L’effet du penser compulsif
Juste une fois de plus, je vais vous proposer d’accorder à vos « éventuels » problèmes ou autres contrariétés une attention toute particulière ou, disons-le, « le regard qui transforme ». Ce n’est pas ici seulement le titre qui m’est cher (celui à la fois du site et de mon nouveau livre), mais c’est une invitation indirectement rappelée à la présence, à plus de présence. Si vous regardez, regardez vraiment, vous êtes présents. Vous ne pouvez pas regarder, très attentivement, sans être présents. Regarder… Être attentif…
S’il y a invitation à être présent, à juste être avec l’instant autant que possible, c’est que l’expérience est heureuse ou finit par l’être. Je ne vais pas explorer davantage cette invitation à retrouver l’instant présent, « l’ici et maintenant », et je ne saurais trop vous recommander la lecture des livres d’Eckhart Tolle (notamment Le pouvoir du moment présent et Nouvelle terre). Si malgré votre habitude ou vos tentatives plus ou moins fructueuses d’habiter le moment présent, vous vous retrouvez mal trop souvent, en proie à des conflits ou des insatisfactions, les paragraphes qui suivent pourraient vous intéresser.
Dans un premier temps, je vous suggère de faire sur papier la liste de ce que nous allons appeler vos problèmes, vos conflits ou toutes les choses qui ne vous conviennent pas dans votre existence actuelle. Et si vous faisiez cette liste (qui n’a nul besoin d’être exhaustive) avant de poursuivre votre lecture ? Je tiens à dire ici, quand je demande à toute personne qui me consulte de m’évoquer les difficultés qu’elle rencontre dans sa vie à tous les niveaux, qu’il m’arrive de temps en temps de m’entendre dire : « Je n’ai pas de problèmes » ou « Je n’ai pas d’autre problème que ce que je viens d’évoquer »… Finalement, la séance ne suffirait pas pour commencer à regarder un peu les diverses épreuves révélées à la faveur de l’expression permise dans l’échange qui suit.
Innocemment, des conflits restent parfois interprétés comme étant le problème des autres personnes avec qui ils sont vécus alors qu’on est soi-même très éprouvé et donc directement impliqué. Dès lors qu’on est éprouvé peu ou prou, la chose en cause est nôtre et seulement nôtre. Sans le voir ainsi, on attend au mieux une solution venant nécessairement de l’antagoniste désigné. Et tant qu’on ne reconnaîtra pas la circonstance déplorée, même extérieure, comme sa propre création, comme effet d’un mal-être persistant en nous, on empêchera la solution de surgir.
On peut résister à l’idée qu’on a créé ce que l’on endure et pourtant, quiconque se le rappelle pour l’avoir déjà intégré ou accepté, se sent déjà nettement mieux. Il se dit, peut se dire alors : « Si je me suis attiré cette condition pénible, je peux tout autant m’attirer l’inverse ». On est là avec la pleine réappropriation de son pouvoir. En se croyant victime du monde, on lui reconnaît un pouvoir qu’on n’a pas ou, pour mieux dire, on lui abandonne le pouvoir. Inconsciemment, on fait le choix de subir, on se maintient dans le rôle d’un petit enfant (bien entendu, celui qu’on a été).
Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que j’explique là. Ce sont juste des constats, des fonctionnements humains ordinaires possibles. Observez qu’ils ne sont ni jugés, ni expliqués, seulement posés. Or, si cette base n’est pas prise en compte, pour peu qu’on soit concerné, tout autre considération aura au bout du compte peu d’effet. Étonné peut-être, on continuera de vivre les mêmes conditions difficiles. Sans vous prendre la tête, regardez ce qu’il en est pour vous ! Bien sûr, ce point peut ne pas vous concerner. Autre chose va vous parler !
Considérez maintenant l’un de vos problèmes (que vous les ayez listés ou non). C’est quelque chose qui vous dérange à un certain degré. Ce problème peut être un vrai problème, parfois même pas. Pour la seconde fois en une semaine, l’un de mes ordinateurs est tombé en panne ce matin. La semaine dernière, à la faveur de la première panne, je me suis vu entrer dans une réaction que je connais bien. Aujourd’hui, j’ai souri et j’ai adressé un message pour demander l’intervention d’un technicien (il vient demain). Oui, mon ordi est en panne et, cette fois, je ne le vis pas, je ne l’éprouve pas comme un problème. J’accepte cependant de dire, en faisant ma demande, que je me suis bel et bien occupé d’une question à résoudre, même si cette fois, je n’ai été en rien affecté. Laissons cela !
