L’évidence, vécue ou non
Il m’apparaît que la plupart des gens, y compris même dans les milieux « psycho-spirituels », ont encore bien du mal à faire réellement le lien entre ce qu’ils vivent au quotidien et ce qu’ils ont vécu en tant qu’enfants ou tout un conditionnement familial, voire transgénérationnel. Ce lien est pourtant très étroit et peut surtout être défait. En fait, il gagnerait toujours à être défait car un tel lien implique forcément une limitation, même si l’on peut longtemps ignorer cette dernière. Et c’est la conscience de la réalité qui contribue au dépassement, à la rupture des liens privateurs. Cette nouvelle chronique pourrait aussi nous montrer comment ou combien nous restons impactés par notre vieux conditionnement…
Pour favoriser une libération à la fois psychique, émotionnelle et spirituelle, nous pouvons nous arrêter sur n’importe lequel des éléments constitutifs de notre conditionnement (peur, croyance, réaction, besoins non considérés…), à condition que nous consentions à admettre la réalité (illusoire) de ce dernier. Nous allons explorer ici un phénomène qui peut s’imposer ou ne pas s’imposer à l’esprit, à tort ou à raison. Il s’agit de l’évidence des choses, de la réalité. Bien souvent, nous ignorons l’évidence, voire nous la dédaignons, ou nous la voyons là où elle n’est pas. Nous pourrions parler d’évidence négligée quand, par exemple, nous nous laissons tromper par les apparences ou quand nous tentons de fabriquer une réalité, aussi bien pour y réagir que par intérêt compensateur.
Quand nous envisageons tranquillement par exemple un voyage, une invitation, l’acquisition d’une chose, nous le faisons notamment avec joie, de l’enthousiasme, de la motivation et même de la gratitude, mais il y a en principe un autre ingrédient qui est alors si naturel que nous ne le relèverions pas spontanément. Il s’agit de cette « évidence » avec laquelle nous faisons bien des choses. N’est-ce pas l’évidence, par exemple, qui accompagne le petit enfant qui court dans les bras de sa mère, voire pour certains enfants dans les bras de qui leur sourit ? Or, il y a surtout l’évidence qui nous fait défaut, que nous ne vivons pas, dont nous n’avons pas l’expérience.
Pouvez-vous repérer ce qui est évident pour vous, d’une manière générale, et ce qui pourrait ne pas l’être ? Est-ce pour vous évident de suivre un élan, de demander une augmentation, de faire toute demande, de déclarer votre flamme, de faire part de vos émotions, de décliner une proposition, de changer d’avis ? Maintenant, ayez aussi à l’esprit les projets que vous avez menés à bien. Rappelez-vous ce qui vous a animé en termes de ressentis plaisants et de positionnement intérieur.
Enfin, s’agissant de ce que vous n’êtes pas parvenu à atteindre (pas encore), qu’en attendez-vous, qu’en attendriez-vous, qu’en auriez-vous attendu, en termes là aussi de ressentis plaisants ? Prenez le temps de reconnaître cela, de façon aussi fine que possible ! Vous pourrez préciser votre réponse et en percevoir l’intérêt en poursuivant votre lecture. Sachez aussi qu’une exploration tranquille pourrait vous faire découvrir des choses qui ne sont pas évoquées dans ce qui retient mon attention du moment.
Pour étayer mon propos, je ne trouve pas mieux que de vous parler de l’enfant que j’ai le mieux connu, parce que c’est sa propre histoire qui m’a inspiré. Est-il « évident » qu’elle va vous inspirer aussi ? En tout cas, gardez à l’esprit qu’il ne s’agit pas de s’apitoyer sur l’histoire de cet enfant. Personnellement, il ne m’a pas fait pitié, mais je peux aujourd’hui penser à lui avec la même affection que lui a manifesté son deuxième instituteur. Il existe des vécus bien pires que le sien, hélas, mais c’est le sien que je connais le mieux et il devrait pouvoir vous rappeler le vôtre d’une manière ou d’une autre, à un degré ou à un autre. Tous, tous, tous, nous n’avons vécu rien d’autre que ce que nous avions à vivre et c’est du bonheur auquel nous avons accès quand nous nous disposons à le considérer avec bienveillance et authenticité.
