De l’évitement à la conscience
Le constat relevé ci-après ne devrait pas susciter d’auto-reproche, ni être interprété comme un jugement (réactionnel) de son auteur. Demeurons tranquilles ! Si souvent, trop souvent, n’éprouvons-nous pas notre propre existence comme dure, difficile, voire (pour certains) invivable ? Nous n’aimons pas ce que nous avons, en ignorant le « bon » également présent ; nous ne parvenons pas à nous dégager de ce qui nous encombre, ne nous convient pas ; nous réussissons si peu à nous attirer ce à quoi nous aspirons, légitimement !… Nous pouvons aussi nous faire croire que tout va bien. Cela marche-t-il durablement ?
Mais à quoi le mal de vivre tient-il donc ? Généralement, nous ne le savons pas, nous ne nous posons même pas la question. Parfois, nous imputons à nos difficultés ou limitations des causes qui n’en sont pas. Ignorer les choses aux effets déplorés ou les expliquer erronément assure et renforce leur maintien, leur pérennité. Nous sommes aveugles ! Et, même si ces mots et les suivants ont pour nous du sens, nous ne nous les rappelons pas, nous les oublions aussitôt lus… Nous sommes aveugles face à deux difficultés ou positionnements majeurs.
1. Nous ne savons pas qui nous sommes. Ne pas le savoir est moins décisif que de croire le savoir : pensez donc à une personne qui croit qu’elle est ses diverses connaissances, son instruction, tout en les jugeant insuffisantes ! Pensez encore à une personne qui croit être son corps, corps qu’elle n’aime pas (le cas échéant) ! Nous nous identifions aussi à notre sexe, nos rôles, notre standing, nos biens matériels… Que se passe-t-il alors quand nous sommes pauvres ?
C’est là confondre l’être avec l’avoir, « qui nous sommes » avec « ce que nous avons ». Nous avons une voiture, une maison (éventuellement), nous avons un corps, un mental (assurément)…, pouvons-nous voir que nous ne sommes pas cela ?
Ce que nous sommes fondamentalement est-il amoindri si nous sommes sourds ou aveugles ? Y a-t-il « moins d’être » s’il nous manque une jambe ou les deux, un bras ou les deux, si nous avons une mémoire défaillante, peu de culture ?
2. Nous ne soupçonnons pas combien nous sommes animés et réactivés par notre conditionnement. Il est constitué de notre passé, incluant notamment celui de notre généalogie, inlassablement représenté (ramené au présent) et préparant un futur équivalent. De mon point de vue, ce conditionnement repose sur les effets des endoctrinements religieux ou simplement moraux, éventuellement différents selon les époques et les civilisations.
Il y a une somme d’injonctions auxquelles nous avons, soit adhéré, soit résisté, réagi, ce qui ne fait aucune différence : nous sommes pris, piégés dans les deux cas. Nous endurons les mêmes circonstances, rabâchons les mêmes propos, cultivons les mêmes désirs pourtant toujours insatisfaisants… Nous accumulons les non-dits et les « dits mensongers », nous enfouissons de la culpabilité et des besoins frustrés.
À partir d’une sorte de spirale perceptible, tout cela n’est pas sans effets, ces effets n’étant rien d’autre que ce qui nous permet de déclarer (sinon d’éprouver) : « Ca ne va pas ! » (ça ne va pas, « parce que je n’ai pas ce que je veux, parce que j’ai ce que je ne veux pas… »)
Nous sommes plus ou moins contrariés ou littéralement torturés. Et faisant ce que nous pouvons, nous employons des remèdes très variés qui empirent les choses. Au moins, ça fait marcher le commerce !
En quelque sorte, ne pas savoir qui nous sommes, c’est être endormi, et le rêve que représente notre existence est souvent un cauchemar. Alors, dans ce positionnement, que pouvons-nous faire ? Rien ! Dans nos rêves du sommeil physique, ne sachant pas ordinairement que nous dormons profondément, pouvons-nous modifier le cours des choses de façon délibérée ? Le réveil (l’éveil à soi-même) est la seule solution. Rappelons-le-nous quand rêver (et/ou cauchemarder) aura cessé de nous amuser !
Dans notre endormissement de toujours, un de nos problèmes, inattendu, est l’attachement à des solutions adoptées de façon inconsidérée, réactionnelle. La véritable solution implique un ensemble de possibilités quand la solution compensatrice se limite à une seule, cette dernière s’appelant parfois impossibilité ou calamité. Caricaturons (à peine) les choses pour bien saisir ce point :
– Problème : on a faim ; véritable solution : manger ; dans son réfrigérateur, son garde-manger, son jardin…, cette solution ne permet-elle pas (sauf à vouloir penser au pire) une grande variété de possibilités ?
