La réaction et l’intention cachée
Ce jour même où j’écris cette nouvelle chronique, deux circonstances ont remis mon attention sur des « moyens » que nous utilisons bien sûr inconsciemment pour nous attirer ou maintenir ce qui ne nous convient pas, nous empêchant ainsi de vivre ce à quoi nous pourrions certainement aspirer. Il s’agit de deux points déjà évoqués de temps à autre, mais dont le phénomène m’est apparu encore plus clairement. Je n’apporte probablement pas une réponse complète à la question ici soulevée, mais beaucoup pourront retirer une compréhension utile de ce que je suggère dans ces lignes. Et dans ce sens, n’hésitez pas (au besoin) à questionner, à demander des clarifications.
Considérez un instant la colère, l’agacement, la rancune, tout ressentiment, la gêne, la peur, la honte, la culpabilité, etc., le désir, l’envie, l’espoir, l’exigence, etc. ou encore la jalousie, la timidité, l’attente, l’impatience, etc.. Vous devriez pouvoir admettre que certains de ces ressentis vous sont familiers et que vous les éprouvez même de façon chronique ou récurrente. Oui, nous sommes tous suffisamment conscients pour admettre cela en général. Or, une question peut se poser ici : comment faisons-nous pour conserver en nous ces émotions toujours promptes à se réactiver plus douloureusement au gré des circonstances ou même de certains souvenirs ?
Ce que j’ai déjà noté, c’est qu’au lieu de diriger notre attention consciente sur le ressenti (l’un ou l’autre de la liste par exemple), nous la maintenons en vain sur son déclencheur (son objet, sa cause apparente, une personne ou une circonstance ponctuellement incriminée). Admettons que vous ayez peur de l’avenir, de prendre la parole en public, de faire certaines demandes ou de n’importe quoi d’autre. Juste en évoquant cela, il est vraisemblable que vous ayez très vite plein de pensées concernant cette chose, cette situation qui vous fait peur (l’avenir ou autre). Donc, vous n’êtes pas, vous n’êtes toujours pas en contact conscient avec votre peur, mais avec ce qui vous fait peur.
Vous pouvez faire la même chose avec chacun des ressentis listés précédemment. Prenons la colère : pouvez-vous vous permettre de la reconnaître en vous, de juste la ressentir quand elle est là sans plus penser à ce qui la réveille, la réactive ? Peut-être avez-vous du ressentiment ravivé à l’égard aujourd’hui de cette personne-ci, hier de cette personne-là, d’un parent ou d’un instituteur bien antérieurement encore. Si tel est le cas, pour quelques instants, oubliez donc la personne et restez avec votre émotion, ici le ressentiment. Lui seul a besoin de votre attention, car il reste en vous, et non pas la personne incriminée qui change au gré des mois ou des années. Veillez à percevoir ce qui est souligné ici, ce qui est d’une grande importance !
J’ai peur d’être agressé ; j’ai honte de mon poids ; j’espère qu’elle viendra… Examinez chacun de ces trois autres exemples (vous pourriez formuler les vôtres) et remarquez qu’ils comprennent deux parties, le ressenti et la chose qui le « justifie ». En choisissant désormais d’accorder son attention consciente au ressenti (à la première partie de l’énoncé), en le regardant, en le ressentant en conscience, en fait en l’acceptant ainsi pleinement, on va tout simplement s’en dégager petit à petit. La chose est simple et efficace, mais elle n’est pas si facile à appliquer, parce qu’elle requiert une sorte de fonctionnement ou de positionnement auquel on n’est vraiment pas habitué et qui vient (comme on le verra) contrarier une « intention cachée ».
Que veut dire en réalité avoir son attention sur la seconde partie de l’énoncé, sur la personne ou la circonstance qui a permis de retrouver le ressenti douloureux ? À savoir que c’est ce que nous faisons tous, tout le temps, et à notre détriment ! Eh bien, cela veut dire « penser à des choses », « se dire des trucs », « être dans sa tête », et rien d’autre ! La place, toute la place est laissée au mental, lequel, sans la conscience, est bien incapable de résoudre quoi que ce soit. Accorder son attention au ressenti, c’est inversement arrêter de penser, de se dire des trucs, d’être dans sa tête… pour juste le reconnaître, le permettre, l’accueillir, l’observer et, ce faisant, le consumer, le libérer. Alors, pourquoi nous y résistons-nous ?
