Le voir ou le prétendre
(Cette nouvelle chronique est à nouveau un peu plus longue que d’habitude – est-ce à déplorer ? – et si vous la lisez attentivement et pratiquez un peu ce qui est préconisé, vous pourriez en recevoir beaucoup ! Lisez aussi la note de fin !)
Quand j’ai commencé à identifier les blessures de l’âme, fin 1998, je consentais en quelque sorte à offrir de l’attention à la constitution de notre « monde intérieur » (ici notre univers mental) tant il m’apparaissait clairement que notre monde extérieur personnel en était le reflet fidèle. Or, il demeure essentiel de réaliser que notre « drame », notre seul problème, notre prison, c’est notre mental lui-même. On nommera cette prison comme on veut : le mental, l’intellect, la personnalité, l’ego, le conditionnement ou encore l’attachement tenace à ses jugements, les croyances jamais remises en cause, la peur, la honte, la culpabilité…
Consciemment ou inconsciemment, on croit pouvoir s’en sortir en cherchant à changer le monde autour de soi ou en transformant sa personnalité, voire en l’enrichissant (intellectuellement, relationnellement, matériellement…), alors que l’identification inconsidérée à celle-ci garantit la persistance du mal de vivre, de l’insatisfaction, des limitations éprouvées. On réalise un jour qu’il ne nous manque rien, pour être heureux ou en paix, et que nous sommes seulement l’effet d’un trop-plein insoupçonné.
Combien d’illusions, d’attentes illégitimes (demandes non formulées), de revendications inconsidérées ? Et en cause généralement esquivée, combien de croyances limitatives ? Combien de peur, de honte, de culpabilité ? L’être éveillé n’a rien de plus que chacune et chacun d’entre nous. C’est en fait quelque chose qu’il a en moins : il est dégagé de l’identification avec son conditionnement. Soyons simples, cette identification, c’est l’attachement à nos possessions, à nos connaissances, à nos divers jugements…
Pour souffrir comme nous souffrons (quand nous souffrons, peu ou prou), il nous faut être inconscients. Pour réagir comme nous réagissons, il nous faut être inconscients. Pour regretter ou nous reprocher le passé, pour craindre l’avenir, il nous faut être inconscients. Pour être malheureux, il nous faut être inconscients. Et nous sommes inconscients ! Même les instants de clarté n’empêchent pas de retomber dans l’inconscience ou l’illusion la plupart du temps.
De toute façon, cette clarté est encore relative ou limitée. Or, ne soyons pas trop durs ou exigeants envers nous-mêmes : il faut de la conscience pour admettre son inconscience prédominante. Oui, l’admettre témoigne déjà d’un certain degré de conscience. Admettons-nous que nous sommes inconscients la plupart du temps et donc, autant nous le dire sans détour, très généralement « à côté de la plaque » ? Maintenant, si nous vivons des instants de présence à ce qui est, de conscience accrue, réjouissons-nous-en ! En fait, c’est être sur le chemin de la transformation.
Il y a autrement qu’on passe le plus clair de son temps – toute son existence en fait – à réagir contre ses propres conditions de vie, celles qu’on entretient ce faisant et qu’on s’était attirées du fait d’un passé qu’on prolonge aussi par habitude. On ne voit pas à quel point on est attaché à ses réactions, à quel point il nous importe de réagir encore et encore bien davantage que de favoriser véritablement une solution, une guérison, une transformation heureuse. C’est la folie humaine « jamais » reconnue, jamais prise en compte.
Il y a aussi qu’on veut obtenir ceci ou cela (plus d’argent, une nouvelle voiture, sa maison ou une maison plus grande, certaines relations…) sans même s’arrêter vraiment, sans même s’arrêter suffisamment sur ce que l’on en attend. Il est à savoir que rien, absolument rien de ces choses rêvées, enviées, convoitées ou parfois exigées ne nous apportera ce que nous attendons, notamment parce que ce qui est attendu, c’est en fait déjà en nous potentiellement, et c’est précisément ce qui peut attirer ces choses ou nous attirer mieux encore, quand nous le laissons émerger, quand nous substituons l’appréciation à toute réaction émotionnelle.
