Le ressenti lui-même ou la chose ressentie ?
Expérience passagère ou durable, j’observe que le goût d’écrire me quitte, m’a quitté ces dernières semaines et même ces derniers mois. Outre les consultations, je me suis laissé embarquer dans des activités annexes (informatique, généalogie). Mais j’ai surtout pris l’habitude, depuis trois bons mois, de donner et/ou recevoir une séance quotidienne « d’attention consciente ». Un des effets de la « pratique » semble être une sorte de détachement pour le bavardage ou la chose trop « intellectuelle », mentale… J’ai observé la tendance humaine (y compris dans l’exercice « thérapeutique ») à maintenir l’attention sur les effets, les histoires vécues et revécues, plutôt que sur le ressenti de base et sur les positionnements associés.
Ces seuls premiers mots presque maladroits (et ceux qui surgissent encore) m’amusent et je (me) les permets. Dans cet espace (celui de la chronique mensuelle), j’ai ordinairement à cœur de « donner quelque chose », d’apporter quelque chose, mais dans l’instant, le monde (les lecteurs et lectrices) me semble loin, ne rien me demander, ne rien attendre, et je me sens un peu gauche…, avec mon « paquet » ! Mais voilà, je ne décide pas pour autant de rompre mon habitude (abstraction faite de la « trêve estivale ») et je livre la chronique possible de l’instant. J’écris une phrase (quelques mots), je m’arrête et j’observe. Je ne suis même pas étonné, je suis tranquille. Et je vois (sens) maintenant que ce n’est pas principalement le goût d’écrire qui fait défaut : tout bonnement, je n’ai rien à dire !
La confiance et une sorte d’insouciance demeurent (ou se révèlent). Il a fallu que je m’arrête en cette fin de journée, avant même que me vienne l’idée de m’asseoir pour la chronique, pour réaliser que j’avais passé ma journée à forcer, à tenter de régler des choses, de trouver des informations. Je vois une fois de plus, même quand la douleur n’est pas là, la tendance humaine à rester dans un positionnement automatique, machinal, habituel, sans que cela ne soit une intention délibérée, voulue, acceptée. En le voyant comme je le vois, je ne peux m’y tenir, ni plonger dans une tension pour espérer rédiger une chronique qui « tienne la route ».
Et si l’on continue de « fonctionner machinalement » quand tout va bien, au moins en apparence, que dire de nos positionnements, plus « piégeants » encore, quand des circonstances de la vie nous éprouvent ? C’est l’observation (consciente) qui permet de connaître ses positionnements, ses fonctionnements, ses habitudes, de même que les ressentis douloureux bien plus profonds que la souffrance connue et entretenue. Et toute transformation heureuse est précédée par cette « observation consciente ».
La persistance du malaise (éventuel) dans notre existence, des problèmes en tous genres, de la « souffrance » parfois terrible pour certains est notamment rendue possible par le conditionnement qui est nôtre et que nous n’avons pas encore vraiment identifié (repéré, reconnu). Qu’il soit permis à « l’aveugle que je suis » de dire que nous « ne voulons pas » voir, que nous ne voulons pas observer, sentir, repérer, reconnaître ce qui est. Plutôt que de nous arrêter un peu, de juste « regarder », nous « préférons » ignorer les choses, en parler ou y réagir d’une façon ou d’une autre. En fait, c’est bien plus une habitude qu’une préférence. C’est une réponse adaptée à un vécu de la prime enfance, mais c’est aussi devenu une habitude !
Un instant, revenons sur ma « non-envie d’écrire ». Ici, convenez-en, ce serait bien tentant d’avoir et de maintenir son attention sur « l’écriture délaissée ». Or, le seul « j’ai pas envie » peut bien être un ressenti de grand intérêt. Et je fais (et propose de faire) l’expérience que s’y tenir (observation, reconnaissance, permission) est d’un effet transformateur « immédiat » remarquable. Procéder autrement (notre conditionnement général à tous) est « fonctionner comme une machine », avec des pannes fréquentes, nombreuses !
