Le démenti pernicieux
Dans la chronique de septembre 2013, j’ai évoqué notre mode spécifique de vouloir, un mode compensatoire relié à notre blessure principale. Dans la chronique suivante, je me suis arrêté sur notre attitude réactionnelle personnelle de même origine. Au besoin, relisez ces deux chroniques car ici, nous allons plus loin. Dans les deux textes, je montre combien il est vain et même tout à fait contre-productif de VOULOIR et de RÉAGIR comme nous incite à le faire notre conditionnement psychologique. J’ai cependant souligné que mes propos ne suggéraient pas de s’interdire de vouloir, ni de réagir. Sur le plan qui nous intéresse, les « il faut » et « il ne faut pas » ne sont d’aucune aide (ce qui est un euphémisme).
Tenter directement d’arrêter de fonctionner comme on fonctionne, de se comporter comme on se comporte, revient à croire que l’on agit comme on agit, par hasard ou sans raison ; cela revient à nier la logique des choses, une certaine forme d’intelligence. Oui, s’il est logique de ne pas vivre ce qu’on dit vouloir et de vivre ce qu’on dit ne pas vouloir (référence là encore aux deux chroniques précédentes), nous allons ce mois-ci voir la façon dont notre conditionnement nous conduit LOGIQUEMENT à fonctionner comme nous fonctionnons. Devenir conscient de tout cela est bien plus efficace que toute autosuggestion comportementaliste.
On ne peut pas, de façon efficace, intervenir sur notre mode « vouloir » (envier, espérer, revendiquer…), ni sur notre attitude réactionnelle (résignation, rébellion, lamentation…), parce que ces positionnements sont seulement des effets et on va recevoir beaucoup d’aide avec la prise en compte de leurs causes. Certes, la seule observation qu’un comportement nous dessert contribue largement au lâcher-prise, mais observer en plus ce qui produit ledit comportement facilitera grandement les choses. Si la cause est défaite, l’effet disparaît nécessairement et toute tentative de contrôle devient donc inutile ou, mieux encore, ne peut même plus exister, ne peut plus se manifester.
Il est fort probable que le contenu des chroniques actuelles touchera davantage une personne qui a déjà bien identifié sa blessure principale, qui a repéré les blessures qui conditionnent plus ou moins son existence. Nous pouvons avoir une blessure principale et être aussi conditionnés par d’autres blessures. Cependant, une lecture attentive des chroniques représente aussi un moyen d’en apprendre sur soi, ce que permet plus particulièrement le livre, Le regard qui transforme, sous-titré Ces blessures qui nous guident vers l’épanouissement. Abandon, dévalorisation, maltraitance, rejet et trahison, quelles sont les blessures qui vous parlent, à vous ?
À la lecture des deux dernières chroniques, par exemple, vous avez pu reconnaître que vous êtes particulièrement (le cas échéant) la proie de l’envie compulsionnelle, que vous avez tendance à vous soumettre en maintes circonstances et que ces deux « options » comportementales ne font que cultiver la frustration (celle ici inhérente à la blessure de dévalorisation). Dès lors, il pourrait en effet être tentant d’en conclure qu’on ne devrait plus envier ni se soumettre. Maintenant, en allant plus loin, si l’on découvre que tout cela est sous-tendu par une croyance auto-accusatrice du genre « je suis mauvais », ne serait-ce pas plus judicieux d’aspirer à abandonner cette dernière ?
Il s’agit de la reconnaître comme telle, de la voir vraiment, non pas d’y croire encore, ni de minimiser la réalité de son existence (quand elle existe, celle qui existe et qui reste donc à identifier). C’est le plein accueil (conscient) d’une croyance qui permet son abandon. Et ce n’est vraiment pas chose facile – entendez-le bien – parce qu’on a mis en place des stratégies pour tenter à tout prix de démentir ce que l’on croit, bien sûr à tort, alors que cela requiert de le reconnaître désormais. Autrement dit, est-ce que je tiens encore à démentir ceci, cela ou suis-je enfin prêt à juste voir que j’y crois ?
Pour évoquer la blessure de trahison, la personne qui, tantôt espère ou fantasme, tantôt rumine, ronge son os…, ne s’aidera pas davantage en cherchant à se contrôler, sous prétexte que l’espoir (devenu parfois fantasme) et la rumination empirent le mécontentement. Ce qu’elle cherche à démentir, c’est, pour faire simple : « Je suis un problème ».
Et puisqu’elle a toujours voulu le démentir (alors qu’il s’agit de démentir quelque chose qui est irréel), elle ne peut pas s’y arrêter aisément, voir vraiment ce qu’elle croit. Ce qui est cru, la croyance, est une chose, sa pleine perception en est une autre. Ce qui est dit là pour la dévalorisation et la trahison vaut bien sûr pour chacune des trois autres blessures. D’une façon insidieuse, on peut même reconnaître sa croyance, non pas simplement pour juste la voir, juste la percevoir, ce qui produit le réel effet transformationnel, mais pour la démentir très vite toujours et encore. Démentir une croyance n’est de loin pas s’en libérer.
• L’abandonné désire, rêve et se résigne, notamment du fait de se croire inintéressant ;
• Le maltraité exige et se plaint, notamment du fait de se croire épouvantable ;
• Le rejeté fait des caprices et se rebelle, notamment du fait de se croire méchant ou même idiot.
