Notre réalité profonde : la Présence, la Conscience, l’Amour, le Bonheur
l’occasion des trois chroniques précédentes, nous nous sommes arrêtés davantage sur ce pour quoi nous nous prenons, à nos dépens, et nous avons évoqué notre réalité profonde. Depuis des lustres, nous nous prenons pour une entité séparée, donc limitée, alors que nous sommes la Conscience, la Conscience Une, donc illimitée, non séparable. Cette méprise effroyable est notre problème fondamental. Il est donc judicieux et essentiel de considérer comme jamais le « moi séparé pensant et souffrant ». Il s’agit d’un intrus ou d’un envahisseur des plus puissants, des plus actifs, des plus dynamiques… Mais c’est un semeur de trouble à qui toute liberté est accordée inconsidérément. Déplorer les faits et gestes de qui nous laissons faire, sans conséquences directes pour lui, est somme toute très banal, très habituel.
Plus on tiendra compte de cet intrus identificatoire, plus on pourra s’en détacher, mais encore, forcément au début, plus on le rencontrera, plus on se retrouvera face aux dégâts qu’il engendre, en risquant de s’y laisser prendre à nouveau et, de fait, on s’y relaissera prendre à maintes reprises. On sera alors piégé comme toujours et l’on souffrira ou finira par souffrir tôt ou tard. On ne se sentira jamais bien durablement en se prenant pour ce que l’on n’est pas et en n’assumant pas notre réalité profonde, en ne vivant, en ne manifestant pas notre potentiel. Et de sorte à pouvoir rester en scène, le « moi séparé » ne manque pas de ressources.
Telle que nous l’éprouvons, en souffrons, la séparation n’existe pas, et lorsque nous parlons du « moi séparé », on évoque cette entité fictive pour laquelle on se prend, qui, pêle-mêle, se vit comme étant séparée, veut fabriquer du lien, peut s’entourer de diverses manières, résiste à des relations, peut s’isoler délibérément et s’accuse du pire, en finissant par le projeter en partie à l’extérieur. Le « moi séparé » fonctionne au vouloir, à la résistance, aux ressentiments, à la honte et à la culpabilité.
Le « moi séparé » est en conséquence le « moi pensant et souffrant », et bien qu’il soit juste de le dire séparé, il faut ajouter aussi qu’il est attaché. Il est attaché à ses opinions, aux rôles qu’il joue et à certaines de ses relations. Que l’un de ses attachements soit contrarié, par un empêchement, par un simple désaccord ou bien sûr par la mort, il souffre. D’ailleurs, pour souffrir, il lui suffit bien d’imaginer l’une de ces contrariétés. De toutes façons, il s’attend à être contrarié. Tout attachement est l’effet de la croyance en la séparation, de la peur d’être et de rester séparé. Autrement dit, plus on se sentira séparé, plus on s’attachera.
Pour continuer notre introspection libératrice, comme je l’ai déjà fait plusieurs fois, je vais me prêter à un dialogue imaginaire entre un interlocuteur curieux et moi-même ou, mieux, mon expérience. Pour certains commentaires interrogatifs, l’interlocuteur va peut-être se faire votre porte-parole ! Et s’il a oublié des questions, à votre clavier !
« Interlocuteur » – En fait, j’ai l’impression que je ne m’arrête pas vraiment sur ce que tu dis ou peut-être sur ce qui est le plus important. Je me sens pourtant relativement intéressé et je maintiens toutefois mon activité mentale, mes prises de décisions et mes positions notamment relationnelles comme si rien n’avait été dit, comme si rien n’avait été reçu, comme si je n’avais rien compris. Y a-t-il là quelque chose qui pourrait m’aider ?
