La résistance au meilleur
L’acceptation est un thème régulièrement abordé ou simplement évoqué dans les chroniques, tout comme ailleurs par de nombreux auteurs. Pour ma part, je suggère plutôt de reconnaître la non-acceptation en soi, indépendamment de ceci ou de cela qui n’est pas accepté. Même avec une bonne intention, on risque en effet de maintenir son attention sur telle chose difficile à accepter alors qu’il importe davantage de la diriger sur la non-acceptation elle-même. C’est plus ambitieux et plus efficace. Eh bien, aujourd’hui, je vais pourtant faire une exception, pour ainsi dire, et mentionner quelque chose qui « n’est pas accepté », mais qui ne figurerait certainement pas sur la liste des choses inacceptables ou au moins « inacceptées » qu’on pourrait établir.
Tout le monde dira ou pourrait dire qu’il veut se sentir bien, être en forme, vivre dans le plaisir, l’abondance, la joie, l’amour, avoir confiance, se sentir libre, heureux, épanoui, etc. Et vous allez le confirmer, n’est-ce pas ? Mes observations me montrent que ce n’est toutefois pas si sûr dans bien des cas. Ordinairement, il est vrai qu’un certain conditionnement nous garde à bonne distance de ces heureuses expériences. Des pensées négatives s’imposent. La peur ou la culpabilité ne lâche pas. Un état réactionnel est maintenu. On continue surtout de se prendre pour ce qu’on n’est pas en vérité. Bref, ça ne va pas, voire ça ne va « jamais » ! Et bien entendu, des circonstances fâcheuses viennent régulièrement confirmer et intensifier le vécu malheureux incriminé.
Or, il y a aussi des instants plus ou moins marqués de paix, de confiance, d’amour, de contentement, parfois simplement des instants où il ne nous manquerait pas grand-chose comme pour nous confondre avec l’un de ces ressentis heureux. Ce sont des moments plus facilement repérables quand la vie semble nous sourire, quand une bonne nouvelle arrive, quand tout est tout à coup facile, léger, agréable, quand l’on se trouve en joie auprès d’un autre être humain et où l’on se sent très bien. Et il se trouve que ces instants-là sont rapidement écourtés en diverses circonstances. Pour certaines personnes, ce phénomène se produit fréquemment. Pour d’autre, il surgit de façon plus épisodique. Le phénomène peut être subtil ou se limiter à certaines sphères de l’existence.
En réalité, il arrive que nous n’acceptions pas d’être bien, de nous sentir bien. Eh oui, l’une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas durablement bien, d’une manière ou d’une autre, c’est aussi que nous ne l’acceptons pas ! Permettons-nous de voir cela, de l’envisager ! Disons au moins que quelque chose nous empêche d’accepter le meilleur. La peur et des croyances contraires repoussent en général le bien-être et les gratifications, mais s’ils surviennent malgré tout (si bonne est la vie), cette résistance inattendue (la non-acceptation) sera toujours là pour en limiter l’expérience, pour la faire capoter. Pour entrer tout de suite dans le vif du sujet, voyez si, dans ce qui suit, quelque chose peut vous interpeller.
Un heureux événement vous est annoncé d’une manière ou d’une autre. C’est en votre faveur et dans une certaine mesure, vous vous en réjouissez. Vous vous en réjouissez, juste parce que cela intensifie ce qui est déjà en vous, mais très vite, vous retrouvez en fait un positionnement mental habituel, celui-là même qui vous éprouve déjà en ne parvenant pas à réaliser en règle générale ce à quoi vous aspirez. Nous pourrions le formuler comme suit : « Ce n’est pas possible ! De toute façon, je ne vais pas pouvoir ceci ou l’autre ne pourra pas cela. Quelque chose ne pourra pas se faire ».
Bref, inconsciemment, vous cherchez à plaquer quelque part votre « ce n’est pas possible ». C’est ce que vous faites tout le temps. Possible ou non, avec ce genre de pensées, vous avez déjà repoussé en grande partie le plaisir rappelé par la seule annonce. C’est de la sorte que vous ne l’acceptez pas ou que vous y résistez. En voyant que nos positionnements réactionnels demeurent en toutes circonstances, négatives ou positives, on pourra enfin cesser d’incriminer les circonstances et reconnaître les positionnements eux-mêmes.
