Le penser compulsif
Une façon de résoudre nos problèmes, de dissiper notre mal de vivre, c’est de considérer l’outil que nous utilisons pour fabriquer nos épreuves et pour les entretenir. Bien sûr, les causes profondes de nos conditions de vie éprouvantes se trouvent dans notre prime enfance et même au-delà, mais il reste que nous pouvons, ici et maintenant, regarder avec attention ce moyen à notre disposition pour demeurer fidèles aux histoires passées, pour cultiver l’insatisfaction, la souffrance, pour multiplier les contrariétés (que nous dénonçons ensuite). Ce moyen, cet outil s’appelle « le mental ».
De plus en plus, j’insiste sur la différence entre « penser » et « observer », entre les deux expériences spécifiques que permettent la pensée et l’observation. J’insiste sur l’existence même ou la réalité de ces deux positionnements aux effets si différents. Aujourd’hui, je souhaite rendre la chose plus pratique ou plus accessible. Parlons alors du mental ! Si vous ne vous êtes jamais « amusé » à considérer avec attention le défilement de vos pensées, je vous encourage vivement à le faire. En vous y prêtant, vous en recevrez bien plus qu’à travers la seule lecture de cette chronique dédiée au phénomène intéressant que représente l’activité mentale expansive. Ainsi, recevez ce nouveau texte comme le rappel de la proposition maintes fois réitérée de préférer ou de pratiquer en conscience l’observation.
On peut ne pas savoir mille choses, ne pas savoir pourquoi l’on vit ce que l’on vit, ni comment se tirer d’affaire quand des conditions de vie sont devenues trop pénibles, mais il y a quelque chose que l’on sait, que l’on peut savoir davantage en conscience : on pense. Vous savez que vous pensez, n’est-ce pas ? Vous savez que vous pensez la plupart du temps, presque tout le temps. On pense. En fait, penser, c’est une chose ; savoir que l’on pense en est une autre. Savoir que l’on pense implique que l’on a suffisamment observé son mental et ses pensées. Ce n’est pas ce qu’on fait à l’ordinaire. Habituellement, on est pris par ses pensées, complètement embarqué ; on s’identifie avec ses pensées (comme se prendre pour la victime d’un monde hostile). Donc, il y a notoirement le flot incessant des pensées et ce que l’on fait de ses propres pensées. Souvent, penser est bien utile. Plus souvent encore, penser est pervers ! Savez-vous l’impact de vos pensées, de vos pensées ordinaires ?
Des pensées, des réflexions, diverses considérations mentales sont impliquées lorsqu’on accomplit certains actes, certaines tâches. Le mental est employé pour la rédaction d’un courrier, d’un rapport, pour établir un planning, comprendre et utiliser un mode d’emploi, pour envisager un séjour de vacances, décider d’un plat à confectionner, etc., etc. Dans cette chronique, si j’évoque l’activité mentale intempestive, je n’ai pas à l’esprit ce genre d’occurrences cérébrales. Précisons tout de même que la compulsion à penser nous incite à puiser également dans ces thèmes pratiques. C’est alors penser à des choses quand rien ne le justifie en réalité. Par exemple, les pensées encore entretenues après avoir quitté son travail le soir risquent fort de n’avoir comme fonction que celle de satisfaire l’activité mentale compulsive. On se trouve là généralement dans un positionnement réactionnel.
Maintenant, considérez plutôt les doutes que vous émettez si souvent, ce que vous vous dites inlassablement surtout en silence, les jugements que vous portez sur autrui ou sur vous-même, vos accusations, vos monologues intérieurs… Prenez en compte les pensées qui accompagnent vos peurs, vos regrets, vos remords, mais encore vos désirs, vos envies, vos espoirs, vos fantasmes, parfois vos revendications ou exigences (avouées ou non). Toutes ces pensées-là, si vous les observez suffisamment, vous réalisez que leur seule fonction revient à vous faire vous sentir mal, à vous faire souffrir. C’est notamment en cela qu’elles sont perverses. Auriez-vous seulement des pensées qui témoignent de votre confiance, qui vous réchauffent le cœur, qui vous rendent dynamique, enthousiaste, heureux ?
« Mais où est le problème ? », pourriez-vous questionner. La pensée en cause n’a pas pour seul effet de nous éprouver émotionnellement – effet immédiat -, ce qui pourrait suffire à souhaiter y renoncer autant que possible, mais il y a qu’elle est créatrice. Penser n’est pas neutre. Penser de façon réactionnelle que l’on se fait avoir assure de se faire avoir effectivement ou, à tout le moins, de s’attirer une nouvelle circonstance où l’on pourra penser la même chose une fois de plus et, bien entendu, souffrir de plus belle. La pensée « encore une journée pourrie ! » après la seconde ou la troisième contrariété du matin vous fera difficilement passer une bonne journée. A la fin de la journée, vous prétendrez peut-être que votre pressentiment était avisé quand vous n’avez rien fait d’autre que projeter et donc fabriquer vous-même la mauvaise journée que vous avez passée.
