Des positionnements et leurs effets
Il semble utile de revenir et de s’arrêter sur l’effet pervers et néanmoins compréhensible, même logique, de certains de nos positionnements psychiques. Nous allons bien sûr voir ce qu’ils sont, ainsi surtout que leurs effets. Si nous maintenons lesdits positionnements (qui sont effectivement malencontreux), jusqu’à défendre parfois une légitimité à les adopter, c’est d’une part par habitude et, de l’autre, surtout parce que nous ne sommes pas conscients de leurs effets, pervers en ce sens qu’ils sont tout à fait contraires à ce à quoi nous aspirons au bout du compte.
Sans tarder, je vous propose de vérifier celaen vous, d’admettre que s’y trouve par exemple la tendance plus ou moins prenante à attendre. J’évoque le phénomène « attendre » et non pas ceci ou cela que vous attendez. Il est important de savoir de quoi l’on parle. Je n’ai pas non plus à l’esprit la situation possiblement tranquille où vous vous adonnez avec plaisir ou intérêt à n’importe quelle activité en attendant que quelque chose d’autre se fasse (se déroule, se termine, se produise). Pendant que votre café coule, peut-être lisez-vous votre courrier. Vous le lisez comme vous l’auriez lu de toute façon, en buvant votre café ou à tout autre moment…
Non, je m’intéresse ici à l’attente en tant que positionnement et qui comprend une certaine dose d’impatience, d’agacement ou d’insatisfaction. Un peu plus de vigilance est parfois nécessaire pour identifier ce même positionnement qui demeure à l’arrière-plan des préoccupations plus superficielles. Grâce à une observation véritable, il y a des moments où l’on pourrait se dire, reconnaître tranquillement : « Mais je suis dans l’attente ! Mais j’attends encore. En fait, j’attends. », etc.
Comme tout autre, ce positionnement « attente » est également un effet, celui d’un « je veux » ou d’un « je ne veux pas » réactionnel. Ces « je veux » et « je ne veux pas » sont encore des positionnements. Il y a certainement des choses précises que vous voulez (voudriez) et d’autres que vous ne voulez pas, mais au-delà de ces choses, il y a surtout la possibilité de reconnaître là encore quand on est dans le « je veux » et dans le « je ne veux pas ».
Dans mon jargon, vouloir, ne pas vouloir, attendre sont donc des positionnements réactionnels qui nous desservent à un point que nous ne soupçonnons pas d’habitude. Contenir en soi une attente réactionnelle, c’est en réalité craindre que la chose attendue n’arrive pas. Et la peur est créatrice ! « Ne pas vouloir ceci ou cela », quand ça revient à « vouloir s’en débarrasser au plus vite », c’est de la résistance, de la résistance à ce qui est. Or, comme le disait Carl Jung, « Ce à quoi l’on résiste, persiste ». Quant à « vouloir ceci ou cela », dès lors qu’on demeure animé par une énergie similaire, c’est notamment résister à son absence. Eh bien, c’est cette absence que l’on fait alors persister.
À la lecture de ces premières lignes, il est absolument essentiel de ne pas retenir, de ne pas conclure : « Ah, il ne faut plus que j’attende, il ne faut plus que je veuille ou ne veuille pas quoi que ce soit ! » Si vous teniez tout de même à un « il faut », je formulerais la chose ainsi : « Ah, il faut que je sois conscient(e) quand je suis dans l’attente, dans le vouloir, dans le non-vouloir… ».
C’est l’observation neutre de nos schémas mentaux qui les modifie au besoin et jamais durablement l’implication d’un contrôle mental. Rappelez-vous cela en lisant la suite. Sans cette compréhension préalable, ce qui est expliqué pourrait être à tort interprété comme dur, irrecevable, ou ne simplement pas retenir l’attention. En fait, il ne faut rien (il n’y a rien qu’il faille), mais voir ses fonctionnements (en être conscient) est toujours bénéfique.
