Notre approche du monde, une inversion généralisée
Bien heureusement, nous ne sommes pas toujours complètement déprimés, angoissés ou démoralisés. Or, avec un minimum d’observation ou d’authenticité, nous devrions pouvoir admettre qu’il y a toujours « comme un malaise », quelque chose qui ne va pas d’une manière ou d’une autre, dans un domaine ou dans un autre. Pourriez-vous « sérieusement » le contester ? En fait, il ne peut pas en être autrement, parce que nous « fonctionnons à l’envers », parce que nous ne regardons jamais au bon endroit, parce que nous confondons les causes et les effets, parce que toutes nos postures sont interverties…
Nous l’étant souvent rappelé par divers autres enseignements, la Bible nous dit que nous sommes dans ce monde, mais que nous ne sommes pas de ce monde. C’est dire qu’en général, nous sommes positionnés exclusivement comme si nous étions de ce monde. C’est une sorte d’inversion originelle qui implique toutes les autres, innombrables. Il s’agit alors d’une erreur, d’une méprise, mais s’il serait vain de nous la reprocher, il est en revanche très utile de savoir qu’elle n’est pas sans conséquences, que celles-ci sont nombreuses, très éprouvantes, causant toute la souffrance humaine. En fait, elles sont tout ce que nous déplorons !
Sur le plan matériel, par exemple, si l’on fait un montage (un assemblage de divers éléments), il est toujours indispensable qu’un bon ordre soit respecté. Un meuble mal monté est au minimum bancal. Et s’agissant du « vivre », les conséquences du « désordre psychique » sont tout bonnement dramatiques. Or, nous n’avons pas appris à « regarder au bon endroit », donc à « nous remettre en question ». Alors, « nous sommes » tous bancals, plus ou moins et très bancals en de nombreuses circonstances. Envisageons-le dans la détente, avec le sourire. Le sourire n’est jamais incongru.
Ce monde est celui de la forme, des formes, le monde physique, celui des apparences, le monde qui permet les interprétations et les projections. Il permet la projection, la fabrication, la création, et toutes les créations, fabrications et projections sont tôt ou tard source de calamité, d’une manière ou d’une autre. Même les lieux de prière ne font pas exception. Certains encouragent l’adversité, d’autres sont utilisés pour contrôler les foules… Magnifiques en apparence ou potentiellement, des inventions se retournent contre l’humanité. Les exemples sont légion et il serait inutile de s’y arrêter ici davantage.
Nous n’avons pas à VOULOIR améliorer le monde, nous avons besoin de nous rendre compte que nous ne sommes pas de ce monde. Une amélioration réelle est un effet qui ne résulte jamais du vouloir. Ce sont les sages qui, se sachant être hors de ce monde, le respectent le plus et contribuent à son élévation, mais cela se produit sans le vouloir, sans la prétention, sans réactions, ni surtout la croyance qu’il faut… Le croire est de ce monde, le croire est ce monde même ou le monde est son produit. Le monde commence avec le penser prétentieux, autoritaire et effrayant. Quand il s’agirait de juste être, pour connaître l’harmonie et y goûter, on se met à penser, et s’ensuit le chaos.
Nous ne sommes pas de ce monde, ni d’un autre monde ; nous sommes, c’est tout ! Nous sommes, mais nous nous prenons pour des penseurs, des parleurs et des acteurs, au service de l’impression de séparation, parce que bien sûr, ce que nous pensons, disons et faisons serait censé être tout à fait original, particulier. Or, « nous sommes » énonce directement notre unité, la non-séparation : tous, nous sommes. Je ne suis pas moins que vous, ni plus évidemment ! Tout comme je suis, vous êtes, ni plus ni moins que quiconque. Nous sommes et nous ne pouvons pas ne pas être. Nous pouvons ne pas penser, ne pas dire, ne pas agir, mais nous ne pouvons pas ne pas être.
Jusque-là, ce peut être assez simple, n’est-ce pas ? Vous êtes, pourriez-vous en douter ? Il n’y a rien à croire ici. Des « oui mais » peuvent surgir, mais c’est une autre histoire, celle du penser, du mental, du monde. Comment justement aller plus loin sans recourir au « croire » ? Je pourrais dire que nous sommes paix, joie et amour, mais je comprends de diverses manières que vous puissiez en douter.
D’abord, nous sommes identifiés à un personnage honteux et coupable… En fait, il vous faut, même rétrospectivement, être attentif à ce qui demeure quand vous êtes libre du vouloir penser, dire et faire, quand vous êtes simplement ! Vous ne cessez pas d’être quand vous êtes hors du faire, de l’expression et même du penser intempestif. À « l’inverse », l’être est alors en plein épanouissement. Le ciel ne disparaît pas avec les nuages, mais sans les nuages, il révèle toute sa splendeur.