Si vous m’avez suivi jusqu’ici, il se peut que vous déploriez de ne pas pouvoir cesser de penser compulsivement, de penser de façon négative. Je vous dirais alors : « Ah, vous avez observé cela ! Pour un instant, vous avez donc basculé du « penser compulsif inconscient » à son observation, et c’est excellent. Vous pratiquez déjà l’observation et le faire de plus en plus consciemment vous attirera la sérénité ». En effet, cesser de penser comme nous le faisons est rarement un acte volontaire durable. C’est davantage un effet de la guérison de vieilles blessures personnelles et du fonctionnement humain ancestral. Je parle de « blessures personnelles », parce que si la plupart des gens pensent de façon perverse à un certain degré, tous ne se fabriquent pas les mêmes conditions de vie, tous n’entretiennent donc pas les mêmes pensées négatives. Les pessimistes, les défaitistes, les résignés, les perfectionnistes, les immodestes, les insolents…, tous pensent, mais de façon plus ou moins différente.
Dans mes pratiques quotidiennes, je me propose parfois de cesser instantanément de penser et de juste voir ce qui se passe alors. Une des choses qui peut m’aider est, en quelque sorte, de guetter la prochaine pensée. Certes, je ne l’évite pas –je la retarde généralement -, mais je me permets plus sûrement de l’observer quand elle survient. Voyez si vous voulez tester cela. Or, j’ai une autre proposition à vous faire : ne vous forcez pas à ne plus penser, mais décidez, de temps en temps, d’être conscient de vos pensées, donc de les observer. Et, plus important encore, acceptez vos pensées, acceptez l’activité mentale, mais admettez que vous n’êtes pas obligé d’accorder du crédit à chacune de vos pensées. Ne luttez pas contre la pensée qui se présente, qui s’impose, mais ne croyez pas non plus à ce qu’elle énonce. Vous pouvez même en faire un jeu !
« Il (elle) va encore être indisponible » : tiens tiens, une pensée ! « Ils se moquent de moi » : juste une pensée ! « Et si j’avais une maladie grave ? » : ah, les pensées ! « Il ne fera rien de bon » : est-ce vraiment cela que je veux ? Eh bien, ce n’est qu’une pensée ! « Que va-t-on devenir ? Comment allons-nous finir le mois ? » : de telles pensées apportent-elles de l’aide ? « Je suis trop gros(se) » : ce peut être vrai, mais dans l’instant, c’est une pensée, une pensée qui ne me fait pas sourire si je lui accorde du crédit… Observez vos pensées et n’en soyez pas dupe.
Vos pensées proviennent essentiellement de vos conditionnements et il est salvateur de reconnaître ces derniers comme tels, de ne pas les confondre avec qui vous êtes véritablement. Pour l’essentiel, je perçois ces conditionnements comme nos blessures d’enfance non guéries. Enfant, si je me suis senti rejeté, par exemple, je vois le monde à travers le filtre de ce qui reste en moi de cette blessure, ce qui fonde mes pensées réactionnelles à mon sujet et au sujet du monde. Je n’ai plus besoin d’y croire, je n’ai plus besoin de me poser de questions (s’agissant des questions qui accompagnent un positionnement réactionnel). J’ai le choix entre « me laisser envahir par des pensées accablantes » et « observer mes pensées sans leur accorder d’importance ». Pour mes propres pensées, je suis le seul à pouvoir faire ce choix. Je suis maître à bord. Je peux avoir du mal à respecter mon choix sur la durée, mais je ne peux pas hésiter un instant à fixer ce choix.
« Ne luttez pas contre vos pensées », ai-je écrit. Dans le contexte de mon propos, penser est déjà lutter, voire « faire la guerre », et mieux vaut préférer la paix. Vous sentez-vous mieux quand vous êtes en paix ou quand vous êtes en guerre ? Que préférez-vous : être heureux, être en paix, ou avoir raison (ce qui signifie le plus souvent « prétendre avoir raison ») ? Si un bébé ou des enfants s’agitent un peu trop auprès de vous, vérifiez si une agitation mentale n’envahit pas votre tête. Les jeunes enfants sont experts pour refléter nos états d’âme intérieurs ou même inconscients. On méconnaît trop « l’autobourrage de crâne permanent ».
Simplement, acceptez vos pensées. Acceptez de les observer. Acceptez de ne plus les croire. Acceptez que la chose soit parfois plus difficile. Acceptez de ne pas toujours parvenir à accepter. Débrouillez-vous pour accepter… quoi que ce soit, juste parce qu’il y a transformation là où il y a acceptation (transformation heureuse, s’entend !). Et ne confondez pas l’acceptation avec la résignation. La résignation s’accompagne aisément d’une forme de dépit (donc de souffrance) alors que l’acceptation invoquée ici représente un accueil, une ouverture et invoque précisément encore un état intérieur paisible et basé bientôt sur un véritable contentement.
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