Le ressenti en pratique
L’envie me vient soudainement d’écrire une nouvelle chronique, histoire peut-être d’alterner un peu ! Depuis quelques semaines, je suis « plongé » dans la rédaction d’un nouveau livre dont je parlerai ultérieurement. Or, l’envie d’écrire une chronique me vient sans la moindre idée de ce que pourrait être son contenu. J’accueille l’envie ou l’idée avec joie et je ne me soucie de rien. Un premier pas est, était à ma portée : juste ouvrir un nouveau fichier ! Ce pût être prendre du papier et un stylo pour toute autre personne. Et me voici là comme l’écrivain devant sa feuille blanche ! Comme cela m’arrive de plus en plus, sans me poser de questions, je suis simplement mon élan, l’élan qui surgit.
Je m’invite ici à rester silencieux et à transcrire l’expérience. Ce ne sera qu’un début car il est tard et je dois demain me lever tôt. Ces premiers mots nous montrent la possibilité d’accepter ce qui est, y compris même quand rien n’est ! Il n’est rien en termes d’idées thématiques ni d’émotions, mais tentons des mots pour évoquer le rien de l’instant : insouciance, tranquillité, silence, légère clarté, confiance, disponibilité. Je devine ou « piège » un peu d’attente, ce qui est toujours un obstacle sur le chemin.
Or, l’obstacle qui est vu et accepté n’est plus un obstacle. Souvent, nous sommes et restons plus ou moins mal, parce que nous ne nous permettons pas de reconnaître ce qui est, parce que nous ne sommes pas habitués à le faire. Nous ne sommes pas habitués à « regarder », à sentir, à reconnaître. L’expérience en est pourtant exquise et transformatrice. Certainement alors moins aisée, elle est d’autant plus indiquée en cas de perturbation émotionnelle. Derrière les réactions superficielles, des choses demandent à être reconnues de même.
Une envie ou un élan a surgi ; une première étape a été franchie sans savoir ce que seraient les suivantes ; la confiance était là ; un obstacle éventuel est apparu et il a été accepté ; des premiers paragraphes ont été écrits… C’est simple ! Et si bien des choses pouvaient être vécues avec la même simplicité ? Il n’y a pas d’autre réponse valable ou plus édifiante que celle qui résulte de l’expérience même.
Vous pourriez vous aussi reconnaître en vous un élan et voir ce que pourrait être la toute première étape, celle que vous pouvez franchir ici et maintenant et à laquelle vous avez peut-être résisté. C’est un peu comme si nous accepterions ordinairement de passer à l’action qu’à condition de connaître à l’avance toutes les étapes et dans les moindres détails. Nous sommes régulièrement « animés » par une envie (un projet) qui surgit avec une première action que nous n’allons pas poser alors qu’elle est toute simple, facilement et immédiatement réalisable. Les pas suivants en dépendent, mais nous ne le voyons pas ainsi.
Quoi qu’il en soit, outre les élans éventuels prêts à être suivis, on veut des choses ou l’on reste dans un état d’attente qui n’est même pas reconnu. Le vouloir ou l’attente diffuse est superposée à un ressenti douloureux, censée précisément être ainsi évité. Quand on est dans le plein contentement, vraiment comblé (si pareille chose nous arrive), on cesse d’être dans le vouloir, dans l’attente. Or, l’intervention du mental est devenue si habituelle, absolument systématique, que l’on ne peut généralement pas identifier plus un état « heureux » qu’un état « malheureux ».
(Le lendemain). La conscience de son ressenti est un outil précieux, disponible en tout temps et en tout lieu, et on le dédaigne au bénéfice du penser incongru, intempestif, qui n’aboutit qu’à des émotions superficielles et même à des complications de tous genres. Alors même que j’écris ces tous premiers mots, dans l’instant, que j’évoque le ressenti versus le penser envahissant, je viens d’être arrêté par une pensée anticipatoire, accusatoire, et de me surprendre à réagir intérieurement comme si la chose était réelle (comme si elle s’était vraiment produite). C’est extraordinaire ! Cela dit, plus merveilleux est encore le constat renouvelé de l’effet libérateur de la reconnaissance pure et simple, de l’acceptation…
Or, voyez jusqu’où va l’aberration (je ne pense pas être le seul qu’elle visite) : même si la chose à laquelle j’ai pensé avait été réelle, rien n’aurait justifié que je réagisse comme j’ai réagi intérieurement. Elle s’explique bien sûr, mais aucune réaction ne peut jamais se justifier. Il est rappelé ou montré ici qu’il suffit de penser pour se sentir mal et que l’on n’a même pas besoin d’une circonstance extérieure. Voyez et retenez aussi la possibilité de s’amuser de ses réactions « délirantes », de ses vieux schémas répétitifs, de ne pas en faire une histoire, de juste les reconnaître pour ce qu’elles sont. C’est bon, transformateur, effectivement libérateur !