Solution compensatrice : fast food ; que se passe-t-il si cela devient son alimentation quotidienne ? Et comment se sent-on à se trouver en des lieux sans fast food ?
– Problème : on a envie de se distraire ; véritable solution : s’amuser ; à partir des arts, du sport ou des apports électroniques et informatiques, les possibilités ne sont-elles pas infinies ?
Solution compensatrice : une activité coûteuse et/ou dangereuse (incluant sexe, drogues, armes). Est-ce difficile de conscientiser la limitation à laquelle on risque d’être confronté là ?
– Problème : on veut une relation amoureuse ; véritable solution : s’ouvrir à de nouvelles rencontres ; est-on capable d’énumérer toutes les possibilités offertes dans ce domaine ?
Solution compensatrice : la personne élue de son cœur est déjà mariée ou habite au bout du monde… Dans ce cas, que de souffrance encore (solitude, frustration, attente désespérée…) !
– Problème : on éprouve un manque d’attention ; véritable solution : le reconnaître, se l’avouer (être authentique) ; on pourrait trouver bien des amis pour en parler ouvertement et se libérer…
Solution compensatrice : on se raconte des histoires, s’invente des problèmes (se les attire) pour forcer ou tenter de forcer l’attention. Mais on n’est jamais satisfait ! Et on lasse notre entourage.
Dans notre existence, il y a bien des choses que nous ne solutionnons ou ne réalisons pas du seul fait de nous en tenir à une de ces « solutions compensatrices ». À travers les exemples qui précèdent, nous pouvons voir qu’elles sont vaines, limitées ou néfastes. À l’inverse, quand nous nous épanouissons dans une activité, quand une option nous convient, c’est que notre choix s’est fait à partir d’une solution ouverte.
Il importe de considérer tout cela sans gravité. Demeurons ou devenons légers, curieux et amusés.
Représentée ici par le rêve mentionné, toute notre existence peut encore être vue comme un film. C’est tantôt une comédie, tantôt une tragédie, mais ça n’est toujours qu’un film ! Avec le temps, parfois trop lentement, l’histoire se modifie et nous pouvons en conscience écrire un tout autre scénario. Mais nous le pourrons d’autant plus aisément que nous aurons accepté de regarder enfin les séquences de notre film que nous avons soigneusement reléguées aux oubliettes, auxquelles nous continuons de résister. Là où il y a résistance, il y a aussi persistance.
En lien à tout cela, permettez-moi de vous faire partager ma marotte du moment et, pour un temps, voyez si vous pouvez la faire vôtre. Sentez-vous bien à l’aise pour décliner l’invitation si elle suscite chez vous trop de malaise ! Je redis au passage que la moindre de mes propositions, loin d’être une vérité en elle-même, n’a de sens que dans l’écho qu’elle peut trouver en vous. Vous êtes, pour vous-même, la seule autorité qui compte, ne l’oubliez jamais !
Sans me laisser envahir par la honte et la culpabilité, tout en acceptant de même de regarder ces dernières, j’accorde une attention particulière aux séquences de mon film dans lesquels mes propres actes ou intentions sont négatives, préjudiciables. Si j’ai menti, si j’ai abusé, si j’en ai profité, si j’ai agressé, manipulé, humilié…, je veux le regarder maintenant, le voir. D’une façon ou d’une autre, j’ai pu faire subir à autrui ce que je reproche aux autres de m’avoir fait. Je veux le voir !
Comprenez bien qu’il ne s’agit pas de se juger et de se condamner, mais seulement de regarder ce que l’on se cache d’habitude scrupuleusement grâce au refoulement ou aux justifications en béton. Ce déni aussi est cause de notre souffrance.
Aujourd’hui, nous ne souffrons pas de ce que nous avons fait, pas plus de ce qu’on nous a fait, mais de tout ce que nous refusons de voir, de ressentir pleinement. L’inachevé nous bloque, nous limite, nous conditionne.
Celui qui regarde et qui voit les méfaits endurés et infligés, c’est qui nous sommes et cela – nous = je – est parfait. Je dis, je viens d’écrire (l’avez-vous lu ?) que cette perfection demeure ce que vous êtes en essence. Ce que nous sommes « en naissance » est toujours ici. Simplement, tout en y résistant, nous nous sommes pris au jeu du film, nous nous sommes enchaînés. En observant la réalité (le film), alors que nous y mettons ce faisant une distance, nous nous dégageons, nous nous libérons…
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