« Expérience » – D’abord, observe ici que tu es précisément dans l’observation, beaucoup plus dans l’observation. Souvent, on est encore dans la déploration quand on croit observer, ne faire qu’observer. Dans ces quelques mots, tu manifestes davantage la conscience que tu es qu’un « moi séparé envahisseur ou pinailleur ». À chaque fois que tu seras effectivement dans l’observation, tu en tireras grand avantage, tu t’aideras toi-même. Et tu continueras d’ailleurs de t’aider en reconnaissant ton aptitude à l’observation. La conscience de ce qui nous aide est une incitation facile à suivre ; elle se mue même en auto-invitation.
En pensant comme nous pensons et d’autant plus en déplorant les choses, nous nous faisons du mal, alors que l’observation est en soi une clé irremplaçable. Et être conscients que nous parvenons à être dans l’observation – répétons-le – s’avère également très utile. Plus on reconnaît ses progrès ou ses positions différentes favorables, en les appréciant, plus on peut en profiter. Alors, arrête-toi un instant sur cette double réalité : le bénéfice de l’observation pure et simple, laquelle est une manifestation de la conscience, et le fait qu’il t’arrive bel et bien d’en « user », de la manifester. J’insiste, sois sciemment conscient de cela.
Et, justement, ce que tu as observé te donne une autre clé, une clé qui est même essentielle : le besoin de s’arrêter ! En effet, tu as au passage mentionné l’une des difficultés essentielles qui expliquent pourquoi l’on vit si peu de changements dans sa vie. Or, s’arrêter, ce n’est souvent rien d’autre qu’éliminer le « moi séparé », s’en détacher. Pour exister, le « moi séparé » a besoin du bruit, surtout du bruit mental, du mouvement, de l’agitation. Quand tu as de la difficulté à repérer le « moi séparé », à l’identifier, alors que tu es cordialement intéressé à le faire, c’est simple, « arrête-toi » ! Ce qui ne s’arrête pas, c’est le « moi séparé ».
Et pour faciliter la chose, ralentis-toi, choisis la lenteur. Aie la lenteur à l’esprit, ainsi que la détente. Au passage, cela revient parfois à délaisser le forcing ou la précipitation. La course en avant mène toujours dans une impasse et parfois dans le mur. Donc, ce qui ne s’arrête pas sur ce que je dis, selon tes propres mots, c’est aussi le « moi séparé ». Tu l’as vu, en fait, et tu peux le voir encore mieux, t’y arrêter un peu plus, en être désormais sciemment conscient. Nous avons besoin de l’arrêt, parce que l’arrêt est bon, transformateur, libérateur. Et l’on peut dire qu’il est la position de la Conscience. L’arrêt permet la contemplation. Étant omniprésente, la Conscience n’a besoin d’aller nulle part. Dans « l’arrêt percevant », tu manifestes la conscience, ce que tu es.
INT. – Puisque j’endosse ici le rôle de l’antagoniste, allons directement à l’essentiel ! Quoi qu’il en soit, je ne suis pas vraiment heureux et traverse même des moments de profond malaise. Je réalise même que je n’attends pas vraiment de toi une aide véritable à ce sujet.
EXP. – Très bien, mais est-ce que tu sais que tu peux être heureux ? Ne me réponds pas, vérifie-le en toi ! Non, en vérité, tu ne sais pas que tu peux être heureux. Tu ne sais pas davantage que tu es aimé. Tu n’es pas seulement digne d’amour, tu es aimé(e). Que sais-tu de ton pouvoir ? Sais-tu que tu ne peux pas avoir un élan véritable, hors tout intérêt compensateur, sans avoir aussi tout ce qu’il faut pour le réaliser ? Tu ne sais pas que tu peux être heureux, tu ne sais pas que tu es aimé, tu ne sais pas ton pouvoir, ton potentiel, mais c’est juste le « moi séparé » qui ne sait pas cela.
