La somatisation, la cristallisation
Comme elle l’a déjà fait le mois dernier, Isabelle C. vient de me solliciter et sa demande, simple et directe, devrait nous permettre de revenir sur des notions élémentaires, complétées par quelques données permises comme d’habitude par l’inspiration du moment.
Je rappelle que votre intérêt exprimé, vos demandes ou suggestions me sont tout à fait précieux pour alimenter la présente chronique. Et Isabelle de demander :
« Pourrais-tu parler de la somatisation ? Je suis surprise par des choses qui m’arrivent en ce moment et je me demande s’il n’y a pas quelque chose là-dessous ! »
ON parle de somatisation pour désigner un conditionnement (une programmation) psychique qui s’exprime à travers le corps, qui se fait éprouver dans la chair. Mais ce phénomène de cristallisation des « bagages mentaux pernicieux » ne se limite pas au corps de chair ; il englobe tout notre environnement physique, matériel, ainsi que toute la sphère relationnelle (pertes, isolement, conflits…).
D’ailleurs, les effets des contenus mentaux (peurs, croyances, positionnements…) n’apparaissent pas seulement et sans doute pas en premier lieu au niveau relationnel, corporel et/ou matériel, mais on les rencontre dans notre positionnement mental lui-même. Par exemple, la jalousie, l’envie prenante, le désir obsédant cristallisent des choses comme la peur du manque, le rejet de soi, la culpabilité… – et ces choses sont en elles-mêmes d’autres effets des blessures de l’enfance.
Il ne serait pas possible, ni sensé, d’annoncer des effets à partir d’un traumatisme repéré, connu, identifié (on a pu le cas échéant se libérer suffisamment avant d’en arriver à une somatisation, à une cristallisation), mais je suggère que seule l’ignorance peut nous tenir à l’écart des causes véritables (psychiques) de ces effets que sont tous les problèmes que nous déplorons, qu’ils impliquent notre corps, notre environnement matériel ou nos relations.
Et quand Isabelle dit « Je me demande s’il n’y a pas quelque chose là-dessous », ne suggère-t-elle pas qu’il pourrait tout de même en être autrement ? Ignorer la « cause mentale » d’un problème est une chose, ordinaire et compréhensible, mais ignorer que cette chose existe bel et bien (quelle qu’elle soit) en est une autre, plus ennuyeuse.
Sachant qu’il y a quelque chose quelque part, nous nous apprêtons à le découvrir au besoin. En l’ignorant, voire en le niant, nous risquons de ne pas le voir avant longtemps et, ce faisant, de maintenir le problème pourtant bien « encombrant ».
Et l’on peut « s’amuser » à considérer le problème comme une entité. La nier, l’ignorer ou lui attribuer des causes erronées (malchance, injustice, hérédité…), c’est la laisser bien seule, ne pas l’écouter, ne pas entendre ce qu’elle « crie » pourtant ; c’est la traiter ni plus ni moins comme l’on s’est senti traité enfant (par exemple). Et quel gâchis ! Le problème nous apporte ce que nous avons besoin de voir et, trop longtemps, nous n’en faisons rien, chacun ayant ses « bonnes raisons » ou demeurant dans l’ignorance.
Donc, il y a d’abord la non-prise en compte ou la prise en compte trop partielle de la chose déplorée comme un effet dont la cause est ce sur quoi nous pouvons avoir une action, utile, transformatrice, heureuse.
Ensuite, il y a une difficulté possible que nous ne devons pas négliger, une fois que nous savons l’existence d’une cause mentale pour ce que nous endurons : la difficulté à identifier cette cause. Il convient ici de faire preuve à la fois de conscience et d’humilité.
« Ici, je me rends compte qu’il y a quelque chose que je ne vois pas, que je n’ai pas encore vu ; il y a quelque chose qui m’échappe encore… » Et ce n’est pas parce que nous n’avons pas vu la chose qu’elle n’existe pas. M. de La Palisse le confirmerait, ce que nous avons fini par voir (découvrir), en termes de peurs ou de croyances par exemple, existait et nous affectait avant sa découverte.
