Évocation des blessures
Cette nouvelle chronique est constituée de la réponse qu’il me vient de proposer à Dominique. Il nous fait partager un questionnement qui me touche et je l’en remercie vivement. Les éléments que j’apporte représentent à la fois des rappels et des précisions. S’il y a là encore de la confusion, souvenez-vous que vous pouvez et que vous êtes même encouragé à communiquer avec moi.
Je me pose parfois la question « quelle différence peut-il y avoir entre NON RECONNU et REJETÉ par exemple (ou DÉVALORISÉ, etc.) ? »
Notamment en cas de conflit relationnel, mineur ou majeur, il peut être intéressant de vérifier (en soi) comment on se sent traité par le partenaire (voire l’adversaire). On revit sans cesse la même histoire, les mêmes choses, éventuellement avec des personnes et dans des circonstances différentes. Reconnaître comment on se sent traité, c’est en quelque sorte identifier sa « blessure profonde non guérie » ou, si l’on préfère, son conditionnement psychologique auquel on est si identifié qu’on tarde à réaliser qu’on peut s’en affranchir.
Quand je demande à telle personne qui me consulte comment elle se sent traitée dans la situation qu’elle déplore, il arrive souvent qu’elle donne ce genre de réponses : « Je ne me sens pas comprise », « Je ne me sens pas accueillie », « Je ne me sens pas reconnue »… Pour l’inviter à préciser sa réponse, pour lui permettre surtout de s’arrêter enfin au ressenti douloureux qui la cherche et auquel elle résiste, je lui indique : « Je te demande comment tu te sens traitée et tu me dis comment tu ne te sens pas traitée. Donc, ‘Je me sens …’ ». La réponse qui surgit alors est explicite : le « je ne me sens pas accueilli » devient immanquablement « je me sens rejeté » (blessure de rejet).
S’agissant du « je ne me sens pas reconnu », des blessures différentes peuvent être révélées. Les réponses plus précises annonceront par exemple la blessure d’abandon (je sens qu’on me néglige ou qu’on me laisse tomber), la blessure de dévalorisation (je sens qu’on me rabaisse ou qu’on se moque de moi), la blessure de trahison (je sens qu’on me déçoit, qu’on abuse, qu’on m’empêche d’occuper ma place…), etc.
Les différences notables entre les blessures dépassent leur seule définition. La personne concernée par le rejet tend à se permettre bien des fantaisies, jusqu’à insister pour qu’on lui facilite la tâche (en fait pour qu’on cède à ses caprices). Or, elle ne fait jamais ses vraies demandes (elle gagne beaucoup à les faire enfin). La personne concernée par la dévalorisation tend à être soumise, à ne rien demander (à demander sans détermination), tandis qu’elle peut tenter par elle-même de satisfaire en vain ses envies successives toujours changeantes.
Y a-t-il du « résisté » dans la logique du non reconnu ou est-ce plutôt un positionnement ? De mémoire, je cite « La Bible » (Galathes, je crois) : « Vous êtes esclaves et je ferai de vous des filles et des fils… ».
Ici, je ne sais pas si Dominique parle du « non-reconnu » ou du « non-reconnaissant », de celui qui ne se sent pas reconnu ou de celui qui ne le reconnaît pas. Personnellement, je ne m’intéresse pas à « celui qui ne me reconnaît pas », pour peu que je me sente non reconnu, car s’agissant de mon ressenti, je suis seul en cause (j’interprète quelque chose dont je ne vérifie pas la réalité). Et puisque je sens, puisque je ressens ici, il n’y a pas de résistance. « Résistance ou positionnement ? » La résistance est déjà un positionnement : je résiste. Et bien sûr, nous résistons longtemps à ressentir (en pleine conscience) le douloureux enfoui en nous (ce qui demeure blessé) et c’est pourquoi nous nous attirons encore et encore des circonstances où nous nous « faisons traiter » de telle ou telle manière (par nos proches, nos collègues, nos clients, nos amis…).
Nous sommes esclaves de nous-mêmes, de nos pensées génératrices de malaise, d’inconfort, de souffrance. Si, simplement, nous pouvons le voir, nous nous libérons !
Je me souviens qu’à l’occasion de la lecture de l’une ou l’autre chronique, je me posais parfois la question, quand tu parles de « ressentir » (comment je me sens), suivante : c’est où, ça se localise où ?? (en bas, dans la poitrine, la tête….), ou bien est-ce plutôt parfois une ambiance intérieure générale ?
Quand vous êtes « mal », malheureux, triste, en peine, en colère, si vous vous sentez coupable, honteux, plein de remords ou de ressentiments…, donc quelle que soit votre ambiance émotionnelle, l’invitation régulièrement rappelée est de juste sentir ce qui est là dans l’instant. Vous réagissez de différentes manières à ce que vous vivez (ce qui vous arrive et ce que cela vous fait) : résignation, rébellion, lamentation… Un autre choix s’offre aussi à nous : rester un peu en conscience avec l’ambiance émotionnelle du moment, la reconnaître davantage, l’accueillir (à ce moment-là sans aucune autre intention, ni même celle de se débarrasser de la douleur émotionnelle). Il n’y a pas de transformation sans acceptation.
Pour beaucoup, la douleur émotionnelle devient vite une sensation physique. D’ailleurs, plus le douloureux en nous est nié ou simplement ignoré et plus il se cristallise, se somatise. Localiser dans son corps le « douloureux de l’âme » est à encourager s’il s’agit ainsi de le reconnaître mieux, de le considérer mieux, de le « regarder » de plus près. De plus, observer toute chose (ses pensées, ses émotions, ses sensations physiques, tout ressenti) est l’occasion toujours bienvenue de faire taire un peu son mental. Remarquez bien que, quand vous n’êtes pas profondément endormi, soit vous pensez, soit vous observez. Reconnaissons en même temps que nous pensons le plus souvent et que nous observons bien peu. C’est dire, en réalité, que nous ne sommes pas présents.