Et il y a encore plus important : que sais-tu de la conscience que tu es ou, plus simplement, sais-tu que tu es la conscience ? Comment pourrais-tu donc ne pas être ce qui est conscient ? Tu n’es rien de ce dont tu es conscient. Ce que tu es est au minimum sûr, inaltérable, et tout ce dont tu peux être conscient, lorsqu’il ne s’agit pas du Divin ou du seul fait d’être conscient, change tout le temps, d’une manière plus ou moins prononcée.
Et, en effet, personne ne peut t’aider à être heureux, parce que personne ne peut t’aider à être, à être ce que tu es déjà quoi qu’il en soit, à être ce que tu ne peux pas ne pas être. Seulement en fonction de ta demande sincère, donc de ton ouverture, on peut toutefois t’aider à voir et à reconnaître ta résistance au bonheur, à te rappeler la possibilité d’être sciemment conscient de ce qui se joue et se rejoue en toi, en fait à considérer avec tendresse le « moi séparé ». Et si tu t’y disposes, le bonheur en sera l’effet. Tu peux sciemment te disposer à sortir de l’ignorance.
Peut-être sais-tu désormais que tu n’es pas ce pour quoi tu te prends, ton corps, ta personnalité, les rôles que tu joues…, que tu n’es donc pas un « soi séparé », et que tu es ce qui est conscient. Or, ce qui est conscient, donc la conscience, n’est pas séparé, ni n’a de limites. Et cela, le sais-tu ? Tu ne peux pas être heureux sans savoir ce que tu ne sais pas. Rappelle-toi l’effet heureux qu’a pu produire sur toi une fois ou l’autre le fait d’avoir appris ou découvert quelque chose. Tu croyais que…, par exemple, et, tout à coup, tu apprends que… La sortie de l’ignorance est toujours d’un effet heureux.
Si tu te savais aimé, si tu te savais fort du pouvoir indispensable, si tu te savais être la conscience sans limites, non séparée, pourrais-tu encore t’imaginer malheureux ? Se prendre pour ce que l’on n’est pas et ignorer ce que l’on est n’a jamais rendu heureux personne. Tu n’es pas vraiment heureux, parce que tu es encore dans l’ignorance. On est fondamentalement malheureux, non pas du fait de ne pas vivre ce que l’on veut ou voudrait compensatoirement, mais parce que l’on se prive de l’appréciation d’être ce que l’on est et de tout son potentiel.
De même que l’on peut dire que tout le monde aspire au bonheur, on pourrait tout aussi bien dire que « personne » ne veut être heureux. La plupart des gens que nous côtoyons ne veulent pas être heureux. Ce qu’ils veulent, c’est du réconfort, du soulagement, de la compensation, du plaisir épisodique. Ce n’est pas la même chose ! Et manifestement, ce qu’ils veulent encore davantage, c’est réagir. Bien sûr, en réalité, ils aspirent eux aussi au bonheur, ce qui est révélé aussi bien par leurs intérêts compensateurs que par leurs manifestations réactionnelles, mais ils ne le savent pas. La quête du bonheur se niche derrière chacune de nos intentions, y compris réactionnelles ou compensatrices. Cependant, comment être heureux en se vivant comme étant limité, séparé, non méritant, victime, maudit, coupable ou honteux ?
Dans l’instant où l’on est sciemment conscient, on est heureux ; dans l’instant où l’on rencontre la vérité, on est heureux ; dans l’instant où l’on se sent aimé, on est heureux… Ce bonheur-là n’est pas procuré par une rentrée d’argent, par la voiture de ses rêves, ni même par une nouvelle relation. Le vrai bonheur est vécu sans cause extérieure. Francis Lucille dit : « Être conscient d’être conscient est la forme du bonheur la plus élevée ». Ce qui est malheureux, ce n’est que le « moi séparé ». Sachons tout cela ! Et soyons heureux de savoir ou de comprendre pourquoi l’on n’est ordinairement pas heureux, parce qu’en même temps, on emprunte le chemin du bonheur.
