La réaction ou la malveillance (1/2)
Peut-être vous sentez-vous plus ou moins mal la plupart du temps (ou trop souvent en tous cas), mais pouvez-vous reconnaître, même après coup, les moments où vous êtes plus particulièrement dans la réaction ? On pourrait dire qu’il y a deux grandes manières de se trouver mal : réagir à ce qui est, quoi que ce soit, en nous-mêmes comme à l’extérieur, ou éprouver une humeur indéfinie, un malaise que beaucoup ne reconnaissent même pas. En fait, que nous soyons en pleine réaction ou dans un état simplement plus ou moins pénible, comme avec du « j’ai mal », une même posture psychique est maintenue. Elle s’appelle « la résistance ». La résistance, qui est donc une option psychique, affecte le corps, conditionne nos interactions, altère nos relations…
Se sentir mal est une chose, maussade, anxieux ou déprimé, par exemple, mais être dans la réaction en est une autre, même si c’est encore un état malheureux. Et se sentir mal signifie résister à du douloureux qui n’a jamais pu être reconnu et donc libéré. Tout le monde vit de la réaction, mais en général, nous ne faisons pas la différence entre les temps avec et les temps sans réaction, parce qu’en réalité, elle est toujours a minima en standby. L’aptitude à se reconnaître dans la réaction témoigne d’un « bel état de conscience », annonce des expériences successives de libération.
Nous ne décidons pas de notre réaction, elle est plus forte que nous, mais nous pouvons décider de la reconnaître, de l’observer, ce qui nous permet de retrouver une puissance libératrice. La réaction est une attitude et souvent une expression mentale qui accompagne un malaise, une douleur à laquelle nous résistons, et c’est ce qui s’appelle la souffrance ou la résistance. Souffrir, c’est résister ; résister, c’est souffrir. La souffrance est le rajout « inutile » superposé à du douloureux bien réel et « inutilement » dédaigné.
En tant que réponse émotionnelle, une douleur peut être considérée comme une réaction, mais nos réactions à nos douleurs, les positionnements adoptés, sont des attitudes très spécifiques. Nos proches voient, connaissent et parfois endurent nos réactions tandis qu’ils ignorent tout de nos douleurs, d’autant plus que nous les ignorons nous-mêmes. Nos vraies douleurs sont des ressentis puissants, dédaignés par nous-mêmes, et nos réactions sont des intentions, même quand celles-ci sont peu conscientes. Disons que ce sont des tentatives indéfinies, donc effectivement inconscientes, avec un mépris de ce qu’elles produisent ou pourraient produire (y compris à l’encontre du réactif lui-même). Comprenez ici l’intention comme étant ce qui fait l’action (aussi la réaction), sans préméditation systématique.
L’état juste douloureux implique peu de « penser », juste ce qu’il faut pour le maintenir, et l’état réactionnel en est saturé. Le penser qui accompagne le douloureux davantage reconnu est proche du « bon esprit » et le penser qui submerge l’état réactionnel est littéralement du « mauvais esprit ». En fait, le penser totalement inutile ne peut JAMAIS être bon, d’où une question possible à se rappeler : « En quoi ce que je pense là est utile ? »
On peut ajouter que toute forme de réaction est une tentative inconsciente (et bien sûr toujours vaine) d’évacuer un malaise, une douleur, alors même que l’effet principal de la réaction est une aggravation du malaise et même un rajout à celui-ci. La réponse réactionnelle à un malaise, à un mal-être est systématique, invariable et destructrice. Le douloureux seul qui émerge, non seulement n’est pas destructeur, mais il est destiné potentiellement à s’offrir à l’accueil libérateur. Nous ne le permettons pas du seul fait de la réaction à la fois « préférée » et comme contestée. C’est dire que nous n’assumons pas notre réaction.
En effet, il ne nous viendrait certainement pas de déclarer que nous sommes réactifs, que nous nous identifions à un réactif (résigné, soumis, plaintif, rebelle ou bougon), mais proportion gardée, c’est bien ainsi que le monde nous voit ou qu’il nous vit, que lui nous identifie donc. Et nous nous prenons d’autant moins pour un réactif (résigné, soumis, plaintif, rebelle ou bougon) que nous aurions surtout tendance à nous en défendre, sachant confusément ce que réagir implique. Nous nous prenons pour ce que nous ne sommes pas et nous nous gardons bien de reconnaître ce que nous manifestons (deux erreurs que nous payons cher).
