L’ouverture
Si vous y prêtez attention, vous pouvez remarquer que tout le monde ne réagit pas de la même façon aux épreuves qui se présentent à soi. La différence observable pourrait permettre quelques révélations intéressantes. Il est question des attitudes réactionnelles spécifiées dans mon livre, Le regard qui transforme, pour chacune des cinq blessures. Or, dans cette chronique, je veux m’arrêter sur deux tendances proches qui rappellent les « attitudes réactionnelles » Mais qui, cette fois, peuvent être pareillement vécues par toute personne quelle que soit sa blessure. Appelons ici ces deux tendances « l’étonnement réactionnel » et « le rappel réactionnel ». L’ÉTONNEMENT RÉACTIONNEL. Vous pouvez avoir identifié votre blessure principale, selon le jargon du livre mentionné, ou avoir une bonne connaissance de votre propre conditionnement, parce que vous avez fait un certain travail sur vous-mêmes, parce que vous êtes attentif et conscient… Avec cette compréhension, normalement, vous savez aussi que ce que vous endurez, ce à quoi vous êtes confronté appartient à cette blessure, à ce conditionnement.
Donc, il y a la blessure et il y a ses effets spécifiques. Si vous êtes concerné par la blessure d’abandon, jusqu’à ce qu’elle soit guérie, vous pouvez revivre de la séparation pénible, le manque d’aide… En cas de dévalorisation, vous pouvez éprouver que votre travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Pour la maltraitance, vous êtes attiré par ce qui vous fait éprouver de l’injustice et pour le rejet, vous collectionnez les aventures fâcheuses. La trahison vous confrontera à toutes sortes d’obstacles, d’empêchements ou de complications. Remarquez à chaque fois le conditionnement et ses conséquences.
Eh bien, même avec une bonne compréhension de cela, quand nous sommes confrontés à la circonstance privilégiée qui renvoie à notre conditionnement, nous pouvons pourtant réagir encore comme si la chose était étonnante, comme si la chose n’avait pas lieu d’être, comme si elle n’était pas normale. Cependant, elle n’a rien d’étonnant ; elle a tout à fait lieu d’être justement ; elle est absolument normale. Il est impossible de continuer de se sentir abandonné et de ne pas éprouver le manque d’aide. Quiconque continue de se dévaloriser éprouvera nécessairement, à un moment ou à un autre, qu’on ne l’apprécie pas à sa juste valeur. La personne qui se plaint endurera forcément l’injustice. De même, la peur du rejet provoquera les mésaventures et la déception sans cesse alimentée attirera les obstacles.
En toute logique, après avoir perçu, compris et même vérifié tout cela à plusieurs reprises, ne devrait-on pas être intéressé à se libérer de son conditionnement plutôt qu’à plonger dans la réaction aux effets de ce dernier ? Certes, mais c’est sans compter avec l’habitude, avec le fonctionnement en automatique, avec l’attachement à la souffrance qui, en tant que tel, reste longtemps ignoré, parfois même nié quand il est simplement évoqué. C’est compréhensible, on ne s’attendrait pas à un tel attachement ! À défaut de mieux, cela peut être une manière de se sentir en vie.
LE RAPPEL RÉACTIONNEL. Ce point est très proche du précédent, un effet spécifique du conditionnement. Quand nous souffrons, quand nous sommes simplement mal, comme nous venons de l’évoquer, nous sommes en réaction à divers effets de notre conditionnement. Or, il en est certains qui nous indiffèrent en apparence d’une manière générale et qui, « allez savoir pourquoi », sont soudainement et de façon épisodique montés en épingle. C’est ce qui peut faire tomber des nues certains (dont nous sommes parfois) quand d’autres (dont nous sommes parfois) leur reprochent un jour une circonstance qui avait été la veille vécue à l’inverse avec complaisance.
Une des personnes qui me consulte a perçu, reconnu sa tendance à refuser a priori toute proposition qui lui est faite. Cela ne l’empêche pas, de temps en temps, de déplorer âprement de n’être « jamais » invitée. Une autre sait de même son souci de faire (aussi parfaitement que possible) tout ce qu’on attend d’elle au bureau – histoire de démentir son autodévalorisation – et, de façon récurrente, elle se sent débordée, épuisée. Elle s’en plaint. Certains déploreront du peu de temps qui leur reste à accomplir diverses tâches sans se préoccuper autant de leur tendance ordinaire à la procrastination qu’ils connaissent pourtant bien.
En tant que problème, pour prendre un autre exemple, le surpoids est l’effet notamment du « problème » qu’est la compulsion à manger de façon excessive. Il arrive qu’on déplore le surpoids davantage que la compulsion en cause (alors que sans cette compulsion, point de surpoids)… Ici, la suggestion n’est pas de se reprocher son fonctionnement, mais de percevoir au besoin où l’on place son attention, qu’on finit parfois par réagir à une chose tout en continuant de faire ce qu’il faut pour la maintenir en place.
Maintenant, quel que soit notre conditionnement, quels que soient nos réactions, positionnements et autres tendances, quelle que soit la souffrance éprouvée, on peut admettre qu’il y a fermeture. Cette fermeture peut encore être appelée fuite, évitement, déni, ignorance, auto-isolement, évasion, endormissement, mentalisation, etc. Et quand il y a fermeture, le besoin est… l’ouverture.
