L’irrationnelle culpabilité
Le mois dernier, j’ai terminé la chronique en mentionnant la culpabilité comme étant la cause profonde de ce que nous appelons « nos problèmes ». Si la lecture de ce qui suit vous intéresse au point de vous disposer à le recevoir pleinement, à en tirer le meilleur, à vous l’approprier, je vous suggère de relire (ou de lire) la chronique de juillet (n° 80). Déclarons-le tout de suite : sans conscience de la culpabilité ou sans renoncement à celle-ci, point de salut ! Mais qui voudrait sciemment stimuler la propagation intérieure si délétère de sa propre culpabilité ? Et pourtant !…
Hors l’état joyeux de présence à ce qui est, d’observation pure qui requiert la désidentification d’avec son mental (autrement dit, pour faire plus simple, le détachement de ce que l’on pense si machinalement), on pourrait dire que la culpabilité en nous-mêmes reste notre vrai problème, notre problème existentiel, notre ultime problème. Mais cela peut être plus éclairant de reconnaître la culpabilité comme étant à la base de tous nos problèmes, de tout ce qui nous heurte dans la vie, nous contrarie, nous rend malheureux. Elle nous attire ce que nous déplorons et, chose encore plus inattendue, plus méconnue, elle nous coupe du douloureux en nous (de ce fait jamais considéré, jamais accueilli, ni libéré par autre voie de conséquence).
Longtemps, trop longtemps, nous ignorons que nous nous sommes attiré les circonstances fâcheuses de notre existence (conflits, limitations, échecs…). Et nous en souffrons à la seule mesure de ce que nous en pensons (objet de la précédente chronique). D’abord, nous nous faisons beaucoup de tort en imaginant des impossibilités, des interdits, des complications ou des revers, en nous nous y attendant, en nous y préparant. S’attendre à l’une de ces choses et parfois même au pire n’est pas joyeux. C’est terrible ! Et quand cela finit par se présenter dans notre existence (si puissant est notre pouvoir créateur), nous continuons mentalement de plus belle, nous continuons de nous compliquer la vie, de nous concocter la prochaine salve d’épisodes fâcheux. Les pensées qui condamnent toute circonstance déplorée sont les mêmes qui l’ont causée. Les pensées qui attirent un drame seront celles qui le dénonceront.
Non pas toujours à retardement, la balle de la pensée qui fusille touche le cœur du tireur. « Je suis un tireur d’élite ! Par mes pensées, c’est à moi que je nuis ». Quelles pensées négatives pouvez-vous entretenir en vous sentant véritablement heureux et de façon durable ? Alors, pourquoi en est-il ainsi ? Même en sachant tout cela, on retombe sans cesse dans les mêmes drames ou la même insatisfaction. Ici, on peut se poser cette question : pourquoi continuons-nous d’avoir peur ? (Peur éprouvée ou réprimée).
La peur est l’incontournable premier effet de la culpabilité. IL n’y a pas de culpabilité sans peur ! La culpabilité reste en grande partie inconsciente, la peur est au moins plus accessible ! Peur des complications, peur du manque affectif ou matériel, peur d’être traité mal… la peur ne nous quitte qu’à condition d’avoir renoncé à la culpabilité. Il est plus utile de savoir que ce renoncement est une condition absolument indispensable que de s’interroger sur le moyen d’y parvenir.
Quand on est mal émotionnellement, quand on est dans la souffrance (angoissé, insatisfait, mécontent, énervé, déprimé…), on est en fait en résistance ou dans quelque positionnement spécifique ordinairement inconscient (être dans l’attente, ne s’attendre jamais à rien de bon, être dans le souci exclusif d’en profiter, vouloir à tout prix, chercher à comprendre, à convaincre…, décider pour autrui, être pris dans l’accusation, subir…). C’est Le positionnement qui fait mal, qui épuise. La résistance psychologique est faite de pensées (pensées d’évitement, de déni, de fuite, de rejet et d’attaque également…). De façon réactionnelle et inconsciente, donc mentale, nous nous escrimons à démentir notre culpabilité.