Une personne ou une circonstance vous met en situation de vivre le plaisir. Pas facile à vivre, pas facile à accepter si, pour démentir votre croyance que le plaisir vous est interdit, vous fonctionnez normalement sur le mode « j’ai du plaisir si je le prends moi-même, non pas s’il m’est offert ». Or, vous vous privez là du seul plaisir qui ne serait pas compensateur. Ordinairement, certes sans rien ne demander à personne, vous semblez vous faire plaisir en satisfaisant nombre de vos envies, mais puisque vous passez sans cesse d’une chose à l’autre, le plaisir n’est jamais au rendez-vous durablement. Vous ne pouvez pas accepter ce qui peut vous faire véritablement plaisir. Vous prenez, vous ne recevez pas et vous méconnaissez probablement la différence.
Voici qu’arrive ce que vous avez attendu depuis longtemps et que vous attendiez encore. Attendre la chose pourrait signifier que vous l’appréciez a priori, que vous la vouliez effectivement et qu’elle vous comblerait si elle se présentait. En l’occurrence, vous avez surtout l’impression qu’elle n’arrive pas au bon moment, parfois que c’est trop tard, ou vous ne pouvez tout simplement pas vous laisser aller à la pleine appréciation. Il y a surtout que le mode « attente » ne disparaît pas du seul fait que se présente la chose sur laquelle il se cantonnait ponctuellement ou depuis fort longtemps. L’attente est un mode réactionnel plutôt passif qui empêche d’être présent à ce qui est, y compris quand ce qui est se révèle tout à fait heureux.
Vous pouvez aussi rencontrer quelqu’un par qui vous vous sentez aimé et que vous aimez. « Je suis content, mais… », vous dites-vous. En fait, vous n’êtes pas dans la disposition imaginable, parce que l’ambiance générale qui est la vôtre ne vous a pas quitté du seul fait de cette « belle rencontre ». Elle continue de vous dicter des pensées qui la maintiennent en l’état. Vous continuez de craindre une chose ou une autre. Simplement, la peur d’être traité comme vous vous êtes « toujours » senti traité demeure alors même que vous êtes traité à l’inverse. Vous n’êtes pas disponible au meilleur.
Quand j’étais tout jeune homme, j’ai tenté beaucoup de choses pour me lancer dans la chanson. Au bout d’environ trois ans, j’ai fini par avoir un contact avec Jean Lumière (ancien chanteur devenu professeur de chant apprécié dans le show-business). Il a écouté l’un de mes enregistrements et m’a invité à venir le voir. Peu importent ici les raisons que je me suis données à l’époque pour repousser ma visite (et n’en rien faire finalement), je n’ai pas accepté de vivre ce pour quoi j’avais tant bagarré. Par ailleurs, une amie à qui je racontai cette anecdote me demanda : « Se pourrait-il que tu aies résisté à la lumière ? ». On peut finir par voir que l’on n’accepte pas telle épreuve. Parfois, on pourrait cependant être surpris en découvrant que ce que l’on n’accepte pas en réalité, c’est la solution, la transformation, la guérison.
Quel qu’il soit, notre mode réactionnel est toujours prêt à se mettre en marche au quart de tour, à la première occasion qui se présente. Par exemple, aujourd’hui même, j’attendais une livraison qu’on m’avait annoncée pour la tranche horaire 10 h / midi. La chose me convenant, j’avais donné mon accord et je m’étais organisé en conséquence. Vers 13 h, la livraison n’étant toujours pas faite, j’appelle le service concerné et j’entends que ma livraison était programmée entre 19 et 20 h. Il m’en n’a pas fallu plus pour m’énerver. Peu importe ce que nous pourrions en dire, rien d’essentiel ne pourrait justifier l’énervement.
L’exemple montre aussi l’aspect automatique de la réaction. Et cela s’est produit au moment même où je vivais l’une de ces circonstances auxquelles j’aspire régulièrement. Comment me laisser croire que le bien-être est effectivement ma préférence quand je peux aussi facilement tomber dans une réaction qui brouille l’instant présent ? Dans l’exemple, la circonstance elle-même est secondaire. Chacun trouvera ses propres circonstances, bien certain qu’elles méritent la réaction réservée. L’essentiel à considérer ici est ce mouvement inconscient, involontaire, machinal, parfois même systématique, qui est enclenché par une contrariété (quelle qu’elle soit).