• Parfois, l’abandonné est réellement (se sent) malheureux, mais d’une manière générale, il est et reste résigné. Il ne lui vient même pas d’envisager du mieux pour lui. Envers lui-même, il n’est vraiment pas sympa !
• Parfois, le dévalorisé éprouve l’insatisfaction, mais il reste toujours soumis aux personnes dont il se sent dépendant (patron, conjoint, parents), se frustrant de la sorte continuellement. Ce n’est certainement pas une attitude généreuse !
• Parfois, le maltraité est immergé dans l’angoisse, mais il retrouve toujours très vite la plainte (ce que l’entourage reconnaît aisément, pouvant en être submergé, accablé…). Il est inconscient de la misère qu’il se crée !
• Parfois, le rejeté est juste en peine, voire dans la culpabilité, mais il ne reste pas longtemps sans s’indigner, sans se révolter, sans vouloir contrôler le monde, étant alors prêt à tout. Parfois, c’est effroyable !
• Parfois, le trahi retrouve et éprouve (confusément) son sentiment de privation, voire sa profonde honte, mais il rebascule très vite dans le bougonnement et le repli sur soi très marqué. À ce moment-là, l’amour ne le caractérise pas !
Non seulement nous résistons au douloureux qui est en nous, nous ne le reconnaissons pas, mais en général, nous ne reconnaissons pas davantage notre état réactionnel, ce qui pourrait pourtant être très facile. C’est seulement quand nous pouvons nous reconnaître dans la réaction que nous pouvons découvrir ce qu’elle véhicule, ce dont elle est constituée, et commencer à nous en libérer. La réaction est une CHARGE incroyable ! Il est donc important de nous reconnaître dans la réaction quand nous le sommes ou de reconnaître notre état réactionnel chronique, parce que toute réaction est néfaste à différents niveaux (d’abord et surtout pour nous-mêmes).
Étant dicté par un vieux conditionnement, notre état réactionnel est en soi involontaire et le reconnaître pour ce qu’il est, tend à le désamorcer. Cet état témoigne de la peur qui reste en nous, de notre conditionnement, certes, mais puisque ledit état est justement ce qu’il nous est le plus accessible, le plus facile à reconnaître, ne nous en privons pas ! Et tant que nous ne nous permettons pas de reconnaître nos réactions, notre état réactionnel, nous ne pouvons pas nous libérer de ce qui en est la cause en nous. Il n’est et ne sera jamais trop tard ! Nous avons de « bonnes raisons » pour ne pas considérer notre état réactionnel (nous le verrons), mais il est vrai aussi que nous pouvons y être tellement identifiés que nous ne savons pas alors ce qu’est « être libre de la réaction ».
Notre réaction manifestée est une charge que nous n’avons pas appris à considérer, nous arrêtant à peine sur la charge reçue à travers la réaction d’autrui. Si vous êtes face à une personne dans la plainte (maltraitance) ou dans l’indignation (rejet), par exemple, vous pouvez sentir la charge énergétique qu’elle dégage. Et quand nous sommes à notre tour dans la réaction, quelle qu’elle soit, le monde autour de nous le sent de même, évidemment !
Si vous avez souvent auprès de vous quelqu’un qui est résigné (abandon) ou qui rumine tout le temps (trahison), il vous faudrait être coupé de votre sensibilité pour ne pas en éprouver un certain malaise ou au moins pour ne pas vous en rendre compte. Si vous avez auprès de vous et sur la durée quelqu’un qui acquiesce à tout ce que vous dites, qui se fait « bon élève » le cas échéant, qui se soumet donc (dévalorisé), vous pouvez également en éprouver un certain malaise. La docilité fait bien sûr l’affaire de certains « blessés », mais tout le monde n’attend pas des autres qu’ils se soumettent à lui.
Un malaise, une douleur est quelque chose que l’on éprouve, que l’on « prend » (que l’on a pris), et une réaction est quelque chose que l’on émet, que l’on impose, que l’on « balance ». Percevez le flux d’énergie opposé. En termes de souffrance, il y a un temps où l’on prend et il y a un temps où l’on rend, où l’on envoie. On prend du mal et on le renvoie. Du fait de notre mode réactionnel (découlant de nos blessures), soit nous déchargeons sur le monde de la négativité d’un puits sans fond, soit nous accumulons et cristallisons en nous de la négativité. De surcroît, Qu’elles que soient nos cibles, ce ne sont jamais les bonnes et nous réalisons un jour que nous n’avons besoin d’aucune cible !