Votre « je veux » à vous, ce « je veux » réactionnel, compulsionnel, peut être véhiculé par le fait de rêver en quelque sorte (oh, comme ce serait bien si..), par le désir (avec un projet maintenu depuis des lustres), par l’espoir ou le fantasme (éprouvé dans une sorte d’auto-isolement), par l’envie (dont l’objet varie de « jour en jour »), par le caprice (dont sa spécificité est la façon dont il est exprimé – obstination manifestée) ou par l’exigence (qui fait fi des priorités d’autrui). Je veux = je rêve, je désire, j’espère, je fantasme, j’ai envie de, je veux absolument, j’exige (A. ceci ; B. que tu le fasses ; C. à ma façon)…
Quelque chose vous parle-t-il ? Oui, pouvez-vous alors simplement le considérer (le regarder) sans rien en faire d’autre, en fait sans en penser quoi que ce soit ? Oui ? Bravo ! Ce qui est, quoi que ce soit… est, un point c’est tout ! Ce qui est accueilli de la sorte passe, se libère.
À partir de ces « je veux »-là, il n’existe aucun moyen de parvenir au résultat prétendument attendu, pour une satisfaction réelle et durable. Le phénomène résistance / persistance n’est pas seul en cause. En réalité, aussi incroyable que cela puisse sembler, ce n’est pas le résultat qui nous anime, qui justifie notre « je veux » particulier, mais le seul fait de cultiver en soi ce « je veux ». « L’espoir fait vivre », dit-on, et non pas sa réalisation, devrait-on ajouter. C’est un « je veux » d’une autre qualité qui permet le véritable contentement. Nous allons y venir.
Quand vous avez ponctuellement satisfait une personne exigeante (répondu à son « je veux » bien spécifique), une autre exigence ne tarde jamais. Jamais, vous ne la satisferez réellement et durablement. Pensez encore aux caprices de certains enfants, ne se succèdent-ils pas sans fin ? Sommes-nous encore l’un de ces enfants ? En réponse à son « je veux » à elle, la personne qui envie peut bien s’acheter une nouvelle voiture ou sa trentième paire de chaussures, par exemple, ce qui l’anime toujours, ce n’est de loin pas le plaisir dû à ce dernier achat, mais déjà l’envie du suivant. Le désir obsédant comblé est vécu comme banalité. Sur le point ou même en train de réaliser un espoir, il y a encore à composer avec des complications, un blocage ou de la honte.
En somme, le « je veux » opiniâtre n’a pas vocation à être satisfait. Il est éprouvé pour tenter d’apaiser une réaction négative, de soulager un manque et de démentir des croyances – « Si j’obtiens ce que je veux, c’est que je ne suis pas si…, c’est que je suis accepté, compris, aimé… ». Et par ce biais, répétons-le, il n’y a pas au bout de satisfaction durable. Il y a au mieux un soulagement éphémère et, au pire, encore plus d’insatisfaction. Cela renvoie à un autre constat : ce que nous faisons dans le seul but de nous épargner un malaise (peur, manque, inconfort) est la chose même qui nous fera éprouver ce même malaise de façon encore plus intense. Eh oui !
Pour fuir sa croyance et surtout son sentiment d’être inintéressant ou inutile, que ne fait-on pas (si l’on est concerné) pour intéresser et se montrer utile ! Quel en est le résultat ? On éprouve que les autres sont seulement intéressés ; on se sent utilisé. Si vous savez votre tendance à vous dévaloriser, vous savez aussi vos efforts pour témoigner de votre valeur. Cela marche-t-il ? Pour ne surtout pas déranger, ne pas poser de problème, parce que vous vous croyez là dérangeant, donc pour éviter le malaise, vous ne demandez rien, vous demandez peu, vous ne dites pas non quand il serait mieux pour vous d’abord que vous l’assumiez. Êtes-vous alors satisfait ? Et, par exemple, il y a même votre côté « je ne veux surtout pas déranger » qui finit par… déranger !…
Dans le livre, Le regard d’un non-voyant, je relate l’exemple d’un homme qui me confiait en pleurs le drame qu’il vivait avec les siens. Quand il termina d’énumérer les exemples d’abus qu’il endurait, je lui demandai s’il ne lui était jamais venu de donner du poing sur la table. « Je ne veux pas faire d’histoires », me répondit-il. Donc, pour ne pas faire d’histoires, ce qui lui aurait fait mal, il vivait, non pas la paix, mais un drame… Il vivait ce que lui aussi voulait éviter par sa gentillesse démesurée.
