La résistance, la compensation
L’être humain que nous sommes est en paix, comblé – peut-on même dire – quand il a lâché la tête, quand il est présent, dans le plein accueil de ce qui est « ici et maintenant ». Tout le monde peut, devrait pouvoir le vérifier pour soi-même. Quand ça ne va pas, quand ça ne va plus, quand ça va moins bien, le « moulin à pensées » s’est remis en route. Reconnaissons-nous cela ? Pouvons-nous l’observer et, pour une fois, ne rien en penser, ni même ne rien vouloir en faire ? « Quand je suis simplement présent à ce qui est, dans une sorte de silence intérieur, je me sens simplement bien. Quand je me remets à me dire des trucs inutiles, quand le penser automatique se remet en route, je finis tôt ou tard par retrouver du malaise, de l’insatisfaction, de la souffrance sous une forme ou sous une autre. Et c’est tout ! ». Oui, c’est tout !
« Oui, mais… Oui, mais… Oui, mais… ». Ah, l’observateur n’est pas encore de retour et c’est le mental qui est toujours de garde ! Là encore, si je le vois, si je capte ce seul fait, un peu comme un appareil photo capture n’importe quelle image, c’est l’observateur qui est de nouveau à l’œuvre. Dans l’appareil photo, conçu pour « voir », il n’y a strictement rien qui juge ou déplore ce qui est vu. Mon appareil photo personnel (vous avez le même) s’appelle la conscience (je gagne beaucoup à l’utiliser de plus en plus) et voici donc les derniers instantanés que j’ai pris. Eh bien, si l’on m’avait dit que je me mettrais un jour à la photo !
Quand j’évoque le mental, le penser, relativement aux pièges qu’il nous tend ou dans lesquels il nous laisse, je n’ai évidemment pas à l’esprit l’outil merveilleux qu’il représente également pour accomplir de nombreuses tâches (travail, loisirs, vie quotidienne…), de même pour réaliser ce que notre cœur ou la vie nous invite à faire. Quand elles ne sont plus seulement réactionnelles, les pensées peuvent être inspirées, donc fort utiles et efficaces. Non, les pensées qu’il me plaît de décrédibiliser ou plus simplement d’observer quand elles surgissent au lieu de me laisser embarquer par elles, ce sont les pensées incontrôlées, réactionnelles, intempestives qui, faudrait-il le taire, sont souvent également stupides et même préjudiciables.
Pour faire simple, on peut classer nombre des « pensées réactionnelles » en deux grandes catégories. Les unes sont manifestement négatives ; les autres peuvent être considérées comme plus positives, quoiqu’elles ne fassent qu’entretenir ou que rappeler l’insatisfaction. Provenant d’une catégorie ou de l’autre, elles sont toutes réactionnelles en ce sens qu’elles sont des réponses inappropriées aux vieilles douleurs enfouies en nous et que nous résistons à ressentir en conscience (lire ou relire la précédente chronique – avril 2013).
À titre d’exemples, voici une liste de « pensées réactionnelles négatives ». Une seule d’entre elles qui vous parlera personnellement pourra vous en suggérer bien d’autres. Ici, il s’agirait simplement de vérifier quand ou combien, en effet, ce genre de pensées peut s’imposer dans votre tête, vous envahir :
La vie est décidément injuste ; il n’y a jamais rien pour moi ; je n’ai jamais de chance ; on me cherche toujours des ennuis ; c’est scandaleux ; je suis maudit ; je n’en aurai pas assez… ; je manquerai d’argent ; je ne pourrai pas guérir ; j’aurais dû… ; je n’aurais pas dû… ; il ne faut pas qu’on me voie, qu’on le sache ; il n’est pas question que… ; ça ne sert à rien de…, la vie est comme ça, faut faire avec ; si c’est tout le merci que j’en ai ; je savais bien que ça se passerait comme ça ; je ne peux jamais faire ce que je veux ; il faut que… ; ils n’ont qu’à… ; c’est de ma faute ; je ne dois rien dire ; c’est de sa faute ; oui, mais vous ne savez pas ce que je vis, c’est pire pour moi ! je ne devrais pas (en être encore là, par exemple)…
En fait, il s’agit des pensées qui surgissent inévitablement quand on résiste à ce qui est, quand on y réagit : quand on se plaint, se révolte, rumine dans son coin, se soumet ou se résigne. Eh oui, on fait ça, l’une ou l’autre de ces choses. Dans mon livre, Le regard qui transforme (voir la page d’accueil du site), j’appelle ces positionnements « les attitudes réactionnelles ». Et bien sûr, réagir ainsi, ça fait penser beaucoup. Réagir ainsi n’est d’ailleurs rien d’autre que penser. Seule change l’énergie qui sous-tend l’attitude adoptée. Par exemple, l’énergie d’une personne qui se résigne n’est certainement pas la même que l’énergie d’une personne qui se plaint ou, mieux encore, qui se révolte.
