Les pensées qui font mal
Le mental est parfois mentionné comme une sorte de piège dans lequel nous sommes enfermés, ce dont nous ne sommes évidemment pas conscients. « Être piégé dans le mental » veut simplement dire « être soumis aux pensées qui surgissent », « en être la proie ». Être piégé n’est certainement pas agréable ! Par ailleurs, le mental est aussi présenté comme un outil très pratique qui permet de réaliser beaucoup de choses en oubliant que la source ou l’inspiration est toujours d’une autre nature. Des physiciens et autres scientifiques ont confié que leurs découvertes ou compréhensions se sont faites jour alors que leur mental était au repos, lors d’une promenade dans la nature, après une nuit de sommeil ou après une méditation. Peintres, poètes, musiciens, tous les artistes connaissent fort bien ce phénomène.
Ce premier paragraphe peut sembler et rester abstrait, bien loin de nos préoccupations ordinaires, quoique mental et préoccupations soient étroitement liés. Alors, considérons directement les pensées, celles qui s’imposent à nous. On peut lire ici ou là qu’environ 75000 pensées traversent quotidiennement notre esprit. Étant généralement toujours les mêmes, elles n’ont donc rien d’original et elles sont dans l’ensemble tout à fait inutiles. Est-ce difficile d’admettre surtout qu’il y a des pensées qui nous font mal ? Et puisqu’il en est ainsi, arrêtons-nous aujourd’hui sur cette réalité, juste pour « voir », juste pour percevoir un peu plus au lieu de penser encore. Eh oui, soit on pense, soit on perçoit, mais on pense bien plus que l’on perçoit. Que sont donc ces pensées qui nous font vraiment du mal, qui nous mettent si mal ?
Des pensées auto-culpabilisatrices : c’est de ma faute ; je suis coupable, indigne ; je n’aurais pas dû ; qu’est-ce que j’ai fait là, qu’est-ce que j’ai dit là ? je suis nul, mauvais, incapable, stupide, méchant, « pas sympa », horrible, inintéressant, inutile, insignifiant, illégitime, dérangeant… ; je ne comprends jamais rien ; j’exagère ; je ne fais rien de bien…
Des pensées empreintes de peur : je n’y arriverai pas ; ça ne marchera pas ; je vais me faire avoir ; il faudra que je me batte ; je devrai me débrouiller seul ; on va se moquer de moi ; ils ne voudront pas ; je ne m’en sortirai pas ; je vais être malade (encore plus malade) ; ce sera dur ; ça n’annonce rien de bon !…
Des pensées qui accusent autrui (des jugements) : les gens sont stupides, mal intentionnés, dangereux, indignes de confiance ; ils sont ingrats ; ce sont tous des profiteurs, des égoïstes, des hypocrites ; qu’est-ce qu’il est négligé ! comme elle est laide, grosse ! c’est un fainéant, une dévergondée…
Des pensées comparatives (renvoyant aussi aux précédentes) : les autres ont plus de chance que moi ; j’étais plus belle avant ; ce n’est pas aussi bien que… ; je suis plus intelligent ; ils sont plus doués que moi ; je suis le plus incapable ; tout lui réussit à elle (couple, carrière, maison…)…
Des pensées sur la vie : la vie est trop courte ; la vie ne mérite pas d’être vécue ; il y a toujours des problèmes, rien que des problèmes ; rien ne sert à rien ; l’injustice est partout ; si Dieu existait…
Avec ces exemples, vous pourriez peut-être repérer des pensées plus familières. Reconnaissez certaines de vos propres pensées spécifiques à ces catégories importantes ou à d’autres. Alors, à quoi servent toutes ces pensées ? Nous l’avons dit, elles n’ont aucune utilité. Elles produisent en revanche deux effets absolument déplorables. Chacune de ces pensées fait se sentir mal (généralement soi-même, parfois d’autres) et elles entretiennent ou attirent de quoi pouvoir les confirmer, les répéter inlassablement.
N’est-ce pas intéressant de juste considérer que nous sommes quotidiennement visités, voire envahis, par des pensées qui font du mal et qui perpétuent précisément la chose même qu’elles déplorent ? La simple pensée « je n’y arriverai pas », par exemple, à la fois produit de l’insatisfaction et empêche ou retarde, complique la réussite. Soyez sûr que la pensée « je n’ai jamais de chance » n’est pas de nature à attirer les bonnes fortunes ! (euphémisme)…
Toutes ces pensées impliquent de l’hostilité. Tenir à leur accorder du crédit signifierait « favoriser l’hostilité en soi ». Le phénomène est si répandu, si profondément enraciné en nous, que nous ne faisons ordinairement pas le lien entre cette hostilité existante et un certain mal de vivre ou de l’insatisfaction dans n’importe quel domaine de notre vie. On ne peut pas conserver de l’hostilité (ne serait-ce qu’envers soi-même) et se sentir épanoui. Vouloir être comblé, épanoui, tout en demeurant hostile, serait comme vouloir qu’il fasse à la fois jour et nuit. Quoi qu’il en soit, qu’on le veuille ou non, ces pensées apparaissent en la conscience, mais il est toutefois possible de cesser d’y croire ou de les prendre si sérieusement ; il est même possible de s’en amuser.
