La présence, la conscience
Plusieurs personnes m’ont écrit pour me faire partager leur intérêt à la lecture de la chronique de novembre, et leur enthousiasme m’invite à poursuivre et approfondir un peu le même thème. En bref, dans cette dernière chronique, je relevais que, soit nous pensons, sommes perdus dans nos pensées, soit nous observons, sommes dans l’observation de ce qui est. Et, en réalité, exprimer ainsi les choses revient surtout à souligner l’existence d’un « choix possible » car ordinairement, à dire vrai, c’est le seul « penser », le mental qui occupe toute la place, tout le temps.
« Tout le temps ! » C’est plutôt drôle de mentionner le temps ici car la pensée implique nécessairement le temps en ce sens qu’elle s’y réfère infailliblement. Arrêtez-vous à la première pensée qui vous vient et voyez si vous pouvez reconnaître le passé ou le futur qu’elle englobe en effet. On pense à ce qui s’est passé, à ce qu’on a à faire, voudrait faire, à ce qui arrivera, pourrait arriver… Des pensées pourraient sembler être détachées du temps, mais il n’en est rien quand il s’agit de jugements, d’opinions, car ces pensées, par exemple, s’appuient sur des comparaisons qui rappellent l’avant, l’après, donc le temps (de plus, elles résultent généralement d’expériences passées et sont alors des interprétations). Je ne veux pas philosopher, je remarque seulement comment nous nous débrouillons pour éviter l’instant présent qui est pourtant libre de tout problème.
Je parle bien de ce moment présent que l’on fuit effectivement en pensant à ceci ou à cela, à mille choses qui sont problématiques à un niveau ou à un autre. On s’écarte de « l’espace paisible » pour des lieux conflictuels, des lieux où les contrariétés ne tardent pas à se présenter. Oui, nous faisons cela, mais ne nous en blâmons surtout pas, parce que tel est le fonctionnement humain ordinaire. Pris à l’accoutumée par son mental, du fait de ses blessures et de leurs effets innombrables, l’être humain ne repère pas (ne se reconnaît pas) quand il est vraiment lui-même, quand il n’est plus dans le déni, dans le refoulement, dans les compensations et autres réactions.
Rappelez-vous des instants même fugitifs où vous êtes sans pensée : en admirant un coucher de soleil ou tout autre paysage de la nature, l’œuvre d’un artiste, en écoutant un chant d’oiseau, une voix ou une musique qui vous touche, en étant touché encore par le jeu, le sourire ou l’émerveillement d’un enfant, par votre chat ronronnant sur vos genoux ou votre chien vous léchant les doigts… En pareilles circonstances, qu’est-ce qui est à l’œuvre, qu’est-ce qui permet l’expérience ? Percevez que c’est d’abord votre aptitude à être présent(e), à être conscient(e). Il y a ce qui est vu, admiré, ce qui touche, mais il y a surtout la conscience, la présence « accordée ».
Témoin de la même scène, une autre personne fera d’autant moins la même expérience que vous si elle est prise par ses pensées, par ses préoccupations, si elle est ailleurs, en un autre lieu. Et généralement, cette autre personne préoccupée, « pensée par ses pensées » (« pansée par ses pensées »), c’est nous-même. Et toutes ces pensées, comme un arc-en-ciel admiré, un parfum goûté ou une musique qui apaise, ne sont jamais que des objets dans la conscience (objets concrets ou abstraits). Certains nous invitent à la présence ou la révèlent, nous rassérènent, d’autres nous en éloignent et nous pénalisent. Mais j’insiste encore, avant que notre attention ne soit prise par l’un d’eux, il y a cette aptitude – pour ainsi dire – qui est nôtre d’être simplement présent, d’être simplement conscient ou, plus simplement encore, d’être.
Percevez-vous ici l’évidence que c’est cela que nous sommes ? Il s’agit donc bien plus, en réalité, que d’une aptitude à proprement parler, il s’agit de notre nature fondamentale. Nous sommes cela, nous sommes la conscience, la présence, nous sommes la conscience sans contenu, donc ce qui contient, ce qui perçoit. C’est dire que tout ce qui est perçu ou peut être perçu n’est pas nous, n’est pas qui nous sommes, ce que nous sommes.
« Qui sommes-nous ? », « Qui suis-je ? » Admettons que vous vous posiez cette question, que vous la fassiez vôtre. Voici qu’elle habite votre conscience, qu’elle est dans votre conscience. D’autant plus si des réponses vous viennent déjà, vous êtes conscient de la question car sans cette conscience, comment la réponse « je suis un homme » ou « je suis une femme », par exemple, aurait-elle pu émerger ? Ce que vous êtes principalement est cela qui est conscient de la question, cela qui contient la question, cela qui voit la question. Et cela est bien au-delà des mots qui tentent de le définir car cela est indicible. Quant à la réponse qui surgit, ordinairement, elle parle de nos « avoirs », de nos qualités, de nos tendances, de notre corps (qui est encore un « avoir »), des rôles que nous jouons de façon temporaire…
Admettons maintenant que je reçoive un e-mail signé de Dominique qui me fait le partage d’une expérience de gratitude ou d’un malaise éprouvé épisodiquement. Je peux bien avoir la curiosité de savoir si Dominique est une femme ou un homme (là n’est pas la question), mais il se trouve que je l’ignore encore après avoir lu son message. La personne prénommée Dominique ne me dit pas non plus si elle a des enfants (voire si elle est un ado), quels sont sa profession éventuelle, son rang social, sa religion, ses préférences sexuelles, politiques et autres…
Ici, je ne connais rien de l’histoire existentielle de Dominique (peut-être même que ce prénom est un de ces pseudos si fréquemment utilisés sur Internet). Manifestement, même en ignorant tout de la « forme humaine » qui habite l’intention qui a émis ce message, je peux me sentir touché, concerné, relié. Certes, il y a les mots du message (d’autres objets), mais « quelque chose » en émane, c’est vivant, c’est la conscience ou son rappel. Et, ici, c’est encore la conscience qui le reçoit, qui le perçoit. C’est parfaitement égal à la conscience qui perçoit ces autres mots qui, en cet instant, défilent sous vos yeux ou à vos oreilles (lecture vocale).
