La reconnaissance effective des cinq blessures de l’âme que sont l’abandon, la dévalorisation, la maltraitance, le rejet et la trahison jette un jour nouveau sur le conditionnement humain ordinaire. Cette reconnaissance nous permet de comprendre le conditionnement de tout un chacun, à commencer par le nôtre, et la considération réelle du conditionnement œuvre peu à peu en faveur de la transformation souhaitable, du dénouement de l’attachement inconsidéré au passé. La profondeur de la prise de conscience correspondra au degré de présence, d’observation auquel nous avons accès. L’humain est principalement réactif, communément réactif, même ardemment réactif. L’observation pure est exceptionnelle. On peut croire que l’on observe quand on ne fait toujours que penser (ce qui est encore une forme de réaction).
En même temps, chose remarquable, l’accès à l’observation s’élargit grâce à la perception même de l’implication dans sa vie des blessures éprouvées. En faisant le choix d’observer, on se donne de quoi observer toujours davantage et l’on accorde de moins en moins de crédit à ses pensées intempestives. Observer une fleur, tout autre chose autour de soi, observer sa respiration, l’énergie qui circule dans le corps, observer son mental, ses pensées, ses jugements et donc observer ses croyances auto-accusatrices, ses peurs et notamment celles d’être traité de telle ou telle manière, ses différentes attitudes réactionnelles… c’est toujours observer. L’observation attentive de tous ces « objets » contribue donc également à l’approfondissement de la qualité de présence à ce qui est.
Parfois, ce qui est, c’est la peur d’être abandonné(e). Parfois, ce qui est, c’est la pensée saugrenue d’être sans valeur. Parfois, ce qui est, c’est de la lamentation ou n’importe quelle autre réaction. Parfois, ce qui est, c’est un malaise plus ou moins profond. Mais ceci ou cela qui est – et peu importe ce que c’est – ne résiste pas à la seule et pleine observation. Vous ne pouvez pas rester complètement pris dans un vieux schéma et l’observer ; vous ne pouvez pas l’observer véritablement et le maintenir pareillement actif. Quoi qu’il en soit, vous pouvez au moins le lâcher un peu… Comment ? Eh bien, en l’observant un peu !
Soulignons la tendance possible et évidemment désavantageuse à faire toute une histoire de sa propre blessure, le risque de rester alors identifiés à l’enfant blessé que nous avons été. Or, le déni de son vécu ou de ses ressentis douloureux réprimés, de ses croyances flagrantes, est tout aussi défavorable. On pourrait encore résister à considérer ses blessures par peur d’être happé par son passé, d’être retenu dans sa tête. L’invitation à l’observation fera justement s’effondrer au besoin chacun de ces obstacles. L’éveil à sa véritable nature est (généralement) un processus graduel et la prise en compte de ses blessures l’accélère. On sait alors ce qui se passe dans notre vie, ce qui est à relâcher, ce qui va être dépassé, parfois ce qui a déjà été absorbé…
Pourquoi ce qui va aider une personne peut ne pas en aider une autre ? Et de même, pourquoi ce qui m’a aidé une fois ne m’aide pas une autre fois ? Parce qu’il ne s’agit pas alors de la même blessure. Mon livre consacré aux blessures, « Le regard qui transforme », montre que notre propre blessure nous dit la façon précise dont on a peur d’être traité dans la vie (c’est une vérité d’évidence). Elle nous dicte nos croyances auto-accusatrices spécifiques, conclusions tirées du vécu « blessant », et autres diverses réactions bien « personnelles » (encore une lapalissade). Elle influence jusqu’à nos goûts, aptitudes et diverses activités. Cette logique ne présente pas d’exceptions : l’approche thérapeutique doit tenir le plus grand compte de la blessure à traiter. C’est pourquoi des livres de croissance personnelle toucheront certaines personnes et en laisseront d’autres indifférentes.
La pertinence d’une maxime ou de toute invitation dépend de celui qui l’écoute. Allez rappeler qu’on récolte ce que l’on sème à celui qui a toujours donné tout sans jamais rien recevoir ! Inviterait-on longtemps à l’expression une personne qui ne peut se taire ? L’expression de la colère est judicieuse, pour toute personne qui la retient, certainement pas pour celle qui n’a jamais exprimé rien d’autre. Quel est le sens du lâcher-prise pour une personne portée à se fiche de tout, celui de l’acceptation pour quiconque se soumet en toute circonstance ? Des personnes recevront une aide véritable en étant littéralement bousculées tandis que d’autres auront besoin d’une douceur extrême pour être enfin éveillées.
