Le basculement libérateur (2/8)
Ici, nous continuons de présenter et d’explorer ce que j’appelle le « basculement libérateur ». Son intégration ou sa mise en œuvre nous permet de nous disposer ou de nous préparer à faire place en nous à la paix, à la joie, à l’amour… Il s’agit toujours, rappelez-le-vous, de nous faire du bien ! Si nous basculons, sur nos seules impressions, sensations et autres ressentis, notre attention autrement réservée aux circonstances et à ce que l’on pense, notre ambiance intérieure se transforme très vite.
D’ailleurs, indépendamment de ses effets incroyables, le basculement du penser à l’observation, du « je pense, je juge » à « j’observe, je perçois », est lui-même remarquable, parce qu’il représente un grand changement immédiat. Le basculement de toute chose à une autre n’est-il pas forcément un changement, et le bienfondé de certains basculements n’est-il pas indubitable ?
Au moins de temps à autre, pouvons-nous être conscients de combien « ça pense en nous » et de combien nous sommes attachés à ce qui est pensé ? Et n’avez-vous jamais remarqué que ce que vous pensez vous fait du mal ? Souvent, le basculement le plus utile pourrait se traduire par « revenir ici et maintenant ». C’est spécifiquement le basculement de l’attention dédiée au passé et au futur, en faveur de la conscience de l’instant présent.
On emploie souvent l’expression « passer de la tête au cœur », un basculement magnifique au demeurant, mais peut-être serait-ce plus parlant de dire « passer du penser à l’être ». Être dans la tête, c’est penser, rester attaché aux pensées, et l’Être est cordial, bien entendu, il est l’Amour. On le manifeste en observant sciemment ; on le manifeste à travers la vigilance ; on le manifeste en demeurant bienveillant…
Notons-le au passage, en règle générale et dans l’ignorance de la possibilité d’un basculement libérateur, nous sommes plus ou moins la proie de ce que nous pouvons appeler « le syndrome de substitution ». Nous remplaçons sans cesse une chose par une autre, de façon compensatrice ou réactionnelle (voir l’illustration au paragraphe suivant). Ce syndrome est donc la recherche obsessive d’une compensation ou de quoi réagir. Il repose d’abord sur la façon dont on s’est senti traité, ce sur quoi nous n’avons pas besoin de revenir ici. C’est l’objet d’autres chroniques et spécifiquement de mon livre, Le regard qui transforme.
Ainsi, sans cesse, nous basculons d’une envie à une autre, de quelque vouloir à un autre, ou d’une préoccupation à une autre, d’une circonstance déplorée à une autre… Et chacune de ces choses, sélectionnée par le « moi historique, conditionné », retient à chaque fois toute notre attention, mais c’est bien sûr d’un autre basculement dont nous avons besoin. Il s’agit d’un basculement qui nous permet de sortir de notre vieux conditionnement, autrement dit d’être davantage qui nous sommes.
Ce basculement-là permet une expérience heureuse immédiate et il ne repose donc pas sur une attente, sur une fin attendue, ni sur une sorte d’accusation, de dénonciation. Il n’est en rien une saisie, ni un calcul. Un basculement bienvenu est libérateur, parce qu’il place au bon endroit pour agir en notre faveur. Très vite, nous le savons, parce que l’expérience nous l’enseigne. Alors, si nous pouvons dissiper « l’entrave intérieure » à la lumière, prêtons-nous cordialement à cette expérience ! Le plus gros obstacle à l’éveil ou à la conscientisation est l’auto-culpabilisation, celle-ci incitant au déni ou au refoulement et, pire encore, à la projection. On doit lui substituer l’auto-considération bienveillante, laquelle est libératrice. Voilà un basculement qui n’est certainement pas des plus aisés !
On peut dire que vivre un basculement libérateur demande de se traiter à l’inverse de la façon dont on s’est toujours senti traité et dont on s’est toujours traité soi-même. En effet, l’expérience impliquée est à l’opposé de l’habitude ou la tendance à se négliger, à se juger, à se culpabiliser, à se faire quelque reproche que ce soit, à se mentir, etc. Or, en entendant parler du basculement libérateur, outre un possible haussement d’épaules, quelque chose en vous pourrait dire, entre autres : « Je ne vais tout de même pas me prêter à ça ! » ou encore « C’est quoi cette histoire ? »
Et vous pouvez le vivre tout de suite, vous l’offrir tout de suite, oui tout de suite ! Par exemple, quand vous lisez ici l’évocation d’un état heureux ou d’une possibilité transformatrice, alors que vous vous en savez « à mille lieues », au lieu de le déplorer, de vous en sentir mal, de le contester ou encore de faire comme si vous n’aviez rien lu, si vous le recevez avec le sourire, une saine curiosité ou une ouverture silencieuse, vous êtes en plein basculement. Et si cet accueil-là est pour vous habituel, vous savez déjà ce qu’est le basculement libérateur.
