ça ne va pas et sachez alors que ça ne va pas, justement parce que vous vous dites ces choses, parce que vous les cultivez malgré vous !
La notion de croyances peut ne pas parler à tout le monde. Si elle n’est pas claire pour vous, ne vous en souciez pas et testez ceci : vous êtes soudainement contrarié – ça arrive même d’être ébranlé sans l’implication d’une personne, comme avec un appareil qui tombe en panne, par exemple – et vous restez pris un moment, longtemps peut-être. Vous êtes mal ! Vérifiez alors si vous ne souffrez pas… comme si… comme si « quelque chose »… comme si l’on venait de vous faire ou de vous dire quelque chose. Et vos pensées du moment – pensées de douleur – soit insinuent le traitement que vous subissez, soit répondent à celui-ci.
Vous pouvez faire de ce qui précède un exercice utile, répondre pour vous-même à cette question : quand je suis mal, quand je « vis un truc », c’est comme s’il se passait quoi ? C’est comme si l’on me disait, me faisait quoi ? Réponse : c’est comme si …
On pourrait dire beaucoup de choses à partir de la réponse apportée : elle parle de ce qui est craint, de ce qu’on attire, de ce qui a été éprouvé dans la prime enfance, de la manière dont on se traite, d’une blessure non guérie… Ici, accueillons simplement la réponse comme distincte de la personne ou de la situation incriminée. On ne peut pas nier qu’il y a effectivement les deux phénomènes (avant d’en mentionner un troisième) : la personne ou la circonstance d’un côté et ce qu’on se dit à ce sujet de l’autre (le « comme si… »).
Et observons donc que la personne, la situation ponctuelle est seulement un révélateur. Ce qui est révélé est ce qui doit être enfin accueilli… en pleine conscience, ressenti de même à l’exclusion des ordinaires considérations (les pensées) et de la sorte consommé, guéri. C’est dire qu’on peut adopter une autre attitude envers toute circonstance qui ne fait pas notre affaire a priori. Ce n’est pas toujours facile, c’est souvent très difficile, mais c’est le chemin qu’il nous faut emprunter pour transformer notre vie à notre avantage.
Quand on est mal, quand on souffre, quand on est contrarié par une personne, affecté par une situation, notre attention est fixée et le reste longtemps sur la personne ou la situation. Cela se fait de façon machinale. On émet des jugements, diverses considérations par rapport à la personne, à la situation. Or, notre attention pourrait être et rester sur le ressenti douloureux, celui-là même qui est permis par la personne, par la situation. Ce ressenti est extraordinairement important, bien plus qu’on pourrait l’imaginer, car il est le vrai problème, il est le seul problème. S’il n’était pas là, en nous-mêmes, notre attention ne serait pas non plus sur l’autre là-bas (personne ou situation). Mieux encore, c’est ce ressenti qui attire au besoin l’autre.
De plus, il arrive qu’on l’éprouve même sans l’autre, sans la personne, sans la situation. Cela se produit en permanence, cela se produit même la nuit alors qu’on est seul dans son lit. Faut-il nécessairement qu’il vous arrive un truc particulier pour que vous puissiez vous sentir mal ? Il y a toujours un déclencheur, mais une pensée, un souvenir suffit parfois. Cette réalité est intéressante car elle confirme le peu de crédit qu’il convient d’accorder aux événements. Certes, la douleur qui se rappelle à soi sans circonstance extérieure spécifique ne garantit pas qu’on lui accorde plus d’attention et qu’on mette au repos la « machine mentale ». Dans ce cas, on s’emparera d’un événement récent et s’il le faut, le passé fera l’affaire.
En réalité, on est malheureux par habitude, on est malheureux de façon habituelle. On éprouve les choses d’une manière familière, d’une manière personnelle. Chacun manifeste cette habitude avec une fréquence ou une régularité qui lui est propre. Il en va de même pour l’intensité émotionnelle. En faisant vôtre cette compréhension, vous pourrez encore vous éprouver comme victime, par exemple, mais il vous deviendra de plus en plus difficile de rester convaincu que vous êtes mal (une fois de plus) à cause de ceci, de cela, à cause de telle personne, de cette collègue, de cet ami, du conjoint, d’un parent…
« ça y est, je suis de nouveau mal, de nouveau malheureux. Je suis de nouveau tout seul, sans aide, frustré, mécontent, déçu, désespéré, en colère, en peine, insatisfait (selon histoire personnelle). Ça y est, mon truc si familier est à nouveau là ; à nouveau, il s’impose à moi.
Cette fois-ci, est-ce que je peux m’épargner de le justifier à travers un scénario familier lui aussi, une historiette peu originale, des considérations maintes fois rabâchées… ? Est-ce que je peux au moins tenter cela ? Est-ce que je peux m’ouvrir à cette possibilité jamais envisagée ?
J’ai le ressenti douloureux, le truc souffrant, le malaise… Honnêtement, cela m’aide-t-il de penser des choses, de me dire des trucs, de juger l’autre, de me juger moi-même ? Je voudrais bien en sortir, non ? Ne pas savoir comment faire ne devrait pas m’empêcher d’éviter ce qui empire la situation ! »
Il y a donc une circonstance ponctuelle (celle qui vient re-présenter une blessure non guérie), il y a ce qu’on en pense (les mots qui font mal) et il y a surtout une douleur profonde qui, « désespérément », tente d’être enfin reconnue. On l’a évoquée régulièrement. C’est un vieux chagrin, un manque affectif jamais véritablement oublié, l’empreinte d’une déception atroce, la trace gravée d’une séparation dramatique, l’effet contenu de coups reçus aussi bien par le cœur que par le corps, des affronts jamais effacés et auxquels aucun enfant de la terre ne devrait être soumis… bref une douleur effroyable qui n’a jamais rencontré la main qui guérit et encore moins la sienne.
Sache ta douleur, reconnais-la ! Sache et rappelle-toi qu’elle existe au-delà des circonstances événementielles passées et présentes. Donnons à cette douleur le nom de « Bébé-Toi » (il me vient en cet instant même où j’écris). Prends-le dans tes mains, dans tes bras, sur ton cœur. Ne lui demande pas d’explications et ne lui en donne pas. Offre-lui ta présence, touche-le, regarde-le, ressens-le, caresse-le, réchauffe-le, réconforte-le. Pleure aussi avec lui, pleure pour lui ! Sache que tes larmes sont les siennes. Et quand tu traverses une fois de plus ton « problème d’adulte », Bébé-Toi se trouve là, au cœur du drame, et si ce drame te permet de le reconnaître enfin, alors oui, le drame aura bien été une bénédiction !
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