Le livre susmentionné donne beaucoup plus d’informations sur les façons spécifiques de vouloir, sur les attitudes réactionnelles et sur les croyances auto-accusatrices que tout un chacun cherche à démentir, à démentir encore quand l’invitation est simplement de les reconnaître comme telles, de les reconnaître comme les « mensonges » qui ont conditionné toute son existence. C’est l’occasion de rappeler ce que je dis de temps en temps sous une forme ou sous une autre : « Ne cherche pas à t’aimer », ce qui est encore du démenti, « mais deviens simplement conscient de ce que tu crois à ton sujet, de ce dont tu t’accuses ».
Ce qui précède est essentiel, parce que tant que nous ne l’aurons pas vraiment perçu et de la sorte libéré, que nous en soyons conscients ou non, que nous le voulions ou non, nous continuerons de fonctionner de cette même manière qui engendre toujours plus d’insatisfaction. Nous pourrions aussi finir par nous étonner de conserver des attentes parfois complètement irrationnelles. Celles-ci peuvent être à la fois en effet irrationnelles et « très utiles » puisque nous tenons fort, dans notre inconscience, à pouvoir déplorer l’insatisfaction.
Il peut être intéressant (voire amusant) d’observer combien ce seul énoncé peut susciter le désaccord, faire réagir, « grincer des dents ». Et justement, ce serait faire encore le choix de la déploration, confirmer par là même ce qu’on voudrait contester. Nos conditionnements sont puissants, très puissants. Ne plus rien en penser et juste les observer le cas échéant est la seule chose qui fera la différence. Pour finir, accordons cette fois de l’attention à ceci ou cela que l’on dit vouloir, à ces attentes qui sont nôtres. Récemment, une personne me questionne comme suit en consultation :
« Liées à ma blessure de maltraitance facilement identifiée, mes attentes vis-à-vis de mes proches – en réalité mes exigences – me compliquent effectivement mes relations et ma vie. J’y vois bien la façon compulsionnelle de vouloir (selon ton jargon), l’exigence, mais de là à ce que mes exigences ne connaissent parfois plus de bornes ! Que se passe-t-il alors ? »
Le conditionnement de cette personne (sa blessure) est tel que ce qu’elle veut, il lui faut l’exiger. Oui, pour elle, « vouloir », c’est « exiger ». Elle ne peut être que dans l’exigence et pour assurer ce fonctionnement, deux possibilités s’offrent à elle : soit vivre sa demande comme si elle allait être reçue telle une chose qui ne pourra pas être satisfaite (alors qu’il peut en être tout autre en réalité), soit trouver une chose matériellement irréalisable (ne serait-ce qu’au moment de la demande). Ce même schéma s’applique pour chacun des quatre autres « blessés ».
• L’abandonné croit faussement impossible ce qui lui tient le plus à cœur ou il cultivera un désir effectivement irréaliste ;
• Le dévalorisé croit erronément interdit ce qu’il veut ou entretiendra une envie qu’il serait « seul » à se permettre.
• Le rejeté, convaincu abusivement qu’il ne recevra pas, réclame une chose après l’autre jusqu’à exagérer sa demande, son attente ;
• Le trahi croit aveuglément inaccessible ce à quoi il aspire ou il espérera (fantasmera) l’insolite.
L’intensité de l’intérêt porté à cette chose attendue (désirée, enviée, exigée, revendiquée, espérée) dépend de la puissance de ses croyances auto-accusatrices qu’on cherche à démentir. Si l’on obtient ceci ou cela, cette chose extraordinaire, c’est donc qu’on n’est pas si … (mauvais, dérangeant, indigne…). Et si l’on se libère de ses croyances auto-accusatrices, comme indiqué plus haut, tout intérêt incongru disparaît. En même temps, on se permet de vivre ce qui nous tient vraiment à cœur puisqu’on a fini de le croire impossible, interdit, inaccessible, extraordinaire ou extrême, et qu’on a fini de même de « préférer » réagir à son absence.
En d’autres termes, nous vivons ce à quoi nous aspirons profondément, ce que souffle la vie que nous sommes, lorsque :
• Nous avons compris que le monde extérieur n’est jamais que le reflet fidèle du monde intérieur et avons commencé à reconnaître ce monde intérieur (il n’est pas indispensable d’être aveugle pour voir en soi) ;
• Nous avons cessé de résister à ce qui est, de réagir à ce qui semble contraire à nos préférences ;
• Le vouloir une chose a été remplacé par la simple acceptation de cette même chose – sentez la différence entre « vouloir une chose » et « accepter cette chose » ;
• Les croyances auto-accusatrices ont été reconnues et il n’y a plus rien à envisager pour démentir quoi que ce soit ;
• Nous nous rappelons que la vie sait mieux que nous ce qui est juste pour nous.
On continue d’endurer certaines conditions de vie, notamment parce qu’on méconnaît ce qui est expliqué dans ces chroniques, parce qu’on l’oublie, voire parce qu’on ne trouve aucun intérêt à le considérer. On fait le choix inconscient de juste réagir à ce qui ne nous convient pas. Tant qu’on reste dans la réaction, d’autant plus si on la justifie, on se garantit le mal de vivre sous une forme ou sous une autre.
Avez-vous déjà observé ce qui se passe pour vous dans les moments où vous avez vraiment relâché toute réaction (colère, indignation, plainte, rumination et tout autant résignation et soumission) ? Il se peut que vous fassiez rarement une telle expérience, mais cherchez un peu, vérifiez-le ! Vous pourriez apprécier de découvrir ce que vous vivez alors. Cela sera une ouverture. Et avec la prochaine chronique, exceptionnellement déjà écrite, nous ferons encore un pas de plus.
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