INT. – Donc, je ne suis pas heureux, parce que je reste dans l’ignorance, parce que je continue de me prendre pour ce que je ne suis pas, parce que je suis conditionné, enfermé dans de vieux schémas, plein de douleurs que je peux même nier, auxquelles je peux résister. Je relève d’ailleurs ici ma difficulté à regarder le « moi séparé », alors qu’il est notamment dans la résistance et parfois dans le déni.
EXP. – Pour exister et se maintenir, le « moi séparé » ne peut pas ne pas résister, ne pas nier dans certains cas, de même qu’il ne peut pas ne pas déplorer une chose ou une autre, ne pas souffrir… Il lui faut absolument rester dans l’ignorance. Il est souvent très utile de faire une sorte de portrait du « moi séparé » momentanément en scène, cela permettant de le regarder mieux, de le regarder plus sûrement. Et regarder la douleur à laquelle il résiste, par exemple, ce n’est qu’une autre manière de le regarder encore. C’est aussi être présent, délaisser le penser pour l’observation. Cette observation n’est pas empreinte de gravité.
Et il y a un temps pour tout, se livrer à ce qui aboutit à de la libération devant ou pouvant être à privilégier. Personnellement, j’ai toujours apprécié le seul fait de me découvrir dans le déni ou la résistance. Or, il peut y avoir des moments où il nous vient de diriger plutôt l’attention sur ce que nous sommes. De même que l’on peut se rappeler que l’on n’est pas ce pour quoi l’on se prend, donc le « moi séparé », on peut directement diriger son attention sur ce que l’on est, la Conscience. Aller à l’essentiel permet aussi de se défaire de ce qui n’est précisément pas essentiel. Ne nous laissons pas guider par le mental et privilégions toujours l’empathie et nos élans véritables, ce qui nous inspire.
D’une manière très habituelle, quand on se sent plus ou moins bien, ce qui est toujours au bénéfice du « moi séparé », on reste pris un certain temps. Il ne nous vient pas de laisser tomber, de lâcher prise. C’est pourtant ce qui est devenu possible lorsque l’on a réalisé que seul le « moi séparé » peut être malheureux. On ne peut pas confondre « laisser tomber » avec le déni ou la résistance car ce qui est à laisser tomber, c’est ce que l’on se raconte, ce sont les considérations mentales. Et l’on a déjà évoqué l’attachement à la souffrance. Le « moi séparé martyr ou autoflagellant » se trouve aussi en nous. Ne le ratons pas celui-là, en nous rappelant que le bonheur est de loin préférable !
Reconnaître que l’on est dans le déni ou la résistance est parfois ce qui est essentiel, même si regarder sciemment le « moi séparé » le fait disparaître, au moins momentanément, avec tous ses problèmes. Or, il est certain également que l’on passe à côté des moments où, en effet, il serait bon et facile de considérer, non plus nos épreuves, nos difficultés, non plus le « moi séparé », mais ce que nous sommes, notre réalité profonde, inébranlable. « Je suis la paix, la joie, l’amour, la lumière… Je suis ce qui est conscient, la conscience, la présence, ce qui n’est donc pas séparé, ni limité. Je suis l’appréciation même, je suis le bonheur. Je suis la sagesse, la vérité, l’intelligence infinie. » Rappelons que ce que nous sommes peut seulement être évoqué et dévoilé. Quels mots pourraient témoigner clairement du Divin ?
INT. – Je veux évoquer une autre de mes difficultés : je reste pris par le désir, par mes envies, par « le vouloir », comme tu dirais, et tu as d’ailleurs évoqué nos intérêts compensateurs. Mes efforts pour ne pas y succomber restent vains.