Il me plaît aussi d’imaginer que le phénomène vient de se produire pour qu’il puisse être relaté ici. Depuis un mois, je m’attelle donc avec bonheur à la rédaction de ce nouveau livre et il ne m’est apparu qu’hier, pour en arriver à « donner » ce livre, qu’il m’a également fallu encore traverser diverses épreuves ces dernières années. Quoi qu’il en soit, outre son invitation libératrice, toute épreuve contient toujours un enseignement.
On reçoit cet « enseignement » d’autant mieux si l’on s’y dispose, si l’on « s’arrête », si l’on « regarde », si l’on peut un peu lâcher la tête. A-t-on déjà observé à quel point on est et reste pris par le penser compulsif, habituel, et que l’on sait peu sentir ou, plus exactement, que l’on n’est vraiment pas « habitué » à juste sentir, à juste être là, dans l’observation. Tentons de rendre cette idée plus tangible, de vérifier ce qu’il en est pour nous, juste ici et maintenant.
Dites-moi un peu, comment ça va pour vous ? Je vous pose vraiment la question. Ce n’est pas ici qu’une formule de politesse. En fait, je vous demande comment vous vous sentez. Comment vous sentez-vous en cet instant même ? Il est possible qu’en cet instant, vous vous sentiez comme vous vous sentez souvent. Alors, c’est quoi, c’est comment ? Prenez quelques secondes, vérifiez-le ! Quand on nous pose la question « comment vas-tu », ça peut être l’occasion, moins de donner une information à l’interlocuteur que de vérifier pour soi-même ce qu’il en est. Comment allons-nous en général ?
D’ordinaire, quand la question « Ça va » est posée, une vraie réponse n’est pas forcément attendue et l’on ne serait certainement pas souvent disposé à la donner. Au mieux, on racontera une histoire du moment, mais on ne s’arrêtera pas sur ce que l’on ressent, sur comment on se sent, sur son expérience véritable. On ne va reprocher à personne de ne pas nous questionner utilement, ce que nous ne faisons d’ailleurs pas non plus avec autrui, d’autant moins que nous ne le faisons pas avec nous-même. Quand vous êtes-vous la dernière fois demandé comment vous vous sentiez ? Et si vous vous posez cette question, à moins d’être déjà très aguerri, il est fort probable que votre réponse contienne principalement des explications, des éléments factuels, des détails, que vous continuiez de penser…
Le « je me sens » devient très vite un « je sens que… », signifiant en réalité « je pense que… ». On reste au niveau mental, surtout habitué à éviter le ressenti, les sentiments, ses douleurs profondes. Quand il s’agit de savoir comment on se sent, personne d’autre que soi-même n’a à être évoqué ni aucune circonstance. Autre chose peut être dit ici : quand je propose à certaines personnes de revenir à leur ressenti, histoire de les aider à se libérer, alors qu’elles m’ont déjà raconté par le menu la contrariété extérieure, le conflit relationnel, elles font passer quelque chose comme : « Tu es en train de dire que c’est de ma faute ! »
« Non, je ne dis rien de tel, surtout pas ! Je ne dis pas que tu es coupable. Du reste, s’agissant de ton éventuelle culpabilité, tu n’aurais certainement pas besoin de moi pour l’identifier. Bien sûr, il existe des gens qui se comportent coupablement de façon grossière, cruelle, extrême, incontestablement, mais ceux-là ne me consultent pas, ni ne me lisent. Oh, tu peux aussi te montrer parfois plus que maladroit, tout comme moi-même, mais ce n’est là qu’un effet dont la considération n’est pas prioritaire pour cheminer utilement. En fait, suivant ton ouverture ou ta disposition à voir ce qui se joue en toi, tu finiras par découvrir qu’il y a derrière ton épreuve du moment un sentiment irrationnel de culpabilité.