Sont-ce des conditions de vie plus faciles que vous voulez, à votre manière (la chose rêvée…) ? Alors, les ayant obtenues, comment allez-vous vous sentir (l’attente sous-jacente) ? Libre ? Dans la joie ? En lien ? En paix ? Vous êtes certainement capable d’admettre combien c’est bon, combien c’est doux, combien c’est généreusement vivant de ressentir cela, sans quoi vous n’envisageriez rien pour vous donner de le vivre. Or, le vivre effectivement, le vivre ici et maintenant, vous permettre de ressentir l’appréciation, c’est tout ce qu’il vous faut pour voir arriver dans votre vie toute chose qui ne sera alors rien d’autre que la cerise sur le gâteau.
Cependant, nous continuons d’éprouver « ça ne me convient pas », d’y réagir au lieu de nous ouvrir aux solutions, et continuons de nous sentir encore mal tandis que nous envisagerions une forme d’abondance (quand nous nous le permettons). Nous fonctionnons à l’envers ! Voir véritablement ce qui est dit là pourrait suffire pour faire une différence dans notre vie, mais c’est généralement sans compter avec nos habitudes, avec notre degré de conscience limité, notre difficulté à être présent. Je suggère alors un « exercice » puissant – s’il est pratiqué – qui n’est pas aussi exigeant qu’il pourrait sembler de prime abord et qui invite à la fois à la présence et à faire bon usage de son mental. Quitte à penser, pensons utilement ! L’exercice peut même se transformer en jeu, une sorte de jeu spirituel !
Pour l’instant, je vais appeler cet exercice « Est-ce que je le vois maintenant ou est-ce que je le prétends ? ». Si je vois, je suis présent ; si je prétends, je suis dans ma tête, dans le passé. Quand je vois, je suis libre ; quand je crois (prétends), je souffre. Soit je vois, soit je résiste encore. La question seule me fait quitter la tête, me ramène ici et maintenant. Au lieu de cultiver ces pensées qui me font du mal, je m’invite à l’observation. Soit on pense (croit, prétend, déclare péremptoirement), soit on observe (à moins encore d’être endormi ou anesthésié). Considérons quelques circonstances où il pourrait être fort utile de pratiquer l’exercice, de se le rappeler, d’y revenir autant que de besoin.
Face à de nombreuses situations relationnelles, professionnelles ou autres, certains d’entre nous (pas tout le monde de façon parfois très marquée), se retrouvent mal juste en se disant des choses telles que « Je suis vraiment nul(le) », « Je suis un boulet », « Je suis mauvais(e) »… Quand cela vous arrivera, arrêtez-vous un instant et demandez-vous : « Est-ce que je le vois ou est-ce que je le prétends ? ». Veuillez bien voir votre tendance à vous accuser ainsi, toujours à tort, et cessez ce faisant de vous asséner, de soutenir votre « vérité » personnelle qui, vous en conviendrez, vous fait du mal.
Surtout si vous avez identifié vos blessures, vous savez bien la façon dont vous n’aimez pas être traité, cette façon dont vous vous sentez traité si souvent et qui, en certaines circonstances privilégiées (fréquentes si vous êtes là davantage concerné), vient vous ébranler : « Il se fout de moi », « On me laisse tomber », « Elle ne m’écoute pas, ne me comprend pas », « Personne ne veut me faire plaisir ». L’une ou l’autre de ces pensées plante le décor dramatique et plonge ordinairement dans un profond malaise ou même dans un conflit durable. De la même façon que précédemment, revenez sur la pensée et pratiquez l’exercice : « Est-ce que j’y crois ou est-ce que je peux voir que je plaque là mon truc habituel, que je le revendique en quelque sorte ? » Est-on dans la conscientisation ou dans la résistance Manifeste ?
Aussi étrange ou incroyable que cela puisse paraître, nous sommes mal à chaque fois, parce qu’au lieu de voir notre positionnement mental (notre croyance, ce que nous prétendons), nous soutenons, nous nous limitons à croire, nous faisons comme si nous savions tout, comme si nous avions toujours raison et comme s’il y avait un intérêt heureux de fonctionner ainsi. « Voulez-vous être heureux ou avoir raison ? », nous demande « Le cours en miracles ». Voulons-nous continuer de prétendre (croire en nos jugements) ou vivre la plénitude ?