Nous pouvons tous trouver sans mal des moments où nous nous oublions, où nous nous critiquons, où nous nous tapons sur la tête, où nous nous culpabilisons ou où nous avons terriblement honte. Et cela nous est-il difficile de voir certains de nos proches, ceux que nous apprécions le plus, manifester eux-mêmes l’une ou l’autre de ces attitudes préjudiciables ? En principe, nous ne devrions pas résister à l’idée d’être pour eux un soutien chaleureux. Alors, qu’est-ce qui pourrait encore s’opposer à ce que nous devenions pour nous-mêmes ce même « soutien chaleureux ». Tout de suite, offrons-nous ce basculement !
Quand c’est le comportement d’autrui qui tend à nous déstabiliser intérieurement, à nous affecter quoi qu’il en soit, que la victime apparente soit nous-mêmes ou un tiers, pour nous arrêter sur un exemple des plus communs, nous pouvons déjà nous rappeler trois choses (en faveur d’un basculement libérateur) :
• Je projette, j’interprète, je crois, jusqu’à pouvoir voir ce qui n’est pas.
• J’ai le pouvoir de m’attirer jusqu’à des « comportements odieux », quand je n’ai jusque-là rien pu voir et libérer autrement.
• Il est impossible que je vive quelque chose que je n’aurais pas à vivre, y compris une circonstance réellement abominable.
Rappelons que l’adversité que nous nous attirons est bien sûr au seul bénéfice d’une libération, d’une décharge émotionnelle, à partir de l’acceptation, de l’accueil du vieux revécu douloureux (voir la chronique intitulée Le déploiement libérateur – juillet 2023).
De même que l’éveil spirituel est le basculement de l’illusion à la réalité, de la réaction à la paix, du mal-être au bien-être, du jugement à l’amour, de même, le basculement libérateur est un retour à soi, élève la qualité de présence ; il est aussi ou permet une ouverture, une disposition réceptive, donc la transformation. Les effets de ce basculement pourraient être considérés comme des miracles, mais ils sont seulement logiques ; ils sont ceux du basculement intérieur, du vrai miracle. Du reste, le basculement libérateur est en soi un miracle qui peut être délibéré et qui occasionne de vivre tous les miracles intérieurs bienvenus. L’observation est puissante. En fait, le basculement libérateur est un lâcher-prise, le passage des postures égoïques à l’approche de notre nature profonde.
Si nous plongeons tout à coup dans l’acceptation véritable, alors que nous venons de nous rendre compte que nous résistons à ce qui se joue en nous, que nous ne l’acceptons donc pas, un basculement heureux a eu lieu. En basculant de la mentalisation à l’observation pure, on modifie immédiatement son ambiance intérieure et, très souvent, même les circonstances extérieures se modifient. Quand vous basculez de l’état réactionnel habituel à l’observation de celui-ci, vous avez accompli un miracle ! Oui, basculer de la réaction chronique, systématique, à l’acceptation véritable, aux effets heureux et multiples, c’est un vrai miracle, même si celui-ci ne défrayera pas la chronique (d’autant moins que mêmes des « manifestations dites miraculeuses » peuvent laisser indifférent !).
On commence à lâcher prise en se permettant de reconnaître, de ressentir sciemment ce qui est éprouvé ou de reconnaître la réaction constamment impliquée. Et c’est basculer de l’envahissement égoïque à la « Présence sensible, intelligente ». Le remplacement de la réaction par l’amour est un basculement de la posture intérieure que l’on peut parfois ressentir directement en le testant. Pour le vérifier, à différents moments, dites-vous, rappelez-vous par exemple ceci : « Oh, rien ne m’oblige à rester positionné intérieurement comme je le suis et je peux invoquer la paix, l’amour, la lumière ». Quand nous percevons tranquillement nos vieux schémas, incluant la peur et la résistance, nous basculons du conditionnement à ce que nous sommes en vérité.
Le basculement libérateur peut même être envisagé, évoqué, ressenti, indépendamment des effets de de nos vieux schémas éprouvants à libérer. Il est ou il dit la réalisation de soi. Et peu importe à partir de quelle option malencontreuse nous basculons, il s’agit toujours de « basculer » dans l’amour. Ce pourrait en quelque sorte être le basculement de ce que nous ne sommes pas à ce que nous sommes… Le basculement utile de l’attention devient bientôt un changement de positionnement et même l’abandon de tous les positionnements psychiques (nous y reviendrons). Basculer du mal-être à la paix, c’est souvent basculer de la réaction au non-jugement, à l’amour.
