Les vieux schémas ou le conditionnement
Peut-être sommes-nous de plus en plus nombreux à savoir que la circonstance qui nous éprouve, qui nous affecte dans le moment n’est pas en réalité la cause principale de l’épreuve émotionnelle, ni de nos réactions qui peuvent cependant être vives. Précisons que cette circonstance peut être physique, matérielle (santé, travail, argent, vie quotidienne…), mais aussi être une personne, un groupe de personnes, un gouvernement, un pays, n’importe qui, n’importe quoi. Il s’agit donc, dans le moment, de quelqu’un ou de quelque chose qui nous … (blesse : nous malmène, nous accable, nous néglige, nous offense, nous prive, nous contraint, nous empêche, nous repousse…), faisant qu’on éprouve ce qu’on éprouve et qu’on réagit comme on réagit.
Et c’est en effet seulement ce qu’il semble. Humaine ou matérielle, la circonstance ponctuelle incriminée révèle ou rappelle seulement nos vieux schémas conditionnés, lesquels expliquent le peu d’originalité dans nos vécus et revécus les plus déplorés. La circonstance peut en elle-même être nouvelle, mais la façon dont on l’éprouve ne l’est pas. Relevons quelques-uns de ces schémas puissants conditionnés ou de leurs effets, lesquels valent pour chacune des cinq blessures :
De façon aussi inconsciente que manifeste, on projette sur le monde (les gens et les circonstances) des convictions adoptées d’après notre conditionnement ;
En maintes occasions, on ne fait rien d’autre que se sentir traité comme on s’est toujours senti traité (juste du revécu renouvelé sans discontinué – projection ou reproduction) ;
Dans son existence, on n’endure rien d’autre que des situations qu’en définitive, on a toujours craintes d’une manière ou d’une autre (causant ainsi la reproduction) ;
On conserve intacte une culpabilité complètement irrationnelle, sans en être conscient ou sans s’y arrêter vraiment quand on le devient ;
On réagit (répond) aux épreuves toujours d’une même façon stérile et pourtant un peu comme si l’on y tenait plus que tout ;
On nourrit coûte que coûte l’attente de l’après qui ne s’est pourtant jamais montré satisfaisant (nous y revenons plus loin) ;
Toute l’attention étant généralement captée par les aspects contrariants, il en reste bien peu pour tout autre chose (comme pour permettre au douloureux de se dissiper) ;
En réalité, on résiste au bien-être autant qu’au mal-être, parfois même davantage ;
On vit les choses avec sérieux, avec gravité, avec la conviction non remise en cause qu’elles nous concernent, juste parce que nous nous prenons pour ce « quelqu’un » qui a vécu ceci, pensé cela, qui n’est finalement qu’un personnage d’une vieille histoire passée, une mémoire, un souvenir, un ensemble de données accumulées ;
Ultimement, on réalisera – ce qui n’est donc pas accompli – que n’existe ni ce quelqu’un, ni aucun autre, seuls existant des corps, des sensations, des émotions, des pensées, des symptômes ou effets divers…
Plus la culpabilité qui sommeille à l’ordinaire est absorbée (voir la chronique précédente) et moins tous ces schémas sont actifs ou virulents. Or, le fait de les reconnaître contribue aussi à leur propre absorption. Il est quasiment impossible de devenir conscient d’une tendance (donc dont on avait longtemps ignoré l’existence) ou de s’y voir subitement embarqué et de la voir maintenue au même degré. Voilà au passage un bel exemple qui illustre l’effet heureux de la perception pure accueillante. Je qualifie ainsi la perception qui se passe de tout jugement.
Par exemple, quand je me vois, me revois soudainement dans la précipitation (en me déplaçant, en faisant, voire en disant quoi que ce soit), cela s’apaise instantanément, même avec un sourire intérieur. La « honte », la « culpabilité » ou une sorte de moralisation n’est pas ici à l’œuvre, ce qui ne serait pas une perception pure accueillante. Je ne peux tout bonnement pas être dans la précipitation, m’en rendre compte (le percevoir) et y demeurer. De la même façon, en principe et en quelque sorte, vous ne pourriez pas voir une crotte de chien sur le trottoir et marcher dedans.
Pour prendre un autre exemple plus indiqué, vous pourriez avoir tendance à ne jamais remettre à leur place les objets que vous utilisez et avoir ainsi à les chercher longtemps pour l’utilisation suivante. Imaginez maintenant que vous repérez ou vous rappelez cette habitude au moment même où vous allez laisser « n’importe où » ces clefs, ce tournevis ou cette paire de ciseaux que vous venez d’utiliser et dont vous n’avez momentanément plus besoin. N’y a-t-il pas plus de chances pour que, cette fois-ci, vous la rangiez ? Or, si vous ne la rangez toujours pas, ce qui peut bien sûr encore arriver, peut-être serez-vous moins dans la réaction quand il vous faudra la chercher par la suite, juste parce que vous avez perçu et percevez le jeu qui se rejoue encore et encore.