EXP. – Mais tous les efforts ordinaires sont vains ! Persiste ce à quoi l’on résiste, tu le sais bien, et cela reste vrai lorsqu’il s’agit de contrôle et de retenue. S’empêcher de suivre son envie, par exemple, tandis qu’il y a possibilité de la satisfaire, c’est bloquer de l’attention qui n’est plus alors disponible pour rien d’autre. D’où te vient l’idée de réfréner tes envies ? Si tu devais déduire cette suggestion de mes propos, ce serait une interprétation erronée. Je ne donne pas de leçons et tu pourrais au contraire découvrir ta propre inclination à te faire la morale, ainsi que ta tendance persistante à te contrôler et à te retenir. Cela ne daterait pas d’hier !
Le problème avec le « vouloir » n’est pas de le suivre, mais de le revendiquer avec la certitude que ce que l’on veut est tout ce qui nous manque pour être heureux. Se laisser aller à ses intérêts compensateurs sans illusion est moins nocif que de se retenir, que de lutter contre. En général, ceux qui se retiennent jugent ceux qui ne se retiennent pas, leur en veulent, mais lesquels sont le plus vrai ? Le contrôle que nous exerçons sur nous-mêmes ne dit rien de notre niveau spirituel. En réalité, le contrôle ou l’exigence que nous pourrions manifester par rapport à nos intérêts compensateurs reflète la manière dont nous traitons nos vrais besoins.
INT. – J’insiste, désolé, mais pourquoi n’est-il pas possible d’être tout simplement heureux, d’être naturellement heureux ? Pourquoi faut-il souffrir ?
EXP. – Cela n’est que ta croyance – reconnais-la – ou ton positionnement conditionné : tu restes donc positionné comme s’il n’était pas possible d’être heureux et comme s’il fallait donc souffrir. Et pourquoi donc ? Quelles raisons pourrais-tu mettre en avant ? Permets-toi de les formuler et découvre que ce ne sont encore que des croyances. Or, rappelle-toi que le « moi séparé » ne peut pas être heureux, qu’il n’est pas fait pour ça, qu’il ne le veut surtout pas. Pour être heureux, il n’y a rien à atteindre, à obtenir. Le bonheur est, non pas à atteindre, mais à réaliser, parce qu’il est déjà là, occulté ou évité par le seul « moi séparé ».
Entends qu’il n’y a rien de plus efficace que le bonheur ou l’amour pour accueillir une douleur, une vieille douleur. C’est l’amour qui guérit, dit-on très justement. En revanche, continuer de la nier ou d’y réagir a pour seul effet de maintenir et d’attirer de quoi l’éprouver encore et encore, puisqu’elle reste en soi. Cela dit, c’est aussi, potentiellement, de quoi la reconnaître enfin, la sentir sciemment, à seule fin de s’en libérer définitivement. Cela pourrait à tort laisser croire qu’il faut souffrir. Souffrir, c’est mentaliser de la douleur. Il ne faut donc pas souffrir, mais accueillir la douleur, et l’accueil véritable est amour, bonheur.
Enfin, sois surtout conscient que tu ne peux pas être heureux en continuant de te prendre pour ce que tu n’es pas et que tu n’es pas heureux, précisément, parce que tu n’as pas suffisamment réalisé que tu continues d’évoluer en tant qu’entité séparée. Soyons conscients, ultimement, que nous n’avons pas d’autre problème. Proportion gardée, nous négligeons cette vérité essentielle et nous ne faisons rien d’autre qu’en subir les conséquences connues, attendues, inévitables. Sans nous disposer à assumer notre vraie nature, il en sera toujours ainsi.
INT. – Tout en reconnaissant mes difficultés d’intégration, je sais ou soupçonne la justesse de tes propositions concernant mon propre mal de vivre, mes revécus plus ou moins malheureux. En revanche, j’ai plus de mal à t’entendre si j’ai à l’esprit la misère dans le monde et d’autant plus celle de mes proches (enfants, parents, amis…). Comment se sentir heureux là où il y a tant de souffrance ?