OK, vous avez ce « problème » : votre machine à vous ou votre voiture qui ne fonctionne pas, une personne qui vous a peut-être traité inconsidérément, une préoccupation de travail, un ennui de santé… OK, c’est quelque chose à solutionner, c’est quelque chose à dépasser ! J’ai coutume de dire que le problème n’est pas le problème, n’est pas ce qui vous met mal. Le problème est éventuellement un problème, mais il n’est pas le problème qui vous met et vous laisse mal. Le problème, ce problème existe pourtant. Face à la première panne, j’étais sérieusement contrarié. Ah oui, j’avais un problème ! Quel problème ! Pourtant, la seconde panne, la même, n’a pas réussi à me déstabiliser. Le problème que j’avais eu n’était plus là malgré une circonstance complètement identique.
Venons-en à vous ! Regardez votre problème personnel, puis d’autres de votre liste éventuelle. Les fois où vous y pensez, diriez-vous que vous êtes toujours pareillement affecté ? Y réagissez-vous toujours de la même façon, avec la même intensité ? Si la réponse est affirmative – sait-on jamais – vérifiez si ce constat se confirme avec vos diverses épreuves. En fait, le risque de ne pas percevoir de différence pourrait reposer sur le fait d’être trop pris, complètement embarqué dans les émotions (comme cela peut nous arriver parfois). Et vous pourriez me dire : « En fait, j’éprouve effectivement moins mon problème – donc de façon différente – quand j’y pense moins ».
Eh bien, nous y voilà ! Étant certes un problème, le problème n’est jamais le problème. Le problème est ce que nous en pensons. Connaissez-vous des gens qui partent en ville, presque angoissés à l’idée d’avoir du mal à trouver une place de parking ? En connaissez-vous d’autres qui se rendent au même endroit, complètement insouciants ? Alors, où est le problème ? C’est quoi le problème ? Dans ce cas comme dans tous les autres, le problème est ce que nous pensons, le problème est le sérieux que nous accordons aux pensées qui nous traversent l’esprit.
Voyez-vous cela ? En fait, quand on est mal, on pourrait presque considérer qu’on a, non pas un problème, mais deux : (1) la condition extérieure, physique, matérielle, relationnelle… et (2) ce que nous en pensons (voir les nombreux exemples plus bas). On surimpose à la circonstance déplorée des pensées qui nous font mal. On se dit des choses effroyables. C’est ça le problème, le vrai problème. Et c’est encore sans compter avec la cause sournoise (bien cachée) des pensées qui constituent une troisième couche, plus profonde. Ordinairement, on se contente de réagir au problème et ça dure des siècles. Quand on en vient à un peu de calme, on tente de trouver une solution, donc de résoudre le problème. Et ça ne marche pas, sinon jamais de façon durable, pourquoi ?
Eh bien, mais vous l’avez peut-être déjà deviné, on ne s’occupe pas du problème, du vrai problème, il est bien normal de faire ce qui est à faire, dès lors que quelque chose à faire s’impose et pour peu qu’on soit en situation d’agir, mais quand ce sont nos pensées qui nous ont en réalité blessés, pourquoi attendre une nouvelle circonstance qui nous fera une fois de plus éprouver le même drame, la même souffrance, avec les mêmes pensées répétitives.
Eh oui, il pleut bien souvent, et parfois des cordes ! Eh non, les voitures, les ordinateurs et autres machines ne sont pas faites pour durer éternellement ! Nombre des problèmes rencontrés, éprouvés comme tels, n’en sont pas en réalité. Souvent, ce qu’on appelle « problème », c’est tout bonnement l’existence dans sa réalité connue comme étant éphémère ! Quoi qu’il en soit, il y a ceci ou cela qui nous exaspère, des critiques reçues, une occasion d’abus, de trahison, de quoi éprouver un manque d’aide, de la jalousie, de l’injustice… Et, chose tellement plus significative, il y a ces pensées préjudiciables auxquelles on tient tellement, auxquelles on s’accroche, qu’on se répète depuis toujours sans jamais se lasser, qu’on ne remet pas en question, dont on ne considère jamais la survenance intempestive dans notre tête et encore moins l’impact réel désastreux dans toute notre existence.