Dans Le regard qui transforme, j’évoque ce genre d’habitudes comme étant des positionnements réactionnels faciles à transformer. Vous pourriez tester la chose en repérant des tendances ou habitudes qui ne font finalement pas votre affaire. Parfois, la tendance à la procrastination (le fait de remettre à plus tard) peut être atténuée de cette façon. Cependant, testez-le avec ce qui vous est le plus accessible ! Ensuite, on peut l’appliquer à des choses bien plus enracinées encore et comme à ce que j’appelle « les attitudes réactionnelles » (se plaindre, baisser les bras, ronger son os…).
Tendances, habitudes, attitudes ou positionnements réactionnels, ces divers schémas psychologiques sont somme toute assez faciles à débusquer et à considérer. Les relâcher peut être une autre paire de manches. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en conservant notre vieille culpabilité, nous ne pouvons pas de façon durable nous comporter autrement que nous le faisons. Or, nous sommes pris (conditionnés) par d’autres phénomènes sur lesquels il semble bien moins aisé de s’arrêter. Voyez si l’un des cas de figure ci-après vous parle. Voyez peut-être celui qui vous parle le plus.
Si vous vous savez être souvent dans la non-acceptation, cela ne vous aide pas nécessairement en ne considérant que ceci ou que cela que vous n’acceptez pas. Ce peut être un premier pas, mais vous en ferez un de plus en percevant simplement que vous n’acceptez pas, indépendamment de l’objet pris en exemple. Que cette chose-ci ou cette chose-là ne soit pas acceptée n’est pas si important. Ce qui l’est, c’est la non-acceptation elle-même. Elle trouve et trouvera bien des objets sur lesquels se plaquer.
Si vous avez repéré votre tendance à souvent comparer les choses, ce que vous vivez par rapport à d’autres, par rapport au passé, à vos attentes, à ce qu’on pourrait penser de vous, etc., percevez mieux encore cette seule tendance et, en quelque sorte, oubliez les exemples qui vous la montrent. Ne la jugez pas, ne vous jugez pas ; simplement, voyez, percevez ! Par ailleurs, la tendance à comparer illustre magnifiquement l’implication compulsionnelle du mental dans nos diverses interactions. Cela aussi est juste à percevoir.
Si vous vous savez manquer d’écoute, vous risquez fort là encore de maintenir votre attention sur ceci ou cela que vous n’écoutez pas. Or, il y a surtout que vous n’êtes pas à l’écoute et c’est ce qui peut être intéressant de considérer d’un peu plus près. Et ne pas le faire, c’est finalement continuer de ne pas être à l’écoute, même si vous vous employez enfin de faire cas d’une chose ou d’une autre (de l’écouter). Il s’agit moins de traiter une chose en particulier que de percevoir directement la tendance elle-même.
Si vous savez (mais le sait-on vraiment quand nous sommes concernés) que vous êtes constamment dans ce que j’appelle « l’attente de l’après », voyez-le plus globalement encore. Bien sûr, cette attente est là quand vous faites quelque chose qui vous coûte, vivez quelque chose qui ne vous convient pas et souvent même quand il s’agit de quelque chose que vous pouvez apprécier à bien des égards. Donc, en vivant la chose, quoi que ce soit, vous êtes déjà dans l’après, pensez à l’après, à cet après où vous allez faire ceci, vous permettre cela et, bien sûr, en être « très certainement » tout à fait content, croyez-vous !
Et les exemples auxquels vous pourriez penser ne sont pas en cause. Ce qui l’est, c’est la tendance elle-même à vivre dans l’après, ce faisant à ne pas être présent. Vous pouvez remarquer que ce fameux après attendu de la sorte n’est en réalité jamais satisfaisant, jamais de la façon dont il a été attendu. Il y a alors une forme de déception, tout autre malaise et bientôt l’attente du prochain après, d’un autre après.
Sous une autre forme, « l’après » attendu peut se cacher derrière le désir, l’envie, l’espoir, l’exigence (quelque façon de vouloir). On veut ceci ou cela pour en fait, après, être … (libre, dans l’amour, heureux…) et cela marche-t-il vraiment ? S’est-on jamais durablement senti comblé en finissant par obtenir ce qu’on avait voulu de cette manière ? L’expérience heureuse qui semble accompagnée une condition extérieure (relation, réussite, acquisition…) ne provient pas de celle-ci, mais de nous-mêmes, de notre disposition alors plus favorable. Cette disposition favorable est ce qui reste en l’absence du « je pensant ».
Nous pouvons donc « apprendre » à nous donner directement ce que nous attendons de tel ou tel résultat, de telle ou telle réalisation. Et nous le donner directement attire aussi des circonstances extérieures correspondantes, cette fois sans même avoir été attendues. Quand vous vous êtes permis de reconnaître comment vous voulez vous sentir grâce à telle acquisition, tel accomplissement, il s’agit de le ressentir déjà. Si c’est la liberté que vous recherchez, sentez-vous libre tout de suite. Se donner la liberté, par exemple, c’est percevoir qu’elle est déjà là.
