L’auto-infentilisation
Des lecteurs de la précédente chronique m’ont fait part de l’une de leurs observations, observation que j’entends régulièrement à la fin des consultations que je donne. « Maintenant (après lecture ou séance), je me sens bien, complètement ragaillardi, et je sais bien que dans quelques heures ou quelques jours, je vais retrouver mon malaise habituel. Je ne crains pas cela dans l’instant. C’est juste que ça se passe toujours ainsi. Et pourquoi ?». Je remercie Jérôme d’avoir davantage attiré mon attention sur ce phénomène que nous connaissons tous. Ce seul phénomène mérite bien qu’on lui consacre toute une chronique. Voyez si elle vous éclaire !
IL y a en effet qu’on se voit basculer assez régulièrement d’un état de paix, de dynamisme ou de satisfaction dans un état de frustration, de mécontentement ou même de dépression. Il y a en tout cas le basculement. Dire qu’on le voit est un peu excessif ! Si on le voyait vraiment, peut-être s’y laisserait-on prendre avec moins de facilité ou de régularité. Tout est merveilleux, tout va pour le mieux et, soudainement, c’est « la fin du monde ». On finit par se requinquer et très vite, trop vite, la mauvaise humeur a regagné le terrain une fois de plus. N’est-ce pas ce que nous connaissons tous ? On peut bien avoir la réputation d’une personne toujours d’humeur égale, l’équanimité déserte souvent notre coeur en réalité !
D’abord, il convient de souligner qu’il n’y a rien d’étonnant à traverser des hauts et des bas de façon alternative et répétitive. Les opposés semblent constituer l’univers : le jour et la nuit, le chaud et le froid, l’été et l’hiver, la naissance et la mort… les hauts et les bas… Il n’est pour autant pas naturel de faire durer les bas, ni de les dramatiser. Même ceux à qui la prospérité est familière connaissent des périodes d’accalmie ou de marasme. Moins ils résistent à ces temps de baisse et plus vite ils retrouvent leur essor. Auteurs, compositeurs, poètes, peintres, tous les artistes ne demeurent pas toujours pareillement inspirés. Pouvons-nous accepter ces moments plus arides qui se présentent à nous ?
Que nous le voulions ou non, que nous en soyons conscients ou non, notre bagage mental et mémoriel est notamment constitué de croyances et de dispositions émotionnelles qui nous sont néfastes. Les circonstances malheureuses déplorées dans notre vie (les bas) pourraient être autant d’occasions à saisir pour conscientiser et relâcher ces encombrants « souvenirs ». La manière dont nous vivons les choses éclaire nos croyances, nos interprétations et nos réactions émotionnelles auxquelles nous pouvons renoncer désormais et pour notre plus grand bien. Il est là question de nos blessures non guéries.
De façon plus spécifique, tentons de percevoir ce qui peut se passer au moment même où s’opère le basculement mentionné plus avant. Nous sommes en paix, enthousiastes ou même pleins d’amour, et parfois, l’affaire d’un instant nous plonge dans un grand désarroi ou une profonde angoisse. « L’affaire d’un instant », dis-je. Quelle est cette « affaire » ? Elle représente manifestement un élément majeur. De temps en temps, c’est un événement extérieur qui se produit, mais le plus souvent, l’affaire est seulement une pensée, une pensée subie. On se dit quelque chose (quelque chose qui fait mal) et l’on flanche.
Ce qui suit vous arrive-t-il parfois ? Vous êtes seul chez vous, vaquant à quelque activité, ou même la nuit au calme dans votre lit, et vous vous sentez bien pour vivre soudainement un changement d’humeur plutôt désagréable. Si ce n’était à une pensée qui vous a traversé l’esprit, à quoi d’autre pourriez-vous donc attribuer ce changement ? Méfiez-vous de vos pensées, elles ne sont pas « toujours » amicales… envers vous-même ! Admettez que vous vous dites quotidiennement des choses, que vous vous laissez traverser par des pensées qui vous font plus de mal que de bien. On ne fait pas cela sans raison, mais on le fait bel et bien !
Or, même quand c’est un événement extérieur qui a semblé vous bouleverser, c’est toujours une pensée qui est en réalité en cause. Nous vivons tous des choses similaires, nous entendons tous plus ou moins les mêmes informations (ce qui concerne la crise par exemple) et pourtant, nos réactions sont rarement complètement identiques. Seules nos pensées font la différence. Et certains demeurent impassibles quand d’autres se laissent envahir par l’anxiété. Bref, nous pouvons retenir que le basculement d’un état émotionnel dans un autre est causé / permis par la pensée, par des pensées.
