Notre conditionnement, si peu considéré !
Le 18 août 2015, Serge Séguin m’a laissé sur Facebook le message ci-après et auquel j’ai décidé de répondre avec cette chronique :
« J’aimerais bien vous entendre (lire) à propos de la relation aux autres : comment voyez-vous la communication interpersonnelle ? Pour les banalités, le badinage, les enjeux d’importance, les amours, etc. ? Que faites-vous de l’égo, des émotions, de l’enthousiasme, des peurs, De la vulnérabilité ? »
Les relations interpersonnelles ? Les autres ? Qui sont ces autres ? Des gens qu’on apprécie, d’autres qui nous voient réagir à notre manière coutumière, d’autres encore avec qui l’on aimerait bien vivre une certaine qualité relationnelle (réciprocité, amitié, confiance, tendresse, sexualité…) ? Selon les circonstances, ce pourrait être aussi bien des gens de notre famille, de nos connaissances diverses (milieu professionnel, voisinage ou autres) que des inconnus. Et, à bien des égards, les personnes qui retiennent ainsi notre attention aujourd’hui en rappellent d’autres connues dans le passé. Ne l’avons-nous jamais remarqué ?
Il est probable (ou souhaitable) que nous connaissions également des gens avec qui la relation est facile, agréable, voire enrichissante, et il n’y a vraisemblablement pas lieu de s’y arrêter ici, si ce n’est pour vérifier si nous apprécions suffisamment ces relations. Nous sommes prompts à déplorer tant de choses, incluant d’ailleurs celles qui n’existent qu’à travers notre interprétation, mais nous permettons-nous aussi de reconnaître et d’apprécier vraiment le bon qu’il nous est donné de vivre ? On ignore que l’appréciation du bon tend à le faire fructifier, la résistance au pénible faisant de même fructifier le pénible (elle l’empire). Cette règle s’applique à toute chose et bien sûr également aux relations…
Enfant, nous nous sommes sentis traités d’une certaine manière (sujet de mon livre, « Le regard qui transforme ») et il en est résulté tout un conditionnement, fait de ce que nous n’avons pas pu évacuer sur le plan émotionnel, ainsi que des conclusions bien sûr erronées, des comportements qui nous desservent, etc. Ce conditionnement est principalement une blessure ou… des blessures.
Nous allons avoir peur d’être traités encore et toujours de cette même façon, tenter de faire ce qu’il faut (croit-on) pour ne pas l’être, chercher à démentir ce que nous croyons à notre sujet. Nous voulons aussi, en quelque sorte, régler des comptes. Alors, avec qui allons-nous pratiquer ? Avec les autres ! Y a-t-il dans votre entourage quelqu’un (aujourd’hui, ce peut être cette personne-ci, c’en était une autre « hier »), quelqu’un :
Par qui vous vous sentez négligé, délaissé ou bien qui ne vous aide pas ?
Qui a tendance à se moquer de vous, à vous rabaisser ou bien qui contrarie les moments où vous voulez vous faire plaisir ?
Qui vous harcelle, qui vous accapare ou bien qui ne vous accorde pas d’attention ?
Qui vous repousse, qui vous dit non ou bien qui ne vous écoute simplement pas ?
Qui ne vous accorde pas de place, qui vous en accorde en fonction de ses seuls besoins ou bien qui ne veut pas vous faire plaisir ?
Vous pouvez bien vous attirer effectivement cette personne (voire différentes personnes), correspondant plus spécifiquement à l’un ou l’autre des cinq cas de figure rapidement brossés ci-dessus, ou juste l’interpréter comme telle, juste croire que c’est là ce qu’elle vous fait vivre. Quoi qu’il en soit, ce que vous éprouvez n’est rien d’autre que ce que vous avez éprouvé enfant (sous une forme ou sous une autre). « Rassurez-vous », cette autre se sent très certainement traité par vous comme il s’est lui-même senti traité enfant ! C’est pourquoi nous pouvons grandir et apprendre ensemble.