On m’a dit et expliqué combien cet enfant fut insupportable jusqu’à ses trois ans et demi, tant il braillait. On ne m’a pas dit pourquoi ni comment on était parvenu à le faire taire pour toujours (je l’ai compris). Non seulement il manquait d’attention, surtout maternelle, mais ses yeux pouvaient aussi lui faire mal. Il a développé un double glaucome très tôt, et j’ai appris que les traitements chirurgicaux disponibles à l’époque auraient pu et dû être appliqués. Cependant, cela n’a pas été fait. L’évidence ne fera pas partie de son programme.
À 6 ans et demi, l’institutrice, détestée dans tout le village, lui dit dès la première heure, juste après le départ de sa mère, qu’il n’a rien à faire dans son école et qu’elle ne s’occupera pas de lui, parce qu’il est malvoyant. Elle a tenu parole, pendant trois ans. Manifestement, comme en tant d’autres circonstances, ce qui aurait pu être évident ne l’a pas été. Ce qui peut fouler aux pieds l’évidence, c’est une indifférence généralisée et même la cruauté.
En fait, peut-on relever, toujours sans apitoiement, que l’évidence aurait pu faire intervenir bien des gens dans cette situation connue de tous (niée par personne), y compris des gens hors de sa famille ? OK, on vit ce que l’on a à vivre, je ne regrette absolument rien, mais ce qui seul nous intéresse ici est l’impact dans notre vie toute entière de la façon dont on est et se sent traité. En fait, c’est ainsi que l’on va se traiter soi-même. La mère de cet enfant qui restait apeuré, perclus de honte, replié sur lui-même, quasi autiste, lui déclare un midi : « Tu dois aller en internat, en pension, à cause de ta mauvaise vue, et tu y seras admis après les vacances de Noël ». À l’évidence, peu de mères et de familles auraient consenti à une telle décision, dans des conditions aussi expéditives.
La mère de l’enfant ne dirigeait pas son attention sur lui, ne le regardait pas, le lui a confirmé : « Tu comprends, quand je voyais tes yeux ! » (Honte, culpabilité ?) Ainsi, il n’a pas vécu l’évidence de la tendresse, de l’affection, d’être regardé, donc de regarder. Qui regarder si l’on n’est pas regardé ? Soit, il est devenu aveugle. Il y a des évidences qu’il n’envisagera donc pas ou il retiendra « l’évidence » que le meilleur n’est pas pour lui, que lui n’en a pas le droit… En revanche, ce qui est bien sûr tout à fait compréhensible, il ne s’est surtout pas arrêté sur l’évidence de la façon terrible dont il était traité en permanence, sur la déception qu’il endurait. Cette évidence crevait les yeux et pour lui, associé à bien d’autres facteurs, ça l’a réellement fait ! La déception, le « décevoir » = « le voir défait » (langue des oiseaux).
Or, si ce que nous avons à vivre peut être très éprouvant, il nous est aussi donné de pouvoir puiser dans des forces insoupçonnées, de rencontrer des anges sur notre chemin, d’être guidés et inspirés de façon prodigieuse. Et dans ma vie, j’ai réalisé ce qui ne semblait pas évident, mais que j’ai pu finir par envisager à partir d’une évidence pour moi infaillible. Ce fut toutefois dans les relations personnelles et dans l’accès à diverses visions que le « défaut d’évidence » se fera éprouver âprement. Un contraire principal du mot « évidence » est « obscurité » et un synonyme principal est « clarté ». Au moins pour votre serviteur, tout est dit ! Restez attentif à ce qui pourrait être dit pour vous-même !
• « L’évidence est la lumière qui éclaire le chemin de la connaissance » (Voltaire). Puisse donc l’évidence être vécue !
• « L’évidence est souvent dissimulée derrière le voile des apparences » (Jean de La Fontaine). Les histoires que l’on se raconte sont aussi de ces voiles !
• « L’évidence est comme un phare dans la nuit, elle guide notre chemin vers la vérité » (Inconnu). L’association « évidence / lumière » me touche.
