Des trucs pour continuer d’être mal
« Le regard qui transforme » demande de s’ouvrir à ce qui, dans notre réalité – dans notre quotidien, pourrait-on dire -, n’a pas encore été vu, ressenti, repéré comme étant quelque chose à quoi l’on n’a jamais jusque-là accordé notre attention consciente (c’est juste une façon de dire les choses). Cette « chose douloureuse » existe pour tout un chacun, pour la personne qui n’a jamais fait d’introspection d’une façon ou d’une autre autant que pour celle qui pourrait passer des heures à relater ses prises de conscience accumulées depuis des années ou même des décennies.
D’une manière générale, dès lors que l’on ne se sent pas épanoui ou en paix, que ses diverses relations ne sont pas harmonieuses, que son éventuelle relation conjugale ou intime donne à vivre de l’insatisfaction, que son corps fait souffrir de façon durable (voire à travers divers maux), que les contrariétés se succèdent en séries, que nombre d’attentes demeurent frustrées ou que l’on ne parvient pas à se consacrer à un projet motivant et enthousiasmant…, quelque chose de notre propre histoire, de notre seule histoire demeure dans l’ombre et fonde notre malaise ou des limitations que nous pouvons ne même pas reconnaître.
Quand certains évoquent leur difficulté du moment, ils confient aussi indirectement qu’ils ne comprennent pas et qu’ils veulent donc comprendre pourquoi « l’autre » réagit comme il le fait – « il doit avoir un problème ! ». L’autre est un partenaire, un parent, son enfant, un patron, un collègue ou encore la vie, la société, la conjoncture économique… Bien sûr, j’évoque ici les personnes qui ne se remettent pas en question (« le problème est à l’extérieur ; le problème, c’est les autres ! »), mais nous sommes aussi ces mêmes personnes, de façon à peine subtile, quand nous considérons ou plus exactement ne considérons pas tout un pan de notre réalité quotidienne ou ordinaire.
Dans une émission de radio que j’écoutais avant d’écrire ces lignes, un « animateur psy » questionnait longuement un auditeur qui venait de parler de la non-communication de son épouse, non-communication qu’il déplorait. L’animateur tentait d’aider l’auditeur à découvrir ce qui, dans l’histoire ou dans la personnalité de sa compagne, faisait qu’elle ne communiquait pas. Ce « morceau radiophonique » s’est ajouté aux idées qui me viennent depuis quelques jours et dont j’envisageais de faire le thème de cette nouvelle chronique. L’auditeur a lui un problème : il est confronté à une situation où il éprouve un manque de communication. La réponse, l’explication, la solution, pour lui, n’est pas dans l’histoire de sa femme, mais dans la sienne.
D’ailleurs, l’histoire ne dit pas si la soi-disant non-communication de l’épouse est pour cette dernière un problème ! C’est elle qu’il faudrait entendre pour le savoir. Quoi qu’il en soit, dès lors que quelque chose nous importune ou nous affecte peu ou prou, quelque chose nous « appartient » là, tente de nous parler, révèle une « partie blessée » en nous qui ne demande qu’à être « guérie ». Tant que cette chose ne sera pas reconnue, on continuera à tenter en vain de guérir des « blessures extérieures » qui, souvent, n’en sont même pas.
Quand j’étais jeune enfant, non pas encore aveugle, mais déjà malvoyant, mes parents ont fait de ma situation oculaire un problème, le leur. Quand ils l’avaient à l’esprit, je ne doute pas qu’ils fussent convaincus de se préoccuper de MON problème en se culpabilisant. J’ai eu des problèmes dès mon plus jeune âge, non pas celui-là ! Le problème en l’occurrence était leur culpabilité, laquelle n’aurait pas disparu si j’avais recouvré une vue normale. Quand vous vous êtes séparé de ce conjoint qui vous décevait ou qui vous … tant, en pensant bien sûr vous libérer à jamais de ce problème extérieur, vous vous êtes bientôt retrouvé auprès d’un nouveau conjoint qui vous a vite beaucoup déçu ou … De la même façon, vous avez pu quitter un patron « imbuvable » pour en trouver un pire.
La difficulté que nous partageons tous réside dans notre conditionnement : nous sommes conditionnés à faire avec ce que nous vivons depuis notre plus tendre enfance et, souvent, ce qu’a lui-même vécu depuis la sienne l’un ou l’autre de nos parents. Avoir des contrariétés, être ou se sentir traités par nos proches d’une certaine manière, être confrontés à divers obstacles ou ne pas être comblés… constitue comme une « seconde nature » et, en fait, nous nous attendons inconsciemment à vivre ce que nous vivons (que nous le déplorions ou que nous ne le déplorions même pas, pas encore).