EXP. –Lorsque tu es mal, as-tu réellement besoin que d’autres souffrent avec toi ? Ne te sentirais-tu pas davantage soutenu ou réconforté par quelqu’un qui rayonne paix, joie et amour, donc qui est heureux ? Crois-tu que le bébé en proie au chagrin ou à la maladie a besoin d’une mère émotionnellement dévastée ? Le bonheur et l’empathie peuvent utilement toucher ceux qui souffrent, certainement pas la pitié, la souffrance, ni la culpabilité. C’est l’amour qui guérit, avons-nous rappelé précédemment, non pas la souffrance. La souffrance extérieure et la souffrance intérieure se traitent de la même manière.
Si le mal de vivre d’autrui devient le tien, c’est précisément parce qu’il est déjà le tien quoi qu’il en soit. Le douloureux en toi que tu n’as pas encore reconnu et donc pas encore libéré est le douloureux que tu éprouves par procuration en utilisant celui qui se présente à toi, notamment à travers tes proches. Aime aussi ceux qui souffrent et fais ce qui est en ton pouvoir pour leur venir en aide, mais ne revendique pas de la souffrance en retour. En revanche, prends soin de tes propres douleurs. Tu pourrais ainsi devenir un exemple bienfaisant pour ceux qui souffrent, pour tes propres enfants par exemple. Au passage, vois également que tu continues de percevoir aussi les autres comme des entités séparées.
Maintenant, Tu dis comprendre mes propositions concernant ton propre mal de vivre, ta difficulté étant la misère extérieure. Comment ce qui s’applique à toi ne s’appliquerait-il pas à tout le monde ? Et pour toi-même ou pour d’autres autour de toi, n’as-tu jamais observé le fait qu’une épreuve peut déboucher sur un basculement intérieur tout à fait bénéfique ? Manifestement, il en faut beaucoup à certains pour se réveiller, mais tout le monde se réveillera, tôt ou tard.
INT. – Parfois, je revis un état plutôt déplaisant, sans raison apparente, sans forcément pouvoir le définir (peur, honte, culpabilité ou autres), ni pouvoir m’en remettre à l’une ou l’autre des propositions libératrices que je peux pourtant apprécier très souvent. Je me sens alors démuni et il semble que je ne puisse rien faire d’autre que subir. Qu’est-ce qui m’échappe là ?
EXP. – S’il est pour toi excessivement important de définir les choses, sachant que cela ne pourrait être qu’une préoccupation du « moi séparé », rien d’étonnant que tu sois confronté à de l’insaisissable, à de l’impalpable, à de l’inexplicable, à de l’énigmatique, à de l’imperceptible. Si tel est le cas, reconnais d’abord le seul revécu « l’indéfinissable », puis le douloureux qui en résulte, qui est rappelé en l’occurrence. Perçois également qu’il s’agit là encore, sous une forme à peine détournée, du revécu éprouvé de séparation. On se sent forcément séparé de ce à quoi l’on n’a pas accès.
Tes propos pourraient par ailleurs suggérer de vérifier ce qu’il en est pour toi de la possibilité de t’en remettre. Un peu comme on ne peut pas voir du seul fait de ne pas regarder, on ne peut pas s’en remettre du seul fait de ne pas s’en remettre : on n’y pense pas vraiment, ne s’y arrête pas, n’y croit pas ou encore ne voudrait surtout pas s’y abaisser. Que ne faut-il pas croire pour ne pas s’en remettre ? S’en remettre, c’est aussi être sans la moindre résistance. Quand on ne s’en remet pas cordialement, en réalité, on s’en remet au mental, au penser, au passé, au conditionnement, au « moi séparé ».
Enfin, tes propos nous donnent encore une autre piste, tout à fait essentielle : le ressenti douloureux « démuni » peut être de ceux qu’il te reste à reconnaître, à accueillir. Et ce ressenti va de pair avec l’expérience « subir », celle qui cause la douleur que j’ai nommée le « subir inhibiteur ». Cette douleur-là pourrait être des pires effets de la superstition de la séparation. Elle est aussi à accueillir, bien sûr, mais sans l’intégration de la non-séparation, elle ne cessera pas de se faire éprouver. En restant pris dans le leurre de la séparation, on ne peut pas connaître la paix, la joie, l’amour.