• « L’évidence est souvent là, juste sous nos yeux, attendant d’être vue avec clarté » (Paulo Coelho). J’ai compris, il suffit de regarder, de regarder vraiment !
• « L’évidence est la clarté de l’esprit, la netteté de la vue intérieure, le dévoilement de la réalité » (Jean-Yves Leloup). Et voilà ce à quoi je m’emploie désormais concrètement !
• « La vue claire est le compagnon fidèle de l’évidence, guidant notre chemin vers la compréhension » (Confucius). Décidément, les aveugles ou les inconscients sont légion ! Je me sens moins seul !
L’évidence est une forme de clarté psychique qui dépasse la simple foi ou confiance. Quand on sait, on sait et l’on n’a plus besoin de s’en remettre au « croire ». Cette évidence-là peut donc être considérée comme une force intérieure de certitude et de clarté qui accueille les élans et guide les actions. Avec l’évidence reconnue, quand on n’est pas « aveugle », le doute et l’incertitude ne sont plus de mise. « C’est l’évidence même », dit-on, ce qui veut dire que « cela saute aux yeux », mais quelle est notre expérience de l’évidence ? Ne nous en faut-il pas parfois beaucoup pour qu’en effet, cela nous saute aux yeux ?
Savoir que vous avez été privé de l’évidence en tant qu’enfant vous permet de comprendre pourquoi vous vous maintenez dans le manque ou la limitation en tant qu’adulte. Un enfant qui n’est pas en situation de vivre « l’évidence » ne connaît au mieux que l’incohérence et peut donc être même inscrit dans la malveillance. Si cet enfant n’a pas droit à vivre l’évidence, dans l’évidence, répétons-le, il est embarqué dans le faux, dans le mensonge, dans l’aberration. Ainsi, l’absence de l’évidence dans les expériences fondatrices de notre enfance entraîne des conséquences profondes sur l’estime de nous-même et sur la manière dont nous menons notre vie à l’âge adulte. Nous la vivons aujourd’hui en reproduisant le passé, nous parcourons nos jours en répétant hier.
S’il n’est généralement pas donné à un enfant de vivre ce qui renvoie à l’évidence, à la vérité, à la clarté, donc à l’amour et l’intelligence, il devient (toute proportion gardée) un adulte qui doute, qui se fourvoie, avec la difficulté de suivre ses intuitions, de prendre des décisions et de s’adapter aux changements. Il peut rester à l’écart de certaines relations potentiellement fécondes ou se maintenir dans des relations déséquilibrées, rester dans des situations dangereuses ou abusives sans même chercher à s’en échapper. Il ne sait pas respecter et faire respecter ses limites, en éprouvant par ailleurs la limitation dans tous les domaines, en éprouvant ainsi la privation. Par ailleurs, il pourrait avoir beaucoup de mal à recevoir les bonnes intentions à son endroit et renforcer un auto-isolement.
Certes, d’une façon plutôt insolite, inhabituelle, j’ai à cœur de vous montrer ici combien ce que nous avons vécu et n’avons pas vécu en tant qu’enfants, contraire au bon sens ou à l’évidence, impacte notre existence dans tous les domaines. Il ne s’agit aucunement d’en déplorer le phénomène. Nous sommes dans le monde de la forme, lequel est mensonger ou illusoire par nature, et il ne peut en être autrement. Cependant, la conscientisation, la prise en compte de la réalité permet un éveil, des décharges émotionnelles salutaires, le dépassement de notre conditionnement si limitant ou préjudiciable. Nous ne sommes pas tenus de rester fidèles au passé, de cultiver nos vieux schémas privateurs.
