L’expression juste
La précédente chronique (à relire sans modération) propose un moyen pratique qui peut modifier petit à petit notre état d’être, notre qualité de présence, à savoir aussi notre ambiance émotionnelle. On est toujours là bien sûr, là où l’on est, mais n’est-ce pas souvent et seulement notre corps qui est là, bien plus que nous-mêmes ? Regarder et donc voir, juste observer de façon vigilante, plutôt que de croire, de prétendre et donc penser, ça fait la différence qui implique la présence véritable. Pour tenter de faire simple, considérons ces moments si fréquents où nous sommes submergés de pensées, complètement pris dans la tête, autant dire complètement absents. Vivez-vous des moments plus calmes, des moments avec moins d’agitation mentale, voire des instants relativement paisibles ? Le vivez-vous ?
Or, imaginer ou accepter l’idée qu’un plus grand calme encore peut être découvert en soi, c’est invoquer la qualité de présence dont il est question. Il s’agit bien de présence, parce qu’alors, on n‘entretient pas de pensées relatives au passé, à hier, ni au futur, à demain, et l’on est de façon pleinement consciente en contact avec ce qui est ici et maintenant, dans sa vie, dans son environnement et en soi-même. Ah, tout ce qu’on peut laisser échapper du moment présent quand les vaines pensées accaparent toute notre attention ! Une idée « géniale », une inspiration, une intuition, mais tout autant un sourire à notre intention, un compliment du coeur, le sifflement mélodieux d’un merle… et tout ce qui est. Le merle pourrait bien vous laisser indifférent, il n’en demeure pas moins que vous aussi avez maintes fois manqué le meilleur pour vous-même !
L’état de présence maintenu ne garantit pas la disparition de tous les problèmes, ni surtout de ne plus avoir à faire face aux imprévus de l’existence. Les choses vont et viennent, tombent en panne, s’usent, se perdent, se remplacent, meurent, naissent… Des liens relationnels se défont quand on s’y attendrait le moins… Ainsi va le monde de la matière, le monde physique. L’observer ramène au calme s’il y a lieu alors que le juger fait mal, fait du mal. Nous ne souffrons de l’une ou l’autre de ces choses qu’en fonction de ce que nous en pensons. Je n’arrive pas à faire autrement, je n’arrive pas à souffrir sans penser, et vous ? En revanche, je sais penser, penser stupidement. Vous aussi, avouez-le ! Allez, riez-en avec moi !
Si vous pouvez voir cela, cette seule petite chose, ce seul « petit » travers bien humain, juste le voir, donc sans le juger ni en penser quoi que ce soit, vous êtes tout bonnement présent. Voyez cela aussi, rendez-vous en compte ! Oui, remarquez que vous venez de vivre un instant de présence. Sans présence, il est absolument impossible de voir le moindre de nos fonctionnements. Au passage, observez alors qu’il n’est pas si difficile d’être présent ! Et quand ce que vous voyez le cas échéant, c’est le fait que vous jugez, c’est le fait que vous êtes dans la tête, dans le mental, c’est toujours du « voir », c’est toujours rendu possible par la seule présence. Alors, là encore, voyez que vous voyez, et rien d’autre !
Or, il est évident que la présence ne retient pas davantage les problèmes, ni n’en attire (si ce n’est à la demande du mental) et, peut-être mieux encore, elle donne accès aux solutions, à des solutions ; elle les souffle, les suggère. Par exemple, elle vous invite à une expression particulière et, parce que vous en suivez l’élan, vous vivez une expérience de libération. C’est justement parce qu’à trois reprises en 48 heures, elle m’a invité à cette expérience heureuse que j’insiste ici sur l’avantage aussi bien à demeurer présent qu’à s’exprimer absolument en certaines circonstances. Autant le dire tout de suite, il s’agit alors d’une expression juste, présente, non réactionnelle (sans attentes).
Eh oui, on s’exprime ou plutôt certains s’expriment déjà beaucoup sans faire l’expérience d’un effet libérateur. En attendent-ils d’ailleurs pareille chose ? Beaucoup ignorent que la « libération » est possible, toujours, pour tout le monde. Si vous dites vous exprimer, sans effet, je vous suggère de vérifier si votre expression ne serait pas surtout une réaction. Si, généralement, la réaction, l’expression réactionnelle ne produit pas d’effet libérateur, d’effet heureux (ce qui n’est pas son but), elle ne reste néanmoins pas sans effet, effet alors principalement à notre détriment. La réaction est aussi de l’expression et disons alors qu’il y a expression et expression :
– J’ai à coeur que vous me suiviez jusqu’à la fin de la chronique ;
Vous n’allez tout de même pas avoir le culot d’arrêter ici votre lecture !
