Ça n’est pas le moment !
En cette fin de journée même où je rédige cette nouvelle chronique, il m’a été donné de voir, de réaliser que j’étais porteur d’un « ça n’est pas le moment » (une découverte pour moi merveilleuse et éclairante). Je sais bien – et d’autant plus désormais – que je l’ai dit, que je me le suis dit, que je l’ai surtout éprouvé un nombre incalculable de fois dans ma vie, mais répéter et rabâcher une chose, incluant donc celles qu’on se fait endurer à soi-même, ne signifie de loin pas en être conscient.
Il y a ce temps, ordinaire et prolongé, où l’on subit, réagit et/ou souffre, et il y a un temps possible, si rare et magnifique, où l’on « regarde » la chose (un positionnement, une réaction, une émotion…), donc la voit, la considère, la remarque, la ressent et finalement l’accepte. On l’accepte en tant que telle dans l’instant où elle est manifestée puisqu’elle est là et puisque, pourrait-on dire, moins on l’accepte et plus elle est flagrante et insupportable. Le passé explique la souffrance, la non-conscience permet sa pérennité. Pour perdurer, la non-conscience exige « l’absence à ce qui est ».
Ne poursuivez pas votre lecture sans vous assurer de saisir la différence entre ces deux options car il n’y a rien de plus important dans la suite du texte. Quand vous ne dormez pas, soit vous pensez, soit vous observez. Voyez-vous cela ? Voyez-vous que ça n’est pas la même chose ? Maintenant, pour une raison ou une autre, imaginons que je vous rappelle en l’évoquant ou en vous questionnant l’un de vos problèmes non résolus. Là encore, deux options s’offrent à vous. Vous pouvez :
– Ou bien retrouver et vivre en direct vos réactions et tout le malaise que vous associez au problème,
– Ou bien considérer ce même problème pour répondre à mon questionnement et vous arrêter pour reconnaître ce qu’il vous fait éprouver et comment il vous fait réagir.
Percevez-vous que ça n’est pas la même chose ? En d’autres termes et pour faire simple, on souffre et se débat éventuellement dans le premier cas et l’on voit cette souffrance dans le second – « suis-je en train de souffrir ou suis-je en train de regarder ce que je ressens ? »
La connaissance, la reconnaissance de ces deux attitudes si distinctes est seulement un premier point. Ensuite, il y a surtout, avec l’option « regard », que l’on se libère, que l’on transforme un malaise, en fait un mal-être, mieux encore que l’on se retrouve en tant que ce que l’on est vraiment au-delà de ce qui nous a conditionné, alors qu’avec l’option « réaction sans attention consciente), on cultive et amplifie la souffrance en cause, on se prive du bien-être.
Or, c’est le vrai but caché de la réaction : quelque chose en nous veut absolument montrer à nous-même ou à autrui, en s’en félicitant s’il peut le faire, combien le problème concerné est important, écœurant, énervant, injuste ou insurmontable (avec en prime le « doux sentiment » d’avoir raison). On trouve exactement le même phénomène avec les rêves ou fantasmes (compensateurs) que l’on nourrit avec délectation.
Dans les deux cas, c’est comme une perte d’attention et, chose ordinairement méconnue, cette attention n’est plus disponible pour l’observation, pour l’accueil de l’intuition, pour l’inspiration et pour la réalisation de ce qui comble véritablement.
En lisant ces dernières lignes ou autrement, avez-vous perçu l’intérêt, la beauté ou l’importance à vous accorder des moments d’observation pure, à savoir des moments de présence à ce qui est, quoi que ce soit ? Rien d’autre que le moment présent ne mérite davantage notre pleine attention, notre attention consciente. Dès lors, un « ça n’est pas le moment » appliqué à l’invitation que nous pourrions nous faire d’être présent serait, convenez-en, plutôt drôle ! Pour être présent, pour observer, pour sentir, pour remarquer, pour reconnaître, pour accueillir, c’est toujours le bon moment, toujours. En fait, « il est grand temps », « le temps est venu », « c’est le moment ». Le moment le plus juste, c’est celui-ci, c’est maintenant.
Ces derniers mots veulent simplement faire la niche au malaise et au positionnement intérieur impliqués par la croyance « c’est pas le moment » car je « crains » de ne pas être le seul à m’en remettre à un moment ultérieur qui jamais ne vient, qui, bien sûr, jamais ne pourra venir. Jamais, le moment présent ne sera ultérieur et c’est à cela, à un moment ultérieur que l’on s’en remet inconsidérément. Pour dépasser l’impression qu’il ne s’agirait ici que d’une interprétation abusive des mots, il faut répondre à l’invitation évoquée précédemment : avoir suffisamment d’attention disponible pour capter que demeure en nous (le cas échéant) une réponse réactionnelle difficile à exprimer verbalement, mais qui pourrait être quelque chose comme « non, pas maintenant ! », « plus tard ! », « on verra ça plus tard ! »…
Et lorsqu’on voit cela (ce qui libère comme déjà mentionné), cerise sur le gâteau, on comprend pourquoi tant de vieilles histoires douloureuses ne s’achèvent pas, pourquoi des objectifs ne s’atteignent pas ou ne se révèlent même pas à notre conscience. On demeure la proie inconsciente d’un « on verra ça demain ! » Parfois – juste pour relever encore la ténacité de nos positionnements réactionnels -, quand on accomplit ce que l’on a si longtemps reporté, c’était encore le moyen utilisé dans l’instant pour ne surtout pas s’arrêter à ce à quoi ce même instant nous invitait et le « pas maintenant » a gagné une fois de plus.