D’autre part, sans le plaisir d’un jeu, d’un sport (de toute activité), quand seule compte la victoire ou une acquisition, le résultat est toujours beaucoup plus difficile ou incertain. Vouloir guérir ou résoudre des problèmes est bien légitime, mais de façon apparemment paradoxale, s’occuper (enfin) des causes requiert semblablement de leur accorder un intérêt plus grand que celui réservé à la solution elle-même. Cela implique de laisser de côté (pour un temps) ce que l’on sait déjà (ou plus exactement croit savoir). S’il n’y a pas de changement dans la manière dont nous sommes affectés, ce que l’on dit savoir n’est pas concerné en réalité…
Quand j’ai fini par m’intéresser à ma cécité (m’ayant longtemps laissé croire qu’elle m’était indifférente), j’ai vu bien des choses (quelques-unes ci-dessous à titre d’exemple) qui ont fait dans ma vie une différence très heureuse, très positive. J’ai vu :
– Que je ne l’acceptais pas du tout (oui, j’avais ignoré cela) ;
– Que j’accordais un plus grand crédit au regard d’autrui, ce dont je souffrais (j’en ai reçu l’invitation à me réapproprier mon propre regard) ;
– Que j’avais nourri la honte d’aimer (qu’il ne fallait pas être vu, que quelque chose n’était pas à voir, qu’il ne fallait pas voir…) ;
– Que j’étais porteur d’un « je ne veux pas voir ça ! » ;
– Que j’avais postulé que jamais je n’aurais accès au meilleur (au « receVOIR », à la vérité, à la vision…) – « je ne saurais jamais », « je ne verrai jamais », « je ne recevrai jamais »…
Chose très amusante, Le Petit Robert (dictionnaire) illustre sa définition pour « somatiser » avec cette citation : « Elle somatise par sa cécité un malheur, une humiliation. Somatisée, l’humiliation disparaît, mais elle ne disparaît qu’en se métamorphosant en une infirmité, la cécité justement » (Tournier).
Eh bien, la cécité n’est de loin pas seule à renvoyer à ce qui n’est pas vu (pas compris, pas senti) et toute cristallisation (tout problème) parle pareillement de ce même phénomène.
Et évitons une mauvaise compréhension de la citation de l’auteur (sinon corrigeons-la) : une somatisation ou une cristallisation, non seulement ne fait pas disparaître sa cause, mais l’amplifie et, mieux encore, la révèle. Les problèmes en tous genres sont un domaine privilégié de conscientisation, ne nous en privons pas !
Maintenant, précisons que réagir à un problème n’est toujours pas le regarder, même si l’on n’est plus là dans un déni direct. Au contraire, pour compréhensible que soit la réaction, elle signifie un refus (comme celui de voir quelque chose précisément).
De plus, la réaction est un piège, elle soulage quelque chose, elle est presque « jouissive ». On « aime » ça se mettre en colère, s’indigner, se plaindre, accumuler les preuves… Notre réaction spécifique (nous en avons tous une) est devenue un mode de survie, une véritable seconde nature, et, jusqu’à ce qu’il y ait conscientisation, comment pourrions-nous en user pleinement sans nos problèmes et maladies ? Il nous faut donc les entretenir et les attirer, la réaction joue aussi ce rôle « insolite » !
Je peux nier mon problème (ce qui est déjà une réaction, passive), y réagir « activement » ou lui accorder une attention neutre ou bienveillante. Comprenons simplement que ce sont là des positionnements différents aux effets différents eux aussi. Si je me plains de mon problème, je suis en train de m’en plaindre, non de le regarder, non de m’en occuper positivement, utilement. Et s’en occuper utilement sera ici de voir d’abord la réaction elle-même. Et si je la vois vraiment, je n’y suis plus englué, je ne suis plus dedans et d’autres choses vont pouvoir se révéler à moi tôt ou tard.
Je remercie vivement Isabelle pour sa contribution et je l’invite, si elle le souhaite, à nous faire partager ses compréhensions et/ou nouvelles interrogations à partir de ce qui est notamment évoqué dans ces lignes. Mais, bien entendu, l’invitation vaut pour toute lectrice et tout lecteur de la chronique.
Et si vous êtes intéressé à participer à un forum ou une liste de diffusion, faites-le-moi savoir !…
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