Observez que ces deux expressions donnent en gros une même indication (ma préférence que vous me suiviez), mais bien qu’il s’agisse d’un exemple insignifiant, remarquez que chacune peut produire un effet différent. C’en sera donc une illustration suffisante si vous êtes capable d’en « préférer » une. Pour vous inspirer au besoin d’autres exemples, pensez simplement à différentes manières de demander à vos enfants s’ils ont fait leurs devoirs, à votre partenaire s’il (elle) a relevé le courrier, n’importe quel renseignement à quelqu’un dans la rue ou dans un magasin. Si vous êtes capable d’imaginer différentes manières d’exprimer une même chose, vous devriez être aussi capable de concevoir un effet spécifique à chaque expression. Voyez aussi comment vous dites « non » quand vous le dites et ce que pourrait être le dire autrement…
Dans la plainte, de colère ou de façon encore différente, quand nous réagissons contre des agissements ou des positionnements des uns et des autres dans notre entourage, y compris en nous adressant à eux pour la énième fois, sachons justement que nous n’avons fait que réagir, que nous n’avons toujours pas exprimé ce qui a pourtant besoin d’être exprimé. C’est là notamment où nous avons manqué de présence, de conscience, et la disposition à le voir désormais est encore l’aptitude à être présent et conscient.
L’expression réellement libératrice ne se fait qu’une fois et elle ne dépend aucunement du résultat extérieur. L’effet libérateur est dans la seule expression et non pas dans la réponse quelle que soit cette dernière. Quand vous faites enfin et vraiment, clairement une demande que vous avez retenue longtemps, même si la réponse est négative, vous n’êtes plus dès lors porteur de cette demande. C’est fait ! Et quand la réponse est positive, c’est la cerise sur le gâteau.
Ce qui n’est pas exprimé peut donc être une demande, laquelle pourrait même être une proposition généreuse (si vous en êtes porteur, elle est à exprimer). Or, le non-exprimé qui nous fait tant réagir n’est pas souvent facile à identifier. Ce n’est pas pour rien qu’on ne s’exprime pas véritablement. On a appris à taire (voire à nier) ses besoins, ses préférences, ses élans, ses préoccupations, son existence même. Alors, il nous est resté la réaction ! Aujourd’hui, nous pouvons le voir, le considérer enfin, nous en remettre à notre aptitude à l’observation qui dépasse de loin en efficacité l’aptitude à penser.
Il y a bien des façons d’évoquer le mal de vivre humain (l’insatisfaction ou tout autre malaise psychologique). Certains éprouvent et expriment parfois du ressentiment. Quand ce ne sont pas encore les mêmes, d’autres sont rongés par la honte ou la culpabilité. Il est des gens qui finissent par admettre qu’ils vivent beaucoup d’agacement, voire de colère, d’autres d’ennui, voire de solitude. Quand ce qui nous anime, c’est le désir obsédant, l’envie compulsionnelle ou le fantasme qui est l’espoir le plus illusoire, la frustration ne tarde jamais longtemps à se rappeler à nous.
Comme bien d’autres, chacune de ces tendances résulte d’un conditionnement bien spécifique et facilement identifiable, ce que j’appelle une « blessure ». En consultation, seules quelques minutes suffisent pour nommer cette dernière. Or, toutes les tendances ont surtout un point commun (lequel nous intéresse ici), celui de reposer sur la résistance à ce qui est, qu’on peut encore appeler l’absence à ce qui est, l’inconscience, donc le « manque de présence », le « manque d’observation ». Toute la place est alors prise par le mental, à savoir les pensées, les opinions, les jugements, les croyances, tant de mots dans la tête dictés par le conditionnement lui-même.
L’inconscience ainsi mentionnée renvoie donc aux conditionnements humains ordinaires. L’évoquer n’a rien d’outrageant ! Elle nous implique tous à quelque degré que ce soit. Il y a que moins on est conscient et plus on finit par se sentir mal. En même temps, plus on « souffre » et plus grande est l’occasion de retrouver la paix, le calme. Si l’invitation au calme est communément faite à une personne en proie à une grande agitation, nous avons tous besoin de ce calme, du calme. Et plutôt que de vouloir se calmer, de chercher à se calmer (ce qui risque d’être encore vécu comme quelque chose à faire), il s’agit en quelque sorte de reconnaître le calme qui est déjà là.
C’est comme si l’on s’arrêtait, comme si l’on faisait une pause (arrêter de se poser des questions par exemple) pour se rendre compte alors que le calme est là effectivement, ici et maintenant. On peut dire encore que ce calme sous-tend toute chose (les mots, les pensées, les actes…). et toute agitation. Ensuite, ne serait-ce que quelques secondes, pouvons-nous goûter à ce calme, le reconnaître, en profiter ? Quand vous « l’avez », quand vous le repérez, quand vous le sentez, vous êtes présent. L’expérience pourrait être si douce que vous pourriez vous rappeler de la revivre souvent. Et à partir de ce calme en vous, ce sont des pensées inspirées qui jaillissent, incluant un élan véritable plein de joie pour une action, une expression, une décision. Précieux est le calme qui sous-tend toute chose, incluant le bruit et l’agitation, à l’extérieur comme dans notre tête. Alors, honorons-le !
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