Préférer réagir
Juste après que nous nous soyons quittés, je repensais à cette amie qui venait de me confier ses états d’âme du moment et à qui j’avais parlé librement comme d’habitude. Par le biais de l’écriture, j’ai voulu reprendre, poursuivre mon feedback à son intention en ne sachant bientôt plus si je m’adressais à l’amie en question ou à moi-même. Et j’ai finalement réalisé que j’étais simplement en train d’écrire la nouvelle chronique. Voyez si elle vous inspire et partagez votre expérience !
« Qu’est-ce que tu attends ? Qu’est-ce que tu attends qui est censé te combler, t’épanouir ? Depuis combien de décennies attends-tu de la sorte ? D’accord, tu n’es pas conscient(e) d’attendre ou tu es même à ce point résigné(e) que ton attente est encore plus camouflée ! Tu ne sais pas, tu ne sais plus que tu demeures dans l’attente. Malgré tant de temps passé à attendre en vain, tu ne peux donc pas reconnaître l’inanité de l’attente. Tu as oublié aussi ce que tu attends !
Le drame – je dois te le confier, te le rappeler -, c’est que la tendance à attendre ainsi ne subsiste que parce qu’il se trouve d’abord en toi la peur de ne pas vivre le meilleur, l’épanouissant (ce qui le représente pour toi) et que la peur contribue à créer ou à maintenir de quoi éprouver l’insatisfaction et tout autre malaise. En résumé, tu passes le plus clair de ton temps à t’organiser une vie indésirable. C’est comme si tu te tapais sur la tête tout en attendant de ne plus avoir mal.
Or, ici et maintenant, cela étant dit, ce fait étant posé, la question est de savoir si tu vas l’entendre, le contester, le reconnaître simplement ou y réagir. Je crains fort que tu n’adoptes une réaction. Tu pourrais t’énerver ou t’inquiéter en considérant ce fonctionnement banalement humain, le juger, en penser des choses, jusqu’à désespérer juste une fois de plus de pouvoir jamais en sortir, au lieu de reconnaître qu’il est tien le cas échéant, au lieu de le reconnaître vraiment sans autre considération, c’est-à-dire de l’accepter comme tel, puisque tel il est.
Je sais bien que tu ne sais pas ou que tu oublies toujours qu’une chose éprouvante, soumise à la reconnaissance dont je parle, se dissipe immanquablement, qu’ainsi tout problème trouve sa solution tôt ou tard. Mais qui parle de solution ? Qui a dit que tu étais ouvert(e) à cette solution ? Même vouloir éventuellement une chose n’est de loin pas encore s’y disposer. On peut bien déplorer l’absence dans sa vie de ceci ou de cela, le désirer, l’envier, le revendiquer…, quand on ne s’est pas complètement résigné au manque, mais être simplement et profondément d’accord pour le vivre, pour le recevoir, c’est tout autre chose.
Un jour, un beau matin que je me rappelle bien, il m’a été donné de découvrir, de reconnaître ce qui m’empêchait depuis des années de prendre une décision qui s’imposait pourtant à moi en raison d’une circonstance pénible que j’endurais. À ce moment-là, j’ai réalisé que je me sentais coupable à la seule idée de vivre, d’affirmer ma décision. Tranquillement, ce fut fait sans précipitation le surlendemain et je m’en félicite encore plus de 10 ans après. En l’occurrence, l’expérience fut telle que découvrir et reconnaître cette culpabilité revint à la faire disparaître sur-le-champ.