Nombre de nos pensées disent que nous voulons vérifier des choses, voire les prouver (la manière dont nous sommes traités par exemple) et nous réussissons… pour aucune satisfaction durable (sinon celle, illusoire, de l’ego). D’autres pensées montrent la peur que nous avons de vivre ceci, que ne dure cela, et ça marche pareillement. Sous une forme ou sous une autre, ce que nous craignons advient. Nos pensées révèlent ce à quoi nous nous attendons. Ce sont des pensées culpabilisantes et punitives. Arrêtez-vous sur l’une ou l’autre de vos pensées douloureuses et remarquez pour vous-même qu’elle n’est faite de rien d’autre.
On a peur, parfois jusqu’à paniquer, parce qu’on s’accuse, parce qu’on s’en veut, parce qu’on se culpabilise. À ce niveau, faire son mea-culpa n’est, ne serait d’aucune aide, parce qu’il n’y a pas de faute qui fasse l’affaire. Allez, je vais tout de même vous révéler les deux fautes « terribles » qu’a commises l’enfant que vous avez été pour en finir par se sentir coupable sa vie durant. Préparez-vous à découvrir enfin « l’odieux personnage » que vous êtes !
– Que vous le vouliez ou non, il est arrivé à cet enfant de se sentir traité mal par l’un et/ou l’autre de ses parents. Et il leur en a nécessairement voulu, suffisamment pour se le reprocher bientôt, pour s’en mordre les doigts, pour se culpabiliser. Voici donc l’une de ses deux grandes fautes : ne pas avoir subi un traitement malheureux (parfois monstrueux) sans mécontentement intériorisé.
– Il est aussi arrivé à ce même enfant, débordant de joie et de tendresse, de vouloir partager son bonheur avec un parent qui s’est montré indifférent, indisponible et même agacé. L’enfant en a conclu qu’il était pénible, dérangeant, malvenu… Il s’est reproché cela. À juste vouloir aimer et par le retour de l’adulte, l’enfant a vite compris combien il était fautif : coupable d’aimer, la honte d’aimer.
Trêve de plaisanterie, comprenez que jamais l’ex-enfant ne pourra trouver ni se pardonner sa faute, puisqu’elle n’existe pas. Comprenez que je ne parle pas ici de ce que l’adulte peut être poussé à commettre dans sa vie en réaction à ses blessures non guéries et à sa propre culpabilité infondée. C’est cette culpabilité qui fait commettre le pire à certains (qui ne sont probablement pas du nombre des lecteurs de ce texte) et qui engage d’autres dans des positionnements excessivement magnanimes qui les desservent tout autant. Ils sont bons, c’est aussi et surtout par culpabilité.
Ne vous êtes-vous jamais senti plus ou moins irrité ou simplement mal à l’aise face à quelqu’un qui, par culpabilité, voulait absolument vous rendre service, vous inviter au restaurant ou vous accorder quelque autre faveur ? Qu’il y ait malaise ou non, l’expérience est différente de celle permise par le geste qui n’est pas dicté par la culpabilité, ni par des attentes Inavouées. On ne repoussera pas nécessairement ce qui vient d’un geste dû à la culpabilité (d’autant moins si cela fait notre affaire), mais l’expression de la reconnaissance sera probablement expédiée et l’expérience du vrai partage une fois de plus renvoyée aux calendes grecques.
Si vous avez l’impression de donner beaucoup et d’être payé d’ingratitude, vérifiez l’intention réelle qui pourrait se cacher derrière vos largesses. Soit vous avez des attentes plus ou moins conscientes, soit vous vous sentez coupable ou, pour être plus précis, vous manifestez de la générosité pour ne surtout pas être confronté à votre sentiment de culpabilité (d’où la difficulté pour certains à reconnaître et à considérer la leur).
Par culpabilité, on donne, on rend service, on se montre généreux, disponible… et l’on s’épuise. Par culpabilité, on retient des demandes, on refuse l’aide ou des propositions… et l’on déplore d’avoir à se débrouiller seul. Par culpabilité, on accepte l’inacceptable, on se soumet, on se prive de certaines choses… et l’on reste insatisfait. Par culpabilité projetée cette fois, on accuse autrui et le monde, on se ferme, se montre égoïste… et l’on finit par décourager la générosité et l’abondance. En conscience, on accuse le monde, les autres, de ce dont on s’accuse soi-même inconsciemment.