Sans doute avez-vous déjà lu ou entendu des expressions comme « Soyez ouverts, ouvrez-vous, vous êtes fermés, manque d’ouverture », etc. L’invitation ici suggérée est certainement judicieuse, mais est-elle suffisamment parlante ? Est-elle efficace ? S’ouvrir, être ouvert, qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que cela veut dire plus spécifiquement, pour vous ?
Rappelez-vous une fois (des fois) où vous étiez vraiment à l’écoute de ce qui se passait autour de vous, sans rien juger, sans rien en penser d’abord, sans intention. À l’occasion, ce fut peut-être une personne qui vous parlait. Rappelez-vous une fois où vous regardiez de même le paysage, l’environnement, la situation de l’instant. À l’occasion, ce fut peut-être un enfant en train de jouer, un bouquet de fleurs, un décor particulier… Rappelez-vous une fois où vous vous trouviez dans une situation où vous venaient diverses impressions, où vous ressentiez les choses. À l’occasion, ce fut peut-être une circonstance qui vous a ainsi permis de prendre une bonne décision pour vous.
Vous avez nécessairement vécu ce genre de choses et, en principe, vous devriez vous en rappeler quelques exemples sans difficulté. Quand vous en aurez trouvé un, peut-être pourrez-vous noter qu’en la circonstance, vous avez été bien, comme en paix, avec un sentiment de légèreté. À un moment ou à un autre, en vivant l’un de ces exemples, vous avez pu ressentir une forme d’insouciance, vous sentir inspiré ou vivre tout autre expérience heureuse dont vous éprouvez peut-être l’absence ordinairement.
Ce vécu est encore celui qui est parfois connu, repéré le matin à l’instant du réveil, juste avant l’apparition des pensées et des sensations du corps. Il s’agit surtout de votre propre expérience de l’ouverture qui vous permet de savoir vers quoi pointe l’invitation à s’ouvrir. C’est cela « être ouvert » et c’est encore cela « être présent ». C’est cela « goûter au moment présent ». Mieux encore, c’est ce que vous êtes, c’est ce que nous sommes.
Dans la pureté de l’expérience, pour le dire ainsi, il n’y a pas de « penser », il n’y a pas de penseur, il n’y a pas le « quelqu’un » pour qui l’on se prend ordinairement (et qui ne tardera pas à revenir). Il n’y a donc personne, il n’y a que la conscience pure sans contenu, il n’y a que l’essentiel, ce que nous sommes, qui demeure même quand le conditionnement refait surface, manifesté à travers le bavardage mental et les réactions familières.
Si ce dernier paragraphe engendre de la confusion ou de l’incompréhension, alors qu’il est censé évoquer notre nature essentielle, il suffit bien de s’arrêter à l’intérêt que vous pourriez avoir désormais pour l’ouverture. Voyez si quelque chose vous parle, vous inspire dans les propositions ci-après. En suivre une seule signifiera pour vous être ouvert. Au début, l’invitation à l’ouverture peut prendre un sens spécifique, parce que chaque blessure conditionne de façon spécifique.
• L’abandon-. Accordez-vous de l’attention. Ressentez vos besoins, vos priorités et percevez qu’en réalité, vous n’êtes jamais seul, que l’aide est partout disponible (le mur qui vous en sépare est fait de pensées). Quand vous sentez cela, quand vous acceptez enfin de recevoir, vous êtes ouvert !
• La dévalorisation-. Accordez de l’attention aux autres. Laissez-les être touchés par vous ; laissez-vous toucher par eux. S’il y a ceux auxquels il vous arrive de vous soumettre, il y a aussi ceux qui pourraient vous être indifférents. Quand vous le reconnaissez, quand vous acceptez enfin de donner, vous êtes ouvert !
• La maltraitance-. Accordez de l’attention à ce que vous ne dites JAMAIS et rappelez-vous que les autres aussi ont leurs problèmes (en renonçant à l’idée que les vôtres seraient bien pires). Quand vous vous mettez à sourire alors que vous vous surprenez en train de vous plaindre, quand vous exprimez de la gratitude, vous êtes ouvert !
• Le rejet-. Accordez votre attention. Écoutez « deux fois plus que vous parlez » ! Reconnaissez vos vrais besoins et ne décidez pas de ce que sont ceux d’autrui. Quand vous vous trouvez patient et sans attente, quand vous acceptez enfin de vous donner (à vous-même), vous êtes ouvert !
• La trahison-. Ouvrez les yeux et regardez, à partir de votre cœur. Il se pourrait bien que vous vous mettiez à voir ce que vous niez ordinairement. Percevez l’espace. Montrez-vous. Quand vous n’anticipez rien, quand vous acceptez enfin de vous sentir relié (de vous sentir avec), vous êtes ouvert !
Dans ces propositions nécessairement incomplètes, vous devriez pouvoir découvrir ce qui parle de l’ouverture, de ce qu’est être ouvert… pour vous. Ne vous méprenez pas : ce que vous appliquez déjà de façon habituelle et qui ne vous éveille pas, qui ne vous éclaire pas, c’est seulement un mode compensatoire. Vérifiez plutôt ce qui vous rappelle effectivement des moments de grâce. Considérez les moments où vous appréciez pleinement les choses. Là est pour vous l’invitation à l’ouverture.
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