Mais soyons clairs : je n’ai rien fait disparaître ; je n’ai pas voulu faire disparaître ma culpabilité à ce moment précis, sans quoi elle m’accompagnerait peut-être encore. En effet, on veut se débarrasser de tant de choses (peurs, malaises, tracas), depuis si longtemps, sans réaliser que c’est y résister alors que, justement, ce à quoi l’on résiste, persiste. Ma culpabilité ponctuelle a disparu, juste parce que je l’ai découverte, reconnue, acceptée. Je n’ai rien fait d’autre : je ne l’ai pas évaluée, je ne l’ai surtout pas justifiée, je ne l’ai pas déplorée… J’ai fait cela souvent, en revanche ; je le fais encore. Or, ce jour-là, j’étais seulement dans l’accueil de ce qui est et j’en ai fait l’expérience heureuse imaginable.
Si tu prêtes attention à ce qui précède, tu as une idée de ce qui peut se passer pour toi en découvrant et reconnaissant ta tendance à … (attendre, t’énerver ou autre chose), l’une de tes peurs, ta honte, ta culpabilité… Tant que tu réagis, tu souffres, tu t’attires problème sur problème, contrariété sur contrariété. Je le sais puisque je fonctionne comme toi. Et quand tu observes et accueilles ce qui est, tout va nettement mieux bientôt, parfois tout de suite. Alors, peux-tu voir cela, en accepter l’idée ? Es-tu avec une réaction encore que tu n’observes toujours pas ? Reconnais ce qui habite ta conscience : un sentiment douloureux ou une réaction. Maintenant, si tu es en paix, reconnais-le de même et goûte-le davantage.
J’avoue que réagir reste très tentant car c’est l’assurance d’un soulagement immédiat infaillible. Eh oui ! Je dis « soulagement » et non pas « délivrance ». En prenant une cigarette, un verre, en faisant autre chose, je me soulage instantanément. Je me soulage même avec l’idée de la chose. Je me soulage en pensant. Penser à la compensation que je vais m’accorder dans un moment me soulage. Pourquoi y penserais-je sinon ? De la même façon, quand je pense que le monde est cruel, quand j’en ai la preuve, je soulage quelque chose en moi. Quand je me plains, je me soulage ; quand je ronge mon os, je « me fais du bien » ; quand je me rebelle, je « m’excite », je « m’emballe »… Quand je réagis, je me soulage… M’adonnerais-je à l’une ou l’autre de ces choses, à quelque réaction que ce soit, si je n’en tirais pas un certain bénéfice ?
Certes, le soulagement est éphémère, sans cesse à répéter puisque soulager une chose n’est pas la libérer. Pas grave, si je puis dire, puisque j’ai toute liberté et tout moyen pour réagir à volonté : je peste quand je veux, je rumine quand je veux, je hais quand je veux… Je me soulage quand je veux et comme je veux. D’accord, il y a fort à parier, ce faisant, que j’ignore que je continue de me nuire et de nuire aussi à mon entourage. Je suis même sûr, en cet instant privilégié de conscience accrue, que je me nuis davantage que je nuis à mes proches. Réagir, résister, ça fait mal d’une manière ou d’une autre.
Et toi aussi, bien entendu, tu réagis, inconsciemment. « Réagir inconsciemment » est un pléonasme : en pleine conscience, on ne peut qu’agir de façon ajustée et non pas réagir, non pas agir de façon décalée. Nous ne sommes pas conscients de la peur qui nous fait réagir et encore moins du sentiment de culpabilité qui provoque cette peur. Voici une belle occasion pour s’arrêter une fois de plus sur la culpabilité en nous qui nous lèse et même nous condamne au-delà de ce que nous pourrions imaginer.
D’abord, au cas où tu douterais de la culpabilité en toi, sache que tes éventuelles et compulsionnelles excuses, défenses, justifications et autres explications inopportunes en témoignent (parmi bien d’autres choses dont nous parlerons à l’occasion). Si tu peux reconnaître que, bien souvent, tu te forces à faire ce dont tu n’as pas envie et tu t’empêches de faire ce dont tu as envie, sache que, là encore, ta culpabilité reste en cause. Tu pourrais plus facilement identifier de la peur, mais (je le répète) ce genre de peur n’existe que parce qu’il y a culpabilité.