Si nous ne pouvons pas décider de ce qui vient à nous, pouvant cependant modifier la façon dont nous le vivons, nous pouvons assurément maîtriser ce que nous émettons, ce qui part de nous, ce que nous exprimons. Un grand nombre de nos vécus éprouvants sont les effets de notre conditionnement, de ce que nous avons émis antérieurement. La réaction de qui se voit vraiment réagir perd instantanément de sa véhémence. Et c’est aussi alors que ce qui vient à nous change radicalement.
Si vous n’êtes pas dans la réaction, vous ne pouvez pas décider de l’être. Il ne vous semblerait pouvoir l’être intentionnellement que parce que vous l’êtes déjà. Si vous êtes complètement détendu, testez, un moment : « Tiens, je vais me plaindre, me résigner, m’indigner ou bouder dans mon coin ! », et observez surtout que vous ne le pouvez pas, abstraction faite de vos talents de comédien.
De même, nous ne pouvons pas plus provoquer notre propre peur que nous ne pouvons l’empêcher (mentalement) quand elle s’impose ou si elle ne nous quitte jamais. En revanche, nous sommes égoïquement très malins pour repousser souvent la peur, même si c’est toujours en vain, mais nous restons incapables d’éviter notre réaction. Nous ne pouvons que la nier ou, mieux, la libérer pour l’avoir humblement reconnue. Et même niée, redisons-le, notre réaction affecte toutes nos interactions et notre santé psychique en premier lieu.
Si ou quand nous ne sommes pas dans la réaction, c’est que nous n’avons réellement rien à redire et que nous sommes dans l’acceptation véritable (bien sûr sans même la prétendre). Pour autant, ne jamais rien dire ne signifie pas forcément n’avoir rien à redire, ni ne pas être dans la réaction. Se retenir, se contrôler, c’est encore une réaction, du mal que l’on se fait, à soi-même donc ! Réagir, c’est avoir ou surtout trouver quelque chose à redire, mais cela n’est pas forcément exprimé. La réaction peut être très passive. L’impression d’éviter de réagir, impression exceptionnelle, est une belle illusion car « éviter de réagir » est encore une réaction. Pour ne pas nuire à autrui, on est souvent prompt à se nuire à soi-même.
Rappelez-vous une fois où vous vous êtes retenu de réagir et vérifiez si votre « charge » n’était pas alors plus grosse : se retenir de réagir, c’est réagir à sa réaction… Vous pouvez renoncer à la réaction, à condition de renoncer d’abord au vouloir ne plus réagir ! On ne peut rien vouloir sans avoir quelque chose à redire ! Dans un premier temps, il peut être hasardeux de renoncer à la réaction, mais sa seule vraie reconnaissance, laquelle est aussi acceptation véritable, tend à l’enrayer. La sagesse nous souffle le mantra « Merci pour tout, je n’ai rien à redire ». Pourrions-nous être nombreux à le faire nôtre, au moins de temps en temps ?
La réaction est égoïque. L’ego ne peut pas ne pas réagir car il est la réaction même. Nous faisons disparaître notre ego (momentanément) dès lors que nous le regardons. Hélas, je ne l’ai pas toujours à l’œil ! Dieu merci, j’ai suffisamment d’humour pour ne pas en faire une histoire ! L’ego et la réaction sont une seule et même chose. Seule la pleine conscience et donc l’amour ou la bienveillance permet d’atténuer nos états réactionnels avant de nous en libérer.
On peut aisément soupçonner le malaise de beaucoup d’entre nous, voire le nôtre bien sûr, au rappel de la bienveillance quand il s’agit de considérer nos réactions. « Bienveillance, il ne manquerait plus que ça ! », pourrait-on s’écrier. Alors, pouvez-vous au moins reconnaître que là où il y a de la réaction, il n’y a pas de bienveillance ? Dans l’instant (souvent prolongé) de la réaction, en effet, il n’y a pas de bienveillance. Et ceci est un euphémisme grossier ou même un pléonasme. Ce serait comme dire : là où il y a de la colère, il n’y a pas de calme.
