Ce que nous croyons et ce que nous ignorons
Il y a bien des façons « d’expliquer » le maintien ou la survenance dans notre vie de circonstances douloureuses, conflictuelles ou problématiques. D’aucuns incriminent le hasard ou la malchance. D’autres parlent de fatalité, d’hérédité quand cela s’y prête et encore d’injustice ou de malédiction. En fait, on peut découvrir en soi-même des peurs, des croyances et diverses réactions qui suffisent largement pour s’attirer ce que l’on déplore. Et pour ma part, j’observe que la circonstance indésirable est surtout l’occasion de reconnaître et libérer enfin un ressenti douloureux en soi. Autrement dit, elle représente une invitation à le faire.
C’est vraiment comme si ce ressenti douloureux constamment évité attirait le problème. Si je résiste à sentir la peine ou la colère qui m’habite, par exemple, je vais sans cesse vivre des situations susceptibles de réactiver cette peine ou cette colère. Or, puisque je résiste, des situations semblables se succèdent ou une même circonstance se prolonge. Et parfois, les choses empirent. Ne confondez pas la réaction émotionnelle, laquelle représente la souffrance connue et déplorée, avec la douleur profonde « soigneusement » évitée.
Si vous avez toujours dans votre vie quelqu’un qui vous inspire les mêmes griefs ou regrets, vous en avez ici l’explication. Seule votre « résistance » à sentir est en cause. Il en va de même si vous éprouvez le manque de clients, de travail, de rencontres heureuses, etc. Les accidents et les contrariétés de tous ordres jouent le même rôle : permettre de conscientiser et de libérer une vieille douleur (peur, honte, culpabilité, haine, chagrin…). La cause primordiale d’une circonstance éprouvante est de moindre importance que l’accueil qui lui est réservé, qui gagne à lui être réservé. Au lieu de la fuir, c’est permettre à la chose d’être, de se déployer.
L’adversité et nos diverses insatisfactions peuvent effectivement s’expliquer par nos croyances pernicieuses. Vous déplorez de ne pas vivre ceci ou cela sans reconnaître que vous vous en croyez incapable, indigne, ou sans envisager de remettre en cause la croyance. Même après avoir débusqué sa croyance d’être « non importante », une personne qui accusait son monde de lui accorder peu de place a encore eu du mal un temps à faire le lien entre ce qu’elle croyait et ce qu’elle vivait (ou ce qu’elle regrettait de ne pas vivre). Il semble plus « commode » de croire en la malédiction, par exemple, que d’observer ce qui se passe en soi. C’est difficile de réaliser que l’on est à l’origine, que l’on crée ce que l’on vit, que l’on en est responsable, notamment parce que l’on confond « responsabilité » et « culpabilité ».
Continuons de nous croire abandonnés ou rejetés et nous continuerons de l’être (de nous attirer de quoi y croire de plus belle). Continuons de croire que le meilleur n’est pas pour nous, que la guérison n’est pas possible, que la vie est dure…, mais cessons alors de nous étonner de ce que nous vivons (de ce que nous créons). En fait, vérifions nos croyances et admettons simplement, le cas échéant, que nous ne savons pas encore ce qui, en nous, nous confronte avec telle ou telle situation et qui nous fait réagir comme nous y réagissons. On ne peut rien apprendre en croyant savoir.
Tout ce qui précède est un rappel. J’en parle de chronique en chronique. Je veux en venir à un point que j’ai moins évoqué et qu’Isabelle me demande de développer : l’ignorance. Elle est déjà impliquée dans ces premiers rappels.
Il y a ce que vous croyez sur vous, pour vous, à tort, et il y a ce que vous ignorez et qui se rapporte à n’en point douter à votre heureuse nature. Comme nous le verrons, cela n’est qu’un exemple d’ignorance. Vous pourriez vous croire nul (croyance si répandue) et ignorer vos dons et vertus. Vous pouvez vous croire dérangeant et ignorer la place qui vous est réservée ou qu’on est prêt à vous accorder. Vous pouvez vous croire inintéressant sans voir combien vous êtes apprécié. Vous pouvez découvrir un jour votre croyance d’être méchant sans reconnaître jamais que c’est votre grande sensibilité que vos proches recherchent (et non pas ce que vous inventez pour vous faire accepter).
Percevez que ce que vous ignorez n’est pas nécessairement le contraire direct de ce que vous croyez à tort. Reprenons le premier exemple : vous croire nul, à tort, pourrait certes signifier que vous ignorez votre intelligence, mais intelligent ou non, il y a surtout des dons qui vous caractérisent. Vous croire méchant, autre exemple, laisse à penser que vous êtes gentil, mais particulièrement gentil ou non, vous pouvez être une personne tout à fait sensible, aimée et donc aimable de ce fait… Je ne dis pas que l’on n’est pas le contraire de ce que l’on croit à tort (ce n’est pas le sujet), mais j’insiste sur ce qu’on ignore, sur le fait qu’on croit des choses à tort et que l’on en ignore d’autres bien réelles.
