Les pensées affectionnées
Dans ce présent texte, j’aborde une façon différente (possible et simple) de vivre ses pensées et/ou croyances. Le texte semblera sans doute insignifiant si l’on ignore que les pensées sont à la base des conflits, de l’adversité sous toutes ses formes et du mal de vivre en général. Pour souffrir, il faut penser ! On peut l’ignorer, en effet, mais le savoir reste souvent ou longtemps insuffisant pour contribuer à une transformation heureuse de ce « travers » insoupçonné. Il y a des pensées incessantes et un attachement profond et fidèle à celles-ci, autant dire une dépendance. Rien d’étonnant à cela, on a toujours fonctionné à partir de sa tête, de ses pensées, et l’abandon d’une habitude se fait rarement du jour au lendemain. Demeurons patients et bienveillants !
Voici une chose sur laquelle tout le monde devrait pouvoir être d’accord : en général, nous avons tous un point de vue bien tranché sur nombre des circonstances auxquelles nous sommes directement confrontés, dont nous sommes témoins ou dont nous entendons parler. Concernant l’une ou l’autre de ces circonstances, nous pensons ceci ou cela et l’on peut même ajouter que nous sommes sûrs d’avoir raison. N’est-ce pas le cas ? Nous pensons tant de choses à propos de tant d’événements, de situations et même de détails ! Le vérifiez-vous, le confirmez-vous ?
Aujourd’hui, je ne veux pas m’arrêter sur ce que signifie ou implique en réalité « avoir raison », ni même sur le fait qu’avoir raison, éventuellement, n’améliore en rien notre expérience et nos conditions de vie quand ces dernières se révèlent plus ou moins insatisfaisantes. On pourrait y revenir dans une chronique ultérieure (d’autant plus s’il y a demandes, des questions). Je peux nourrir un point de vue apparemment positif ou apparemment négatif, ce n’est pas par ce biais que survient une paix durable, ni que j’ai accès à l’inspiration. Mais pour une fois, laissons donc cela de côté et questionnons-nous comme suit :
« Et si cette pensée que j’ai, ce point de vue auquel je tiens tant n’était pas la vérité ultime ? Ou, mieux encore, si mon opinion n’avait ni plus ni moins de valeur que bien d’autres que je rejette ou auxquelles je n’adhérerai jamais ? Et si je me permettais de penser ce que je pense sans considérer qu’autrui devrait penser comme moi ? Telle ou telle pensée que je considère comme une opinion pure, ne serait-ce pas davantage une justification ? Est-ce que je fais la différence ? Quant à cette dernière pensée qui vient éventuellement de surgir (il en surgit sans cesse), si elle n’était qu’une possibilité parmi tant d’autres ? »
Simplement, quoi qu’il en soit, ne serait-ce qu’un bref moment ou de temps en temps, sommes-nous capables d’envisager cette idée-là, juste de l’évoquer et de l’envisager ? Oui, nous en sommes capables. Oui, nous pouvons ici et maintenant nous arrêter une seconde sur cette possibilité. Remarquez que cette invitation ne suggère pas de modifier ses points de vue, ne les remets même pas en question. L’invitation touche uniquement ce que nous faisons de nos points de vue, la façon dont nous les vivons. Manifestement, on peut penser tout ce que l’on veut. Qui s’en prive ?
On pense même des choses à propos de ce que l’on pense et c’est juste cela que j’aime approcher différemment dans l’instant : « Que se passe-t-il si je me permets de penser ce que je pense, sans rien en penser de plus ou en acceptant que d’autres puissent penser différemment sans que cela les « condamne », ni leur retire de la valeur ? » Au bout du compte, les pensées ne sont que des pensées, qu’il s’agisse des nôtres ou de celles d’autrui. Notamment parce qu’elles se modifient souvent avec le temps et se modifieront encore, pourquoi leur accorder tant d’importance et en faire toute une histoire ?
Si vous testez cette suggestion, une fois ou l’autre, si vous la testez vraiment, vous pourriez observer (comme moi) qu’elle « produit une ouverture », « libère quelque chose », « offre une disponibilité », émousse l’impression de séparation… Chacune, chacun trouvera ses propres mots pour évoquer l’expérience nouvelle ainsi permise. D’ailleurs, il est mieux de faire soi-même cette expérience plutôt que d’en lire le récit d’un autre. La proposition pourrait être plus simple qu’il n’y paraît : permettre toutes les pensées, donc ne pas chercher à les faire taire, mais tester la possibilité de ne rien en faire, ni les juger, ni les comparer, ni les déplorer, ni les imposer…
Maintenant, si vous résistez à appliquer la proposition aux circonstances extérieures et aux conflits relationnels, vous pouvez encore l’explorer à partir de ce que vous pensez à votre propre sujet, d’autant plus si ce que vous pensez est négatif, parfois même terrible. Voyez ce qui se passe alors ! En effet, il pourrait vous arriver de surprendre telle ou telle pensée (vous passant dans la tête) à propos de vous-même. Qu’en faites-vous ? Remarquez-le ! Et si, désormais, vous cessiez d’en faire quoi que ce soit ? Les pensées qui tourbillonnent sont rarement nouvelles, rarement inspirées. Elles sont généralement dictées par un vieux conditionnement et souvent appelées « croyances »…
Arrêtons-nous un instant sur le thème « croyances » qui occupe une place de choix dans les milieux « psycho-spirituels » ! Nombre de croyances maintiennent et même alimentent ce que nous pouvons appeler le mal de vivre ou la condition humaine si difficile. Si je vous dis qu’une solution existe, quel que soit le problème que vous endurez, vous pouvez me rétorquer que c’est encore une croyance, optimiste celle-là ! Ce faisant, il se peut justement que vous n’y croyiez pas, que vous croyiez le contraire. Voilà une croyance pessimiste !
