Le fait même de croire, au-delà des croyances spécifiques
Dans cette chronique, je ne vais pas m’intéresser aux croyances, à des croyances spécifiques comme aux croyances auto-accusatrices ni à d’autres, mais au fait même de croire, croire quoi que ce soit et que la chose crue soit avérée ou non. On pourrait bien être généralement positionné comme si notre existence dépendait du « croire » pour être fonctionnelle ou satisfaisante. Pourtant, à l’instant même où vous allumez votre ordinateur, par exemple, vous n’avez pas besoin de croire qu’il va démarrer pour qu’il le fasse effectivement. Je vais surtout parler du croire affirmé, imposé, donc envahissant et causeur de troubles, de la seule propension à croire.
Prenons pour exemple une croyance commune : « croire en Dieu » ou « ne pas croire en Dieu » (ce qui est toujours croire, croire que Dieu n’existe pas). Percevez bien les deux éléments de la proposition « je CROIS en DIEU ». Il y a le fait de croire, sujet de la présente chronique, et il y a ce qui est cru, la chose utilisée pour éprouver le croire. S’il vous faut absolument croire, comme la plupart des humains, vous trouverez aisément et largement de quoi faire : croire en Dieu, à sa non-existence, au miracle, à la maladie incurable, aux gains, au danger, à la bonne fortune, à la malchance, à la perle rare, à l’injustice, à la malédiction… Dans l’inconscience ordinaire, on ignore bien sûr complètement cette tendance même à laisser libre cours au croire.
Le « croire » ou le fait de croire est si souvent et si machinalement en action qu’il est difficile de le distinguer des choses crues, des croyances. Ce qui peut aider à le reconnaître, c’est notamment son intensité variable, ainsi que les circonstances où il n’est pas utilisé, où il n’occupe pas la première place. Quand on est simplement intéressé par ce qui se déroule (y compris en regardant un film), le croire s’est tu, en principe. Il y a croire, ce qui est comme « prétendre savoir », un positionnement bien marqué, et il y a juste être, où aucun savoir n’a besoin d’être érigé en trophée, dont la qualité ne varie pas en fonction de ce qui est su ou ignoré, et qui ouvre notamment à l’inspiration.
J’insiste souvent sur la différence entre « penser » et « observer », « penser » et « sentir » ou « penser » et « juste être »… Je tente parfois d’évoquer les effets heureux de l’état de présence, celui qui permet d’observer et de percevoir, qui transforme et libère, mais je veux aujourd’hui m’employer à montrer la « perversité » du « penser » compulsif, de l’activité mentale envahissante quand rien ne la justifie dans le moment, si ce n’est bien entendu le conditionnement. Ce dernier dicte la tonalité générale des pensées qui occupent notre esprit à longueur de journée. Arrêtons-nous donc sur une forme très particulière et très prenante du « penser » intempestif.
Il y a l’apparition constante des pensées, tout le monde étant concerné, et il y a ce que l’on en fait. On accorde du crédit ou de l’importance aux pensées qui passent à des degrés variables. Une pensée peut passer inaperçue et une autre absorbée une attention incroyable. Une même pensée peut un jour nous déstabiliser complètement et un autre ne produire aucun effet. La reconnaissance de ces deux phénomènes devrait ou pourrait être une invitation à remettre en question ses positionnements ou au moins à les relativiser.
Les choses vont mal, se passent mal, parce qu’on croit à des pensées qui passent, même si rien n’y oblige (bien sûr en dehors du conditionnement, comme souligné précédemment). C’est croire qui fait mal, le seul fait de croire, et ce qu’il en est de la véracité de la chose crue ne fait aucune différence. Certes, une croyance profondément enracinée contient le pouvoir de faire particulièrement obstacle à une autre réalité, généralement bien plus heureuse, mais simplement croire produit dans tous les cas de la souffrance ou une limitation, et c’est ce que nous allons voir.
À 14 ans, aveugle depuis plus de trois ans, je « me suis rendu compte » que j’allais le rester toute ma vie (je l’ai cru) et j’ai alors éprouvé l’une des pires périodes de mon existence. J’avais l’expérience de la cécité et je n’en souffrais pas, mais croire soudainement que j’allais passer toute ma vie dans l’obscurité fut terrifiant. Croire fut terrifiant. Cela pouvait être tout à fait vrai, mais pourquoi le croire ? Qu’apporte à son expérience du moment de croire ? Par « croire », j’entends ici le fait d’être dans la croyance, d’être avec le « croire », de dépendre du croire, de laisser au croire une place importante.