D’abord, ne résistons pas à reconnaître ou au moins à envisager nos tendances réactionnelles, elles sont dictées par notre conditionnement, et les reconnaître amorce aussi la désidentification d’avec ce conditionnement. De surcroît, plus ou moins consciente, notre peur la plus courante n’est pas forcément celle des coups durs, mais elle est celle de l’adversité relationnelle, une forme de malveillance régulièrement endurée. Les coups durs et l’adversité relationnelle endurés ne causent pas notre peur. Ils la rappellent et c’est même elle qui les cause au fil des années. Il advient ce que nous craignons, d’autant plus sûrement si nous résistons à reconnaître notre peur. Le « même pas peur » est un « créateur puissant » !
Qui n’a jamais eu peur, plus ou moins, d’un collègue, d’un responsable hiérarchique, d’un banquier, d’un agent administratif, d’un parent ou même encore de son (sa) partenaire ? Reconnaître notre propre peur, c’est potentiellement mieux comprendre notre propre état réactionnel. Beaucoup ne reconnaissent pas leur peur, avouant pourtant qu’ils n’aiment pas ceci, cela (la colère, qu’on leur parle mal, qu’on les néglige, les limite…). Il est dit que l’amour est le contraire de la peur. Souvent, ne pas aimer, c’est avoir peur. Ce que nous affirmons ne pas aimer est ce qui nous fait peur ou qui nous rappelle une peur.
Toute forme de réaction trahit une peur et le non-amour affirmé, parfois revendiqué, n’est rien d’autre que de la réaction. Et nous allons mieux voir maintenant ce qu’est la réaction, en réalité. Si la réaction est du non-amour, étant indubitablement de la non-acceptation, que peut-elle être plus précisément, que peut-elle révéler ? La réaction n’est pas que de la résistance, parce que la réaction incite à penser davantage, surtout à dire et à faire des choses qui sont inutiles à la résistance. Tout « blessé » résiste et chacun à sa manière spécifique. Nous résistons tous, à des choses différentes, mais nous manifestons notre résistance de façon singulière (résignation, lamentation, indignation…).
Pour exprimer un désaccord, parfois nécessaire, on n’est pas obligé d’être dans la discorde : désaccord et discorde ne sont pas forcément synonymes (n’en déplaise aux dictionnaires). La personne qui nous dit « non » n’a pas forcément d’hostilité envers nous, n’est pas forcément en guerre contre nous. Sommes-nous forcément ou toujours en conflit avec ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord ? C’est bien possible, mais il nous faut alors d’autant plus nous intéresser de plus près à ce qui se passe en nous (juste si nous aspirons à mieux).
Sans pour autant le formuler ainsi, à un certain degré, nous redoutons tous une forme de malveillance d’autrui à notre égard. Mais c’est davantage sa réaction que nous dénonçons ! Quand quelqu’un nous fait peur, ce sont ses réactions que nous redoutons, à moins que l’amour nous fasse peur lui aussi, ce qui est également possible ! Quand nous n’aimons pas une posture de quiconque, tentons de reconnaître la peur alors rappelée : « Ah, là, j’ai peur ! » Affirmer « j’aime pas ça » quand, en réalité, ça veut dire « j’ai peur », c’est tout simplement réagir à cette peur. Percevez l’énergie véhiculée par certains « j’aime pas ça » affirmés haut et fort ! Quand on cesse de réagir à sa peur, on la reconnaît donc, on l’assume et on s’en libère.
Au fond, ce que nous redoutons principalement, sans le formuler ainsi, c’est la malveillance, sous une forme ou sous une autre. Ce que nous craignons d’autrui se manifeste ou pourrait se manifester à travers sa réaction. Ne nous débrouillons-nous pas parfois pour éviter la réaction de quiconque ? Quand nous sommes l’objet de la réaction d’une personne, nous faisons sans forcément le voir l’expérience d’une sorte de malveillance à notre encontre. Oui, quand nous craignons la réaction de quiconque, c’est en fait de l’adversité que nous craignons, donc de la malveillance. Est-ce difficile à admettre ? Cela n’est-il pas une évidence ?
Pour autant, il ne s’agit pas d’étiqueter quiconque comme malveillant, de le définir à partir de son conditionnement, mais il est bon que nous sachions ce que révèle toute forme de réaction, à commencer par la nôtre. À l’évidence, une personne qui réagit réellement contre nous n’est pas en train de nous manifester de la bienveillance ou elle n’est pas alors dans la réaction. Or, plus nous résistons à reconnaître nos propres réactions, plus nous prenons l’expression d’autrui pour de la réaction, même quand cela n’en est pas. Quoi qu’il en soit, toute réaction extérieure ne peut jamais justifier la nôtre. Heureusement qu’il en est ainsi, sans quoi nous ne pourrions pas suivre, ni jamais nous en remettre !