Sans le penser ordinaire, il n’y a personne pour dire « je suis paix, joie, amour ». Il y a paix, joie, amour, et « le monde » n’est pas là pour se l’attribuer : « Moi, je suis paix, joie, amour ! » Un peu en retrait, écoutez la joie qui émerge de tout un groupe d’enfants (non bridés), dans une piscine ou une cour de récréation, et percevez l’aspect impersonnel de cette joie. « Y a d’la joie », chantait Charles Trenet. Il y a ici quelque chose à percevoir sans chercher à le traduire en mots, « je suis l’amour », de telle sorte à ne pas avoir à s’en remettre au « croire ».
Quand on se sait ne pas être de ce monde ou quand on cesse d’être positionné comme si l’on était de ce monde, on ne peut pas ou ne peut plus « fonctionner » de la même façon, penser, s’exprimer et agir de la même façon. En tous cas, tout en respectant ses limites résiduelles, on n’accorde plus le même crédit à ses pensées, paroles et actions. On connaît un grand nombre des différences impliquées selon que l’on reste identifié aux personnages du monde ou que l’on a reconnu l’aberration inhérente à cette identification.
Pourquoi n’y a-t-il pas lieu d’éprouver la moindre frustration à l’idée de ne plus fonctionner comme on fonctionne, à l’idée d’être sans le vouloir, sans aucune attente… ? Parce que c’est maintenant que l’on se sent frustré, mécontent, insatisfait ; parce que seul le vouloir cause la frustration, l’insatisfaction, le mécontentement ; parce qu’en réalité, on ne veut pas ce que l’on dit ou croit vouloir ; parce que l’on ne veut rien d’autre que vouloir, que maintenir une posture qui nous blesse, qui nous fait mal… De surcroît, il ne s’agit même pas et surtout pas de « vouloir cesser de vouloir, de vouloir ne plus avoir d’attentes ». La reconnaissance pure et simple de nos vieux schémas nous en libère peu à peu et vouloir la libération est l’obstacle majeur puisqu’il est le maintien de notre fonctionnement inversé…
Il se trouve que je me suis récemment amusé à lister un certain nombre de nos dysfonctionnements ou fonctionnements inversés. Puisque diverses circonstances ne m’ont pas amené ce mois-ci à prévoir autrement une nouvelle chronique, je vous livre donc à la place ma première liste de nos « inversions psychiques ». Vérifiez ce qui peut, ce qui pourrait vous parler et amusez-vous à votre tour à compléter ou peut-être corriger la liste ci-dessous. Il s’agit seulement d’observer nos fonctionnements éventuels, en sachant que l’observation sans le penser ne permet aucune inversion !
Avoir une pensée sur tout, la revendiquer, au lieu de laisser être ce qui est quand aucune action n’est envisageable dans l’instant ;
Refuser intérieurement ce qui est, quoi qu’il en soi, au lieu de l’accepter véritablement ;
Rester dans l’attente au lieu de demander, de vérifier… ;
Prendre ce qui n’est pas à soi au lieu de le demander ;
Prendre encore ce qui est offert au lieu de le recevoir ;
Imposer (autoritairement) au lieu de donner réellement ;
Dire oui sans le sentir au lieu de dire non ;
Dire non sans le sentir au lieu de dire oui ;
Penser et réagir au lieu de regarder, d’écouter, de sentir ;
Juger au lieu d’aimer ;
Revendiquer au lieu de proposer, de proposer réellement ;
Être systématiquement dans le rejet au lieu d’envisager que quelque chose nous échappe ;
Exiger au lieu de demander ;
Envier au lieu d’avoir de la gratitude ;
Désirer au lieu d’exprimer son besoin ;
Jalouser (souvent sans conscience) au lieu de reconnaître son potentiel réel (et sans le vivre comme en en étant l’auteur ou le détenteur) ;
Espérer au lieu d’apprécier ;
Vouloir que l’autre se montre au lieu de s’ouvrir à lui ;
Repousser au lieu d’accueillir ;
Prétendre savoir au lieu d’aimer ne pas savoir quand on ne sait pas ;
Nier sa profonde honte au lieu d’ouvrir son cœur ;
Y aller de ses considérations rebattues au lieu de soupçonner son ignorance ;
Accuser autrui et le monde au lieu de reconnaître son sentiment irrationnel de culpabilité ;
Faire croire à une histoire au lieu d’admettre et d’assumer sa limitation conditionnée, passagère ;
Penser au lieu d’observer (quand observons-nous au lieu de penser ?) ;
Voir le négatif au lieu de voir le positif ;
Demeurer dans un optimisme béat au lieu de voir la réalité ;
Se laisser guider et dominer par son état réactionnel au lieu de juste se voir (sans jugement) dans la réaction ;
Se prendre au sérieux au lieu d’être insouciant ;
Suivre des « il faut » au lieu d’écouter ses intuitions ;