Longtemps, ce jeu se déroule de manière complètement inconsciente et c’est absolument magnifique quand on commence à s’en rendre compte, à condition de le percevoir alors sans jugements, sans en faire toute une histoire ! C’est aussi à ce moment-là que le conditionnement se dénoue, se libère. Il n’y a pas de fatalité et par la pleine conscience, la pleine acceptation, tout se transforme. Avant cela (en attendant), on ne fait que réagir sans s’intéresser à ce que l’on éprouve vraiment. On y résiste puisque ce serait s’arrêter sur ses vieilles douleurs qu’on a toujours mis grand soin à éviter. Et puisqu’on ne s’occupe pas de l’essentiel, il reste notamment, entre autres échappatoires, « les banalités et le badinage » (bien sûr outre les réactions et le vouloir compulsionnel). Serait-ce utile d’en dire plus à ce sujet ?
Avec tous ses proches, d’autant plus avec son époux(se), on revit en bonne part la relation enfant/parent, bien sûr en version transposée, adaptée. Des scénarios sont rejoués, tantôt à l’identique, tantôt en version contraire. L’autre se trouve être une copie ou l’inverse de son parent du sexe opposé. Une femme qui a eu un père alcoolique, par exemple, s’attirera des hommes qui boivent ou qui sont anti-alcooliques (jusqu’à ce que…). Un homme dont la mère était particulièrement effacée s’attirera une femme effacée ou particulièrement exubérante… Ces exemples sont bien sûr des caricatures, juste pour donner une idée de l’aspect répétitif du conditionnement.
Ah, et il y aurait donc des « enjeux », bien sûr de la plus haute importance ! Va-t-on encore perdre ou enfin gagner ? Peu importe l’objet aujourd’hui utilisé (place, argent, réussite, réputation, relations, dépassements physiques…), il y a, il reste en nous le désir de gagner vs la peur de perdre. Enfant, qu’ai-je donc perdu, qu’ai-je eu le sentiment de perdre ? Le confort, la santé, le pouvoir, l’amour d’un parent, comme à l’arrivée d’une petite sœur ou d’un petit frère ?… Quoi qu’il en soit, il est devenu urgent que je gagne, que je réussisse, que je puisse, que je garantisse l’avenir, que je sois aimé… surtout pour démentir des croyances dont je ne suis même pas conscient. Si je gagne, c’est donc bien que je ne suis pas si … (nul, incapable, mauvais, insignifiant, dérangeant, indigne, quoi d’autre ?)
Oui, nos intérêts et désintérêts revendiqués sont aussi dictés par notre conditionnement et on les assume comme si l’on en était vraiment l’auteur. Le conditionnement en est « l’auteur ». C’est donc encore lui qui nous fait « aimer » comme on aime. On parle d’amour quand il n’est en rien impliqué. À qui a-t-on déjà dit qu’on l’aimait sans la moindre attente ? (Attente d’aide, de reconnaissance, d’approbation, d’attention, de faveurs, de compréhension, de satisfaction notamment sexuelle) ? L’amour conditionnel n’est pas l’amour. Comme toute chose, le désir et l’envie sont acceptables, mais ils ne sont pas l’amour. On parle d’amour quand il n’est en rien impliqué et quand on aime véritablement… on n’en parle pas ! L’amour véritable est libre des mots (sans les empêcher pour autant).
L’amour d’une mère (saine) pour son bébé ne dépend pas des dispositions de celui-ci, du sourire qu’il lui adresse ou lui refuse. Comment ou combien aimons-nous encore notre femme, notre mari et autres proches quand ils ne se comportent pas selon nos attentes (qui parfois ne sont même pas exprimées ou qui peuvent être des exigences) ? C’est juste à vérifier ! Ne nous laissons pas croire que nous aimons toute personne que nous jugeons et condamnons. Quand il y a amour véritable, là où il y aurait en son absence jugement, il n’y a que compassion.