En réalité, en considérant la majorité des gens qui me consultent, même s’ils peuvent tous découvrir certaines de leurs propres croyances limitatives et contraires à leur épanouissement, j’observe qu’il y a bien PLUS que les croyances pour expliquer que leur existence ne correspond pas à leurs préférences et aspirations. D’ailleurs, le mieux-être qui peut se manifester rapidement pour eux est dû davantage à ce « plus » qu’à l’humble reconnaissance de leurs croyances. Il y a en effet tout ce que l’on croit, à tort et à son détriment, et il y a surtout ce que l’on ne sait pas, ce que l’on ignore.
Quand j’énonce certaines choses en consultation, comme en conférence il y a quelques années, divers feedbacks révèlent clairement la différence de ces deux phénomènes (croyance et ignorance). Certains argumentent avec des « oui mais » sempiternels et nous avons alors à composer avec nombre de croyances qui ne présentent généralement aucun mystère. Nos croyances sont dictées par notre conditionnement – disons notre blessure principale. Et d’autres expriment leur joie, leur émerveillement, parce qu’ils viennent « d’apprendre » ce qu’ils avaient ignoré jusque-là ou de voir formuler directement ce qu’ils pressentaient sans jamais avoir été amenés à l’envisager clairement.
Alors, que ne savaient-ils pas ? (Et que n’avons-nous peut-être pas encore intégré de ce que nous avons été si longtemps à méconnaître ?) Ils ne savaient pas, qui que l’aide véritable est toujours possible, qui que le plaisir véritable est vraiment à sa portée, qui que l’amour l’attend, qui que sa vraie demande peut être entendue, qui que sa place existe ici et maintenant. Ils ne savaient pas qu’ils se vivaient comme ce qu’ils n’étaient pas, qu’ils étaient positionnés (depuis toujours) comme s’ils avaient des comptes à rendre, comme s’ils devaient faire bonne figure, comme s’ils devaient s’excuser d’exister, comme s’ils allaient toujours et nécessairement avoir des problèmes, comme s’ils devaient vivre chichement, comme si le monde leur en voulait, comme s’ils leur fallait mener la même vie que leurs parents…
Ils n’avaient pas cru en cela, mais ils n’avaient jamais rien vécu d’autre et ne s’étaient jamais attendus à rien d’autre. Ils y avaient si peu cru que la révélation de la « vérité » fut accueillie dans l’émerveillement et même la gratitude. Autrement dit, continuez d’être intéressés – si vous l’êtes effectivement – à identifier et à relâcher les croyances qui vous desservent, mais permettez-vous également de vous ouvrir à ce que vous pourriez bien ignorer vous aussi. Laissez-moi vous confier que ce que je découvre encore, après des décennies d’introspection, ce sont bien moins des croyances que ce que j’avais tout bonnement ignoré antérieurement.
C’est particulièrement saisissant de réaliser à quel point on est la plupart du temps positionné comme si l’on savait tant de choses qui n’existent pas en réalité. Ce que l’on sait de cette façon, presque exclusivement, ce sont des choses négatives. « C’est terrible, c’est horrible ! », allez-vous peut-être me dire. Ah bon, vous savez cela, à moins que vous y croyiez ! Je fais l’expérience que rien jamais n’est ni terrible, ni si sérieux, dès lors qu’on le voit, qu’il y a conscience, que l’on cesse de se prendre pour ce qui est vu. Si l’on était ce qui est vu, que serait alors ce qui voit ? Rappelons que ce qui est vu change sans cesse et ce qui voit ne change jamais.
Ne faites surtout pas la guerre à vos pensées ! Ne faites la guerre à rien ni à personne ! La guerre appelle la guerre, la violence en réponse à la violence appelle encore la violence. Ce cercle vicieux (pourtant flagrant) n’est pas perçu… parce que l’on est dedans ! Ne faisons pas la guerre aux pensées, ni à rien d’autre ! Comme les peurs, comme les désirs, les pensées n’ont besoin de rien d’autre que d’être simplement reconnues : « Ah, il y a cette pensée, puis cette autre, ah ! » Eh oui, rappelons-nous que s’il y a « penser », il y a aussi « observer ». Comme il y a plus à écouter qu’à dire, il y a plus à observer qu’à penser. Observons qu’ordinairement, nous disons plus que nous écoutons et pensons plus que nous observons. Si nous percevons cela maintenant, sans rien en penser, nous sommes dans l’observation libératrice et tout est accompli !
Très bon, très clair et très efficace…
… “parce que l’on est dedans ! Ne faisons pas la guerre aux pensées, ni à rien d’autre ! …
Merci.
Sur ma carte est écrit : née le 21 août