Si vous ne parvenez décidément pas à réaliser un certain objectif, souvent sur le plan relationnel, si vous pouvez cependant identifier ce que vous ne vivez donc pas en termes « d’ambiance intérieure », sachez que c’est ce que vous n’avez pas non plus vécu en tant que bébé et enfant. Il peut s’agir notamment (et spécifiquement pour vous) de la présence, de la joie, de l’amour, de l’écoute ou de la tendresse, pour beaucoup de l’évidence. Il est bien sûr évident que tout enfant peut et devrait vivre tout cela, mais de fait, certains conditionnements impliquent le non-accès à tout ce que le bon sens et l’évidence pourraient lui donner. Et s’il y a ce que nous n’avons pas vécu, il reste surtout en nous les effets douloureux encore à libérer de la façon dont nous nous sommes sentis traités. « Revenons-en alors à notre ex-enfant ! »
Depuis moins d’un an et demi, au moment où j’écris ces lignes (12.05.2024), je me dispose à voir sans les yeux, pour en avoir alors découvert et immédiatement confirmé la réalité, la possibilité. Sans déprécier les heureuses expériences déjà faites, donc depuis le début, j’ai observé de plus près le fait que ma vision reste encore extrêmement limitée. Je précise, au passage, que je suis très habitué aux limitations (conditionnement oblige). Je me suis alors demandé quel « ingrédient » pourrait dans ce projet faire défaut et que je retrouve dans tous les projets que j’ai menés à bien. Bien sûr, je sais que ce projet-là est plus ambitieux ou plus exceptionnel, qu’il me demande notamment une introspection plus minutieuse.
Quand, par exemple, j’ai été prêt à quitter ma famille pour m’installer et travailler à Paris, quand j’ai décidé d’acquérir une maison avec un jardin, de travailler en relation d’aide, de m’initier à l’informatique, outre notamment que chaque élan me souriait, j’étais surtout avec l’évidence que ça allait le faire, que j’allais réussir. Je n’y croyais pas, je le savais ! Avec « voir sans les yeux », si je retrouve bien le sourire et l’ensemble des ingrédients des buts atteints, j’ai dû me rendre à l’évidence : je ne suis pas encore avec l’évidence que je vais aboutir.
Ensuite, j’ai vu que cette même évidence n’avait pas davantage accompagné d’autres élans d’importance, ceux qui impliquaient le cœur, la relation intime, et que je n’ai pu au mieux vivre qu’en partie, toujours très limitée. Alors, me suis-je demandé, qu’est-ce que je vis, que je revis là ? Dès lors que nous sommes éprouvés par quelque circonstance que ce soit, il s’agit toujours d’un revécu, d’un rappel, de quelque chose qui n’a donc pas encore été libéré, ni même considéré.
Encore un peu en tant qu’adolescent, mais surtout en tant qu’enfant, dès lors qu’il s’agissait de mes besoins essentiels, affectifs et parfois même matériels, je n’ai jamais rien pu vivre comme une évidence, faire l’expérience de l’évidence de leur assouvissement. Il devint immédiatement « évident » que l’on me laisserait auprès de cette institutrice « toxique » qui me faisait d’heure en heure vivre un enfer. On n’a pas eu à me refuser une loupe et une longue-vue, à moi qui n’avais que trois dixièmes d’un seul œil et qui aurait pu en tirer grand avantage, l’évidence qu’on me les procurerait n’étant pas de mes expériences. Je n’éprouvais l’évidence que de façon négative : il était évident que je ne vivrais et ne recevrais rien de bon, rien d’heureux.
Juste symboliquement, « voir sans les yeux », c’est désormais recevoir la loupe et la longue-vue dont je rêvais en silence avant de perdre la vue, avant de ne plus en avoir besoin. À plusieurs reprises, j’avais pu prendre dans les mains la loupe qui traînait sur le journal de mon grand-père et une seule fois me faire prêter pendant quelques secondes une paire de jumelles au bord du terrain de football du village. Je ne me rappelle pas avoir pensé à me faire procurer une simple loupe.
En relisant ce texte, il me revient soudainement qu’il m’est arrivé une fois de me dire que mon grand-père ou ma grand-mère pourrait se rendre compte de l’importance que représentait pour moi une loupe et m’en offrir une. Je n’ai jamais rien demandé à mes grands-parents, ni à personne d’autre. Par ailleurs, je me suis toujours rappelé combien j’avais été heureux, surtout émerveillé – ô combien –,en voyant de si près grâce aux jumelles les joueurs de foot, leur tenue colorée, avec l’impression d’être parmi eux. J’étais à mille lieues de l’évidence de pouvoir vivre et revivre cette expérience à loisir.