INT. Même quand je me sens plutôt bien, je peux admettre que je reste pris par une activité mentale persistante. Ce qui l’alimente est aussi bien moi-même que tout mon environnement. Pour l’essentiel, il s’agit de jugement et d’évaluation. Parfois, le rappel du « moi séparé » me sourit, mais le fonctionnement psychique conditionné impliqué reprend très vite le dessus. Quel regard utile ou même libérateur pourrais-je poser sur ma tendance à douter ou à juger, sur mon attitude critique ou suspicieuse ?
EXP. – Là encore, reconnais et apprécie ton aptitude à l’observation. J’insiste un peu, parce que l’observation est de ce qui nous fait le plus défaut. Nous gagnons à y revenir sans cesse. Nous ne devrions pas avoir du mal à reconnaître que le temps dédié à l’observation est tout à fait dérisoire par rapport à celui tué à penser. À partir de l’observation, lis attentivement la réponse que je te propose :
Que se passe-t-il lorsque nous ne nous préoccupons pas de ce qui se passe tout autour de nous (de façon réactionnelle) ? Que se passe-t-il lorsque nous nous sentons complètement libres de penser ou de ne pas penser, de parler ou de ne pas parler, d’agir ou de ne pas agir, lorsque nous n’apposons pas la moindre considération sur notre manifestation de l’instant, qu’elle soit extérieure ou intérieure ? Que se passe-t-il lorsque nous sommes non-jugement et liberté totale ? C’est la liberté réelle qui cause un esprit disponible et bienveillant. Là où cesse le contrôle ou le désir de contrôle, se révèle l’harmonie. Le « moi séparé » trouvera toujours une « bonne raison » pour maintenir du mécontentement, de l’insatisfaction.
Certes, en général, nous avons à composer avec du penser inutile et intempestif, mais nous ne nous arrêtons pas là : ou bien nous ne le remettons jamais en question, ni ne nous intéressons au douloureux qu’il cache, ou bien nous le déplorons, nous tentons de lutter contre. Or, nous pouvons découvrir aussi combien il s’avère doux et reposant de ne rien en penser, de ne rien penser à propos de rien, ni même à propos des pensées qui s’imposent. Sachons la possibilité de laisser être ce qui est, à commencer par tout ce par quoi nous sommes intérieurement revisités. Accepter véritablement là où nous en sommes est le moyen le plus sûr de progresser sur la voie libératrice.
Soyons conscients de la facilité avec laquelle la « machine à penser » se met en marche dès lors, par exemple, que nous apprenons certaines nouvelles, même celles qui ne nous concernent pas directement. Et au minimum, soyons également conscients de la tranquillité intérieure que permettrait le non-accaparement mental de quoi que ce soit qui se présente. Au minimum, sachons-le et rappelons-le-nous ! Appréciez l’effet heureux évident, facilement imaginable, du non-accaparement mental, sans même se soucier de sa mise en pratique. C’est insensé d’entretenir des pensées désespérées à propos d’une possibilité dont on a si peu reconnu ou apprécié l’intérêt !
INT. – Eh bien, même si je continue de te suivre, je veux ajouter, s’agissant du jugement et de ce que nous envisageons comme impossible, qu’il ne me sera précisément pas possible de ne pas juger. J’ai à l’esprit une circonstance particulière où la chose est totalement exclue.
EXP. – Eh bien, pour le coup, tu sembles un peu moins dans l’observation ! Tu n’es peut-être pas dans la déploration « grossière », mais tu annonces, un peu comme en la revendiquant, une conviction absolue qui n’est rien d’autre qu’une croyance de plus. Donc, en premier lieu, je te suggère de l’observer, de la reconnaître comme telle, plutôt que d’en faire une certitude assumée : « ça ne sera pas possible pour moi ». Rien n’étant impossible, pour personne, il ne peut en effet s’agir là que d’une croyance.