Une fois n’est pas coutume, je vais donner ou confirmer dans cette chronique quelques moyens simples pour s’assurer de faire en sorte que rien ne change, que l’on continue de vivre son insatisfaction chronique et que l’on s’attire les mêmes tribulations en tous genres, voire que les choses empirent !…
D’abord, je rappelle que le dépassement des conflits et autres difficultés ne dépend pas d’une croyance, ne repose pas sur une croyance positive : l’amour, l’harmonie et l’abondance, pour être, n’ont nul besoin que l’on y croit car ils sont naturels quand des croyances, justement, ne sont pas là pour les contrecarrer.
Ainsi, pour assurer la persistance de l’adversité, il faut globalement croire, par exemple, que les premières idées émises dans ce texte sont saugrenues, tirées par les cheveux ou, mieux, complètement fausses. Il faut croire que les choses sont ce qu’elles sont, que l’on n’y peut rien, que si l’on y pouvait sérieusement quelque chose, « ça se saurait » ; il faut croire que la vraie cause d’une maladie est un microbe, un virus, une allergie, l’hérédité, un travail pénible ; il faut croire en l’injustice, en la malchance ; il faut croire que le meilleur n’est pas pour soi, qu’il est pour les autres. Bref, il faut croire !…
Ensuite ou simultanément, il faut prétendre (ce qui est encore croire) ne pas avoir de problèmes, n’avoir aucun problème et que ce ne sont jamais que la vie et les autres qui nous taillent des croupières. Et quand des problèmes sont reconnus, « attendre que ça se passe », « attendre que les choses s’arrangent » est un truc à ne pas sous-estimer car il est aussi très efficace et puissant : on passe ainsi toute sa vie à attendre ! Rêver, désirer de façon obsédante, envier compulsivement, fantasmer ou même espérer, c’est pas mal non plus !
Si vous avez tendance à ressasser vos frustrations seul dans votre coin ou à les rabâcher à qui veut bien les entendre (histoire d’obtenir de l’attention), vous avez trouvé votre truc, ne le lâchez surtout pas et, ce faisant, vous pouvez être certain que d’autres problèmes se présenteront d’eux-mêmes dans les meilleurs délais ! Au passage, je dois avouer qu’il vous faut vraiment repérer votre truc à vous – vous en avez au moins un – car celui d’un autre ne marcherait pas pour vous.
Pour certains, le truc, c’est ne jamais parler à personne de ce qui les préoccupe, ni demander de l’aide, ni faire tout autre demande, ni entreprendre quoi que ce soit qui risque de déranger leur entourage. Faites encore comme si de rien n’était et « tuez-vous » au travail, anesthésiez-vous devant la télévision, excitez-vous des heures durant sur votre ordinateur, faites du sport à outrance, pratiquez n’importe quoi (musique, lecture, étude…) de façon compulsive ou adonnez-vous à n’importe quelle autre dépendance… Et soyez surtout un « bon consommateur » !
Quand le problème devient si gros que vous ne pourriez plus le nier, résistez, protestez, indignez-vous, cherchez à vous en débarrasser, geignez, plaignez-vous, accusez, dénoncez… « Plus on résiste et plus ça persiste » : le « succès » est donc garanti là encore ! Et, attention, ne mettez surtout pas votre attention sur ce qui vous convient vraiment, sur les belles circonstances que vous vivez ! Ne ressentez aucune gratitude ! Ne soyez pas content, pour rien ! N’appréciez pas, ne soyez pas dans l’appréciation !
Enfin et surtout, pensez à autre chose, pensez sans arrêt, pensez, pensez, pensez ! Ne soyez pas présent, attentif, conscient ; pensez, mais ne sentez, ne ressentez pas, surtout pas ! Aucun problème ne peut durer vraiment longtemps si on lui accorde l’attention suffisante !
Vous-même, comment faites-vous pour vous maintenir dans une existence qui vous éprouve, qui manque de sérénité ou de joie de vivre ? Avez-vous lu dans ce qui précède de quoi rappeler une tendance qui pourrait être la vôtre ? Dans l’affirmative, n’en éprouvez pas de malaise, ne vous en blâmez pas ! Si vous voyez cela, si vous l’accueillez, l’acceptez, vous êtes avec « le regard qui transforme » ; vous vous disposez à de nouvelles expériences. Ultimement, nous ne manquons que de conscience. Alors, face à vos manques éprouvés ou aux contrariétés rencontrées, reconnaissez simplement que quelque chose vous échappe sans y plaquer des explications qui sont seulement des « fermetures » : d’autres entraves. Contemplez ces quelques questions sans vous précipiter pour y répondre :
– Mon existence me comble-t-elle ? Sur les plans relationnel (intime, amical, familial), professionnel, des loisirs et autres ?
– Se pourrait-il que j’endure régulièrement des limitations dont je ne prends pas garde, que je subis (par exemple) des manques de considérations sans mot dire ?
– Pour moi-même, qu’est-ce que je fais de réellement bon, utile, enrichissant (qui ne soit pas que pour des satisfactions éphémères) ?
– De quelle manière est-ce que je contribue au monde ? (Le monde commence avec un proche, ma famille, des amis…)
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