Après avoir lu ce qui précède, peut-être même depuis le début, il se peut que l’évocation d’une caractéristique « peu enviable » vous ait parlé, touché, troublé. Si tel est le cas, y a-t-il réaction ? Sans réaction, vous pourriez apprécier de voir pour la première fois ou mieux que jamais un aspect particulier de votre conditionnement, lequel n’est pas qui vous êtes (entendez-le !). Et, par exemple, si vous vous permettez de voir qu’en réalité, votre amour pour telle personne n’a pas la pureté que vous auriez pu imaginer, de le voir sans vous juger, sans même rien en penser, vous êtes déjà très proche de l’amour. Quand vous reconnaissez de cette façon votre jugement, votre tendance à juger, vous aimez déjà ! Si notre attention demeure fixée sur un objet (ou un être), soit on le juge, soit on l’aime…
Or, si vous réagissez, si vous vous défendez, vous justifiez, vous indignez, par exemple, vous êtes en prise directe avec ce qu’on appelle l’ego. Vous en êtes la proie. Et si, soudainement, vous le voyez, il n’y en a plus. L’ego est l’attachement inconsidéré (non conscientisé) à un positionnement, à la honte, à la culpabilité et/ou à un accomplissement. En fait, je parle rarement d’ego car il suffit bien d’identifier sa blessure, son conditionnement, avec ses incontournables effets mentaux, émotionnels, réactionnels. La disposition sincère à regarder et à ainsi voir coupe l’herbe sous le pied de l’ego, l’annihile.
D’une perspective plus ambitieuse, nous pouvons dire encore que l’ego est l’identification non remise en question avec notre histoire, avec notre existence, avec nos conditions de vie et, en allant encore un peu plus loin, à ce que j’appelle le « moi historique ». On se prend pour qui l’on n’est pas, pour ce que l’on n’est pas. La cécité est là – il serait stupide de la nier, ce que j’ai d’ailleurs tenté longtemps de faire – mais ce que je suis en essence ou simplement en vérité, est-ce vraiment l’aveugle ? Et tant que je me suis pris pour un aveugle, j’aurais pu davantage jouer de l’accordéon (je n’étais pas doué ni amateur), mais j’ai résisté longtemps à vivre seul dans une maison, à travailler en relation d’aide, à réaliser bien d’autres choses. L’ego aux commandes ou l’identification est la vraie cause immédiate de l’insatisfaction.
L’ego est aux commandes quand on veut convaincre, quand on fait la leçon alors qu’elle n’est pas demandée (sans même le voir), quand on est sûr de soi, regarde de haut, quand on renvoie autrui à son propre ego, quand on joue un rôle hors contexte (être maman ou papa-poule avec son petit garçon de 30 ans, vouloir éveiller qui ne demande rien…), quand on fait de son histoire (de son conditionnement) toute une histoire, quand on tend à se positionner comme si sa souffrance était bien supérieure à celle de la plupart des gens, quand on justifie ou même explique sa réaction, son positionnement. Et quand on voit cela, répétons-le, il n’y a plus d’ego ! Il est dégonflé en proportion de la qualité de la perception que l’on a de sa réaction. Et quand on agit donc comme illustré précédemment, ce sont des effets de nos blessures que nous n’avons pas encore reconnus, qui n’ont pas encore été relâchés. Permettons-le ! Amusons-nous-en même !
« Mais quelle horreur ! Il est en train de me montrer que je suis complètement détraqué. » Ah, voici l’ego qui refait surface, non pas manifesté parce que vous seriez « détraqué », mais parce qu’en considérant éventuellement telle ou telle tendance, vous restez concerné, l’éprouver comme si elle vous concernait. Elle ne Vous concerne pas, elle concerne un conditionnement, un fonctionnement, et c’est le fonctionnement humain ordinaire hors duquel nous nous hissons en le percevant de bon cœur, en quelque sorte, sans rien en penser. Et si vous êtes détraqué, je le suis autant que vous, mais en vérité, ce que nous sommes est ce qui voit… les réactions, les ressentis, les pensées, la folie…, ainsi bien sûr que les objets et le monde autour de nous…
Ne soyons pas si durs, ni aussi exigeants, quand nous considérons notre difficulté à nous en sortir, autrement dit à relâcher le passé, les souvenirs opiniâtres ou la charge émotionnelle qu’ils véhiculent. Dans de nombreux cas, ce passé fut lourd et il englobe même celui de nos ancêtres. Eckhart Tolle nous parle du « corps de souffrance » et c’est ce dernier qui se rappelle à nous quand des émotions nous submergent. Il y a là du douloureux plus profond qui réclame l’attention, la nôtre, qui veut être enfin « pleuré » ou tout simplement reconnu comme tel et dépouillé des histoires que l’on y plaque ordinairement. Quand on a mal (peine, tristesse, impuissance…), on lui attribue une cause qui accapare alors toute l’attention, laquelle continue de faire « gravement » défaut à la seule douleur et qui a le pouvoir de l’absorber. C’est là un point d’importance primordiale.