Et quand tu te vois dans le jugement, juge plus encore, en conscience, exagère intentionnellement ton jugement, mais ne revendique plus l’idée que rien d’autre n’est possible pour toi. Permets-toi le jugement, dès lors que tu juges, mais ne le justifie d’aucune manière ! Autrement dit, invite-toi à intensifier sciemment ton jugement. Très vite, tu découvriras alors que le jugement ne peut pas tenir. C’est une pratique très utile et qui est même amusante.
Comprends aussi que toute idée d’impossible appartient au « moi séparé résigné ». Écoute-le bien, écoute sa rengaine : « ça ne sera pas possible pour moi ». Laisse-toi même attendrir par lui. Es-tu ce « moi séparé », vraiment, ou bien ne serais-tu pas plutôt ce qui en es conscient ? Et s’il devait plutôt dire « c’est mal » (moi séparé soumis) ou « je n’y ai pas droit » (moi séparé honteux), accueille-le de la même façon. Cesse de te prendre pour lui, de t’identifier à lui. Tous les moyens sont bons pour se maintenir dans la séparation, mais reconnaître quel moyen est le « nôtre » est surtout le moyen de débusquer plus sûrement le « moi séparé » en nous. Reconnaissons-le en nous en amusant !
Pour conclure, rappelons que le « moi séparé » est ce pour qui ou ce pour quoi nous nous prenons, avec ses multiples facettes, que ce que nous sommes est la Présence. La présence est une dimension de la Conscience. Nous sommes conscients de toute chose, parce que nous sommes présents, parce que nous ne pouvons pas ne pas l’être. Nous pouvons aisément soupçonner un effet extrêmement libérateur lorsque nous nous détachons du « moi séparé », de la personne. En fait, cette personne est une sorte de fardeau. Du fait de notre identification malheureuse, nous pouvons dire que nous sommes un fardeau pour nous-mêmes, que nous sommes notre propre fardeau.
Lorsqu’une émotion nous envahit, nous pouvons l’observer à partir de l’idée que nous ne sommes pas la personne qui souffre, que nous ne sommes pas le « moi séparé ». L’accueil de l’émotion sans l’identification sera très puissant. Soit nous sommes l’émotion, soit nous sommes « l’espace » pour l’émotion, à savoir la présence et la conscience. Cela fait une grosse différence ! Je ne m’accueille pas en tant que personne abusée ou déprimée, par exemple, mais c’est le ressenti « abus » ou la dépression que j’accueille. Je suis présent au ressenti douloureux, j’en suis conscient, pleinement conscient. C’est prendre soin d’un ressenti incommode, le considérer, non pas avoir pitié de quelqu’un, non pas valider le « moi séparé ».
Lorsque nous avons réalisé que le niveau de notre souffrance est égal au degré de notre identification au « moi séparé », donc à ce que nous ne sommes pas, nous pouvons sans peine imaginer que la désidentification conduit au bonheur. C’est basculer du vieux fonctionnement conditionné, avec le vouloir, l’attente et l’insatisfaction, au plein lâcher-prise, à l’insouciance enjouée, sans plus aucune attente, où l’on se retrouve en paix inconditionnelle et dans la joie gratuite, où l’on voit même s’accomplir des miracles célébratoires.
À mesure que nous nous détachons de notre fonctionnement conditionné ordinaire, celui du « moi séparé », juste du fait d’en être conscient et de nous le permettre sans plus le revendiquer, en nous délestant ainsi d’un fardeau longtemps insoupçonné, nous découvrons la légèreté, la liberté, la paix, la joie, l’amour, la puissance. À travers ce cheminement, nous découvrons… le bonheur ! (À suivre)
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