Méconnaître ses vrais problèmes
Cette nouvelle chronique fait suite à celle du mois dernier, même si je présente différemment les choses. Je le rappelle de temps en temps, nous continuons de déplorer dans notre vie certaines circonstances qui nous laissent mal, qui ne nous conviennent pas, qui sont nos problèmes, nos contrariétés, nos préoccupations…, juste parce que nous n’avons toujours pas « vu » ce qui se joue, se rejoue encore et encore. Je dois à ce point de vue de laisser derrière moi nombre de circonstances qui m’ont longtemps éprouvé, limité ou privé, et pour ce qui persiste, pour ce qui peut encore me déstabiliser peu ou prou, je m’avoue sans peine que se niche là quelque chose qui m’échappe, que je n’ai toujours pas vu…
Une des choses que nous ne voyons pas, le cas échéant, est que nous vivons tout un conditionnement comme s’il était inévitable, comme s’il était l’ordre des choses, sans relever jamais que d’autres personnes peuvent n’être concernées en rien par ce même conditionnement. L’explication est le fait que cette réalité nous accompagne depuis toujours. Elle est un effet d’une vieille blessure non guérie. Pour certaines personnes, il se pourrait que ce seul phénomène soit leur problème existentiel et qu’en prendre conscience sera un tournant décisif dans leur vie.
On trouve beaucoup d’exemples dans des couples. Ce sont des personnes qui pérennisent des choix, des positionnements contraires à leurs véritables aspirations. Elles le font moins du fait du désaccord d’un partenaire que de l’habitude prise dans l’enfance, dans le contexte familial. Le désaccord du partenaire ne serait que l’écho de sa propre adhésion inconsciente à la situation telle qu’elle se prolonge. Voyez si les exemples ci-après vous inspirent, évoquent quelque chose de votre situation personnelle. Qu’il n’en soit rien ne serait pas nécessairement une « résistance à voir ». Peut-être sera-ce un point ultérieur de l’article qui vous interpellera…
– De mille manières et de façon manifeste, ces personnes révélaient qu’elles ne se permettaient de prendre aucune décision dans leur couple (plusieurs cas rencontrés), sans jamais mentionner cela comme un « problème », tout en voulant par ailleurs surmonter des difficultés qui les mettaient face à de la frustration.
– J’avais cru que ce jeune homme de 25 ans venait me consulter à cause de son bégaiement. « J’ai toujours bégayé », me confia-t-il un jour. Cela n’était donc pas son problème, cela n’était pas un problème… Non, il ne venait me voir que parce qu’il avait des difficultés relationnelles, « du mal à communiquer », précisa-t-il un jour.
– En dehors d’une consultation, une dame m’indiqua incidemment qu’elle avait appris à l’âge de 22 ans que son père n’était pas son géniteur. En séances, revenait souvent « sur le tapis » sa difficulté à prendre sa place, à exister professionnellement.
– Une jeune femme était venue me voir épisodiquement pendant déjà trois ans quand, parce que j’avais fini par deviner ce qu’elle retenait, « insisté » un peu plus pour qu’elle se livre véritablement et enfin utilement, elle commença à évoquer les terribles traitements auxquels l’avaient enfant soumise ses deux parents (régulièrement battue, privée de nourriture, obligée d’assurer des corvées ménagères tard le soir et tôt le matin…). Jusque-là, un de ses gros problèmes avoués était sa culpabilité par rapport à sa mère impotente dont elle s’occupait sans envie…
– Je n’insisterai pas sur cet autre cas que je connais le mieux où l’intéressé a fait près de 20 ans de travail sur lui-même (diverses thérapies individuelles et en groupes…) en continuant de prétendre qu’être aveugle lui était complètement indifférent. Il le répétait encore dans ses premières conférences : « Quand on est aveugle, on l’est vraiment ! » (sourire).
En l’occurrence, le fait de ne pas reconnaître l’aspect « problème » d’une certaine condition de vie repose moins sur l’habitude que sur la douleur qui en est à l’origine, que l’on a refoulée et que l’on s’emploie fidèlement à éviter encore. On est en fait habitué, pourrait-on dire, à ne pas reconnaître sa douleur. Mais si l’on ne la reconnaît pas pour telle condition, il est à craindre qu’on se laisse vivre bien d’autres choses « insupportables ». Il ne s’agit pas de faire un problème de ce qui n’en est pas, mais quand on déplore certaines choses, toujours les mêmes pendant des années, il est intéressant, important, en fait incontournable de regarder ce qui, dans son existence en parle le mieux.