Quelles que soient notre blessure et toute démarche entreprise pour un mieux-être, je considère comme préalables fondamentaux la disposition maintenue à la conscientisation et la reconnaissance incontournable de son attitude réactionnelle prédominante (résignation, soumission, lamentation, rébellion, apitoiement sur soi). Cette reconnaissance amorce le début du travail sur soi et de la transformation ou le passage du penser compulsionnel à la perception pure et directe de ce qui est. Avant cela, ce n’est que perte de temps, d’argent, compensation ou le risque et même le sentiment de tourner en rond. On s’occupe ou même s’amuse comme on peut… en attendant mieux !
– Par ailleurs, si la plupart du temps, vous étiez avec l’instant présent, dans l’accueil de ce qui est, la lecture de ce texte serait pour vous certainement superflue. En revanche, si vous êtes mal trop souvent, qui plus est malgré toutes vos tentatives antérieures, recevez les paragraphes suivants juste pour vérifier alors s’ils contiennent quelque chose d’utile pour vous. Un seul instant de compréhension nouvelle peut faire une différence insoupçonnée.
Vous sachant particulièrement marqué par la blessure d’abandon, je ne vous encouragerais pas à faire de la thérapie de groupe et encore moins en stages résidentiels réguliers. Y trouvant là enfin une famille, vous risquez fort de voir durer longtemps votre thérapie. Vous vous y sentez si bien, d’une certaine façon, que vous confondez une thérapie qui marche avec ce qui n’est qu’une bien agréable compensation de votre manque. Et cette famille, vous ne tenez pas à la lâcher. Voyez comment vous vivez les fins de stages par exemple. Vous êtes dans un contexte qui vous permet d’esquiver encore ce qui n’a jamais été confronté, accueilli. Privilégiez donc le travail individuel (au moins pendant un temps).
Vous avez besoin par-dessus tout de vous rappeler sans cesse votre tendance à la résignation. Elle fait tellement partie de vous que vous ne la percevez pas ordinairement, ce qui retarde toute transformation. Dès votre plus jeune âge, vous avez si bien intégré que « rien ne sert à rien » que vous continuez de réduire la possibilité d’en vérifier le contraire dans votre existence.
– Si vous vous savez être concerné(e) par la dévalorisation, ne comptez pas pour vous aider de façon efficace et durable sur une approche où le « spectaculaire » joue un trop grand rôle (expression « trop favorisée » des émotions, travail direct sur les comportements, mise en situation…). Votre blessure vous porte de façon compensatoire à accorder beaucoup d’attention aux apparences, au paraître, aux performances, à l’extérieur. N’en rajoutez pas !
Il s’agit de savoir si l’on recherche encore de quoi se valoriser ponctuellement ou si l’on veut en finir avec sa tendance à l’autodévalorisation. Pour un résultat réel et durable, non pas un soulagement fugace, cessez de pleurer bien, de crier bien, de faire bien vos exercices. Cessez d’être bon(ne) élève ! Et si vous vous permettiez même, en conscience, de rater quelque chose ? Vous pourriez toucher là à vos croyances auto-accusatrices intempestives, à votre honte si pernicieuse et évidemment inutile. Veillez surtout à « piéger » votre tendance à comparer sans cesse (à vous comparer vous-même et à comparer toute chose).
– La psychanalyse pourra vous séduire pendant des lustres si la maltraitance est votre blessure. Votre sort parfois terrible vous a donné largement de quoi vous plaindre. Quoi de mieux que de vous assurer trois petits rendez-vous hebdomadaires pour tenter de vider votre sac. Vous vous occupez du trop-plein, ce n’est déjà pas si mal, mais la libération véritable est possible pour vous aussi.
De plus, relativement à votre propre histoire, vous vous mettez face au psychanalyste en situation de revisiter un peu de la maltraitance : on ne vous dit rien, « on ne vous aide pas », on vous fait partir alors que vous vous mettez tout juste à pleurer (le client suivant attend)… (Il arrive que le fameux transfert ne soit rien d’autre qu’une forme du syndrome de Stockholm). On ne doit pas vous encourager inconsidérément à parler, sinon à dire ce dont vous n’avez jamais parlé, ce dont vous ne parlez jamais. C’est quoi pour vous ? Oui, observez-le bien, il y a tout ce dont vous pouvez parler si facilement, si généreusement, et il y a surtout ce dont vous ne parlez pas. Mettez-y votre attention !