J’entends ce qu’une forme de sagesse pourrait me dire : « Tu te disposes à voir sans les yeux, bravo ! Le conditionnement de beaucoup d’autres ne leur donne pas accès à la motivation qui est la tienne. Ne parlons pas plus de ceux qui ont à composer avec des croyances limitantes. Toutefois, tu sais que personne ne peut aspirer à quelque chose d’essentiel, pour le réaliser, sans une certaine remise en question, sans alléger son conditionnement. Comprends maintenant que tu verras sans les yeux à condition notamment de reconnaître l’évidence qui te fait défaut, pour n’avoir connu que ce défaut durant toute ta prime jeunesse, de reconnaître comme jamais tes ressentis « déception » et « privation ». Ils sont en toi, ils ont besoin d’être accueillis, d’être déployés, libérés… ».
De façon bien compréhensible, la non-évidence du bien-être pour tout individu cause beaucoup de douleurs, de la solitude, de la frustration, du manque, du mécontentement, de la privation (selon blessure), met en place tout un conditionnement à vivre et donc à dépasser, mais quoi qu’il en soit, quoi qu’il en fût, le passé est passé. Qu’en est-il aujourd’hui, qu’en est-il maintenant ? Oui, qu’en est-il pour moi ? J’ai reconnu mieux que jamais la déception, le ressenti « déception » en moi, indépendamment de toute histoire passée ou actuelle ; j’ai ressenti la privation, le ressenti « privation » en moi, indépendamment de toute histoire passée ou actuelle. Oh, j’ai bien vu défilé des revécus « déception », « empêchements » et donc « privation », mais j’ai VU mieux, beaucoup mieux. Pour peu que l’on se dispose à voir, on voit !
Pour le dire sans détour, j’ai vu quand, comment et combien je me privais moi-même. Pour faire l’expérience de la privation, je n’ai plus eu besoin de personne. Savez-vous comment je fais pour ne pas voir, par exemple ? C’est très simple (je vous donne le truc), je ne regarde pas ! Et quand je regarde, parce que je finis bien par regarder de temps en temps (à vrai dire de plus en plus), je regarde avec l’idée sous-jacente qu’il n’est pas du tout évident que je vais voir. « Vérité » est un synonyme du mot « évidence ». Ainsi, j’ai dit que je regarde avec l’idée qu’il n’est pas vrai que je vais voir. C’est ma propre expérience tangible qui m’indique que je ne suis pas en train de jouer sur les mots. Là où l’évidence fait défaut, au mieux, le doute domine et le doute est toujours contreproductif.
Dans le passé, quand j’étais sur le point de vivre ce qui me tenait le plus à cœur, quand ce n’était pas une circonstance extérieure que je pouvais innocemment incriminer, je me débrouillais pour faire barrage ou je me sentais simplement bloqué. Je savais vouloir les choses, les espérer, mais je ne savais pas les accueillir, me laisser aller, en profiter, ni surtout les favoriser… Au fil des années et des décennies, j’ai pu heureusement faire mieux, beaucoup mieux, mais face à ce qui, désormais, bouleverse doucement toute mon existence, la « purification ultime » est requise. Il s’agit de la conscientisation libératrice à laquelle nous sommes tous conviés si nous aspirons à mieux, à beaucoup mieux dans notre propre existence. Et cela seul est une évidence, autrement dit la vérité.
Après ma prise de conscience autour de l’évidence que je ne sens pas, que je n’envisage pas, l’évidence de l’harmonie et de la prospérité, j’ai découvert que ce positionnement fâcheux impactait aussi certaines de mes interactions relationnelles, relativement ordinaires. Par exemple, récemment, j’ai invité un proche au restaurant, espérant lui faire plaisir, et j’ai réalisé tout à coup que j’étais d’accord avec l’a priori qu’il n’en témoignerait pas et que ce ne serait en rien pour moi l’occasion d’un bon moment. Or, cette fois-là, je l’ai vu, j’ai vu l’aberration dans laquelle j’étais inscrit et je me suis ouvert. J’ai passé une bonne soirée ! Je referai la même expérience quelques jours plus tard dans une circonstance analogue.