Tout ce qui précède peut ne pas vous parler, ne pas être votre histoire. Voyez alors si vous « vous reconnaissez » dans l’un des points suivants. L’un d’eux au moins devrait vous interpeller à un certain degré.
1. Régulièrement, vous invitez ou vous acceptez de recevoir des personnes que vous n’intéressez pas, si ce n’est pour ce que vous pouvez leur donner, leur apporter. Ici, je ne juge pas ces personnes, je ne les blâme pas. Je ne parle que de vous (sans vous accuser non plus) et de cette tendance qui est la vôtre à revenir sans cesse auprès de qui ne vous témoigne rien de vraiment bon pour vous.
Plutôt que de continuer de juste subir cette tendance, aveuglément, vous pouvez regarder le message qu’elle « tente » de vous délivrer. Elle est comme le moyen de vous rappeler que vous vous sentez seul. En tant qu’autre message ou message formulé différemment, une question peut ici être posée : « Quand ou comment est-ce que je ne m’intéresse pas à moi-même ? » En fait, c’est surtout l’invitation à ressentir davantage, ressentir des besoins jamais considérés. (Syndrome psychologique de la blessure d’abandon.)
2. L’approbation d’autrui est-elle pour vous particulièrement importante ? En outre, se pourrait-il que vous la recherchiez là où, précisément, vous ne l’obtenez pas ? Vous tentez en vain de faire partager à des gens ce qui vous fait plaisir, voire certaines de vos réalisations. Et « comme par hasard », vous vous adressez à quelqu’un qui, comme vous, cherche à être mis en valeur, dont le souci premier n’est certainement pas de vous valoriser, vous !
Quel est le message ? Vous avez du mal à vous faire plaisir, à vous occupez de votre bien-être. Vous croyez ne pas en avoir le droit. Vous conservez des notions de bien et de mal qui vous desservent. Une approbation obtenue n’est rien d’autre qu’un soulagement éphémère, parce que le fait de la rechercher indique que vous vous interdisez les choses. (Syndrome psychologique de la blessure de dévalorisation.)
3. Éventuellement, vous avez des projets, vous commencez doucement à mettre des choses en place. Vous pourriez vous surprendre à ruminer des obstacles possibles (avant même qu’ils ne se présentent). Vous écoutez des messages pessimistes, vous accordez un crédit excessif à des articles de presse, vous considérez des expériences malheureuses (les vôtres ou celles d’autrui), etc.
En fait, vous continuez de vous croire « dérangeant », de croire que vous n’avez pas votre place, que vous allez nécessairement être limité, empêché, abusé, que vous allez vous faire avoir… Alors, regardez bien, quand ou comment est-ce que vous ne prenez pas votre place ? Quand est-ce que vous ne prenez pas la parole ? Par exemple, un excellent moyen de prendre sa place est de dire « non » là où, si souvent, l’on dit « oui » pour des choses qui ne nous conviennent pas. Et dire « non » en se culpabilisant n’est toujours pas dire « non » ! (Syndrome psychologique de la blessure de trahison.)
4. Certains ne demandent jamais rien, parce qu’ils méconnaissent leurs besoins, ne les sentent pas, ou parce qu’ils croient leur bien-être interdit. Vous peut-être, d’autres font des demandes insolites, extravagantes, et non seulement ça, mais leur manière de demander est (éventuellement) révélatrice. Leurs demandes sont des caprices, des revendications… Il n’y a pas lieu ici de juger ce positionnement davantage que les précédents. Ils révèlent seulement une autre blessure.
Quel est donc le risque à « faire des caprices » ? Que nous arrive-t-il quand on réclame une chose après l’autre ? Il y a bien là de quoi revivre un certain traitement et il ne nous est pas inconnu. Mais à la place de ces caprices ou revendications, n’y aurait-il pas quelque chose que nous ne demandons pas non plus ? Quelle est cette chose que jamais nous ne demandons ? (Syndrome psychologique de la blessure de rejet.)
En définitive, ce qui nous fait peut-être le plus défaut pour faire une différence capitale dans notre existence, pour améliorer la qualité de notre vie, c’est « savoir que nous ne savons pas », savoir que nous ne « voyons » pas. Le comble est que « ne pas savoir » fait se positionner généralement comme si l’on savait. Il n’est pas rare que l’on me dise : « MOI, je connais mes problèmes et je sais d’où ils viennent ». Quand il y a le « véritable savoir », il n’y a plus de problèmes ; ils disparaissent ; ils n’ont plus lieu d’être. S’il y a problème, un savoir manque. « Savoir cela », en soi, prédispose à la transformation souhaitable.
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