Et sans absorption de ses vieilles douleurs, d’une manière ou d’une autre, on continue de réagir comme on a toujours réagi (on y tient fort d’ailleurs) et, bien sûr, on éprouve, subit ou réprime aussi de la peur. C’est en fait la peur de vivre ce que l’on vit déjà, ce que l’on a toujours vécu, la peur d’être traité comme on s’est toujours senti traité, d’être blessé comme on s’est senti blessé. Une vieille blessure reste en nous et elle peut fort bien s’appeler « vulnérabilité » (le mot « vulnérable » vient du latin « vulnerare » qui signifie « blesser »).
Or, quand on s’éveille vraiment, quand on se libère, quand on fait enfin mieux que de s’en tenir à des soulagements, ce sont nos vieilles blessures qui s’estompent, notre conditionnement qui se dissout. De plus en plus sciemment, on devient présent, conscient, en paix, aimant… On réalise sa véritable nature, ce que l’on est à jamais, sa nature divine (pourrait-on dire). On est en contact direct avec la source de l’intuition, de l’inspiration et des élans joyeux irrésistibles. C’est alors dans la joie que nous passons à l’action quand nous agissons, que nous nous exprimons quand nous nous exprimons. Et ce mouvement joyeux s’appelle « l’enthousiasme ». Il est tout indiqué de rappeler ici que ce mot vient du grec « enthousiasmos » qui signifie « transport divin ».
Cet enthousiasme ou cette joie « divine » risque fort de nous inviter naturellement au partage et l’on devine sans peine que les relations de tous ordres sont alors harmonieuses. Cette fois, ce ne sont plus des egos qui « relationnent », qui s’affrontent, mais des êtres qui réalisent leur unité. L’ego est le sentiment du soi séparé (incluant l’altérité par voie de conséquence). La mère « saine », présente, aimante, ne fait-elle pas un avec son bébé ? Il se pourrait bien, quand nous sommes ou nous disons amoureux, que c’est compensatoirement cette union ultime que nous recherchons.
Aimer autrui, aimer la vie ne requiert pas de s’aimer soi-même, ce qui serait encore l’œuvre de l’ego, mais d’être en paix en soi, libéré de tout blâme, de tout jugement. L’objet (la personne) utilisé pour justifier et aviver l’amour révèle en fait son absence alors que l’amour présent embrasse le tout. « Ne cherche pas à t’aimer », avais-je écrit dans « Le regard d’un non-voyant », « mais cesse simplement de te « désaimer ». Et aujourd’hui, je dirais : ne cherche pas à t’aimer, vois simplement que tu ne t’aimes pas ! Se transforme ce qui est vu sans jugement, ce qui est reconnu, accueilli ! Se rappeler l’amour vrai et s’en remettre à lui est l’ouverture aux transformations bienvenues et que l’ego ou le mental ignore.
Ce texte pourra être relu, en se rappelant mieux encore qu’il ne contient rien que des invitations à regarder et à voir. S’il se trouve que quelque chose vous parle, vous interpelle, il s’agit de le reconnaître simplement, non pas d’y penser pendant « des heures ». En vous, il n’y a rien d’inacceptable, tout au pire des choses « inacceptées ». S’il vous est donné de les voir, choisissez seulement d’apprécier de les voir effectivement. Vous êtes ce qui voit, ce qui apprécie, non pas ce qui est vu, ce qui est reconnu. Ce n’est qu’une vieille histoire qui a d’ailleurs déjà perdu de sa dynamique et qui est appelée à la perdre complètement. Soyons en paix !
(Je remercie chaleureusement Serge qui, suite à son questionnement, a permis cette nouvelle chronique dont le déroulé a été dicté par ce questionnement même. Inspirées, les idées proviennent de la source – je les ai reçues comme vous les recevez en cet instant – et votre serviteur a fait avec les moyens du bord pour les formuler, confiant que les demandes de précisions éventuellement requises seront exprimées elles aussi. Merci !
Serge a plus récemment posé d’autres questions et notre échange peut être lu sur Facebook
Les compréhensions inspirées surgissent telles des rayons de soleil qui éclairent et réchauffent davantage encore en étant partagés.
MERCI MON AMI NAMASTE