S’il est plus fécond d’envisager les choses sans attentes, il est pareillement heureux de ne pas le faire avec une attente contraire, voire parfois en s’attendant au pire. Par exemple, faire une demande en sachant de façon évidente qu’on essuiera un “non”, c’est s’assurer un échec. J’ai été parfois amusé quand des personnes qui bricolent chez moi me demandent : « T’as pas toi … (ceci ou cela) ? » Alors, pour m’amuser un peu, je réponds : « Si tu y tiens, non, je ne l’ai pas ». Puis je leur cherche l’outil ou je leur dis où le trouver. Je n’avais pas alors vu quand ou comment je fonctionnais comme eux, de façon peut-être plus insidieuse et surtout plus cruciale. J’ai fait des demandes et propositions, j’ai répondu à d’autres, à partir de l’évidence non remise en question que les retours ou effets allaient au mieux être très limités.
Si je me mets un peu plus à nu dans ce texte, si je l’ai même écrit en sachant qu’il favoriserait une intégration, je n’ai pas pour autant oublié le lecteur, ni son besoin ou intérêt. En fait, il s’agit que vous puissiez entendre qu’à l’évidence, vous n’êtes pas obligé de vivre beaucoup de ce que vous vous laissez vivre et, animé par la même évidence, que vous pourriez vous aussi vous disposer à mieux, à beaucoup mieux. Reconnaissez ce que vous envisagez comme n’étant pas évident pour vous, en sachant désormais qu’il s’agit seulement d’un gros mensonge auquel vous croyez. Sachez et rappelez-vous que ce que vous endurez ne prouve pas que ce que vous croyez est vrai. Ce que nous déplorons prouve la force créatrice de ce que nous croyons.
• Il est malencontreusement évident pour l’abandonné qu’il ne vivra rien d’heureux, que le meilleur est pour lui impossible.
• Il est malencontreusement évident pour le dévalorisé que les apparences prévalent, que le meilleur est pour lui interdit.
• Il est malencontreusement évident pour le maltraité que tout lui est dû, qu’il ne peut être traité que de façon injuste.
• Il est malencontreusement évident pour le rejeté que le choix d’autrui doit dépendre de lui, qu’il lui faudra toujours lutter pour avoir et maintenir sa place.
• Il est malencontreusement évident pour le trahi qu’il n’a droit à rien et qu’il lui faudra au mieux faire avec des miettes.
Si nous ne voyons pas que « le soleil brille aussi pour nous », à l’évidence, nous restons à distance du beau, du bon, du bien, mais par compensation, nous pouvons aussi envisager comme évident ce qui ne l’est pas, ce qui ne peut alors que nous maintenir dans la dysharmonie, dans des relations conflictuelles. Tous, proportion gardée, nous ne voyons pas l’évidence, toujours gratifiante, et, soit nous en imaginons une, soit nous renonçons ou nous résignons. Or, l’évidence peut ne pas toujours nous échapper, mais ce n’est pas pour autant garanti que nous en tenions le plus grand compte. Ne nous reprochons pas nos options dysfonctionnelles et réjouissons-nous plutôt de les reconnaître, notre libération en dépend.
Dans divers domaines, nous connaissons et vivons tous l’évidence, sans même nous en rendre compte, sans même nous y arrêter. Albert Einstein a dit : « L’évidence, c’est ce qu’on observe sans avoir besoin de penser ». Cependant, à l’évidence, nous fonctionnons souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, au dédain de l’évidence, donc de la vérité. Autrement dit, nous manquons de clarté, nous sommes aveugles. Dès lors que nous sommes dans la réaction, quand nous pensons de façon intempestive, nous nous exprimons et nous agissons en contradiction totale avec l’évidence. Cette réalité-là est une évidence. Est-elle de celles que nous pouvons reconnaître ? Considérons que vivre en harmonie implique d’accepter l’évidence plutôt que de lui résister.