Ce n’est évidemment pas pour rien que l’on ne peut pas accepter le meilleur, une certaine qualité de vie, ni de se laisser pleinement aller à la joie, au plaisir, à l’amour. C’est déjà dire qu’il n’y aurait pas lieu de s’en offusquer, ni surtout de résister à le voir, à le reconnaître. Ce qui n’est pas vu reste embourbé, ce qui est perçu est absorbé. Je redis souvent qu’il est bon de voir et j’ajoute parfois « parole d’aveugle ! ». Ce n’est peut-être pas qu’un mot d’esprit. Un manque réel d’une chose peut aussi nous en rappeler sa valeur. « Je suis aveugle, alors j’aime voir et aider à voir ».
Nous sommes conditionnés à éprouver toutes choses comme si nous les subissions, comme si elles nous étaient infligées, comme si un pouvoir extérieur était constamment exercé sur nous. Nous conservons en nous un vieux ressenti douloureux et nous incriminons toute nouvelle circonstance qui se présente, croyant donc qu’elle est la cause du malaise juste ravivé un peu plus dans l’instant. Or, ce conditionnement ne s’applique pas aux seules circonstances que nous pouvons interpréter comme négatives. Il y a aussi ces instants de paix, d’amour, de contentement, disions-nous, et bien qu’ils émanent de nous-mêmes (comme les précédents) ou qu’ils apparaissent tout simplement, nous les vivons comme si l’on nous faisait ce que nous ressentons. Le « on » incriminé peut aussi bien être une circonstance extérieure qu’une autre personne.
• « Il y a ceci, il y a cela qui me fait plaisir, voilà donc qu’on est généreux avec moi ! » ; « Tout est devenu simple, aisé, voilà donc qu’on me facilite les choses ! », « Je ressens l’amour, je suis dans l’amour, voilà donc qu’on m’aime ! »…
Donc, voilà surtout que nous nous sentons soudainement traités à l’inverse de la façon dont nous nous sommes toujours sentis traités, mais nous n’en avons vraiment pas l’habitude. Pire, nous ne connaissons pas ça, nous ne savons pas le vivre. Cela nous met mal à l’aise. Bref, nous ne pouvons pas le recevoir, nous ne pouvons pas l’accepter. Imaginez par exemple un enfant qui n’aurait jamais été touché, caressé, câliné, pris dans les bras. Comment va-t-il réagir si vous lui passer simplement la main dans les cheveux ou si vous voulez l’étreindre ? Il refusera tout naturellement ce qui est ou peut être bon pour lui, y compris en le ressentant pourtant comme tel et en en éprouvant le manque. On ne sait pas vivre de façon simple, naturelle et spontanée ce qu’on n’a jamais vécu.
L’arrogance avec laquelle nous pouvons vivre certaines choses favorables est seulement un autre moyen de ne pas demeurer dans la pleine appréciation de ce qui est. L’arrogance est un positionnement mental et non pas une qualité d’être. Par ailleurs, avoir de la gratitude envers quelqu’un n’implique pas la considération qu’il est responsable de notre bonheur. Ce serait lui faire endosser une bien lourde responsabilité – d’ailleurs impossible à assumer – et ce serait ici confondre la gratitude avec une demande ou une attente prolongée. Personne ne se sentira bien à recevoir une expression de gratitude pareillement empreinte. La véritable gratitude se trouve dans la seule appréciation et elle peut être exprimée bien entendu.
Donc, on croit subir les choses, bonnes ou mauvaises, et l’on ne peut finalement qu’y résister. En vérité, nous ne vivons rien qui soit grâce ou à cause de quiconque, ni même grâce ou à cause de nous-mêmes. Il n’y a que ce qui apparaît et il y a ce que nous en faisons, ce que nous en pensons, ce qui en est fait, des pensées qui surgissent. Il y a le crédit accordé à ces pensées et tout l’investissement qui en résulte. Au-delà de l’ensemble, il y a le silence, la sérénité et le plein épanouissement potentiel. Ne serait-ce pas là tout ce qu’il « nous » reste à percevoir, à reconnaître et à accepter ? Quant à ce « nous », on finira par voir qu’il n’existe pas comme tel, et ce sera… « l’éveil » !
Commentaire
La résistance au meilleur — Aucun commentaire
HTML tags allowed in your comment: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>