L’observation, le moment présent
Le « Regard qui transforme » est celui qui se pose sur ce qui est, quoi que ce soit, sans plus de résistance, de réaction, de jugement, ni même d’étiquetage. Bien entendu, ce regard-là ne s’applique pas qu’au visuel. C’est aussi le plein accueil de ce qui est, quand ce qui est, est, parce que ce qui est, est, en tout état de cause, parce que l’accueil est toujours doux à vivre, aussi parce que, répétons-le, cela seul est transformateur. Accueillir ce qui est, quoi que ce soit, c’est lui être présent, en être conscient, lui être amical ; c’est lui permettre d’être tel qu’il est, comme nous le répète Eckhart Tolle (qui inspire largement cette présente chronique).
Plus on résiste et plus on est confronté à des conditions ou circonstances plus ou moins difficiles, plus ou moins douloureuses. Avec notre tête, on nomme la chose « problème », on voudrait s’en débarrasser au plus vite, faire parfois comme si ça n’existait pas. Bref, il y a refus de ce qui est, avec de multiples considérations mentales, sans voir jamais que tout cela ne représente aucune aide, bien loin s’en faut ! Alors, que risquons-nous à regarder différemment les choses ?
Face à ce qui est, nous pouvons tester deux positionnements différents : le penser, celui que nous adoptons la plupart du temps, et l’observation consciente, celui qui nous permet d’être présent, de l’être vraiment, de l’être enfin. Quand le positionnement mental est à l’œuvre, référence est immanquablement faite au passé et/ou au futur. Ce qui n’est plus (le passé) et ce qui n’existe pas (le futur) ne peuvent nous être d’aucune aide. L’inspiration, l’intuition, la véritable intelligence ne peuvent s’exprimer que dans l’instant présent, mais encore faut-il que nous nous y « trouvions ».
Ou bien nous permettons aux choses d’être ce qu’elles sont, telles qu’elles sont, ou bien nous y réagissons (y compris parfois en les niant), et, dans ce dernier cas, nous souffrons d’une manière ou d’une autre. Nous pouvons ne pas être conscient de notre réaction, parce qu’elle est devenue comme une seconde nature, mais nous pouvons la reconnaître ou la deviner si, par exemple, nous consentons à percevoir combien nous aimons avoir raison et donner tort à autrui.
« Voulez-vous avoir raison ou être heureux ? », nous demande « Un cours en miracles ». On ne perçoit pas que le choix s’impose, que vouloir avoir raison jamais ne nous contentera. Vouloir avoir raison implique que quelqu’un ait tort et la quête obligée d’ennemis, de conflits. Les soulagements bien éphémères procurés par le fait d’avoir raison (souvent en apparence) cachent un lien maintenu avec la frustration et la souffrance persistantes et croissantes. Se plaindre, se rebeller, ressasser sont quelques-uns des meilleurs trucs que l’on a inventés pour faire durer et empirer cela même qu’on pourrait prétendre vouloir transformer.
Ici, par exemple, êtes-vous disposé à reconnaître votre propre réaction (éventuelle) ou allez-vous la nier ou la revendiquer comme l’attitude la plus appropriée à quelque situation incriminée ? Et si vous la reconnaissez, pouvez-vous juste la voir, l’accueillir comme ce qui est, donc sans la juger, sans vous culpabiliser, sans en avoir honte ? Si vous la voyez, c’est magnifique car voir vraiment, quoi que ce soit, c’est bienvenu ! Ce regard transforme.
Permettez à ce qui est d’être, acceptez-le pleinement. « Mais je ne peux tout de même pas accepter que mon conjoint me trompe, que mes enfants se droguent, que je n’obtienne jamais de promotion, que je reste malade… » Pouvez-vous sentir la notion de futur que sous-tendent ces propos rétorqués ? Il est suggéré d’accepter ce qui est, non pas ce qui sera. En acceptant ce qui a lieu dans l’instant, vous vous rendez disponible, vous vous mettez en situation d’adopter l’attitude la plus juste car dans l’état d’accueil, l’intuition est possible, la véritable intelligence est accessible, à l’œuvre, et l’action juste se révèle d’elle-même. Les décisions prises dans la réaction sont souvent regrettées, sont rarement fécondes.
Employé de façon irrationnelle, le mental est notre piège. Considérez toutes ces pensées inutiles qui nous traversent l’esprit, nos jugements, nos interprétations, ce que nous ressassons du passé, ce que nous imaginons du futur. Mais toutes ces pensées ne posent problème que parce que nous nous y laissons embarquer. Ce faisant, nous ne sommes plus présents, plus conscients. En revanche, si nous les voyons, si nous les permettons, si nous en sommes l’observateur conscient, nous avons retrouvé le « regard qui transforme », nous retrouvons le pouvoir qui s’exerce par lui-même de façon ajustée.