Oui, nous résistons à nous libérer de nos vieilles douleurs, tout comme nous résistons du reste à nous occuper durablement de ce à quoi nous aspirons, du bon que nous préférerions vivre pourtant, parce que nous avons une intention cachée, une volonté inconsciente, préjudiciable et néanmoins compréhensible. Les ressentis incriminés, plus ou moins douloureux, qui, de période en période, attirent des personnes et des situations différentes, remontent à notre prime enfance. Parce qu’on s’est senti rejeté ou maltraité, par exemple, on a notamment éprouvé et conservé de la colère. Parce qu’on s’est senti abandonné, on n’a rien pu dire à personne. Parce qu’on s’est senti dévalorisé, on a cultivé une envie toujours frustrée.
À un degré ou à un autre, ce que nous avons vécu, enduré, nous aurions bien voulu que cela cesse et cela n’a pas cessé (sinon de façon épisodique). Alors, pour que cela cesse, peut-être enfin, on aurait bien voulu le dire, le crier au monde, le dénoncer, le montrer, le prouver, être entendu, compris, pris en compte, voire se venger, condamner, que justice soit faite ou simplement prendre sa revanche. Il y a que les choses ne se sont pas passées ainsi et, en quelque sorte, qu’on cherche encore à le faire, avec un intérêt parfois proche de la jouissance.
Aujourd’hui, quand vous pouvez établir comme la preuve d’un abus, d’une simple exagération, quand vous avez pris quelqu’un en faute, quand vous pouvez avoir un témoin d’un vécu inacceptable, n’en éprouvez-vous pas une certaine satisfaction ? « Revendiquer justice », sous une forme ou sous une autre, telle est notre intention cachée persistante !
C’est ce que j’appelle « être dans la réaction ». Et, ce que je rappelle régulièrement, dès lors qu’on est et reste dans la réaction, on ne veut pas, ne recherche pas la paix, la joie, l’amour… Ce qu’on veut alors, c’est justement réagir, rien d’autre ! On est évidemment loin de reconnaître que c’est ce qui nous « convient », que réagir nous convient, que rien d’autre ne nous intéresse finalement. Ce qui nous intéresse, c’est pourtant à l’ordinaire ce sur quoi nous gardons notre attention. Cette même réaction peut se limiter à vos seules considérations personnelles. Sans en avertir le monde, vous aussi dans la réaction, vous pouvez vous contenter de considérer que vous avez définitivement raison, que vous en avez encore eu une preuve incontestable.
Ici, je ne dis pas qu’il ne faut pas dénoncer tel vécu épouvantable, ni ses effets immédiats et parfois terrifiants, mais je mets surtout l’accent sur notre tendance à réagir, à chercher à réagir, à tenir à réagir, à préférer réagir, parce que cette réaction est un frein à l’existence harmonieuse. Peut-être considérerait-on sa réaction moins justifiée en sachant qu’elle est ce frein. Elle fait obstacle à tout autre vécu : soit vous réagissez ainsi, établissez des preuves et souffrez de plus belle, soit vous utilisez votre attention et votre énergie, tantôt pour vous libérer des ressentis douloureux, tantôt pour cultiver en vous les sentiments heureux qui vous attireront les relations, la santé, l’abondance auxquelles vous pourrez alors aspirer légitimement.