Je pourrais encore énumérer moult objets soumis à ce ressenti, vous évoquer l’origine de ce « j’ai pas envie », mais cela ne serait toujours pas, pour moi, être avec, le reconnaître pleinement. En me lisant, certaines personnes pourraient se mettre à penser à tout ce qu’elles n’ont pas (ou pas eu) envie : de faire du rangement, du ménage, des papiers, des courses, ses devoirs, de l’entretien (voiture, logement…), d’accompagner un partenaire ici ou là, de recevoir une personne, d’aller chez le médecin, le dentiste, le coiffeur, etc., etc. De surcroît, elles pourraient même être capables de relier l’objet de la non-envie (du ressenti « non-envie ») à une vieille histoire vécue précise. Mais cette histoire n’est plus, cette histoire est passée, alors que le ressenti est toujours là et lui seul appelle notre attention, notre attention consciente.
Prenons un autre exemple : admettons que vous hésitiez entre deux choix qui s’offrent à vous (faire ceci plutôt que cela, aller en vacances ici plutôt que là, acheter ce vêtement plutôt que celui-ci…). En pareil cas, que faisons-nous ordinairement ? (Et je ne dis pas que « c’est mal » ou inutile). Nous pesons le pour et le contre, nous recherchons éventuellement des avis. Mais là encore, surtout en cas de malaise plus ou moins fort, il y a un ressenti réactivé qui n’a rien à voir avec la circonstance présente, avec les deux options possibles du moment. Ce ressenti peut être, superficiellement, une sorte de « j’hésite » et, plus profondément, de « je me sens déchiré ». On gagne beaucoup à reconnaître ce seul ressenti, à demeurer avec un instant.
Pour les personnes prises dans des problèmes graves, j’entends bien que les exemples donnés, légers, peuvent sembler un peu triviaux. Or, une même habitude néfaste (la nôtre) est en cause dans tous les cas. Dans une de mes séquences personnelles de ressenti, j’ai fini par être plongé dans le ressenti « je suis coupable ». Comprenez bien, à ce stade, qu’on dépasse le travail sur les croyances. « Je suis coupable » est bien sûr une croyance commune et connue de toute personne ayant travaillé sur elle un minimum. Me faire dire ou me rappeler moi-même que je ne suis pas coupable est dans la plupart des cas une manière supplémentaire de fuir le ressenti « je suis coupable » car il est un ressenti avant d’être une croyance.
Ah, c’était bien inconfortable (euphémisme) que de revisiter cette terrible douleur « je suis coupable » et je percevais les échappatoires ou processus d’évitement ordinaires. J’acceptais (finissais par accepter) également de voir et sentir les fuites, le déni, bien d’autres choses, et je revenais au ressenti de base « je suis coupable ». L’impression était si forte que j’ai soudainement eu l’envie irrésistible (autre ressenti reconnu) de m’arracher les yeux. En larmes, j’arrivai là à la fin de la séquence.
Si je me savais depuis fort longtemps responsable de ma cécité, comme de n’importe quoi d’autre qui m’arrive, je ne l’avais jamais ressenti comme ce jour-là. L’enseignement peut nous aider à comprendre ces choses (sa responsabilité, par exemple), mais les vivre, les sentir est une tout autre expérience, une expérience autrement libératrice. Ici, après être resté un bref moment avec le sentiment de culpabilité, avec les divers positionnements adoptés, avec la décision réactionnelle prise (m’arracher les yeux), après avoir accordé de l’attention consciente à ces vieux ressentis douloureux toujours en moi, je me suis senti plus en paix, plus détendu, avec la conscience tranquille que d’autres couches réclament une même attention.
– « Oui, mais alors on n’en finit jamais ! »
– Dans notre existence, ordinairement, nous n’en finissons pas de nier les choses, de nous voiler la face, de faire comme si, de nous raconter des histoires (d’en faire profiter notre entourage), de nous résigner, de nous soumettre, de nous plaindre, de nous rebeller, de bouder ou ruminer dans notre coin, bref…, de souffrir !
Et dès lors que l’on accorde davantage d’attention à ce qui est, en soi, à ce qui « veut se faire connaître, reconnaître », dès lors, ce faisant, que l’on devient plus présent, plus authentique, on n’en finit pas, en effet, de se sentir toujours plus libre, plus confiant et plus épanoui !
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