« Oui, mais ne sommes-nous pas traités parfois ou souvent comme nous croyons être traités, comme nous prétendons l’être ? ». Parfois non, parfois oui, toujours en fonction de l’intensité de la peur que nous en avons. Notre pouvoir créateur est tel que nous pouvons tout à fait nous attirer une personne qui… Il n’en demeure pas moins que ce qui nous affecte n’est jamais ce qui se passe dehors, mais ce que nous en pensons. Repensez donc à quelques personnes que vous avez vues assister à une même circonstance possiblement fâcheuse ou contrariante et qui ont chacune réagi différemment. La différence réside en ce qu’on se dit et l’on se le dit en fonction de son passé, de sa blessure, mais qui quoi qu’il en soi, c’est du penser, c’est du croire (c’est du prétendre sinon de la prétention). Alors, « Est-ce que je m’offre de voir que là encore je prétends, est-ce que je le vois ou est-ce que je perpétue mon prétendre ? » Est-ce que je vois ou est-ce que je prétends ?
Si la question est judicieuse alors que vous vous surprenez en train de vous auto-accuser (je suis …) ou d’accuser autrui (on me …), vous remarquerez qu’elle le reste tout autant à chaque fois que vous vous dites un truc terrible qui vient gâcher votre ambiance intérieure. Et admettons au passage qu’en réalité, la formulation de la question doit la plupart du temps être inversée, amenée un peu différemment : est-ce que je vais continuer d’être mal du fait de penser ce que je pense ou est-ce que je me dispose à juste voir que telle est ma pensée, mon jugement, ma croyance ?
– J’ai toutes les chances de rater une fois de plus – suis-je en train de voir cela comme étant ma croyance ou de la soutenir, du coup en me sentant plus ou moins mal ? Question inversée : est-ce que je continue d’être mal ou est-ce que je vois mieux ma croyance à abandonner tôt ou tard ?
– Je n’aurai pas le temps de finir ce que j’ai à faire – est-ce que je vois que j’y crois ou est-ce que j’y crois juste, exprime une certitude ? Question inversée : vais-je continuer de soutenir une certitude qui me mine le moral ou juste la reconnaître comme jamais je ne l’ai fait ?
Je n’en sortirai jamais – puis-je me surprendre à dire cela, voir ma croyance à l’oeuvre ou est-ce que je vais continuer de revendiquer l’assertion comme étant une vérité ultime ? Question inversée : est-ce que je tiens à rester fidèle à une « vérité » qui, soutenue comme je la soutiens, nourrit mon insatisfaction ou suis-je enfin d’accord pour la mettre au rang des croyances indésirables à repérer mieux ?
Si vous vous mettez à sourire en découvrant certaines croyances si souvent à l’oeuvre, vous saurez alors qu’à ce moment-là, vous voyez. La chose pensée ou même dite n’est plus une déclaration, n’est plus quelque chose qui est soutenu, prétendu. En lien à ce que je pense là, à ce que je me dis à propos d’autrui ou de moi-même, est-ce que je le vois comme schéma mental ordinaire ou est-ce que je l’affirme, le soutiens, le prétends ? Sentez-vous la différence ?
Voir les choses ainsi, voir tranquillement que vous venez juste de vous laisser embarquer dans un vieux positionnement mental représente un début de l’éveil à la présence. Vous devenez observateur, vous devenez conscient. Là, vous voyez votre tendance à juger ou à vous positionner de façon réactionnelle sans plus vous laisser embarquer dans ce que le jugement ou le positionnement implique d’habitude. Vous n’êtes pas tenu de répondre à toutes les propositions qui vous sont faites : celles de notre mental sont souvent funestes !
Le sourire n’est pas toujours au rendez-vous et la seconde réponse permise par la question même s’impose assez souvent, de façon d’autant plus opiniâtre que la situation déplorée se prolonge. Et du fait qu’elle se prolonge, on est aisément prompt à justifier son positionnement résolu et essentiellement réactionnel. Or, c’est précisément ce positionnement inchangé qui fait que la situation se prolonge ou qu’une autre de même nature vient la remplacer. Acceptons cela, mais voyons-le ! Voyons-le encore et la conscience fera son oeuvre. La pleine conscience est transformatrice.
NOTE : j’avais déjà rédigé cette chronique quand j’ai commencé à traduire la causerie d’Eckhart Tolle, « Dégagé des apparences ». Synchronicité magnifique, le message d’Eckhart vient compléter ma proposition et lui donner même une perspective plus vaste. Voici le lien qui pourrait vous permettre de regarder ou d’écouter la vidéo :
• Dégagé des apparences –
Sur le blogue de mon ami, Thierry Delattre, vous aurez accès à bien d’autres conférences traduites d’Eckhart Tolle en cliquant sur son nom en bas de page.
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