À travers différentes chroniques, y a-t-il une approche (un chemin) plus indiquée ou préférentielle qu’une autre ? Entre blessure (douleur) et postulats (croyances inconscientes) ou alors qu’importe, l’important c’est la présence à ce qui est ?? Et là, quel est le « poids » des mots, quelle est l’importance (ou l’efficacité thérapeutique) de définir ce qui est vu par des mots, voir (être avec le ressenti, notamment) sans nommer la chose (s’il n’y a pas nécessité de communiquer avec des mots) ?
En effet, la présence à ce qui est demeure l’essentiel. Si vous aspirez à faire dans votre vie une différence vraiment heureuse, seul compte l’instant présent. Si vous « préférez » continuer de réagir à ceci, à cela, à ce qu’on vous fait, qu’on vous a fait…, autrement dit souffrir, alors continuez, de façon inconsciente et compulsive, à ressasser le passé et à vous préoccuper de l’avenir. À divers degrés, n’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Oui, et si nous pouvons le voir, l’admettre, le considérer en souriant, nous nous libérons là encore.
En effet, les mots sont de moindre importance. Ils sont seulement un prétexte, une invitation, « le doigt pointé dans une direction ». Et les mots que j’entends de la personne que j’aide, ceux que mes questions lui permettent de prononcer parfois pour la première fois restent toujours le moyen d’approcher un ressenti douloureux stocké en son coeur. L’ultime invitation, l’ultime besoin est : sois avec en conscience, juste parce que c’est là, maintenant, juste maintenant !…
Pour le reste, les chroniques n’ont pas la prétention de proposer ou déterminer un chemin unique valable pour tous. Je fais le partage de ce qui m’aide personnellement, de ce qui m’éclaire, de ce qui repousse mes limites…, et je me réjouis si des personnes y trouvent de quoi se laisser inspirer elles-mêmes. L’inspiration est toujours neuve. Je l’observe notamment quand je m’installe au clavier pour rédiger une nouvelle chronique, quand j’écoute la personne qui me consulte et que des propositions spécifiques surgissent à ce moment-là…
Or, il peut être fort utile de relever ou de rappeler des observations de grande valeur susceptibles d’apporter dans sa vie ou son coeur plus de légèreté et de liberté, plus de paix et d’amour. Ainsi, terminons avec deux de ces observations jamais démenties à l’origine des heureuses transformations qu’il m’est donné de vivre.
1. Que s’est-il passé quand une personne s’est vraiment libérée d’une problématique (conflit, contrariété ou autre) ? À un moment ou à un autre, elle a enfin eu accès en conscience à quelque chose de douloureux qui avait été comme figé depuis longtemps. Elle l’a reconnu, elle l’a ressenti, elle l’a parfois pleuré, elle l’a en fait consommé, elle s’en est libérée.
Admettre ce point, c’est surtout réaliser ce qui n’est pas pour nous accompli s’agissant des circonstances qui viennent nous perturber, nous déprimer, nous faire mal. Dès lors, pourquoi ne pas se disposer à désormais rencontrer de bonne grâce lesdites circonstances ? Grâce à elles, on va se libérer un peu plus ! C’est encore accepter ce qui est (la circonstance) et ce que l’on éprouve ponctuellement fait partie de ce qui est. Je ne résiste plus (à chaque fois que je le peux en tout cas) et je vis, ressens pleinement ce à quoi j’avais résisté jusque-là.
Alors, bienvenu à ce nouveau problème, à cette nouvelle déception ! Bienvenu à quoi que ce soit qui se présente, puisque cela se présente !… Je peux opter pour cet accueil puisque mon expérience m’a montré depuis toujours que n’importe laquelle de mes réactions ordinaires n’a fait que maintenir et même empirer les choses déplorées… Est-ce que je veux continuer de réagir, avoir raison, ou être en paix ?
2. Qu’attendez-vous de la vie ? Que voulez-vous accomplir, posséder, devenir ? Permettez-vous de répondre à ces questions en imaginant que n’existe aucune des limites auxquelles vous croyez.
Maintenant, à atteindre l’un ou l’autre de vos objectifs, comment allez-vous vous sentir ? Que voulez-vous ressentir à travers vos accomplissements ? Admettons que vous me répondiez « de la joie » ! Eh bien, j’entends que ressentir la joie est votre besoin. Ressentez-le maintenant. Qui pourrait donc vous en empêcher ? Invitez la joie en vous. Reconnaissez la joie en vous. Soyez joyeux ! Quel risque y a-t-il ? Ce ressenti, heureux, ne sera pas non plus sans effet : le ressenti douloureux auquel on résiste attire de quoi le révéler ; le ressenti heureux auquel on s’invite attire de quoi le confirmer et l’amplifier. On n’est jamais heureux véritablement, parce que l’on a atteint ceci ou cela ; on l’atteint, parce que l’on est heureux, disponible…
Sans en faire une contrainte de plus, sans en déduire des « il faut » ou des « il ne faut pas », rappelons-nous à notre rythme et à notre mesure :
– d’accueillir pleinement le douloureux émotionnel qui demande seulement à être reconnu ;
– de nous permettre de ressentir sans délai la joie, la liberté, l’amour qu’autrement, nous attendons illusoirement des objets et de l’extérieur.
Commentaire
Évocation des blessures — Aucun commentaire
HTML tags allowed in your comment: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>