Le positionnement spécifique ici impliqué – qu’on peut appeler « l’évitement » – révèle plus directement la difficulté à ressentir ce qui nous reste de nos blessures d’enfants. Pour les exemples donnés précédemment, un bon début pourrait être : « Ah, je me crois inintéressant, inutile », « Oh, mais je me crois toujours incapable, pas à la hauteur », « C’est pourtant vrai que je me comporte finalement comme si je posais, comme si je pouvais poser problème »… Plutôt que de penser encore, que de se dire tant de choses inutiles et généralement douloureuses, voyons et admettons simplement qu’il reste en nous de quoi regarder et voir, de quoi sentir et être relâché. Ce n’est pas fait !
Dans le positionnement « évitement », on retrouve bien sûr du « je veux », du « je ne veux pas » et de l’attente. On veut que les choses se passent bien, on veut un retour sympa, on veut… l’évitement bien entendu ; on ne veut pas ressentir ce qui est là, on ne veut pas s’affirmer, exister vraiment ; on attend… sans même plus savoir quoi. Ajoutons encore que, même si ce qui nous anime est notre « je veux » et non pas le résultat à obtenir, ce « je veux » finit par être pénible, insupportable. C’est pourquoi, pour le faire taire ponctuellement, on se donne en excès quelque chose qui nous est disponible : nourriture, tabac, alcool, drogues, sexe, sport, jeux, écrans… À défaut de se satisfaire, on se soulage et chacun(e) trouve son truc.
Maintenant, rappelez-vous une fois où vous avez dit spontanément et tout simplement « oui » à quelqu’un qui venait de vous faire une demande ou même une proposition. Il aurait pu vous dire : « Est-ce que tu veux bien que…, » Cette fois-là (trouvez votre exemple), vous avez été OK, vous avez été d’accord, vous ne vous êtes pas posé de questions. Il y avait comme une évidence, aucune raison de dire « non ». Et il n’y avait pas non plus d’attente de votre part. Vous vous êtes senti bien et tout s’est bien passé. Bien sûr que vous avez déjà fait cette expérience : avec un parent, un partenaire, un enfant, un voisin, un collègue, un inconnu dans la rue. Une fois où vous avez bien voulu ! Cela vous est arrivé souvent !
Or, il serait encore mieux ici de vous rappeler une fois où vous avez bien voulu de la sorte quelque chose (peu importe quoi)… pour vous-même. Pour quelque chose, ce jour-là, ça a dit « oui » en vous, de tout votre cœur. L’évidence y était. Vous étiez simplement d’accord, pleinement d’accord. Vous étiez même content(e) de dire « oui », de vous dire « oui », de décider pour vous, content à l’idée de la chose en cause. Est-ce quelque chose que vous avez fait, que vous vous êtes permis, que vous vous êtes offert, acheté ? Et, si vous vous rappelez ou considérez le bon exemple, les conséquences de ce « oui » ont été heureuses cette fois.
Soyez désormais conscient des deux « je veux » si différents, l’un est heureux, l’autre est frustrant. Il y a « vouloir bien » et il y a, pourrait-on dire, « vouloir mal ». Pour le dire mieux, il y a « je veux bien, je suis d’accord, l’idée me fait plaisir » et il y a « je veux, je dois avoir, il faut que j’aie ». Oui, le premier « je veux » assure des résultats heureux autant que le second garantit des résultats malheureux. Pouvons-nous reconnaître que, la plupart du temps, l’option reste toutefois pour le second « je veux » ? Que va-t-il se passer si nous regardons et voyons cela tranquillement ? Racontez-moi !
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