Quand nous ne voyons pas l’évidence, nous pouvons être dans le déni. Quand, par exemple, nous nions la façon dont nous sommes ou nous sentons traités, la façon dont nous avons été traités, il y a une évidence que nous ne voulons surtout pas voir, à laquelle nous résistons. Selon Sigmund Freud, « le déni est un mécanisme de défense qui permet de rejeter une réalité évidente pour ne pas être submergé par elle ». Et Carl Jung a judicieusement enfoncé le clou : « Les gens feront n’importe quoi, aussi absurde que cela puisse paraître, pour éviter de faire face à leur propre âme » (l’âme étant porteuse de tout ce à quoi l’on résiste). Le déni est le refus de l’évidence. Alors, à quel degré tout cela nous concerne-t-il ? Nous sommes concernés, « évidemment » !
Quand nous sommes dans le déni, nous sommes dans l’obscurité, ces deux mots, déni et obscurité, étant proposés comme antonymes du mot « évidence ». Proportion gardée, nous restons dans l’ombre à continuer de nous vivre tels l’enfant en manque que nous avons été. Nous entretenons ce que nous déplorons, parce que nous continuons de penser de la même façon. Cette conscientisation possible n’a pas d’autre intérêt que de nous inviter à nous ouvrir à l’évidence, à la vérité, celle qui dit que le « meilleur » est à notre portée, tout de suite. Accordons-nous avec bienveillance le temps nécessaire à l’intégration de cette vérité. Nous pouvons bien nous accorder ce temps-là, en effet, après avoir consacré des décennies à consolider un positionnement contraire.
Lorsque nous avons à déplorer quoi que ce soit, pouvant s’agir aussi de ce que nous ne parvenons pas à réaliser, alors que nous nous disposons cependant à mieux, dirigeons prioritairement notre attention sur ce qui en nous en pense quoi que ce soit et l’éprouve. Consentons à rencontrer là le « moi séparé » et comprenons, du seul fait de sa domination, que nous ne pouvons pas vivre autre chose que ce que nous vivons. La prise de conscience de cette réalité marquera le début d’une nouvelle expérience et le chemin vers l’épanouissement.
Pour nous aider, identifions nettement les deux formes ou expressions du « moi séparé », à savoir le « moi pensant » et le « moi souffrant ». Le « moi souffrant » ou « moi émotionnel » peut se manifester sans penser grand-chose, mais le « moi pensant » cause du trouble et de la dysharmonie tôt ou tard. C’est en les sachant, en les considérant, en les « regardant » sans commentaires que nous faisons peu à peu place nette en faveur du « je conscience », de ce que nous sommes en essence. Nous nous y arrêterons davantage dès le mois prochain.
En conclusion, je vous propose de terminer pour vous-même la phrase suivante : « Il est vrai, il est évident que je peux … » ; Mettez-y, bien sûr, ce qu’ordinairement, vous ne seriez pas enclin à affirmer, ni même en silence. Voyez que vous hésitez, que vous osez peu, peut-être même que rien ne vous vient. Au passage, comprenez cette autre évidence, celle de ne pas vivre ce à quoi l’on ne se dispose pas, ce que l’on ne se permet pas, ce que l’on croit ne pas mériter, ce que l’on craint de ne pas vivre, ce dont on croit ne pas avoir le droit… Alors, juste un petit truc à tester, à explorer, imaginez-vous un moment être l’ami pour vous-même qui vous dirait ce qui suit :
« Robert (utilisez votre prénom), il est désormais grand temps que tu laisses tout le champ libre au plein épanouissement qui frappe à ta porte depuis toujours. Eckhart Tolle a dit : « Rien n’est arrivé dans le passé qui puisse t’empêcher d’être présent maintenant ». Être pleinement présent, c’est aussi se détacher des expériences passées limitantes, des conclusions adoptées et sans cesse renforcées. Tu es libre et tout ce à quoi ton cœur aspire, tu peux le vivre. Oui, tu le peux ! Aie à l’esprit cette intention que tu chéris et vas jusqu’à rendre grâce pour son accomplissement. Quand tu as été avec une intention caressée que tu as vu aboutir, tu étais dès le départ dans la joie, dans l’enthousiasme, dans la motivation et même, conscient ou non, dans la gratitude. Ta générosité alors manifestée disait cette gratitude mieux qu’un merci. Que l’amour soit ! »
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