Dès lors que nous craignons une forme d’adversité, nous pourrions nous demander en quelle circonstance nous nous montrons nous-mêmes adverses. Quand nous jugeons une personne, que ce soit de façon ostensible ou « mine de rien », nous manifestons notre malveillance, à un degré plus ou moins élevé. Le seul jugement est réactionnel, donc malveillant. Voyons-le sans le relativiser, sans le minimiser, sans nous le reprocher… Quand nous jugeons quiconque, nous n’en pensons pas du bien, nous en pensons du mal et c’est donc malveillant. Si nous pensons du bien de quiconque, en général, nous ne le jugeons pas, nous l’aimons, c’est tout ! Et ce bien, en réalité, nous le ressentons plus que nous le pensons.
Le dictionnaire nous dit d’emblée que la malveillance est la disposition d’esprit qui conduit à juger autrui défavorablement : pourrions-nous faire le compte de nos jugements défavorables ? En général, on s’en tient peut-être à des actes pour parler de malveillance, mais la malveillance témoigne d’un état d’esprit très particulier ou, comme le souligne même encore le dictionnaire, d’un « mauvais vouloir » (étymologie).
Notre propre malveillance n’est pas forcément extrême, paroxysmique, mais une légère malveillance est toujours de la malveillance, pouvant d’ailleurs être « l’arbre qui cache la forêt ». Que nous le voulions ou non, toute accusation est un témoignage de malveillance, y compris si elle répond à une accusation subie. Répondre à la réaction d’autrui, à sa malveillance, c’est la prendre, témoigner de sa vulnérabilité et sacraliser le conflit, le nourrir. Dans l’idéal, on ne réagit pas à la réaction d’autrui, parce que l’on n’ajoute pas de la malveillance à la malveillance, de la violence à la violence, de la cruauté à la cruauté… « Mais on fait ce que l’on peut ! »
Quand nous faisons de la projection, ce qui est déjà le cas quand nous jugeons, nous sommes malveillants : « Toute projection est violente ! » (Ne vaut-il pas mieux ne pas être la cible de quelque projectile que ce soit ?). Ainsi, quand nous jugeons, accusons, condamnons, interprétons, projetons, autrement dit réagissons, nous manifestons notre malveillance. La hâte manifestée à dénoncer qui ou quoi que ce soit révèle une forme de perversité, de la malveillance. L’hostilité est malveillante (par définition). Si nous nous empressons de hurler avec les loups, notre malveillance envers les victimes est plus sûre que notre bienveillance envers ces mêmes loups.
À partir de l’impression atavique de séparation, un sentiment irrationnel de culpabilité reste tapi en nous et il explique notre conditionnement (blessures), nos conditions de vie et même une forme de malveillance (généralement insoupçonnée). Bien qu’elle soit irrationnelle, la culpabilité de qui ne la conscientise pas peut le pousser au pire, voire au meurtre. Nous pouvons à l’occasion considérer notre propre peur, mais nous ne nous arrêtons pas sur ce que nous pourrions être prêts à faire subir à certaines personnes « choisies ». Bien heureusement, il s’agit rarement du pire !
Il est stupide ou dommage de nier notre état réactionnel, avouons-le, parce qu’il est manifeste et, mieux encore, parce qu’il est le révélateur précis de notre blessure non guérie. Le manque de conscience reste notre problème principal, parce que sans un nouvel état de conscience, nous continuerons inlassablement de déplorer les mêmes épreuves qui se feront d’autant plus violentes. Quelle que soit notre accusation, elle suggère (sans le dire) que l’accusé est inconscient, mais l’accusation elle-même est un témoignage d’inconscience.
Nous aurons du mal à assimiler à de la malveillance notre propre réaction, parce que nous tenons à la voir exclusivement comme réponse à de la malveillance endurée. Cependant, quand nous nous en prenons à notre chien, à une porte de placard ou à un stylo qui n’écrit pas, le seul malveillant est incontestablement nous-mêmes. « Que dirait le chien ou même le stylo, s’ils pouvaient parler ? » La malveillance infligée, forcément réactionnelle, est toujours une réponse directe ou indirecte à de la malveillance subie, qu’il s’agisse d’une réalité ou d’une interprétation. Chacun à sa manière, tout le monde réagit et se croit dans son bon droit. Pour projeter la culpabilité irrationnelle, tout le monde manifeste plus ou moins une forme de malveillance. Sans nous la reprocher, ne restons pas insensibles à cette réalité.