Plutôt croire que j’étais aveugle pour le restant de mes jours, pour ne pas rester dans l’illusion ? Rester dans l’illusion implique de croire autre chose et ce croire-là cause l’attente, l’impatience, le mécontentement, la souffrance toujours. Croire est toujours gage de souffrance. Idéalement, rien n’était à croire et il eût bien suffi de pouvoir accorder son attention à l’expérience du moment, à la façon dont la cécité était vécue en direct. On peut savoir ou ne pas savoir, mais le croire n’est rien d’autre qu’une mobilisation mentale complètement inutile et surtout démoralisatrice.
Ce qui vient d’être dit à partir de mon exemple personnel suffit amplement à évoquer la folie ou le danger du croire. C’est un exemple transposable aux circonstances de la vie quotidienne. Nous y reviendrons. Pour la petite histoire, j’ajoute cependant que dix ans plus tard, un premier professeur ophtalmologue m’expliqua que l’opération subie à moins de 11 ans (décollement de la rétine) aurait dû et pu être retentée jusqu’à mes 18 ans environ (âge où j’ai cessé de faire la différence entre jour et nuit). Les choses se sont juste passées en correspondance loyale avec mon « croire ». Votre propre « croire loyal » n’est pas moins efficace, CROYEZ-moi !
En visite récente chez moi, cette amie se lève ce matin-là, très vite fortement contrariée après s’être rendu compte qu’il pleuvait. Elle avait plusieurs sorties prévues et n’aimait pas la pluie, à moins qu’il lui fallût utiliser la première circonstance accessible pour éprouver sa vieille propension à la contrariété. Or, pour que ça marche ainsi pour elle, pour qu’elle puisse restée contrariée et le justifier, il lui fallait croire fort qu’il allait pleuvoir toute la journée.
Pendant le petit déjeuner que nous partagions, elle était donc contrariée, mal, non pas parce qu’elle allait (peut-être) se retrouver sous la pluie lors des prochaines heures, mais du seul fait d’y croire, de croire. La souffrance de mes 14 ans n’est en rien expliquée par l’expérience de la cécité qui dure encore près de 50 ans plus tard, mais juste parce que je croyais alors, parce que du croire m’anéantissait. La cécité a pu parfois être éprouvante à certains égards (du croire était encore en cause), mais elle n’a jamais été un anéantissement. Croire est horrible ! Là encore, je n’aurais pas besoin de poursuivre le second exemple pour appuyer mon propos, mais la suite est tout de même édifiante.
Le petit déjeuner n’était pas terminé quand mon amie reçu un coup de fil, une bonne nouvelle inattendue ! Une heure plus tard, elle sortait en chantonnant, sous la pluie. La pluie cessa dans le quart d’heure. On s’empoisonne la vie à croire ce que l’on croit et il semble même qu’on croie dans ce seul but, dans le but de « souffrir ». C’est un peu comme si les moments vraiment éprouvants ne suffisaient pas et qu’il fallait sans cesse les anticiper. Sans vous intéresser a priori aux circonstances qui se sont passées bien mieux que ce que vous aviez craint, essayez de repérer ces moments, très nombreux, où vous êtes mal juste par effet de croire (peu importe quoi).
Par exemple, voyez ce qui se passe quand vous tombez malade ou si vous l’êtes en ce moment ! Voyez ce que vous dites, ce que vous vous dites, ce que vous affirmez, ce que vous croyez. Ce que vous croyez est ce que vous vous dites, mais ce sont encore des choses que vous croyez de façon plus subtile ou plus cachée. Vous vivez la maladie ou toute autre circonstance comme si… C’est à vous de terminer la phrase si vous voulez subsidiairement découvrir ce que vous croyez et qui vous nuit. Ici, outre ces croyances à découvrir éventuellement, percevez surtout la tendance même à croire, l’implication du phénomène « croire » dans ce qui constitue tout malaise, l’utilisation du seul croire pour… souffrir.