D’ailleurs, déplorer ces pensées, tout comme les revendiquer ou les justifier, donc les juger mauvaises ou pertinentes, c’est encore penser. C’est rester pris dans la danse des pensées. L’invitation est de percevoir les pensées… sans rien en penser, de percevoir leur tourbillon, même de sourire intérieurement aux pensées qui jaillissent. Car c’est bien ce qui se passe : les pensées apparaissent sans que nous les ayons décidées. Vous ne savez pas ce que seront vos prochaines pensées. Moi non plus.
Par contre, je sais au moins que je peux me disposer à ne pas me laisser embarquer dans mes propres pensées. Et quand cela arrive tout de même à nouveau (ce qui ne manque pas), je peux le voir, je finis par le voir, et sans jugements. Comme je peux m’amuser des pensées, je peux aussi m’amuser du fait de m’y laisser embarquer si facilement. Tel un toutou qui trouve un os et ne le lâche plus, nous nous emparons d’une pensée qui se présente pour rester pris un long moment !
Lors des réactivations émotionnelles occasionnées par telle ou telle circonstance (une contrariété, un conflit relationnel, etc.), les pensées arrivent bien sûr en cascades. Remarquez que ce sont alors des jugements, des conclusions, des certitudes, des explications, des justifications, des preuves… Ces pensées peuvent soulager momentanément, mais elles finissent surtout par empirer le malaise. En règle générale, on se donne de quoi confirmer ce qu’on pense, soit en s’attirant les circonstances adéquates, soit en interprétant toute chose à partir de son point de vue conditionné et étriqué. Le conditionnement est produit notamment par ce qui est enduré en tout début de vie. Nous y revenons brièvement un peu plus loin.
Imaginez l’une de ces situations apparentes ou réelles où l’autre n’a pas tenu sa promesse, où il vous a fait une demande incongrue (au travail par exemple), où il vous a menti, où il a porté contre vous une accusation, où il vous a oublié, n’a pas tenu compte de vous, où il vous a mis dans une situation embarrassante, etc. L’une ou l’autre de ces circonstances peut en effet vous remuer émotionnellement et faire jaillir bien des pensées. Dans certains cas, on peut être prompt à les faire partager, à faire savoir ce que l’on pense : « Je vais lui répondre. Je vais lui dire ses quatre vérités, lui dire de quel bois je me chauffe. ».
Comme évoqué à l’instant, la seule existence du genre de pensées en cause ruine l’humeur. Une pensée négative fait se sentir mal. Plus on pense ainsi et plus on souffre. On ne s’en rend pas compte, bien sûr, ou on l’oublie très vite. Maintenant, quant à la hâte mise à vouloir faire connaître ce qu’on pense (quand c’est le cas), on pourrait certainement s’épargner des déconvenues en prenant le temps de vérifier ce qu’est en l’occurrence son intention véritable. Y en a-t-il une ? Nous pouvons culpabiliser après avoir dit certaines choses, mais nous ne nous arrêtons jamais sur ce qui nous a « motivés ».
Par exemple, quand vous dites ou voulez dire ceci, cela à telle ou telle personne avec qui vous êtes en conflit, qu’en attendez-vous, qu’en espérez-vous ? Il y a sans doute une réponse à ce genre de questions, mais observez que vous n’en êtes même pas conscient d’emblée. En devenant pourtant conscient de l’attente que vous pouvez avoir en exprimant l’une ou l’autre de ces pensées, vous allez aussi pouvoir vous rendre compte que vous n’obtiendrez jamais la moindre satisfaction de cette manière.
Dans certains cas par exemple, en vous exprimant, vous pouvez vouloir avoir raison, vouloir le manifester « clairement » et, bien sûr, que cela soit reconnu ! L’autre que vous venez d’accuser, à travers vos bonnes raisons, par vos pensées réactionnelles, vous a-t-il jamais dit que vous aviez raison ? Ce serait plutôt rare. Avec un peu de chance, vous tombez sur quelqu’un de suffisamment ouvert pour ne pas chercher à entretenir le conflit. Cela aussi est plutôt exceptionnel, mais vous pouvez devenir l’une de ces personnes ouvertes ! Précisons qu’avoir raison permet seulement au mieux un soulagement éphémère et illusoire. Donner raison (quand c’est approprié) peut résoudre un conflit, avoir raison jamais !
