Les besoins et la culpabilité
Pour la chronique du mois dernier, je répondais à une question d’Isabelle C. (ayant trait aux ressentis que sont les impressions, sentiments, émotions et sensations), question extraite d’une liste qui en comportait de nombreuses et notamment les deux ci-dessous que je traite dans cette nouvelle chronique :
– Comment découvrir mes vrais besoins personnels dans le moment ?
– Comment lâcher enfin la culpabilité ?
À juste titre, la première question relève le fait que nous méconnaissons nos vrais besoins ou aspirations profondes. Mais cela même, souvent, nous ne le savons pas, nous n’en avons pas idée. Pouvant croire qu’ils sont nos vrais besoins, nous avons différentes envies qui varient au gré des circonstances, des caprices, voire des revendications, ou des désirs tenaces plus ou moins obsédants que nous ne réalisons pas ou, si nous les réalisons, qui nous laissent insatisfaits.
S’il vous est arrivé d’avoir une envie (un élan) dont la seule idée vous a contenté, si vous en occuper vous a fait plaisir et si le plaisir (la satisfaction) était toujours au rendez-vous quand l’envie a été comblée, sachez que vous étiez avec un « vrai besoin » — la chose répondait au besoin de l’instant, à une sorte d’élan impersonnel. C’est là où l’idée d’acquérir quoi que ce soit, d’exercer une activité, par exemple, vous enthousiasme, vous dynamise, où vous occuper de ce qui est à faire dans l’instant vous enchante, et où vous êtes efficace. Dans cette énergie-là, vous ne vous effondrez pas si vous n’atteignez pas votre objectif, notamment parce qu’en chemin, vous avez trouvé mieux…
À l’inverse, quand l’envie qui a surgi est accompagnée d’impatience, par exemple, si elle est très prenante (vous rendant moins disponible pour vos autres activités ou relations), si, l’envie éventuellement « comblée », vous continuez de vous sentir insatisfait (prompt) à vous « précipiter » sur autre chose), sachez que vous êtes là, non plus avec un vrai besoin, mais avec une compensation. Et cette compensation (envie fluctuante, lubie ou désir plus ou moins obsédant…) indique un vrai besoin non reconnu, refoulé, oublié…
Nous pourrions résumer cela sous forme d’une question : quand on s’occupe de ceci ou de cela, est-on avec un besoin ou une compensation ? On dit « prendre ses désirs pour des réalités » (= se faire des illusions), on pourrait dire « confondre ses désirs avec ses besoins réels ».
La difficulté à identifier clairement les choses tient à deux phénomènes repérables :
1. Cela n’est jamais tout ou rien et une même chose peut contenir à la fois un aspect « besoin » et un aspect « compensation ».
2. La satisfaction d’une compensation peut, sur le moment, soulager et l’on confond généralement le soulagement avec le plaisir – compenser soulage, satisfaire un besoin contente.
La connaissance ou la prise en compte de ce fonctionnement qui est le nôtre contribue à mieux nous comprendre nous-mêmes, à mieux comprendre ce qui se joue dans notre existence, notre insatisfaction récurrente ou persistante. Que restera-t-il pour s’étonner quand on aura perçu que l’on ne s’occupe « jamais » de ses vrais besoins ?
Ici, l’objectif supposé n’est certainement pas de s’interdire les désirs compensateurs. Ce serait vain, seulement du contrôle et cela renvoie à la morale (laquelle aboutit immanquablement à la culpabilité). (Ici, j’entends par « contrôle » l’attitude mentale qui consiste à se forcer à faire ou à ne pas faire quelque chose).
Sur la base de ces quelques considérations, la question d’Isabelle « comment découvrir ses vrais besoins » se révèle en effet très pertinente. Mais venons-en d’abord à la culpabilité : « Comment la lâcher ? »
C’est là encore un vaste sujet et il est nécessaire de savoir de quoi l’on parle. Comme effet à nos blessures non guéries, il a pu nous arriver de commettre des actes que nous avons regrettés ensuite. On peut rencontrer là « une vraie culpabilité » et c’est en fait la plus facile à identifier (même si nous résistons à l’avouer, à la confier).
Par exemple, c’est le sentiment ravageur de culpabilité du parent qui a violemment corrigé son enfant. Il pourrait s’agir encore des crasses faites à autrui pour se venger, pour satisfaire un caprice ou pour se faire valoir…
Comme les autres positionnements compensateurs évoqués précédemment, ces effets-là sont superficiels et c’est pourquoi nous pouvons aisément être conscients des uns comme des autres – je connais aussi notre capacité à nier l’évidence, mais laissons de côté les extrêmes…
Il y a une culpabilité plus profondément enracinée, aux dimensions colossales et qui conditionne déplorablement toute notre existence. Entre autres, elle est constituée de tout ce dont s’est accusé, ici toujours à tort, le jeune enfant que nous avons été suite à ses expériences malheureuses, traumatisantes.
Précisons que ces expériences à la fois incluent des événements circonstanciels de choc et sont globalement constituées d’une ambiance parentale, familiale et sociale (scolaire) où l’enfant éprouve certains traitements généraux. Et comme c’est son lot quotidien (celui qui a d’ailleurs été celui de l’un et/ou de l’autre de ses parents), il aura parfois du mal à l’identifier pour plus tard comprendre son histoire. En fait, il y est tellement identifié qu’il ne peut aisément le distinguer, le nommer. Et c’est l’ambiance générale peu ou jamais considérée qui attire les événements de chocs (incidents, accidents, mauvais traitements de tous ordres).