Il peut vous sembler, dans une situation pénible donnée, que le croire ne soit pas concerné. Ne pas être avec du croire est une chose, éprouver un « je ne crois pas » en est une autre qui est toujours du croire en réalité. Par exemple, si vous deviez me dire que vous ne croyez pas en la possibilité pour vous de retrouver du travail, je vous dirais que vous vous attendez surtout à rester au chômage, que vous croyez cela. Je ne sais pas si vous allez retrouver du travail, mais je sais que croire que vous n’allez pas en retrouver est ce qui vous mine dans l’instant. Croire est une torture. Le croire est bien là, de façon peut-être plus discrète.
Peut-être avez-vous déjà remarqué, comme moi, que des pensées stupides nous traversent de temps en temps la tête et nous ne dirions certainement pas que nous les croyons. Cependant, quand ces pensées absurdes tournent autour d’une problématique familière, elles renvoient très certainement à une croyance profonde et toujours active. Le seul croire reste impliqué. « Parle-moi de tes pensées indésirables et je te dirai ce que tu crois et donc que tu crois effectivement, que tu es dépendant du croire ! »
Si l’accent est essentiellement mis ici sur l’effet immédiatement négatif du croire momentané, quand de la peur est éprouvée directement, il n’est certainement pas inutile de préciser ou de rappeler que le croire limite, retarde ou même empêche une solution, une guérison, une transformation souhaitable. Pour faire simple, on s’attend à ce que l’on croit négativement et l’on n’est pas disponible pour laisser surgir une autre réalité. Croire est contreproductif. C’est une entrave.
Il y a un autre domaine où il est intéressant de considérer l’implication négative du croire. Quand on désire, envie, espère, fantasme, revendique, exige…, on croit qu’obtenir la chose va garantir un effet absolument et exclusivement heureux. Sans y croire, comment pourrait-on dépenser parfois tant d’énergie pour parvenir à ses fins ? Or, a-t-on jamais connu ce bonheur absolu et exclusif en obtenant quoi que ce soit ? Le croire peut au mieux soulager, un temps, mais n’apporte jamais de joie durable. Vérifiez-le, pour vous-même ! Il reste qu’en l’occurrence, c’est encore bien le croire qui nous anime, ici de façon encore plus illusoire.
La personne qui réalise ce à quoi elle aspire, collectionne les réussites ou se guérit d’une maladie incurable ne le doit pas au croire. Elle le doit au non-croire. Cette personne-là ne croit pas ou ne croit plus aux obstacles, aux échecs, à l’impossibilité, à l’interdit, à l’inaccessible, à la malchance, à l’injustice, à la malédiction. « Ne cherche pas à croire quoi que ce soit, vois ce que tu crois et libère t’en ! » Mieux encore, reconnais cette seule tendance à croire et elle se fera de moins en moins puissante ! Là où il n’y a pas de croire, la vie est harmonieuse.
Si, à l’inverse d’autres personnes, vous trouvez toujours une place de parking où que vous alliez, ce n’est pas parce que vous croyez qu’une place vous attend, même si vous pouvez d’ailleurs le croire, mais avant tout parce que vous ne croyez aucunement que vous allez galérer à chercher une place. En réalité, dans votre cas, heureux, ce n’est pas que vous croyiez en votre bonne étoile, mais d’expérience, vous savez que les choses se passent ainsi. Quand je déambule seul dans Paris, je n’ai pas la croyance que l’aide sera au rendez-vous quand j’en aurai besoin, mais je sais que l’aide arrive toujours.
Dire que je le sais n’est qu’une façon de parler, juste parce que je le mentionne ici, mais ordinairement, je ne le sais même pas, je le vis, c’est tout ! Précisons aussi que, dans les domaines où le croire n’interfère pas, les circonstances ne sont jamais vécues comme dramatiques s’il advient qu’elles se déroulent de façon apparemment négative. Pour souffrir, il faut croire (une chose ou une autre). Croire cause une focalisation, une stagnation, un blocage d’énergie. Ne pas croire, ne pas être animé par le croire, c’est être ouvert, disponible, dans l’accueil.