À un certain degré, vous pourriez vous reconnaître un conditionnement semblable. Dans ce cas, le voyez-vous vraiment ? Voyez-vous que vous le voyez ? Vous en tenez-vous à le voir, à en être conscient, ou bien cela génère-t-il un malaise ? Dans cet autre cas, pouvez-vous juste reconnaître ce malaise ? (Juste parce que ce serait ce que l’instant serait pour vous).
Sinon, choisissez-vous de mettre votre attention sur l’effet produit sur vous de votre lecture ? Il y a ce que vous pourriez en penser (positif ou négatif, peu importe) et vous pouvez observer cela tout autant. Mais le fait même d’en penser ceci ou cela pourrait s’accompagner d’un ressenti, pouvez-vous y mettre votre attention ? En le faisant, vous pourriez aisément le nommer, mais ça n’est pas nécessaire. Vous y mettez votre attention, non pas pour étiqueter le ressenti, mais pour le reconnaître, pour y être présent, pour être présent tout simplement.
Si vous voulez pratiquer un peu plus l’observation, ne serait-ce que quelques secondes comme vous le proposent cette chronique, voyez, depuis le seul début de votre lecture, si au moins une fois, vous avez réagi un peu, si vous vous êtes laissé prendre, embarquer par la réaction, et si au moins une fois, vous avez été présent, si vous avez observé, si vous avez de ce fait mis une distance entre l’objet (le texte, une donnée, une impression, une réaction) et vous-même qui pouvez le remarquer. Autrement dit, avez-vous fait l’expérience des deux options expliquées plus avant ? Les distinguez-vous suffisamment ? Que vous répondiez par l’affirmative ou par la négative, pour répondre, vous ne faites rien d’autre qu’utiliser votre aptitude à l’observation. Alors, ici, devenez même conscient que vous pouvez être conscient : « Je suis conscient d’avoir vu ma tendance à… » signifie « je suis conscient d’avoir été conscient… ». Maintenant, soyez conscient d’être conscient de cela ! Rendez-le présent, réel.
Mais d’autre part, faire des observations claires, ce peut être demander beaucoup à un texte aussi sommaire. Invitez-vous alors à observer davantage et, aussi souvent que possible, rappelez-vous votre invitation pour repérer vos moments d’attention consciente et ceux où vous êtes dans la réaction, perdus dans vos pensées ou simplement animés par les pensées incessantes qui sont souvent des jugements. L’activité mentale ici impliquée, c’est quand « ça parle » en vous, parfois à haute voix, généralement tout bas. Il y a notamment des choses comme : « Elle aurait quand même pu… », « Il exagère, il n’a pas… », « Oh, je suis impossible, j’ai encore oublié de… », « Quel monde pourri ! », « Mais quand est-ce que j’arriverai à… ? », « Ah, s’ils savaient ce que j’endure ! », « Ça ne se passera pas comme ça ! », etc., etc.
Eh oui, même quand on a cessé de faire appel à ses capacités mémorielles, mentales ou intellectuelles pour achever un travail, accomplir une tâche, organiser quoi que ce soit, en soi-même, ça continue de parler. Mais ce qui est alors à l’œuvre, ce sont les habitudes et donc le passé. On n’est pas présent ! C’est le fonctionnement humain ordinaire et il serait vain de chercher à se contrôler pour s’en défaire. En revanche, notre aptitude de l’être nous permet de le voir, de le remarquer, d’en sourire, et cela fait toute une différence (voir vraiment libère).
En surprenant « son propre bavard intérieur », ainsi que celui qui gratifie son entourage de commentaires souvent bien inutiles, autrement dit en accordant de l’attention consciente au bavardage mental, on peut encore observer ce que nous font sentir les pensées auxquelles on tient tant.
Et l’on peut aussi observer, se permettre d’être présent, sans se soucier de quelque objet que ce soit, tout en accueillant toujours celui qui se présente : une pensée, une émotion, une réaction, mais encore le mur devant soi, le ciel, une fleur, un arbre… Et il se peut bien qu’alors, le silence intérieur attire notre attention, la conscience d’un espace plus vaste, immense se révèle, un sentiment de paix nous envahisse. Comme nous l’enseigne Eckhart Tolle mieux que personne, tel est « Le pouvoir du moment présent ».
« Bien naître » ou renaître au moment présent dispose au « bien être ; tout autre chose est le « mal être »
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