Bref, tu crois d’abord que je te dis coupable et tu réalises par la suite que c’est toi-même qui t’accuses, inconsciemment et à tort. Ainsi, quand je tente de te ramener à toi, je te ramène surtout, non à ta culpabilité, mais à ta réaction, ta réaction face à ce que tu vis et revis en l’occurrence. Ton enfant peut avoir un gros problème dont il ne viendra à personne de dire que tu es fautif, mais tu ne pourras certainement pas l’aider si tu ne prends pas en compte ta façon d’y réagir, ce qui se rejoue en toi… »
Je veux m’arrêter un peu plus sur le point qui vient d’apparaître ici et qui me semble essentiel : quand on est pris émotionnellement, quand on est contrarié, perturbé, dérangé, déstabilisé…, il y a la situation (provocatrice ou utilisée), laquelle peut aussi bien être une circonstance extérieure qu’une pensée, qu’un souvenir, et, bien avant d’avoir à parler de faute, de culpabilité, il y a la façon dont on y réagit, la réponse réactionnelle, l’état réactionnel impliqué.
C’est toujours cet état réactionnel qui doit être considéré en premier lieu car s’il est attisé, toute autre investigation ne servira à rien, sinon sera du grain à moudre pour la réaction elle-même. Il faut savoir (ou se rappeler) que quand on est dans la réaction, qu’il s’agisse du problème de son enfant ou de sa contrariété du moment, on ne veut que réagir, ne veut rien d’autre que réagir, ni surtout une solution puisqu’elle contrecarrerait la possibilité même de réagir.
Quand il s’agit de l’aide que vous recevez ou que vous pouvez recevoir, faites bien la différence entre « l’invitation à reconnaître vos réactions, à vous VOIR dans la réaction », et « l’invitation à réagir encore, à réagir de plus belle ». Cette dernière invitation est une méprise effroyable que l’on rencontre souvent, y compris dans le domaine de la relation d’aide. Plus on y répond, plus on empire les choses, d’abord pour soi-même. Pour soi-même, on pourrait s’amuser de temps en temps à remplacer la question « comment te sens-tu », « comment est-ce que je me sens » par cette question simple et directe : « Suis-je dans la réaction ? Est-ce que je suis en train de réagir ? » Testez-la !
On met longtemps à se sortir de certaines épreuves, parce que l’on ne dirige pas son attention au bon endroit. On reste avec l’histoire, donc dans sa tête, et le ressenti dédaigné devra compter sur d’autres histoires encore pour peut-être être enfin reconnu, accepté et alors libéré. Eh bien, voilà pourquoi la question « comment vas-tu » ou, mieux, « comment te sens-tu » ne peut pas recevoir de réponse directe, spontanée ! Alors, allons-nous en conscience continuer de juste réagir, de réagir encore, ce que nous avons fait depuis toujours et en vain, ou bien tester quelque chose de « complètement » nouveau ?
D’abord, essayez donc de sentir qu’il y a quelque chose de plaisant avec cette simple question, si on l’imagine sincère : « Comment te sens-tu ? ». Et l’on peut être sincère avec soi-même. Sentez que c’est une invitation, une invitation possible à être avec vous-même. La question vous considère ; elle prend soin de vous ; elle vous donne de la place, vous accorde de l’attention. Et toute personne qui vous la pose ainsi vous invite en fait à occuper l’espace, l’espace simultanément partagé. L’espace est partagé, vécu ensemble, mais il est d’abord pour vous. Reconnaissons que ce n’est pas tous les jours que pareille expérience nous est proposée. Elle ne cadre pas avec l’éventuelle impression, très HABITUELLE, d’être abandonné, dévalorisé, maltraité, rejeté et/ou trahi.
Bon, puisque vous n’êtes pas en situation de me répondre, je ne vais pas vous titiller davantage pour vous faire dire comment vous allez, ce que vous pourriez avoir du mal à nommer et même à considérer, mais je vais essayer d’évoquer, sinon comment vous vous sentez, en tous cas cinq positionnements dont l’un pourrait plus particulièrement être vôtre. Voyez celui qui vous interpelle le plus ; voyez si quelque chose vous parle. À défaut d’identifier votre état d’âme, reconnaissez comment vous vous positionnez régulièrement dans l’existence. Au passage, le cas de figure que vous pourriez retenir confirme ou révèle (éventuellement) votre blessure principale (référence au livre « Le regard qui transforme ».