Alors, pourquoi croit-on et continue-t-on de croire de la sorte quand on n’a jamais fait l’expérience d’en obtenir une aide ou un bénéfice réel ? En croyant ce qu’on croit, on peut réagir comme on « aime » réagir. Si je crois qu’un tel va une fois de plus abuser de moi, j’ai un nouvel os à ronger, une nouvelle occasion pour ruminer, pour m’apitoyer sur mon sort. Si je me crois maltraité, je peux me plaindre à loisir. Si je crois que le monde est comme ci ou comme ça, je peux m’indigner, me révolter, et j’aime ça ! Si je crois que telle relation ou telle circonstance est envisageable, je peux la désirer, l’envier, la fantasmer… juste avant d’éprouver un peu plus tard… la frustration !…
J’ai montré que ce qui fait mal, ce qui fait la rumination, la plainte, la rébellion ou la frustration, n’est pas la chose crue, laquelle peut bien être vraie, mais le seul fait d’y croire. Croire ainsi est une application mentale, un mode de pensée, une perversité. Nous souffrons tous de cette tare, plus ou moins, et nous ne pouvons que nous en amuser en la reconnaissant. Ne pas s’en amuser impliquerait encore du croire. Percevons-le au besoin ! Quand le croire est en cause, reconnaissons-le !
Le croire sera encore plus facilement piégeant et particulièrement difficile à relâcher, d’abord à reconnaître comme tel, lorsqu’il est appliqué à une circonstance tragique en train de se passer ou de défrayer la chronique. Prenons l’exemple d’un attentat terroriste ! Si ce n’est en vous-même, voyez combien, en l’occurrence, le croire est manifesté, affirmé, et avec quelle violence parfois, avec quelle souffrance détournée ! Savoir que l’événement est des plus malheureux et agir au mieux pour y répondre (selon les circonstances), c’est une chose. L’éprouver via le croire en est une autre, celle qui est décrite dans ces pages. Pour être à l’écoute et en empathie, il n’y a rien à croire. Pour vivre en harmonie, il n’y a rien à croire. Pour vivre en harmonie, le croire doit précisément être absent.
Le croire est une compulsion, un investissement mental, émotionnel et réactionnel. La réaction peut être très active ou plutôt passive, mais elle affecte toujours son environnement d’une manière ou d’une autre. Elle contribue à l’inconscience et à la misère humaine. Pour souligner l’aspect préjudiciable du croire, sur le plan collectif ou simplement relationnel, on peut évoquer les croyances religieuses et morales, comme celles que certains cherchent à imposer à d’autres, mais le phénomène est largement plus répandu.
Par exemple, votre engagement spirituel, politique, social, ou l’un ou l’autre de vos modes de vie (loisirs, végétarisme, sexualité…) peut susciter de façon négative le croire de l’un de vos proches. S’il est porté à le manifester, à le propager, et s’il est entendu par des oreilles naïves ou influençables, vous pouvez être amené à éprouver du conflit, mais cela dépend toujours et d’abord de votre propre conditionnement, de votre propre « croire ».
CONDITIONNEMENT, POSITIONNEMENT, CROIRE-. L’environnement familial contribue au conditionnement qui engendrera des positionnements spécifiques. On peut dire que la façon d’éprouver et de manifester ses positionnements utilisera ce que nous pouvons appeler le « croire » tel que nous l’avons décrit ici.
« Croire » est le ciment du karma, de ce qui maintient en l’état l’existence conditionnée. La cible du croire change ou peut changer, mais ce n’est alors au bénéfice que des formes, que de sa prison plus ou moins dorée. Le besoin ultime est l’abandon du croire. La vie ne peut s’écouler de façon harmonieuse que sans le croire. Le croire manifeste l’inconscience, à la fois l’état même d’inconscience et, par son contenu, la mémoire du conditionnement. On est inconscient quand le croire est actif et ce qui est cru provient du conditionnement insoupçonné, inconscient.
Si, par cette lecture ou autrement, vous vous rendez compte du croire à l’œuvre en vous, si vous le percevez sans jugement, sans rien croire dans cet instant, c’est dire que vous en êtes sciemment conscient, que vous êtes présent. Rien d’autre n’est nécessaire pour désactiver peu à peu ce vieux schéma comme tout autre. Le relâchement du croire est la sortie de la souffrance, de la réaction, du karma.
« Plus je me vois pris dans le croire, animé par le croire, en lien à la résistance à ce qui est aussi bien qu’au « vouloir » ce qui n’est pas, et moins je crois. Moins je subis le dictat du croire et plus je me sens libre, en paix, dans la joie. La dissipation du croire est permise par sa seule perception et non pas par la pensée qu’il ne faut pas croire. Cette pensée serait toujours du croire et tout croire est toujours vain, voire nocif. Qui aime voir suive l’invitation à regarder ! »
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