Si vous vous amusez à basculer du penser ordinaire à l’observation pure, vous noterez votre progression à travers notamment le détachement (relatif) d’avec les pensées, des pensées pouvant être encore là sans que nous leur accordions autant crédit. Le détachement des pensées ou le retrait du crédit qui leur est ordinairement accordé est une nécessité absolue, et reconnaissons aussi et surtout cette difficulté-là. Or, sachons ou rappelons-nous que « difficile » ne veut pas dire « impossible », ni « inaccessible ». Les obstacles rencontrés sont seulement des marchepieds qui nous permettent en toute logique de nous élever.
Pour retirer de l’attention au mental pensant, nous avons une possibilité essentielle à laquelle je vais ici (pour la première fois) consacrer quelques paragraphes. Il s’agit d’honorer notre corps au bénéfice de notre âme. Afin d’être de moins en moins la proie du penser inutile, nous pouvons en effet nous disposer à revenir sans cesse à la sensation corporelle, à la sensation consciente de notre corps ou d’une partie de notre corps.
Dès lors que notre attention est principalement dirigée sur quoi que ce soit, quand la sensation corporelle garde de l’attention, l’activité mentale, inutile, se trouve affaiblie. Une personne que l’on perçoit comme très incarnée, bien dans son corps, interagit naturellement de façon inspirée et plus chaleureuse. Pourquoi n’envisagerions-nous pas, nous aussi, d’habiter notre corps, de l’habiter davantage, de l’habiter en conscience.
Le mental gourmand prend toute l’attention ou toute l’attention lui est laissée. Or, nous ne sommes pas du tout ce mental, la tête, nous sommes le cœur et nous avons un corps, nous l’habitons, peut-on dire. Il peut sembler difficile, voire impossible, d’agir et d’interagir en conservant de l’attention sur son corps, ce qui est « fonctionner sainement », mais il ne faut pas tenter de s’y prêter longtemps pour réaliser à l’inverse que la chose est naturelle. On s’exprimera toujours à partir de quelque part. S’exprimer à partir du mental, du penser, c’est parfois comme tenter de jongler en marchant sur un fil, de caresser l’être aimé avec des gants de boxe. C’est encore « pédaler dans la semoule ». Cela ne fait-il pas écho à du malaise, à de la confusion que nous connaissons bien ?
En fait, moins on est perdu dans ses pensées, pris mentalement, dans la réaction, plus on est dans son corps, avec son corps, avec la conscience ou la sensation de son corps. Et les effets de cette sensation consciente peuvent être inattendus. Quand nous considérons n’importe quelle circonstance à contenu problématique, en reconnaissant surtout notre investissement mental, nous pourrions utilement nous suggérer de revenir à la sensation de notre corps ou d’une partie de notre corps. C’est ainsi seulement que nous « y verrons plus clair », que l’attitude juste à adopter en l’occurrence se révélera, que quelque chose sera reçu, le penser inutile n’y faisant alors plus obstacle.
N’excluons pas que certaines douleurs physiques puissent être causées par le seul fait de ne pas habiter notre corps et plus particulièrement l’éventuel endroit douloureux. Le corps s’exprime et réclame notre attention, notre présence consciente. Pour le dire autrement, le déni ou le dédain de tout ce qui nous concerne finit toujours par faire mal. Faisons bien la différence entre « habiter son corps en conscience » et « se prendre pour son corps ». Nous ne sommes pas notre corps, mais celui-ci est notre sanctuaire, à la fois magnifique et incontournable, et nous ne pouvons pas faire comme s’il n’existait pas sans nous causer du trouble. Et quant au souci de son apparence physique, il ne répond évidemment pas au besoin profond d’habiter son corps en conscience.
Ordinairement, on se rabâche une histoire ou une autre, surtout en l’absence d’interlocuteurs, ainsi enfermé dans le passé, mais on fait fi des sensations corporelles qui rient ou pleurent ici et maintenant. De même, on fait peu cas de ce qui nous entoure ici et maintenant (personnes, animaux, objets, endroits…), mais on se remémore sans cesse, par exemple, une critique entendue il y a 20 ans. Et quand le temps semble ne plus nous préoccuper, c’est l’espace qui prend le relais : on se dit mal là où l’on est et l’on voudrait donc être ailleurs.