Une autre précision semble s’imposer : il ne s’agit pas ici d’accuser les parents (ni personne), ni ceux que nous avons eus, ni ceux que nous sommes. L’attention n’est d’ailleurs pas mise sur le parent, sur aucun parent, mais sur l’enfant et seulement sur l’enfant (peut-être le nôtre (les nôtres), mais surtout celui que nous avons été) : il est question de ce que l’enfant a ressenti, éprouvé, puis refoulé… Cela est sa blessure, cela est ce qui conditionne toute son existence…
Si l’enfant est ou se sent abandonné ou négligé, il en conclut qu’il est ININTÉRESSANT ou INUTILE, il s’accuse d’être cela. S’il est maltraité ou injustement puni, il en déduira bientôt qu’il est MAUVAIS, MÉCHANT. Cas de figure, imaginez ce que décide de croire à son sujet l’enfant dont la seule expression de son affection naturelle n’est pas accueillie ou est reçue avec violence : « Je suis PÉNIBLE, DÉRANGEANT, MALSAIN… ».
À seul titre d’exemples (il y aurait bien plus à dire), ces mots écrits en majuscules sont des auto-accusations et évoquent la culpabilité dévastatrice qui nous habite tous. Cela, nous le refoulons, parce que c’est insoutenable, et nous adoptons des attitudes contraires pour tenter de le démentir, mais à quel prix ? Au mépris de nous-mêmes, au déni de nos vrais besoins…
À chaque fois qu’une personne me consulte, que ce soit à mon cabinet ou par téléphone, je dois dire que je demeure un peu étonné par toutes ces auto-accusations qu’elle découvre dès la première séance. En fait, c’est poignant ! On fait souvent toute une histoire des reproches que les autres nous font (ou que l’on croit qu’ils nous font) alors qu’ils sont peu de choses par rapport à nos propres auto-accusations inconscientes.
Inconsciemment et à tort, on s’accuse effroyablement (= se culpabilise) et, en réaction à cela, c’est ce qui poussent quelques-uns à commettre parfois le pire et tous à ignorer leurs besoins fondamentaux. Outre les auto-accusations en tant que croyances mentales qui disent la culpabilité éprouvée, insistons précisément sur le fait que cette dernière est essentiellement un ressenti douloureux. Ce serait un moindre mal si l’on pouvait se croire coupable sans se sentir coupable, mais l’un génère l’autre inévitablement. Et sachons aussi que l’idée que nous finissons par avoir de cette culpabilité en nous ne représente que la partie émergée de l’iceberg.
Avec ces explications, on peut entendre que la « découverte de ses vrais besoins » dépend de son aptitude à confronter sa culpabilité. Parfois, quand on se sent un peu plus mal à l’aise, un peu plus coupable, c’est en fait comme si l’on était en train de se rappeler un besoin. « Flirter » avec un besoin depuis longtemps oublié ravive la culpabilité qui l’a empêché de s’épanouir et c’est pourquoi l’on est peu enclin à regarder de ce côté-là. En réalité, aujourd’hui, notre vrai besoin est différent de celui de l’enfant que nous avons été, mais le déni persistant des premiers besoins empêche en quelque sorte leur réactualisation. Et les besoins réprimés aboutissent à la méconnaissance de notre raison d’être et, par voie de conséquence, au mal de vivre existentiel.
Pour en arriver à conscientiser sa culpabilité (pour la dissiper progressivement) et ses vrais besoins (pour les combler), il est certes plus aisé et rapide de se faire aider par quelqu’un qui a l’expérience consciente de ces réalités. Mais voici pour finir quelques éléments clés qui, s’ils sont bien pris en compte, peuvent représenter un peu plus qu’un excellent début :
1. Relisez (étudier) attentivement le présent texte et soyez attentif aux idées et impressions personnelles qui peuvent surgir.
2. Considérez les critiques et reproches qui vous sont faits, qui vous affectent, ceux que vous ne voudriez surtout pas que l’on vous fasse…, et permettez-vous de sentir la culpabilité impliquée.
3. S’agissant des reproches que vous pourriez adresser à autrui (des choses qui vous font réagir), permettez-vous de sentir comment cela renvoie à ce que vous vous reprochez à vous-même – ce que vous vous reprocheriez est en réalité ce que vous vous reprochez, inconsciemment et à tort.
4. Listez ce que vous avez ou auriez pu reprocher au parent de votre sexe, ce que l’autre parent et toute la famille lui reprochaient, et permettez-vous de sentir comment cela parle encore de ce que vous vous reprochez à vous-même (inconsciemment et à tort).
5. Avez-vous des pensées négatives à propos de vos envies ordinaires (celles qui peuvent être des compensations) ? Quelles sont-elles ? Elles reflètent le jugement porté sur vos vrais besoins et pointent vers la culpabilité en cause.
6. Quand il vous semble (si tel est le cas) ne pas savoir ce que vous voulez, vérifiez s’il ne vous vient pas parfois (en même temps) des petits élans, quels qu’ils soient, dont vous ne faites rien. En y répondant favorablement, soit d’autres besoins se révèleront, soit vous serez en contact avec la culpabilité à lâcher enfin.
7. Pour ce dernier cas de figure (n° 6), considérez aussi les choses que vous vous forcez à faire, donc sans envie. Vous pourrez peut-être découvrir la culpabilité en cause. Et quand vous cesserez de faire ce dont vous n’avez pas envie, vous découvrirez ce dont vous avez envie.
8. Quand vous captez le moindre sentiment de culpabilité, soyez simplement intéressé à le lâcher, pour ce faire à le ressentir vraiment, à le ressentir pleinement, et dans le nouvel espace créé, permettez-vous simplement de ressentir ce qui vous conviendrait.
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