Vous subissez tout ce qui se présente à vous, ce qui vous arrive, sans vous poser de questions, sans vérifier si ça fait votre affaire ou si, dans certains cas, les choses ne pourraient pas être autrement. En revanche, vous êtes plutôt attentif à ce qui se passe autour de vous, vous intervenez au besoin, généralement de façon discrète, parfois de façon vive si la circonstance le requiert (en faveur d’un tiers). Vous vous rendez utile sans même que l’on ait à vous le demander. Des choses peuvent vous faire réagir à l’occasion, mais votre malaise « chronique » repose sur le fait que vous ne pouvez pas reconnaître vos priorités, en particulier votre propre besoin d’aide.
Vous vous traînez, lambinez, vous débrouillant toutefois pour maintenir votre attention sur une chose ou sur une autre, passant d’ailleurs de l’une à l’autre. Vous pourriez même vous laisser croire que vous pouvez convenablement en faire plusieurs simultanément. Cependant, vous déplorez votre tendance marquée à la procrastination. Vous attendez le « bon moment » pour agir, voire pour vous exprimer, mais en attendant, vous demeurez insatisfait. Vous avez surtout des notions du bien et du mal qui vous desservent, mais il ne vous vient pas de les remettre en question ou, plus simplement, de les reconnaître pour ce qu’elles sont.
Une insatisfaction chronique pourrait vous caractériser, expliquer votre état d’attente marqué. L’attention est probablement ce que vous attendez le plus, expliquant votre difficulté à en accorder réellement à autrui, mais vous avez aussi le souci de remplir vos placards, basant votre sécurité sur vos acquisitions et votre compte en banque (images). Vous déplorez beaucoup « l’injustice » autour de vous, étant celle ou celui qui la subit le plus, mais vous ne dites jamais à « personne » ce qui vous a fait et/ou vous fait le plus mal, ni n’exprimez ce que vous appréciez vraiment, trop soucieux de recevoir encore, d’en obtenir toujours plus.
Vous êtes facilement agité, agacé, énervé, et, finalement, vous n’aboutissez jamais à rien, à rien qui puisse vous convenir durablement et/ou qui ne vous coûte pas trop. Vous êtes un bon vivant, mais vous êtes souvent comme en train de vous battre. Rien ne va selon votre point de vue et vous voudriez tout changer, vous positionnant en tout cas dans ce sens. Vous êtes dans l’exagération à tous niveaux sans remarquer que c’est notamment ainsi que vous « repoussez » les gens qui vous apprécient pourtant (vous leur faites ce que vous croyez qu’ils vous font). Vous ignorez vos vrais besoins, ne pouvant donc rien faire pour les assouvir, et vous consommez votre énergie à obtenir ce qui ne peut vous combler.
Quand vous ne cultivez pas quelque espoir chimérique, vous êtes de mauvaise humeur, rongeant un os ou un autre. Bref, vous n’êtes jamais content ! Vous avez de la difficulté à en sortir, parce que vous restez dans le déni de ce que vous éprouvez et même parce que vous avez renoncé à vivre le meilleur. Vous attendez secrètement beaucoup du monde auquel, pour ne surtout pas le déranger, vous ne demandez jamais rien. Craignant seulement vous déranger, beaucoup ne vous approchent pas. Un jour ou l’autre, il vous faudra bien quitter votre tanière, mais plus encore renoncer à la honte et à la culpabilité qui vous y ont enfermé.
(1 abandon ; 2 dévalorisation ; 3 maltraitance ; 4 rejet ; 5 trahison)
Je ne chercherai pas à vous dire à quel degré, mais le cas de figure qui me parle le plus est le cinquième. Je me suis amusé à l’écrire et plus encore en venant de le relire. J’en suis arrivé depuis longtemps à reconnaître mes dysfonctionnements dans une appréciation totale. Non seulement je sais que notre conditionnement n’est pas ce que nous sommes, mais j’ai surtout l’expérience que mieux on reconnaît et accepte ce conditionnement, avec bienveillance, pourquoi pas également avec humour, plus on s’en détache, s’en libère.
Par ce dernier paragraphe, je ne cherche pas à vous parler de moi – dont le conditionnement est aussi insignifiant que le vôtre -, mais je veux témoigner de la possibilité de le considérer de façon au moins neutre sinon tout à fait bienveillante. Je n’exclus aucunement la possibilité de me retrouver à l’occasion dans chacun des quatre autres portraits et peux vous assurer que mon accueil serait le même (a déjà pu l’être). Offrez-vous de reconnaître votre blessure, vos blessures, votre conditionnement, vos soi-disant travers, vos dysfonctionnements conditionnés, et vous en recevrez du bon, juste du bon, vous vivrez de la libération.
Et arrivé jusque-là, comment vous sentez-vous ?
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