Si nous y prêtons un peu d’attention, nous verrons que nous sommes toujours en quête d’un ailleurs et d’un autre temps. N’est-ce pas en effet ce que nous faisons tout le temps, partout et tout le temps ? Ne serait-ce que quelques brefs moments, nous pouvons essayer de nous imaginer tout à fait indépendants du temps et de l’espace, accueillir alors les impressions ! Nous n’avons pas besoin d’attendre la mort pour basculer hors du temps et de l’espace. C’est une expérience à laquelle nous pouvons nous inviter ici et maintenant.
Je dois beaucoup de ce que je vous fais partager là à cette grande découverte récente, prodigieuse, qui me fait m’entraîner quotidiennement depuis huit mois à la vision sans les yeux. Je suis émerveillé par sa réalité depuis le début, et le seul fait de regarder (outre ce que je vois) me ramène au corps, m’y plonge, m’y entraîne… Voir en est un effet. J’entends le message : « Que peux-tu voir, entendre, sentir, recevoir comme intuition et inspiration, si tu restes éloigné de la sensation de ton corps, lequel est connecté à tout l’univers, si tu n’es pas là, soucieux d’être ailleurs ? » Ce que nous sommes en essence est bien au-delà de l’univers physique, mais l’univers physique et notre corps ne font qu’un. (Sans doute en reparlerons-nous dans des chroniques à venir).
Si notre attention déserte ordinairement toute sensation corporelle, nous passons aussi à côté de la multitude d’impressions et d’informations pourtant accessibles avec nos cinq sens. Quoi que nous fassions dans notre journée, l’essentiel de notre attention reste fixé sur nos pensées. Alors, quelle attention reçoivent nos perceptions tactiles, olfactives, gustatives, bien sûr aussi auditives et visuelles ? Et de plus, quelles perceptions supplémentaires ne vivrions-nous pas si, en conscience, nous touchions plus, nous sentions plus, nous écoutions plus, etc. ? Sans arrêt ou le plus souvent possible, regardez, écoutez, touchez, sentez, goûtez, et vos expériences seront bien plus édifiantes que tout ce que je pourrais vous en dire.
Au départ, la possibilité évoquée d’habiter davantage son corps peut donner l’impression d’une technique difficile à mettre en pratique. Cette impression peut être dépassée en devenant conscient des parties de son corps où l’énergie semble plus présente, circuler mieux qu’ailleurs, qui pourraient comme permettre de la légèreté ou même de la puissance. Ce pourrait bien être les parties que nous habitons le plus, à partir desquelles nous interagissons le plus. Autrement dit, proportion gardée, c’est déjà ce que nous vivons, ce que nous « pratiquons ». Il suffit alors d’en devenir conscient pour le vivre davantage, en amplifier l’expérience.
Invitons les sensations plaisantes, déjà existantes, à l’ensemble du corps et d’autant plus là où il y a davantage besoin (tension, faiblesse, insensibilité…). Personnellement, j’ai toujours reconnu la force et l’énergie de mes jambes, mais aussi la faiblesse musculaire de mes épaules. Et désormais, juste l’idée « d’habiter » mes épaules m’est très agréable et ne me suggère rien de technique. Et juste le rappel de cette idée, comme dans l’instant, a pour effet sans même le vouloir de me redresser, de me rendre plus présent, d’être « bien là », à la fois de m’y trouver et avec du « bien-être ». Le bien-être dépend aussi de notre relation à notre corps.
Plus nous nous prenons pour notre corps, plus nous pourrions croire l’habiter. En réalité, nous nous prenons pour notre corps et nous le désertons. Ce n’est pas contradictoire : nous ne pouvons pas nous prendre pour le corps et l’habiter. Ce qui se prend pour le corps est l’ego, un personnage fictif. Ce qui est sciemment conscient ne s’identifie à rien, ni au corps, ni aux rôles qu’il joue. « Mais si je suis l’habitacle, je ne suis pas le résident. » Ce que nous sommes, la conscience pure, n’est rien que l’on puisse voir ou toucher, rien qui puisse faire l’objet d’études scientifiques.
Pour terminer cette chronique, je vais me permettre de vous définir un peu, avec la certitude que je ne vais pas être dans l’erreur. Or, vous noterez que je ne vais pas parler de votre corps, non pas parce que je ne le connais pas, mais parce que, pour ce faire, je n’en ai pas besoin. Vous n’êtes pas votre corps ! Bien sûr sous divers voiles qui eux ne me sont pas inconnus, vous êtes la paix, vous êtes la joie, vous êtes l’amour, vous êtes la lumière. Vous êtes un potentiel que vous ignorez. Vous êtes aimé à un point que vous ignorez. Comme vous, je suis humain et je pourrais donc à l’occasion me laisser encore irriter par l’une ou l’autre de vos réactions, mais en vérité, qui que vous soyez, je vous aime ! (À suivre)
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