Nous ne pouvons pas être dans la réaction sans avoir a minima une pensée hostile, fâcheuse et – disons-le – méchante. Toute forme de réaction est malveillante, envers autrui ou juste envers soi-même. Ne sous-estimons pas la malveillance en nous car elle se retourne contre nous si elle est d’abord dirigée sur autrui, et cette malveillance exclusivement dirigée sur nous-mêmes, ce qui arrive aussi, qui tiendrait en conscience à la cultiver, à la conserver ?
Nous devrions pouvoir admettre la sagesse à préférer ne nuire à personne, en aucune circonstance, et même sans explications, mais nous pouvons aussi gagner beaucoup à considérer la façon dont nous nous traitons nous-mêmes, façon bien souvent extrêmement malveillante. Nous déplorons volontiers ce que semblent nous faire certaines personnes, mais nous continuons de nous traiter nous-mêmes bien pire que personne ne le fait, ne le fera (plus) jamais. Les réactifs que sont le soumis, le résigné et le renonçant sont d’abord ou essentiellement malveillants envers eux-mêmes, se trouvant aisément de quoi l’être envers autrui en diverses circonstances.
• L’abandonné est essentiellement malveillant envers lui-même (en se négligeant, en s’accusant…), mais il peut aussi abandonner autrui, se montrer alors d’une froideur extrême.
• Le dévalorisé est malveillant envers lui-même quand il se soumet, en acceptant sciemment d’être privé, mais son regard sur autrui est loin d’être toujours radieux.
• Les paroles du maltraité crient souvent sa haine et sa malveillance, mais il n’a besoin de personne pour se faire mener la vie dure.
• Dans la réaction, le rejeté affiche directement sa malveillance, même s’il reste foncièrement bon (bien moins avec lui-même qu’avec autrui).
• Le trahi est malveillant envers lui-même en donnant tout et ne demandant rien, en se privant lui-même, mais sa bouderie ou sa distance ne reposent certainement pas sur de la bienveillance !
Certains peuvent revendiquer et justifier un désir de vengeance, mais généralement plus discrets, nous pouvons tous déceler en nous des postures ou des intentions plus ou moins malveillantes… Certains peuvent proclamer haut et fort leur haine, mais généralement plus discrets, nous contenons tous en nous du ressentiment, des espaces dépourvus de bienveillance.
S’il nous est difficile de considérer notre propre malveillance, vérifions le degré où nous demeurons réellement bienveillants quand les choses ne se présentent apparemment pas à notre avantage. Se croire sans une once de malveillance, si pareille chose est possible, c’est se prétendre libre de toute réaction et de tout ressentiment. Le cas échéant, pourquoi résistons-nous encore à nous reconnaître dans la réaction quand nous le sommes ? Saurions-nous qu’elle témoigne d’une réalité qui n’est pas « à notre avantage » ?
• Résigné, l’abandonné sait bien, quelque part, que cette attitude ne le prédispose pas à envisager quoi que ce soit d’heureux pour lui.
• Soumis, le dévalorisé sait bien, quelque part, que cette attitude contrecarre l’image de lui-même qu’il voudrait montrer au monde et qu’elle le rend dur envers des personnes auxquelles il ne lui viendrait pas de se soumettre.
• Le maltraité sait bien, quelque part, que son attitude est pesante, qu’elle le montre comme étant désagréable.
• Rebelle, le rejeté sait bien, quelque part, que son attitude crée la zizanie alors qu’il voudrait absolument manifester sa bonté.
• Bougon, le trahi sait bien, quelque part, que son attitude empêche tout rapprochement d’autrui alors qu’il aspire au partage, à « l’expérience d’être avec, d’être ensemble ».
Sur le plan relationnel et de façon chronique, ce que nous redoutons, ce sont les réactions des gens, ce qui informe du lien étroit entre réaction et malveillance ou adversité. L’adversité est toujours malveillante. Si la réaction d’autrui est adverse et donc malveillante, la nôtre l’est donc tout autant. Ne résistons pas à le voir ! Quand une personne nous fait réagir, nous l’accusons sans le dire de malveillance : en l’occurrence et en général, la nôtre est plus certaine. Beaucoup de ce que nous déplorons chez autrui relève de nos interprétations et projections, mais notre réaction n’est alors pas feinte. Notre malveillance n’est pas celle des demi-mesures.