Prenons encore un exemple. En tenant parfois à vous exprimer, vous pourriez crument dire à l’autre sa conduite qui vous laisse désemparé, avec un sentiment d’humiliation ou l’impression de ne pas avoir de place. Votre intention pourrait être de changer tout ça. Cela ne se fera certainement pas quand l’autre aura reçu le paquet de vos pensées, de vos jugements et autres accusations. Si l’intention est simplement de vous défouler, le résultat ne sera pas plus heureux en ce sens qu’il vous faut vous défouler sans cesse. Et pour se défouler, il faut s’attirer de quoi pouvoir le faire. C’est un cercle vicieux, infernal.
Chaque circonstance qui intensifie le mal de vivre ou cause un inconfort moral peut en fait permettre le rappel d’un vécu douloureux éprouvé dans sa prime enfance. Enfin reconnu comme tel, il finira par être absorbé, libéré. En attendant, s’il y a d’une part ce revécu douloureux, il y a surtout, d’autre part, le flot des pensées qui ne font que l’entretenir. C’est ici la peur qui s’exprime. On a peur de revivre ce qu’on a enduré jadis sans se rendre compte que c’est déjà éprouvé dans l’instant et que cela demande seulement d’être enfin reconnu, accueilli… et sans pensées cette fois. Remarquez bien l’implication des deux phénomènes : une circonstance qui rappelle une vieille douleur et un même paquet de pensées qui empêchent de juste s’arrêter avec cette douleur, de la percevoir purement et simplement… La perception pure est absorbante, libératrice.
Ce n’est pas par hasard que j’ai donné comme premier exemple les « pensées auto-accusatrices ». Toutes les autres en dépendent. Cela fera l’objet d’une prochaine chronique. Pour l’instant, la proposition du jour est simplement de « s’amuser » à percevoir le déferlement des pensées et la tendance à s’y laisser embarquer, à leur accorder beaucoup de Crédit, à s’y complaire. Il y a en effet deux points importants : 1) le seul fait de penser, l’apparition incessante des pensées et 2) le crédit qu’on leur accorde, crédit généralement plus fort que celui réservé à une parole de sagesse.
La plupart du temps, nous nous positionnons intérieurement comme si nos pensées étaient de grande valeur, des plus pertinentes, y compris ou d’autant plus quand ces pensées sont hostiles (envers soi-même et/ou autrui). En tant que telles, cependant, les pensées ne sont pas un problème. Le « problème » est justement dans la foi que nous accordons à nos pensées, comme parfois à celles d’autrui. D’ailleurs, que savons-nous vraiment de ces dernières ? Il peut nous arriver de prendre une pensée d’autrui de façon très sérieuse alors qu’elle n’a été émise que de façon réactionnelle et donc opportune. Par exemple, une parole réactionnelle est depuis longtemps oubliée par son émetteur quand un récepteur continue lui d’y penser encore et encore.
Alors, arrivé à la fin de cette chronique, allez-vous vous mettre à en penser ceci, cela, ou vous rendez-vous simplement compte du déferlement des pensées, d’un côté, et, de l’autre, de votre tendance (éventuelle) à leur accorder un crédit indéfectible ? Dans le second cas, momentanément, vous cesseriez de penser et vous observeriez. Il semble que nos pensées aient le pouvoir de nous affecter, mais c’est en les observant tout simplement que, si l’on peut dire, nous nous réapproprions notre pouvoir. Ne laissez pas vos pensées décider pour vous ! Une pensée dictée par son propre conditionnement ne peut jamais être considérée comme absolument vraie. En fait, elle est absolument fausse, ne serait-ce que parce qu’elle renvoie au passé et non pas à ce qui se trouve ici et maintenant.
Quand vous vivez, revivez une contrariété, percevez que des pensées étaient apparues et que vous êtes juste une fois de plus dans la soumission à ce qu’elles proclament. Vous y croyez complètement. Si juste percevoir les pensées (sans rien en penser) ne semble pas vous aider suffisamment, testez encore cette dernière proposition : « OK, je pense ceci, il y a cette pensée, mais si je peux avoir une idée de ce qui s’est passé jusque-là, que sais-je de ce qui va se passer désormais ? Que sais-je du comportement futur de telle ou telle personne ? En réalité, je ne sais rien. Je prétends savoir, mais je ne sais pas… ». Reconnaître qu’on ne sait pas, qu’en vérité, on ne sait pas, quand on avait cru savoir, et s’en trouver bien, c’est l’ouverture à l’harmonie et la porte ouverte aux expériences nouvelles.
Merci. Cet article est fortement en résonnance avec ce que j’explore depuis des années et que je publie sur https://vivamimi.wordpress.com/. Je vais faire circuler ce texte. Oui, nous avons tous bien besoin de nous libérer du diktat de nos pensées et des tourments qu’elles nous imposent.