Notre attitude réactionnelle nous fait donc cultiver le genre de pensées qui appartiennent à cette première catégorie. Seul(e) derrière votre écran (ou avec une version papier de cette chronique sous les yeux), pouvez-vous repérer et donc admettre qu’il vous arrive bien des fois, soit de vous résigner sans plus rien attendre de bon pour vous, soit de vous soumettre en attendant « les jours meilleurs », soit de rester à l’écart pour bouder ou ruminer tout à loisir, soit de vous révolter avec plus ou moins de véhémence, soit de vous plaindre à qui peut vous entendre (spécifiquement en gémissant de façon plus ou moins ostensible) ? Et bien entendu, il n’est pas interdit de vous reconnaître vous-même dans plusieurs de ces attitudes réactionnelles (voire dans toutes, mais n’exagérons pas !).
Il y a autre chose à observer qui est aussi très intéressant dans nos positionnements qui nous empêchent encore d’être présents, d’être juste avec ce qui est. Ce sont ces moments où notre attention passe en quelque sorte du « je ne veux plus de ça », positionnement réactionnel, à une sorte de « je veux » qui est un autre positionnement tout aussi réactionnel. Profitons-en au passage pour nommer les deux catégories susmentionnées : les pensées « je ne veux pas » et les pensées « je veux ». Voyez si cette nouvelle liste évoque quelque chose qui pourrait vous être familier :
Ce serait si bon, si bien si je pouvais avoir ceci, vivre cela, être aimé par telle personne (positionnement plutôt passif) ; c’est cela qu’il me faut, je vais tout faire pour l’obtenir, pour l’acheter, pour y arriver (positionnement plutôt actif) ; je finirai bien par y arriver, par trouver la bonne personne, la solution (passif) ; il faut qu’elle, qu’il me donne (que tu me donnes) ceci, cela, c’est pour moi (actif) ; il, elle n’a pas le droit de faire ce qu’il, qu’elle fait, ni de ne pas faire ce que je demande (passif/actif)…
Vous pourriez avoir à l’esprit vos propres « je veux », les observer, observer tranquillement l’énergie qui les sous-tend (énergie qu’il est plutôt malaisé d’expliquer ici en quelques paragraphes). Peut-être les vivez-vous simplement à travers le rêve (un cran au-dessus serait le désir) ou à travers l’envie compulsive vous incitant à poser des actes qui finissent toujours par vous laisser insatisfait. Vous pourriez aussi fantasmer ou simplement espérer ce qui vous ferait plaisir jusqu’à payer cher parfois pour tenter de l’obtenir, en vain bien entendu (le prix à payer n’est pas toujours de l’argent). Selon votre propre conditionnement (votre blessure), ce peut être l’énergie de la revendication ou de l’exigence qui accompagne vos « je veux ».
Vous ne devriez pas confondre tous ces « je veux » compensateurs qui viennent d’être évoqués avec des aspirations profondes qu’un jour, vous voyez surgir en vous, dont la seule idée vous sourit, tandis que vous en occuper vous enthousiasme et dont la réalisation vous comble durablement. N’importe quel « je veux » compensateur qui obtient à l’occasion une réponse favorable ne satisfait jamais rien en nous. Au pire, il nous plonge dans plus d’insatisfaction ; au mieux, il fait naître immédiatement un nouveau désir, une nouvelle envie, un nouveau fantasme, une nouvelle revendication ou une nouvelle exigence.
Reconnaissez vos propres « je veux » ou, mieux encore, l’énergie qui sous-tend tout « je veux » qui vous vient à l’esprit, en fait qui vous obsède. Si vous grincez un peu des dents à l’idée qu’il vous faudrait maintenant en faire le deuil, reconnaissez également que seul votre mental vous laisse entendre cela et que vous ne l’avez pas lu ici. Vous inviter à renoncer à ceci ou à cela serait une chose, vous inviter plus simplement à l’observer en est une autre, tellement plus utile ! Je finis toujours par vivre quelque chose d’heureux simplement par la pleine observation par exemple d’une compensation ou d’une attitude réactionnelle, et jamais en me disant qu’il faudrait ceci ou qu’il ne faudrait plus cela. Autrement dit, la transformation provient de l’observation, du moment présent pour peu que l’on s’y trouve, et non pas du mental (lieu aussi de la morale).