L’expression ferme n’est pas forcément réactionnelle, mais nous risquons surtout d’interpréter comme de la fermeté (de notre part) ce qui n’est que de la réaction et donc de la malveillance. Quand je me surprends dans la réaction, me retrouvant alors nez à nez avec ma malveillance, je suis ému et j’aime alors la voir me quitter plutôt que la nier et donc l’empirer. Toutes nos postures conditionnées renvoient à une forme de mal de vivre et leur reconnaissance pure et simple contribue toujours à leur libération (tôt ou tard).
Refuser de vous voir fonctionner comme vous fonctionnez, c’est vous priver du regard libérateur et, peut-on ajouter, malgré vous, c’est vous montrer malveillant envers vous-même. Quand vous ignorez autrui ou quand vous manquez de gratitude, vous interdisez (proportion gardée) au meilleur de venir jusqu’à vous (rejeté, maltraité, dévalorisé). Quand nous sommes positionnés comme si nous n’avions jamais le moindre problème, aucune demande à formuler, par exemple, nous ne sommes certainement pas bienveillants envers nous-mêmes (abandon, trahison).
À quelque degré que ce soit, nous sommes tous porteurs d’une intention malveillante et notre état réactionnel en est la manifestation, donc un témoignage. Préférons-nous l’ignorer ? Admettons que notre malveillance, comme toute malveillance, ne soit généralement pas fondamentalement volontaire, mais sachons surtout que la nier, la dédaigner ou la revendiquer, c’est l’assurance de la conserver et même de l’empirer. Le chien qui nous attaque n’est probablement pas conscient de grand-chose, mais en l’espèce, son intention n’est pas de nous faire des léchouilles ! Même la souffrance est en elle-même une forme de malveillance, bien sûr d’abord envers soi-même. Elle représente une accusation contre le monde ou contre Dieu.
Nous pouvons méconnaître ce qui peut faire peur en nous, mais nous ne pourrions pas prétendre que nous ne sommes jamais dans la réaction, donc dans une posture « malveillante ». Ignorer la malveillance en nous, c’est ignorer aussi qu’elle est en train de nous détruire nous-mêmes. Toute intention malveillante se retourne toujours contre nous-mêmes. Ce que nous redoutons d’autrui est en fait sa réaction et ne se trouverait-il personne pouvant redouter la nôtre ? Tenons-nous à impressionner qui que ce soit ? En pleine conscience, revendiquerions-nous notre malveillance ?
Notre ego est tel que nous pouvons revendiquer une forme de malveillance tout en continuant de nous croire bienveillants. Peu m’importe ce qui parle de bienveillance dans mes interactions ou dans ma façon d’être d’une manière générale : quand je suis malveillant, aussi peu que ce soit, je tiens à le voir, parce qu’ainsi, je m’en libère ! D’autant moins si nous sommes dans l’attente, ce qui est en soi éprouvant, nous n’aimons pas qu’autrui soit dans la réaction. Personne n’aime que nous le soyons nous-mêmes (ce qui est peu dire).
Commençons par reconnaître vraiment notre état réactionnel chronique et nous pourrons y déceler sa teneur malveillante. Ne cherchons pas à nous aimer nous-mêmes, ce qui n’est qu’une tentative égoïque, mais reconnaissons le tort que nous nous faisons en restant dans la réaction. La reconnaissance pure et simple de notre état réactionnel est de l’amour, une disposition aimante.
Ne niez pas, ne fuyez pas, n’ignorez pas votre malveillance, de sorte à cesser de vous nuire, mais en la considérant, ne vous accablez pas, autrement dit : ne conservez pas de la malveillance ! Au contraire, percevez que seule votre bienveillance réelle peut vous permettre de reconnaître ce qui reste malveillant en vous et cette reconnaissance s’appelle aussi « guérison ». Avec la prochaine chronique, nous tenterons de piéger encore notre malveillance, de mieux la reconnaître, et de mieux voir également comment la dédramatiser et surtout la dépasser. Plus nous nous disposons à voir la réalité, moins nous avons à nous préoccuper de ce qu’elle est… La suite vous intéresse ? Alors, assurément, vous êtes bienveillant !
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