Certes piégeant, le mental est surtout le moyen. Le véritable piège est notre identification inconsciente à qui nous croyons être, erronément, aux rôles que nous jouons, au sens que l’on a de soi-même, ce à quoi, sans cesse, nous voulons en rajouter : quelque chose de plus qui nous mette en valeur, qui nous rende intéressant, important, voire indispensable. Bref, nous tentons de combler notre insatiable ego dont la nature même est d’être insatisfait. C’est vouloir remplir un puits sans fond. Le problème commence avec la seule idée d’être une personne (avec ou sans valeur, avec ou sans importance, avec ou sans besoins).
Même avec la peur, avec la croyance que tout va aller de mal en pis, nous avons et cultivons l’attente des jours meilleurs, nous en remettant ainsi à l’avenir. Nous serons plus ceci, nous aurons plus de cela, nous nous réaliserons… S’il est bon de jouer les jeux de l’existence, en suivant simplement ses élans, en faire des moyens pour une fin perpétue la rupture d’avec l’instant présent, d’avec soi-même, car c’est toujours maintenant que nous sommes, jamais dans le futur, ni dans le passé. Et si nous sommes coupés de nous-mêmes, incapables de nous ouvrir à ce qui est, nous ne sommes pas davantage là pour accueillir les transformations qui découlent immanquablement de la pleine conscience.
Observez la différence entre ces deux propositions : 1. Qu’y a-t-il autour de vous, dans la pièce où vous vous trouvez ? 2. Observez les objets autour de vous. Dans le premier cas, le mental est sollicité, pour nommer les choses. C’est penser. Dans le second, si vous répondez à l’invitation, vous regardez, vous contemplez. C’est l’observation. Dans un endroit complètement inconnu, le tout jeune enfant ne pourrait rien nommer, mais il pourrait toujours observer, ce qu’il fait de façon remarquable. Il s’agit pour nous de retrouver ce regard pleinement présent qui n’a nul besoin d’étiqueter quoi que ce soit.
De cette manière, vous pouvez percevoir le mur qui est devant vous, ces mots que vous lisez, l’espace qui entoure, englobe toute chose, la pensée qui traverse votre esprit, l’énergie qui circule dans votre corps, tout comme ce qui semble être un « problème » dans l’instant. Accordez simplement votre attention à ce qui est (dans l’instant), ce qui est tout différent de laisser votre attention être captée par ce qui est : soit vous donnez votre attention, soit vous la laissez être prise. Cela veut dire que soit vous êtes présent, soit vous ne l’êtes plus ; soit vous êtes ce qui perçoit, soit vous êtes effet, vous subissez.
Et ne confondez pas accueillir ce qui est, permettre à cela d’être tel que c’est, avec le fait de subir une fois de plus cette chose et tant d’autres auparavant. Si vous êtes porté à subir, sans mot dire par exemple, il est fort probable que ce que vous n’accueillez pas, ce sont des mots ou des décisions qui vous viennent et que vous taisez, que vous étouffez. Ici, c’est à votre positionnement que vous ne permettez pas d’être, à quoi vous n’accordez pas votre présence. Mais dès lors, si c’est votre peur de vous positionner qui apparaît, accueillez-la de même et observez ce qui se passe.
Qui êtes-vous ? Êtes-vous la personne qui pense de façon compulsive et inconsciente ? Êtes-vous des choses qui vous caractérisent, alors que certaines sont récentes dans votre existence ? Qui êtes-vous bien au-delà des connaissances mentales accumulées, aussi brillantes soient-elles ?
Qui est l’observateur de vos pensées, de vos réactions, de toutes les perceptions si ça n’est pas vous ? Qui est la conscience si ça n’est pas vous ? Et que seriez-vous de plus, de mieux que la conscience, que l’observateur, que la présence elle-même ? Que pourriez-vous être d’autre que la pleine présence à ce qui est, la pleine conscience de ce qui est ? Pour vous définir dans votre essence, tenter de le faire, allez-vous vous limiter à un rôle, une fonction, un caractère, à toute chose qui ne serait qu’un contenu de conscience, à ces choses qui vont et viennent, se font et se défont (existent et disparaissent) ?
Et si « je » suis cela qui regarde, observe, accueille, autorise, donne mon attention, la présence, je peux progressivement réaliser que tout autre en face de « moi » est lui-même cela tout autant. Lui et moi, nous ne sommes rien de ces jeux, de ces rôles auxquels nous nous identifions, ni les victimes, bourreaux ou sauveurs que nous pourrions croire être. Nous faisons des choses, nous avons des choses, mais qui nous sommes n’est en rien concerné. Au-delà de nos conflits non résolus, de nos blessures non guéries, de notre histoire personnelle à laquelle nous accordons tant de crédit, nous demeurons mal, frustrés, nous souffrons de nous croire autre que qui nous sommes. Alors, ici et maintenant, que va-t-il se passer si nous laissons être ce qui est (dans l’instant présent), en le reconnaissant pleinement, en demeurant pleinement conscients, pleinement présents ?
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