– Si c’est la blessure de rejet qui vous conditionne particulièrement, vous tirerez un grand bénéfice à explorer des approches douces qui vous ramènent dans le corps (massage, taï-chi, yoga, méditation…). Vous êtes communément dans la tête et même dans la lune. Vous pouvez être tenté d’avoir des activités violentes, quasi brutales (sportives, professionnelles…), comme pour tenter de vous incarner, mais vous vous faites alors mal (comme à votre habitude réactionnelle qui vous conduit à vous blesser si souvent).
En fait, vous avez tendance à choisir des conditions et donc des approches qui vous mettent, sinon en danger, en tous cas en situation d’inconfort. En conscience, préférez alors les autres ! Vous risquez d’utiliser le groupe pour jouer votre rôle compensateur d’animateur, en l’amusant ou en le provoquant, juste pour vous sentir accueilli(e) ou vous donner de quoi vous insurger. Si ce n’est pas repéré, cela durera des siècles.
– Si la blessure de trahison marque votre existence et alors que vous avez tendance à vous isoler, choisissez le travail et les expériences de groupe. Ce faisant, vous allez pouvoir vous confronter avec votre difficulté d’être avec, d’être « ensemble ». Ce qui vous dérange vraiment, que vous avez oublié depuis si longtemps, voire que vous niez, finira là par s’imposer à vous… pour vous en libérer enfin. Le confort de votre chambre, de votre « chez vous » douillet, de votre bulle est aussi la prison qui vous fait éprouver l’empêchement, les limites, le mécontentement.
Vous devez participer davantage, surtout être dans l’action, histoire de vous aider à lâcher la tête, à en sortir, à quitter le monde imaginaire (fantasmé) pour vous confronter à la réalité. Certains en font beaucoup trop, sont hyperactifs. Pour vous, en faire plus (ou autre chose), c’est notamment l’occasion de vous ouvrir.
Observez que ces propositions dépassent la seule application thérapeutique. Je sais bien que certaines personnes gagneraient beaucoup à se faire aider, mais je ne dis pas (ni ne pense) que la psychothérapie est incontournable. En revanche, il me semble évident que nous sommes tous destinés à être plus conscients, plus présents, moins dans notre tête, moins animés par les pensées qui jugent ou se rapportent directement au passé et au futur.
Pour nous rapprocher de qui l’on est véritablement, de notre véritable nature, il s’agit de nous désidentifier des rôles que l’on joue, tout en pouvant d’ailleurs continuer de les jouer, et même – osons le dire ici – de nous désidentifier de l’entité blessée que nous subissons longtemps sans conscience. Je suis certain là encore, selon notre blessure, qu’une invitation ajustée peut débroussailler le chemin de l’éveil. En lien à ma compréhension des cinq blessures, je tente simplement ici quelques suggestions supplémentaires :
– Abandon – Accorde ton attention aux odeurs. Il n’y a pas toujours d’odeurs perceptibles : sens que tu sens, que tu te disposes à sentir. Suis l’air qui va et vient. Sois pleinement conscient de ta respiration.
– Dévalorisation – Accorde ton attention au contact de ta peau avec tes vêtements, tout autre chose que tu touches. Sens l’énergie dans tes mains, puis sens-la circuler dans tout ton corps.
– Maltraitance – Accorde ton attention à ta salive. Aie ton attention dans ta bouche. Puis observe tes pensées, toutes ces choses que tu te dis. Et aie toute ton attention, non pas sur les pensées, mais sur le fait que tu les observes. Sois conscient(e) que tu observes.
– Rejet – Accorde toute ton attention aux sons qui viennent de l’extérieur, au son produit par ta respiration et écoute même le silence surtout intérieur qui permet aux sons de surgir. Fais corps avec le silence intérieur. Recueille-toi !
– Trahison – Place ton attention entre les deux yeux, puis yeux fermés ou ouverts, sans rien étiqueter, ni juger, maintiens toute ton attention sur le seul fait de regarder. Regarde comme un bébé qui découvre le monde et sois conscient de l’espace qui s’ouvre à toi.
Ces exercices pourraient être répétés régulièrement, quelques secondes à chaque fois, un peu plus, ou utilisés plus longuement dans toute pratique de détente ou de méditation. Quoi qu’il en soit, reconnaître vos blessures, c’est percevoir mieux à quoi vous vous identifiez et comprendre ainsi tout ce que vous n’êtes pas finalement. Quand vous savez ce que vous n’êtes pas, il reste qui vous êtes.
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