N’est-ce pas dire, voir que nous sommes tous la même conscience ? Percevez cela. Percevez-le en sachant que la joie, l’amour, la quiétude appartiennent potentiellement à la conscience. Et, chose remarquable, notre ressemblance ne s’arrête pas là. Se pourrait-il que vous pensiez quelque chose concernant ce que vous êtes en train de lire ? Par exemple, vous pourriez le juger sensé ou insensé. Pour ma part, dans l’instant, je pense qu’il est peut-être peu raisonnable d’évoquer ce sujet en si peu de pages. Bref, nous sommes semblables, nous pensons ! Quelle importance que les pensées soient différentes, des pensées ne sont que des pensées qui vont et viennent et qui n’affectent en rien la conscience que nous sommes et pas davantage que ne nous différencie le fait (pour lire) que nous soyons assis sur un tabouret, une chaise ou un fauteuil confortable !
Il y a, le plus souvent, que nous pensons sans conscience, que nous nous laissons embarquer par les pensées, et cela ne serait pas si « ennuyeux » si la plupart de nos pensées rebattues ne finissaient pas par nous faire éprouver un malaise : du désaccord, de l’hostilité, de la peur, de la honte, de la culpabilité, du ressentiment, de la frustration, de l’angoisse… Et c’est encore sans conscience que nous éprouvons l’une ou l’autre de ces choses. Nous les vivons littéralement, nous les revivons sans cesse et nous finissons par y réagir. C’est l’inconscience portée à son paroxysme. Réagir à une pensée, à une émotion, c’est lui surimposer une autre émotion ou ce que j’appelle un « positionnement réactionnel ».
« Cette personne ne se comporte pas comme il faut », c’est une pensée. Laissons ici l’histoire ou la morale qui la dicte. Avec cette pensée, « je » peux me sentir déçu, triste ou plein de rancune, mais je peux encore réagir davantage en me mettant à bouder, en étant pris par la colère, en m’écrasant ou en cherchant à me venger… Évidemment, ce ne sont là que des exemples (exemples d’une pensée, d’émotions et de réactions). Là encore, je le répète, nos exemples seront différents, mais tous, nous pensons et nous réagissons.
Et tous, nous pouvons le voir, le reconnaître, l’observer, l’admettre, nous y intéresser, non pour en faire une histoire, mais juste pour lui accorder notre attention consciente. La pleine conscience libère. Et si je sais que ces mots peuvent inspirer, représenter une aide de grande valeur, notamment parce qu’ils ont sur moi un tel effet, je sais aussi qu’ils peuvent parfois ne pas jouer ce rôle, en apparence, voire faire remonter de la confusion ou tout autre malaise. À ce moment-là, la remontée émotionnelle est-elle vue, accueillie comme telle ou y a-t-il une réaction (surimposée) ?
Voyez si vous pouvez faire vôtre le résumé ci-dessous de ce qui vient d’être développé et rappelez-vous que l’une des façons d’approcher une réponse à une question qui pourrait retenir votre attention est de poser cette dernière (sourire).
– Je peux – j’ai l’aptitude à choisir de – m’inviter à être pleinement présent et conscient ici et maintenant. Là où il est, mon corps est présent, bien entendu. Mais il ne s’agit pas de lui. Je suis présent en ce sens que je suis conscient de l’être. Je suis cette présence, je suis cette conscience. Et c’est vaste, infini…
– Comme je vois ou sens l’espace physique qui m’environne, mon propre corps aussi, je vois, je peux voir la pensée qui surgit, un ressenti à l’arrière-plan ou voir que je le vis dans l’instant. Je vois, je reconnais que je me sens … (paisible, mal à l’aise ou quoi que ce soit d’autre). Et dans cet espace présent, espace conscient que je suis, c’est encore une idée qui peut surgir, comme celle de faire ceci ou cela.
– Je peux – j’ai l’aptitude dont j’use sans compter à – m’oublier, me perdre, me laisser aller à réagir sur quelque mode pour moi ordinaire, habituel et souffrir, souffrir, souffrir… Mais je peux aussi suivre l’idée qui a surgi (évoquée précédemment) et agir utilement, sentir encore (ce faisant) la joie qui a fait naître cette idée même. Pour réagir, je dois être inconscient ; en étant pleinement conscient, j’agis de façon élégante, intelligente, féconde. Me permettre (humblement) de ne pas en être là, c’est être conscient et être conscient, pleinement, c’est être en paix !
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