Si vous déplorez en conscience tant de choses que vous vivez, pouvez-vous observer que vous continuez (généralement) de faire ce que vous avez toujours fait (et qui ne vous apporte rien de bon) et de ne « jamais » faire ce qui pourrait vous être si utile ? Par exemple, on ne décide pas, on ne prend, ne reprend pas la main et l’on subit les choses sans même s’en rendre compte. Prendre la main est dynamisant. L’inverse empêche toute motivation. Il s’agit de prendre possession de son pouvoir, de voir qu’on l’avait abandonné, qu’on attendait que les choses arrivent toutes seules (notamment du fait de ses largesses ou de sa permissivité). « Reprendre son pouvoir », chose incroyable, c’est cesser de croire à tout pouvoir personnel, parce qu’ainsi seulement, le meilleur peut être et advenir.
Attendre confusément que les choses nous soient accordées (incluant la guérison) représente une sorte de piège. Les résultats découlent de la responsabilité que nous assumons ou, pour le dire autrement, de ce que nous « semons ». Et ici encore, il s’agit de sentir, par exemple, si l’on prend la main ou non, et non pas de juste considérer avec intérêt l’invitation à prendre la main. Ce serait en faire une croyance, quelque chose de mental. En réalité, il n’y a rien à faire, rien à changer, rien à vouloir changer. Il y a seulement que là où il y a perception, l’instant présent est vécu différemment. Ce qui se passe ensuite varie d’une personne à l’autre, d’une circonstance à l’autre…
Au bout du compte, reconnaissons simplement que des vieux schémas, des vieux fonctionnements conditionnés nous dominent, s’imposent. Acceptons de les reconnaître, de les considérer, juste pour comprendre mieux ce qui nous arrive et surtout nous comprendre mieux nous-mêmes, autrement dit ne pas nous juger. Longtemps, soit on résiste à voir les choses, soit on se juge en les voyant. Dans un cas comme dans l’autre, nous restons « mal », effet seul de la non-perception pure et directe, du non-accueil, de la résistance.
Arrivé en ce monde, on a reçu un certain nom et un certain prénom. On n’aurait pu en recevoir d’autres. On a reçu ensuite une éducation, des conditionnements, des travers, des aptitudes et tout le reste. On aurait pu en recevoir d’autres. Or, observons que nous nous prenons « exclusivement » pour ce que nous avons reçu sans la conscience que nous ne sommes pas cela. Il y a ce qui est reçu et il y a ce qui reçoit. D’ailleurs, diverses circonstances conduisent des gens (enfants d’abord) à recevoir un autre nom, un autre prénom, une autre langue, une autre éducation, à changer de milieu, d’école, de profession, etc. Ce qui est reçu change, peut changer, change en fait tout le temps, mais ce qui reçoit demeure. Nous sommes cela.
Alors, pourquoi nous préoccuper encore de ce que nous ne sommes pas, de ce qui ne dure pas ? Pourquoi se soucier tant de « l’éphémère » quand ce que nous sommes contient le tout, quand il demeure quoi qu’il en soi, quoi qu’il y soit contenu, quand il est parfait ? Seules les apparences nous intéressent, le plus souvent pour en souffrir, et la profondeur, si belle et si douce, est négligée, méconnue, parfois niée. La valeur d’une maison n’est pas dans son papier peint, qu’il nous plaise ou non. « Nous sommes la maison, entrons-y désormais ! »
Très bon; parfois un peu trop “littéraire”, long et déroutant, mais l’usage d’exemples simples et frappants remettent sur la voie. Simple et toujours plus fort.
Oui, je vis tout ce qui est dit. Et se regarder n’est pas facile. Il faut de l’honnêteté et une extrême vigilance. Au moins au début. Et même cela est conditionné et intellectualisé. Mais, en persévérant, le bénéfice est rapide et relativement durable. De toutes les façons la vie se charge d’ envoyer très vite une nouvelle carte d’invitation pour voir où on en est vraiment. Quand une situation me fait réagir selon mes vieux schémas, me met mal à l’aise, je le vois de plus en plus vite. Je me dis : “ce n’est pas ce que tu es et je regarde”. Cela me fait sourire de plus en plus mais je rechute quand même. Et je me dis encore :”sois présente et tu sais comment en sortir par le haut…”, s’il y a un haut. On me comprendra. Et dans les situations relationnelles dysfonctionnelles, j’essaie là aussi d’être honnête, d’en prendre ma part, en reconnaissant la place prise par mes vieux schémas. Selon votre typologie je serai une abandonnique rejetée avec tendance permanente à me mettre en concurrence. Et c’est un fléau jusqu’au jour où c’est décodé. C’est toujours là mais bien plus paisible. Et je le dis quand c’est possible aux personnes avec lesquelles je me mets en concurrence. Cela a l’air de surprendre et ça soulage tout le monde. On est des êtres… qui sont humains. C’est à accepter, à défaut à accueillir. Merci pour votre blog que je viens de découvrir grâce à celui de Thierry Delattre dont je suis une fidèle depuis longtemps.