Rester dans sa tête au lieu d’être dans son cœur ;
Attendre au lieu de reconnaître son manque, sa frustration, son ressenti « privation » ;
Se sentir honoré au lieu de mettre au jour son sentiment de non-importance ;
S’en vouloir de ne pas aimer ou se forcer à aimer au lieu de reconnaître la façon dont on se sent traité ;
Mentir au lieu de se savoir aimé ;
Tenir à ses accusations au lieu de reconnaître son propre conditionnement, reconnaître que l’on ne fait que revivre un même scénario ;
Tenir à ses autoaccusations au lieu de reconnaître leur aspect aisément contestable ;
Ne fonctionner qu’à partir du passé, des mémoires, au lieu d’être sciemment conscient, ici et maintenant ;
Se raconter des histoires au lieu de reconnaître ses ressentis douloureux ;
Réagir à ses propres projections au lieu de vérifier ce dont on est porteur (en termes de ressentis) ;
Prendre les effets pour des causes au lieu d’assumer sa responsabilité ;
Déplorer des effets au lieu de s’intéresser aux causes ;
Dénoncer le laid au lieu de voir le beau ;
Vouloir une chose précise au lieu de laisser venir ce qui est prêt à venir ;
S’en prendre à des tiers au lieu de considérer ce qui ne va pas ;
Continuer de reculer au lieu d’aller vers ;
Vouloir et chercher la paix et l’amour au lieu de les reconnaître en soi-même ;
Poser une question qui contient sa propre réponse au lieu de se taire, sinon de proposer clairement son idée ;
Faire humblement une proposition, au besoin, plutôt que de croire qu’elle est attendue ou qu’elle dépasse toute autre possibilité ;
Mentaliser sa douleur et donc souffrir au lieu de la dire, de l’exprimer ou, plus simplement, de la reconnaître ;
Résister au lieu de se prosterner intérieurement, être arrogant au lieu d’être humble, doux et respectueux ;
Déplorer les ombres au lieu de les regarder, donc de les éclairer et de les dissiper ;
Chercher à se débarrasser d’une chose au lieu de l’accepter véritablement, ce qui seul peut la libérer ;
Vouloir et même vouloir vouloir au lieu d’être disposé à recevoir ;
Préférer vouloir une chose bien plus que préférer l’avoir (la différence est énorme) ;
Percevoir l’extérieur comme la réalité au lieu de le voir comme un reflet très édifiant ;
Participer au bruit dans sa tête au lieu d’être à l’écoute ;
Désirer, envier, espérer (vouloir toujours) une chose au lieu de chérir l’idée de la vivre ;
Rester dans le rêve au lieu de se rendre compte que l’on s’est résigné depuis longtemps ;
Subir son existence au lieu de voir que l’on crée sa réalité à chaque instant…
Et pour finir, quelques énoncés de ma collection (dont je ne suis pas toujours l’auteur) :
« La lumière que tu vois, en vérité, c’est l’obscurité. L’obscurité qui t’effraie, c’est en vérité la lumière. Tu es dans un monde inversé. » (Riad Zein)
On est positionné comme si une rectification de son fonctionnement, de ses habitudes, était le préalable à la paix et à l’amour, alors que la paix et l’amour sont inversement le préalable au changement intérieur.
Ne vous étonnez pas d’adopter une posture et de vous comporter à l’inverse, le cas échéant, car l’ego anticipe toujours, inutilement, et le cœur s’ajuste à la réalité de l’instant.
« L’ego ne comprend pas le pardon et ainsi le déforme en quelque chose qu’il n’est pas. Blâmer l’autre, puis lui pardonner de notre perception est une pensée inversée. » (Jon Mundy).
L’énervement exprimé, manifesté, est une sorte d’onanisme, détourné ou inversé et tout de même impudique, touchant et amusant au bout du compte !
« Tenter, vouloir quelque chose sépare. À l’inverse, être libre de toute démarche est accueil, disponibilité, non-séparation. » (Éric Baret)
À tort, vous vous croyez ceci, croyant l’autre l’inverse, éventuellement toujours à tort, mais l’autre en face de vous fait de même. Que peut-il advenir de l’échange ? Il est faussé, voire mensonger !
« À chaque fois que tu rencontres un problème, rappelle-toi que tu es dans un monde inversé, où la cause paraît comme l’effet et l’effet comme la cause » (Riad Zein).
« À chaque fois que quelqu’un t’agresse, sache que c’est toi qui l’agresses, mais tu inverses ce rôle afin de te laver les mains de toute culpabilité ! » (Riad Zein)
Au lieu de nous perdre dans les pensées (de les suivre), voyons les pensées venir se perdre dans l’espace que nous sommes (sans les suivre).
Quand, sans voix, tu regardes, tu écoutes, tu ressens, tu es au bon endroit, et tout est bien !
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