En tous cas, c’est soit l’un soit l’autre. Soit il fait jour, soit il fait nuit ! Et puisque réagir nous convient à un certain niveau, puisque nous tenons en tout premier lieu à réagir, il faut absolument que nous ayons de quoi. Il faut que nous maintenions ce qui est susceptible de nous faire réagir à notre convenance ou que nous nous l’attirions. Quiconque éprouve un intérêt à dénoncer des voleurs ou autres abus maintient et s’attire dans sa vie voleurs et abus. Si vous indigner satisfait pour vous quelque chose, je ne doute pas que vous ayez sans cesse de quoi vous indigner. Et le monde vous donne raison, évidemment ! Quand c’est le cas, ça fait du bien, non ? De toutes façons, comme déjà suggéré, notre seule considération personnelle d’avoir raison, qu’on est manifestement traité « comme ce n’est pas permis » suffit à produire un peu de soulagement, lequel doit être réalimenté sans discontinuer.
Je précise que dans tout cela, ce qui nous convient n’est pas la situation incriminée, même si l’on se l’est effectivement attirée, mais de pouvoir y réagir, d’avoir de quoi réagir (quelque chose à juger sévèrement, à dénoncer, de quoi s’indigner, d’une façon ou d’une autre à tout simplement déplorer). Pendant un temps, j’en conviens, il peut être délicat de s’avouer un tel fonctionnement (commun à tout un chacun, incluant l’auteur de ces lignes). Serait-ce possible de considérer longtemps que notre réaction est justifiée, légitime, nécessaire, et prétendre en même temps que réagir ne nous convient en rien ? Alors, au lieu de résister à le voir, si nous regardions encore un peu ce qui pourrait bien engendrer un tel positionnement !
On peut dire qu’être dans la réaction est comme une seconde nature, un positionnement devenu si habituel qu’il est difficile au départ de le reconnaître comme tel. Comme déjà indiqué, on cherche aussi à faire ce qu’on n’a jamais pu faire avec la croyance inconsciente qu’on n’y arrivera jamais. Certains d’entre nous qui cherchent à se venger (l’un de leurs modes réactionnels) font dans ce sens une expérience évocatrice : en situation de se venger, ils se voient tout à coup n’en rien faire. « Je me serais trouvé dégueulasse, je m’en serais voulu bien trop !… », m’a-t-on dit une fois ou l’autre. La culpabilité. Eh bien, c’est aussi cette dernière qui est à la base des attitudes réactionnelles.
Nous avons déduit – bien sûr à tort – de nos vécus difficiles de notre prime enfance que nous devions être vraiment mauvais, indignes, dangereux. Ce sont là des croyances autoaccusatrices, de la culpabilité. Si l’on était traité mal, on devait bien y être pour quelque chose (avons-nous cru) ! De plus, si nous avons vu nos parents malheureux, fortement contrariés, c’était nécessairement de notre faute. Bref, beaucoup de culpabilité ! Comment vivre avec cela ? Alors, comment la démentir ? Comment nous tenir à l’écart du ressenti « culpabilité », alors même qu’il n’y a bien sûr aucune culpabilité objective ? Aucun petit enfant ne pourrait être rendu coupable de quoi que ce soit ! La culpabilité dont il est ici question est toujours irrationnelle.
Eh bien, pour ce faire, nous allons passer notre vie à établir que le monde nous traite bien mal, du coup s’attirer de quoi le vérifier sans cesse, et nous épargner de nous confronter avec notre croyance devenue conviction profonde que nous sommes anormaux, monstrueux, sans aucune valeur. Quand je peux voir et montrer la façon dont je suis traité, la malchance qui est la mienne, l’injustice que j’endure, etc., me voici bien soulagé, juste pour un petit moment ! Et voilà en quoi réagir (à notre manière) nous convient. Or, puisqu’éviter une chose n’est pas la libérer, puisque la culpabilité demeure intacte en nous (voire amplifiée par nos réactions mêmes), il nous reste à réagir encore et encore, à nous attirer encore et encore de quoi réagir. Voilà comment on se crée sur terre son propre enfer.
Et tout cela semble indiquer, derrière tous les problèmes que nous déplorons, qui nous font réagir, derrière nos réactions mêmes, que nous n’aurions qu’un seul problème : notre culpabilité irrationnelle jamais considérée. Après l’avoir vu enfin, senti, compris, il nous restera à simplement cesser de nous positionner dans la vie comme des individus coupables pour laisser s’épanouir les êtres dignes d’amour et de prospérité que nous sommes.
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