De plus, si j’ai une suggestion à faire, c’est celle de ne pas vous inquiéter à propos de vos intérêts compensateurs (désir, envie, revendications…). Quels qu’ils soient, si vous les reconnaissez, c’est merveilleux. Or, qu’en est-il de votre attitude réactionnelle ? Feriez-vous tout autant la moue à la seule idée qu’elle vous lâche ? En toute conscience, souhaiteriez-vous continuer de vous plaindre, de vous résigner, de ronger votre os ? Le jouissif à le faire (il y en a bel et bien) ne résiste jamais à la pleine conscience.
Et le jouissif ordinairement insoupçonné, inclus dans notre tendance à réagir comme nous le faisons, n’empêche pas à cette attitude réactionnelle qui est la nôtre de nous plonger dans plus de souffrance ou de malaise. C’est précisément pourquoi, sans conscience, pour tenter de nous apaiser un peu, nous n’avons rien trouver de mieux jusque-là que de nous en remettre à une compensation. Eh oui, après avoir « suffisamment » réagi, même si c’est bien sûr illusoire, ça soulage un peu de rêver, d’espérer, voire de revendiquer. C’est dire que nos intérêts compensateurs sont notamment des effets de nos attitudes réactionnelles. C’est confirmer encore qu’avoir trop d’attention sur ces derniers est inutile (d’autant plus avec l’idée de s’en corriger, de se contrôler).
Ce que l’on cherche à ressentir à travers l’assouvissement, qui de son désir, qui de son envie, qui de son exigence…, c’est la chose même dont on continue de se priver, qui en se résignant, qui en se soumettant, qui en se plaignant… C’est appeler quelque chose d’un côté et le refuser de l’autre. C’est crier « viens ! » en maintenant sa porte fermée à double tour. Autrement dit, nous ne vivons pas ce que nous déplorons peut-être de ne pas vivre, essentiellement parce que nous maintenons obscurément un comportement contraire : notre attitude réactionnelle.
Alors, voyons plutôt, voyons mieux, voyons vraiment quand nous sommes dans la réaction (baissons les bras, nous lamentons, nous indignons…). Là non plus, je n’ai pas dit de ne plus le faire. Certes, on ne peut pas le voir, le voir vraiment, et le faire encore, mais une intention différente est à l’œuvre, toujours et encore celle de voir. Personnellement, voir quand je ronge mon os (puisque je m’y adonne), non seulement ne m’agresse pas, ne me prive pas, mais m’apaise souvent quasi instantanément. C’est à la seule vision bienveillante de la chose que je dois de la subir de moins en moins. (Une prochaine chronique évoquera certainement ce qui maintient ou ranime notre positionnement réactionnel.)
C’est alors que diminue l’intensité du désir, de l’envie, de la revendication. C’est alors, peu à peu, que se font connaître de vrais besoins et qu’apparaissent naturellement les moyens de les satisfaire, parce qu’alors, la satisfaction est déjà là. C’est ne plus chercher à vivre ou obtenir quelque chose pour se sentir bien, mais le fait de se sentir bien qui attire ce qui lui ressemble (paix, harmonie, abondance).
C’est exactement ça…et plus facile à dire qu à faire à certains moments ! et puis le faisant constater à quel point c’est libérateur…
Mais aussi je ne sais pas ce qui fait que j’arrive à observer etc…et là tout coule de source, et parfois je résiste comme une malade, et la bascule de ces deux façons d’être m’échappe quasi complétement , en fait !
C’est comme une montagne russe tout est simple et lumineux et tout à coup c’est le coté obscur qui m’envahit littéralement
En bref encore du beau travail en perspective avec ce bon vieux Robert !
Merci pour tes visions salvatrices.
Les choses sont ou semblent difficiles quand on les envisage en se disant “mille” choses à leur sujet ou en étant bien trop dans le “vouloir”. Il n’y a rien à se dire et rien à vouloir, il suffit de regarder, de regarder vraiment, et de percevoir.