Précisons sans tarder que les pensées en cause sont essentiellement des interprétations, dictées par nos vieilles croyances. Avec la croyance que vous risquez sans cesse de vous faire avoir, vous allez avoir bien du mal à ne pas interpréter certains échanges relationnels comme des manifestations abusives. Prenons un autre exemple : face à une même demande, deux personnes obtiennent un « non ». Imaginez que la première de ces deux personnes a généralement et fortement peur de se faire jeter. D’après vous, accueille-t-elle le non comme la seconde ? Percevez que son malaise spécifique sera dû, non pas à la demande non satisfaite, mais à son interprétation de la situation. Elle pourrait découvrir sa vieille croyance autoaccusatrice « je suis rejetable » qui lui inspire tant d’interprétations qui la laissent si mal.
Certes, toute demande suivie d’un non peut laisser un besoin momentanément insatisfait. Cependant, il sera plus facile de continuer de s’occuper utilement de ce besoin en n’étant pas sous l’effet émotionnel d’une interprétation de la première réponse négative. La pensée qui cause le basculement émotionnel est donc généralement une interprétation. Ajoutons que nous ne savons « jamais » rien de la véracité de cette interprétation. Pire, mon expérience me montre qu’elle est fausse dans la plupart des cas. Chose intéressante, à l’interprétation qui nous blesse, on peut s’amuser à en opposer bien d’autres tout aussi plausibles, voire plus réalistes.
Pour basculer dans le mal de vivre, on se met à penser, à interpréter des choses. Mais à quoi cela revient-il finalement ? Que se passe-t-il dans le moment qui précède le basculement et qui ne se passe plus ensuite ? Ensuite, justement, que se passe-t-il ? Quand tout va bien, quand vous vous sentez bien, se peut-il que vous vous trouviez plus ou moins dynamique, plus ou moins entreprenant, souvent actif ? Quand la frustration ou la culpabilité vous a à nouveau gagné, se peut-il que vous ayez perdu du goût des choses, que vous attendiez que ça se passe ou je ne sais quoi d’autre, que vous pensiez à d’autres fautifs (donc d’autres responsables que vous) ?
Eh bien, dans le premier cas, heureux, vous êtes dans l’exercice de votre pouvoir, dans la joie de le vivre, dans la joie de la vie ; vous êtes votre propre maître. Dans le second cas, vous avez abandonné votre pouvoir à l’extérieur, à d’autres, au monde physique ; vous êtes « devenu » « victime ». Si ce que je vis est de la faute d’un tel, de ceci, de cela, c’est un tel, ceci ou cela qui a le pouvoir. Le basculement émotionnel est une passation de pouvoir. On passe sa vie à renoncer à son pouvoir ou à le transmettre et, de temps en temps, à se le réapproprier. Réapproprions-nous notre pouvoir !
Avez-vous suivi ? Quand vous vous sentez mal, malheureux, c’est que vous êtes positionné comme si vous n’aviez aucun pouvoir (ça n’est jamais vrai), comme si l’autre là-bas avait tout pouvoir, comme celui de vous rendre heureux (ça n’est jamais vrai). Mais dites-moi, ce positionnement-là ne vous rappelle rien, ne vous dit rien ? Qui se trouve effectivement et naturellement dans un état de dépendance qui renvoie au positionnement que nous venons d’évoquer ? C’est à l’évidence l’expérience d’un petit enfant.
Dans la chronique précédente, je parle du phénomène que j’ai appelé « parentalisation réparatrice », ce que nous recherchons de façon compensatoire et illusoire. Ce phénomène a pour corollaire ce qu’il nous faut appeler « l’auto-infantilisation » préjudiciable. Quand on bascule dans le mal-être, quand on a abandonné et transmis son propre pouvoir, on se positionne en tant qu’enfant démuni ou victime. ON a perdu l’insouciance, la spontanéité et la joie de vivre de l’enfance (beaucoup d’entre nous les ont perdu dès le tout-début de leur vie) et l’on en a conservé des attentes insatisfaites, autrement dit la souffrance.
Au fond, on est souvent l’enfant malheureux, capricieux ou ronchon et assez peu l’enfant joyeux et insouciant. Reste à savoir si l’on a été ce dernier enfant un jour. La réponse est certainement négative pour ceux d’entre nous qui éprouvent une détresse chronique ou trop récurrente. J’ajoute ici (je l’ai peu dit) que des personnes sont parfois encouragées à s’inventer une enfance malheureuse (parfois même heureuse) tandis que beaucoup d’autres continuent d’ignorer ou même de nier la leur. Tous se rendent un bien mauvais service. Les circonstances événementielles de notre prime enfance sont peu importantes, seul compte ce que nous avons éprouvé. Nous continuons de l’éprouver !…
Aujourd’hui, permettons-nous de voir tout cela, de le reconnaître ! Pour nous-mêmes, soyons le parent que nous n’avons pas eu ou accordons-nous généreusement ce qui a pu nous faire défaut. Renonçons à la honte et à la culpabilité. Ne cherchons plus « dehors » aucun pardon, accordons-nous-le enfin !
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