Le point est sans doute subtil et gagnerait à être mieux formulé, mais je veux surtout attirer l’attention sur le fait que nous maintenons nos conditions de vie difficiles à travers à la fois ce que nous croyons et ce que nous ignorons. La prise en compte de ce que nous ignorons n’est pas destinée à renforcer l’ego car il s’agit du « vivant » en soi qui est égal en chacun d’entre nous. La forme est différente, le potentiel est le même. L’ego est en revanche concerné quand, pour démentir nos croyances autoaccusatrices, nous nous faisons passer pour qui nous ne sommes pas, nous cultivons des prétentions.
D’aucuns se vantent d’exploits qu’ils n’ont pas réalisés en ignorant qu’ils sont déjà ou qu’ils sont mieux que ce qu’ils veulent faire croire. Ce faisant, ils ne voient pas (ignorent encore) que leur attitude leur nuit tôt ou tard. Un discours autovalorisant et donc compensateur peut également être celui d’une personne qui veut afficher combien elle est « spirituelle ». Ce ne sont là que des effets des blessures non guéries et ce n’est problématique que tant que cela n’est pas vu, pas reconnu, pas pleinement observé sans jugements (personnels). L’ignorance contrecarre notre épanouissement, la conscience le garantit.
En tant qu’être humain que nous sommes, savons-nous vraiment que nous sommes « être, humain » ou l’ignorons-nous ? Quand je parle du mental et encore ici quand j’évoque notre « heureuse nature », il s’agit de notre dimension humaine. Au-delà de toutes nos croyances qui nous desservent, considérez un instant le phénomène de la seule pensée, le flot incessant des pensées qui abondent. Elles peuvent être noires, négatives ou heureuses, voire religieuses, spirituelles. Qui pense ? qui a ces pensées ? N’ignorons-nous pas aussi et surtout cette conscience pure, l’Être, traversée par toutes sortes de pensées, qu’elles soient jugées bonnes ou mauvaises, nobles ou viles ? Oui, nous ignorons ou nous oublions généralement notre nature essentielle, et c’est notre ultime problème.
Alors, simplement, voyons qu’ordinairement, nous sommes ignorants, que nous nous racontons des histoires, tantôt belles, tantôt effrayantes. Voyons, observons, reconnaissons cela. Remarquez aussi que je ne dis pas : « il ne faut pas penser », « il faut être présent ». On serait prompt à s’imposer des « il faut » et « il ne faut pas », alors qu’un grand nombre entretiennent notre honte ou notre culpabilité. Non, il s’agit toujours de voir. Si vous résistez à ce qui est écrit, proposé, si vous le jugez, en pensez quoi que ce soit, voyez-le, c’est tout !
« Souvent, je retombe dans des considérations mentales ; souvent, je retrouve une réaction ou une autre. Mais de plus en plus souvent aussi, je le vois. Quand je le vois, quand je l’observe, je ne suis plus dans la réaction, ni dans la mentalisation. Le voir dit que je suis présent et c’est le calme, la tranquillité, le silence, la paix que je retrouve. »
Je le rappelle, peu importe ce que j’observe, mon ignorance, mes pensées ou n’importe laquelle de mes réactions, seul est précieux et déterminant le fait d’observer et donc d’être présent.
Pour conclure, je vous offre un dernier élément qui, si vous le considérez suffisamment, pourrait représenter pour vous une révélation. (Ce qui est révélé est ce qui était ignoré). Très probablement, vous ignorez que, quand vous réagissez de quelque façon que ce soit contre toute circonstance, vous n’êtes pas intéressé par une solution, une transformation, une guérison, vous voulez seulement réagir. Je ne dis pas que vous vous moquez de la solution, ni que vous la refuseriez. Je dis que, quand vous êtes dans la réaction, quand vous réagissez, c’est cela que vous voulez et rien d’autre.
– Quand vous pestez contre le monde ou un proche, vous ne voulez pas qu’il soit différent, vous voulez pester.
– Quand vous ruminez, « rongez un os », vous tenez à cet os et vous ne voulez rien d’autre.
– Quand vous rêvez à une belle relation ou à tout autre chose, ce qui vous importe, c’est rêver et non pas avoir ou vivre la chose.
– Si vous avez tendance à revendiquer ou à exiger des choses, soyez sûr que ce qui vous « intéresse », ce qui vous anime, c’est « revendiquer », « exiger » et non pas les choses revendiquées ou exigées.
Et si, souvent, vous voulez réagir (vous plaindre, vous insurger, mais aussi envier, fantasmer…), voulez cela et non pas la chose soumise au régime adopté, vous pouvez aussi de temps en temps aspirer au meilleur (sous quelque forme que ce soit), être d’accord pour le vivre et le vivre tôt ou tard effectivement. Remarquez que le bon qui vous advient et dont vous jouissez durablement n’est précédé d’aucune réaction. En fait, s’agissant de ce que nous voulons, nous agissons et s’agissant de ce que nous croyons vouloir, Nous réagissons. L’être humain que nous sommes est généralement très réactif et ses attitudes réactionnelles cultivent son insatisfaction. La reconnaissance profonde et sereine de ce fonctionnement humain ordinaire ouvre la voie à l’épanouissement…
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