Comment j’vais en sortir ? ça va aller de pire en pire ; y a pas de solution ; on me laisse toujours tomber ; on ne peut compter sur personne ; ils me prennent pour un con ; si c’est tout le merci que j’en ai ! on ne me dit jamais rien ; je suis maudit ; je n’ai vraiment pas de chance ; qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour vivre une vie pareille ? on ne m’y reprendra plus ; on va me juger, m’en vouloir, me faire des ennuis ; je suis bien trop nul, incapable, incompétent ; je dérange tout le monde, je suis illégitime, imposteur, vraiment pas important ; c’est de sa faute ; c’est de ma faute ; je suis mauvais, idiot, méchant ; je ne sers à rien, je n’intéresse personne ; on se fout de moi ; elle se paie ma tête ; qu’est-ce qu’il croit ? non, elle exagère ; j’en ai assez, j’en ai marre ; je n’y arriverai jamais, ça ne sert à rien d’insister ; et je me fais jeter une fois de plus ! eh merde, je me suis encore gouré ! je n’aurais pas dû ; je regrette ; quelle honte ! c’est scandaleux ; c’est franchement dégueulasse, c’est complètement injuste ; rien n’est possible dans la vie ; personne ne veut me faire plaisir ; on me trouve trop vieux, trop jeune, trop gros, trop maigre, trop … ; qu’il, qu’elle aille se faire foutre ; tout ça, c’est de la connerie ; mon Dieu que les gens sont naïfs ; les gens sont cons ; je n’arrête pas de me planter ; il m’emmerde ; je vais me venger ; on va voir ce qu’on va voir ! quelle vie de merde ! mieux vaut se foutre en l’air !…
Et l’on pourrait en écrire des pages et des pages, n’est-ce pas ? (J’en ai mis beaucoup, je ne voulais frustrer personne !) Ces pensées ont toutes un point commun : elles accusent, ou bien autrui, ou bien soi-même, ou bien Dieu, la vie… Elles menacent quand elles répondent à une pensée accusatrice préalable. Est-ce sérieusement envisageable, quand vous évoquez votre problème qui vous crée du malaise, que vous n’ayez dans votre tête aucune de ces pensées, ni bien d’autres ? Et il faut se rappeler que les émotions (la souffrance émotionnelle) sont causées par les pensées. Vous ne pouvez pas, par exemple, penser « je n’en sortirai jamais » ou « on se fout de moi » et vous sentir bien.
Voyez-vous désormais comment la situation problématique n’est pas le problème, n’est pas ce qui vous rend malheureux, et que ce ne sont que les pensées qui nous jouent un tour pendable. J’ai perdu la vue avant l’âge de 11 ans et il m’a fallu attendre mes 14 ans pour en faire soudainement le pire choc de ma vie : à ce moment-là, j’ai réalisé – en fait j’ai pensé – que j’allais rester aveugle jusqu’à la fin de mes jours, pensée horrible, convenez-en ! Je souffris terriblement. Je n’étais pas plus aveugle que la veille et mon problème n’était donc pas la cécité – qui est certes un embarras à bien des niveaux – mais ce que je venais de m’en dire, d’en penser. Dix ans plus tard, chose saisissante, j’apprendrai que j’aurais dû, que j’aurais pu être réopéré jusqu’à mes 18 ans environ, âge où j’ai cessé de faire la différence entre jour et nuit (diagnostic confirmé par plusieurs professeurs en ophtalmologie).
Comme moi, comme tout le monde, votre attention reste prise par un truc extérieur nommé problème alors qu’elle devrait davantage être dirigée sur le discours mental répétitif qui seul cause la souffrance. Pour finir, regardez encore ce genre de pensées dans votre tête. Y compris quand elles sont dirigées contre autrui, toutes les accusations à base émotionnelle révèlent en fait de la culpabilité et voilà le seul et le véritable problème dont on ne s’occupe jamais (la troisième couche mentionnée plus avant). Alors, ne mérite-t-il pas qu’on lui accorde toute une chronique ? Ce sera celle du mois prochain !
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