Vous n’avez certainement pas idée de tout ce que vous faites et ne faites pas… par culpabilité. Or, en continuant de vous sentir coupable, essayez donc d’attirer la réussite et le bonheur dans votre vie ! Essayez d’aimer véritablement, essayez d’apprécier le bon en vous sentant coupable ! Cependant, vous vous mettez à aimer à votre manière pour éviter la culpabilité et, en d’autres circonstances, vous vous mettez à ne plus aimer pour la même raison. Même bienveillant, l’acte engendré par la culpabilité repousse l’harmonie, ne garantit aucun retour heureux.
Vous cultivez donc certains désirs, certaines envies, vous concevez des projets et intentions en vous sentant coupable ou honteux. C’est encore en coupables que certains adressent leurs prières à Dieu. Oui, nous agissons en coupables, nous marchons en coupables, nous communiquons en coupables… Voyons cela et comprenons qu’ainsi, nous empêchons au bon d’advenir ou le repoussons même parfois quand il s’offre à nous.
Considérons à nouveau l’enfant qui a été en situation d’endurer un traitement douloureux, qui a réagi à cela à sa manière (comme il a pu) et qui a fini par se reprocher sa réaction (comme d’en avoir voulu à papa ou maman par exemple). Il a nécessairement refoulé le gros de sa culpabilité, mais un autre morceau de son expérience reste également dans l’ombre. Il y a le traitement enduré, il y a la réaction et il y a la culpabilité. La culpabilité fait oublier, permet d’oublier la douleur causée par le traitement enduré. Aucun enfant ne se sent abandonné, rejeté, maltraité… sans s’en trouver mal, sans avoir mal, sans être malheureux. Il s’agit là de ce que j’appelle « la douleur profonde », celle qui n’a jamais été accueillie, entendue, offerte. ET pour cause !
Ici, il peut être légitime de se demander si la culpabilité n’aurait pas un rôle inattendu, celui d’étouffer la douleur occasionnée par ce qui a été subi (quelles qu’en soient les raisons). « J’ai mal, parce qu’on me laisse sans soin, parce qu’on abuse de moi, parce qu’on me repousse. Oui, mais puisque c’est de ma faute !… » Aujourd’hui, la situation de l’enfant que nous avons été n’importe que parce qu’elle est fidèlement reflétée dans notre approche de la vie et des autres, dans notre fonctionnement relationnel, dans la manière dont nous nous traitons nous-mêmes.
Au besoin, la thérapie peut être d’une grande aide, l’enseignement aussi. J’aime aider les gens (qui me sollicitent) à traverser les méandres de la psyché humaine. Or, plus nous réalisons que nos pensées ont été les vecteurs de nos peurs, hontes, culpabilités et autres réactions, plus nous pouvons nous disposer à nous ouvrir à une autre expérience. Penser, nommer, étiqueter, juger, commenter, interpréter, réfléchir, évaluer, analyser, synthétiser, théoriser… l’emploi du mental est une option (irremplaçable pour toute activité qui requiert de l’intellect : comprendre le fonctionnement d’une machine, rédiger tout texte, travailler, s’organiser…). Quand il s’agit de « vivre sa vie » de façon adéquate, voire de réaliser qu’on est la vie, Il y a mieux, plus fécond, plus apaisant, plus rapide :
Regarder (observer), accueillir ce qui est, Le saluer, le célébrer, le permettre puisque c’est, l’embrasser, le sentir, être avec, le pleurer si ça veut, le rire, le chanter ou le danser, laisser être, demeurer calme, ouvert, disponible, confiant, libre, suivre l’élan qui surgit alors et qui peut être une action à poser, aimer, apprécier, sentir la paix, écouter le silence, percevoir l’immensité qui se révèle intérieurement, demeurer éveillé, présent, conscient, attentif, reconnaître la vie, l’immensité vivante, source de toute chose, et se savoir Cela.
Bonsoir,
Je viens de découvrir votre blog et je le trouve très apaisant et inspirant.
Merci
Et voilà qui touche encore, Marie-Laure, merci pour l’appréciation !