« Mais si cette culpabilité demeure en soi », serais-tu en droit de demander, « comment fait-on pour ne pas l’éprouver plus souvent et plus directement ? » Ou bien encore : « En quelles circonstances risque-t-on de rencontrer d’un peu plus près sa culpabilité ? » Admettons que l’une de tes croyances autoaccusatrices soit « je suis mauvais(e) » et que pour en arriver à l’adopter, tout jeune enfant, tu aies été dévalorisé(e). On est porté à se traiter soi-même comme on s’est senti traité enfant et l’on s’accuse également de traiter ainsi le monde. En l’occurrence, on s’accuse d’être mauvais – de la culpabilité donc – et l’on s’accuse à l’occasion de dévaloriser autrui – de la culpabilité encore. Cette occasion, quand est-ce ?
D’aucuns retrouvent leur malaise lorsqu’ils sont complimentés de façon qui contredit leurs croyances autoaccusatrices. Dis à une femme sûre d’être laide que tu la trouves particulièrement jolie, si tel est ton véritable sentiment, et tu comprendras ce que je veux dire. Chose plus attendue, d’autres sont mal quand ils se font dire tout haut ce qu’ils pensent eux-mêmes sur leur propre compte. On se fait critiquer comme on se critique soi-même.
Et pour éviter le malaise, sa culpabilité, on se trouve un bouc émissaire auquel on reproche de façon outrée tout ce dont on s’accuse inconsciemment ou, si tu préfères, tout ce dont on pourrait s’accuser en revenant à soi, tout ce qu’on craint qu’autrui nous reproche. Projeter ainsi sa culpabilité est nuire à autrui et à soi-même. Personne ne peut agir ainsi et être bien. On s’en sort, si l’on peut dire, en ne reconnaissant pas son malaise comme effet de sa projection que l’on perpétue alors inlassablement : on est mal, frustré, malheureux… en continuant de faire ce qu’il faut pour le rester.
Considérer hâtivement ce qui est là relevé peut, j’imagine, engendrer du malaise, sembler accusateur. Pourtant, si l’on adhère aux hypothèses ainsi énoncées, on réalise aussi que le pouvoir de transformer notre existence pour le mieux est entre nos mains. Qu’espérer de mieux ? Pour ma part, il me plaît de reconnaître que si je vis l’enfer, c’est juste que je le crée et que je peux tout aussi bien retrouver le paradis. Je peux haïr ou aimer, mais je ne peux prétendre aux effets de l’amour en haïssant.
Et je peux surtout voir, réaliser que je résiste à prendre des décisions bonnes et justes pour moi-même, simplement parce que me le permettre me fait retrouver confusément ma culpabilité et mon indignité. Il serait étrange que je sois le seul à agir de la sorte. Vois-tu ce que je veux dire ?
En définitive, il reste que nous retrouvons notre culpabilité quand il s’agit de nous occuper véritablement de nous-même. C’est aussi à ce moment-là que nous croyons traiter les autres comme nous nous sommes sentis traités enfants. Imagine un peu, pour éviter la confrontation avec cette culpabilité qui n’a pas lieu d’être, tout ce dont nous nous privons ! En dehors des compensations auxquelles nous nous adonnons pour vivre du soulagement, NOUS RÉSISTONS À NOUS OCCUPER VÉRITABLEMENT DE NOUS-MÊME, PARCE QU’À LE FAIRE, NOUS NOUS CULPABILISONS, PARCE QUE, FONCIÈREMENT, NOUS NOUS en CROYONS INDIGNE.
Pour cette nouvelle année, je te (vous) souhaite de reconnaître tes réactions, tes peurs, tes culpabilités… au point qu’elles ne puissent résister à ton accueil. Si tu t’offres cela, je n’ai rien d’autre à te souhaiter car c’est le meilleur pour toi qui te sera alors acquis. »
Commentaire
Préférer réagir — Aucun commentaire
HTML tags allowed in your comment: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>