Avoir raison et le payer cher
Deux consultations données ce mois-ci m’ont inspiré le thème de la présente chronique, à savoir une soudaine nouvelle compréhension qui m’a quelque peu surpris quand je me suis entendu la formuler. Elle se rapporte fondamentalement aux conflits ou difficultés relationnelles tenaces, frustrantes et consommatrices d’énergie. Pourquoi est-on, reste-t-on et se retrouve-t-on inlassablement en conflit (plus ou moins ouvert) ? Entre autres explications, sur quoi peut reposer notre insatisfaction relationnelle ? Qu’il s’agisse de relations intimes, familiales, amicales, professionnelles ou autres, on peut finir par découvrir l’implication d’un même phénomène. Il s’exprime de diverses manières, mais nommons-le directement « avoir raison » !…
La prise en compte plutôt originale de ce point représente au fond un moyen de plus de souligner l’impact émotionnnellement douloureux du mental. De temps en temps, je montre combien penser peut faire mal, faire du mal alors que juste observer, juste accueillir libère (soi-même et autrui). Lâcher le mental, convenons-en, n’est cependant pas une mince affaire. Alors, pour le déjouer progressivement, ne nous privons pas d’observer ses ficelles (à chaque fois que nous le pouvons). Nous n’avons ordinairement pas idée de combien nous nous laissons leurrer par le mental, par des vieux schémas mentaux devenus comme une seconde nature.
Ecoutez bien une personne expliquer son problème du moment. Entendez, rappelez-vous son discours. Dans un second temps, vous pourrez vous écouter vous-même et faire encore l’observation partagée ci-après. Remarquez que la personne s’exprime comme s’il était établi, évident qu’elle avait raison, qu’elle était bien sûr seule à avoir raison. Nous connaissons de nombreuses personnes qui confient leurs problèmes. Il nous arrive souvent de considérer, de cogiter et même de confier les nôtres. Le « communicateur victime » confie en priorité, non pas ce qu’il ressent, mais ce qu’il pense à propos de la situation qui l’éprouve. Il ignore trop longtemps qu’il pense de façon habituellement négative et qui le dessert.
Alors, se peut-il, est-ce raisonnable qu’à chaque fois, ces personnes (dont nous-mêmes) aient raison ? En rapport avec ce premier élément, je ne dis pas que la personne cherche en conscience à avoir ostensiblement raison, mais quand elle relate avec moult détails le comportement d’un tiers, par exemple, c’est comme si elle affirmait qu’il a tort de se conduire comme il le fait. Si l’autre a tort, qui a raison ? En l’occurrence, notons-le, nous maintenons et alimentons notre malaise en partant du postulat que nous avons raison.
Nous remettons d’autant moins en question ce postulat que nous n’en sommes généralement pas conscients. On pourrait là parler parfois de malentendus. C’est ce même genre de contextes qui peut à l’occasion nous amener à avouer : « J’avais cru que… », « Ah, il m’avait semblé que… ». Or, on avait fait bien plus que croire ; on s’était comporté comme si l’on savait en effet, comme si l’on avait raison. Et c’est bien à ce seul « savoir prétendu » que l’on doit notre malaise enduré, voire celui dans lequel on a pu embarquer autrui. Sans la conviction profonde que la réalité était telle qu’on l’avait envisagée, on se serait souvent épargné beaucoup de stress, de contrariété, de souffrance. N’est-ce pas intéressant à savoir ? Il est justement à noter qu’on peut se sentir tout à coup nettement mieux après avoir réalisé qu’on avait fait fausse route, qu’on avait cru des choses à tort.
Avant d’aller plus loin et surtout d’en arriver au point culminant de mon propos du jour, je veux rappeler qu’il n’y a pas à dramatiser, qu’il n’est jamais question de se culpabiliser à cause de l’une ou l’autre de nos attitudes réactionnelles. Ce ne sont précisément rien d’autre que des réactions – donc des effets – imputables à une blessure de l’enfance. Contentons-nous de reconnaître et de juste observer nos divers comportements et nos schémas mentaux opiniâtres. Enfant, on s’est senti traité d’une certaine manière ; on continue de craindre d’être traité de la sorte et l’on croit surtout être traité ainsi. On y croit si fort qu’on va en apporter la preuve, qu’on va donc montrer qu’on a bel et bien raison. On y croit tant et tant qu’on va surtout s’attirer parfois la chose crainte (nous y reviendrons).
Avec ce fonctionnement, on passe en quelque sorte du « agir comme si l’on avait raison » (précédemment évoqué) à la quête incessante de le prouver. On met là un point d’honneur à avoir raison et à l’affirmer. Peut-être est-ce alors qu’on s’entend dire : « Je le savais bien », « Je te l’avais dit », « La preuve ! », « Je sais ce que je dis »… De fait, on veut manifestement avoir raison, on y tient. On peut même être prêt à mentir pour témoigner de son bon droit, faire croire qu’on est dans le vrai. Peut-on être heureux en agissant ainsi ? Il y a cette fameuse citation d’Un Cours En Miracles : « Veux-tu avoir raison ou être heureux ? ». Très franchement, en cherchant à avoir raison, vous êtes-vous déjà senti heureux, pleinement satisfait ?
Bien sûr que non ! En conséquence, invitez-vous simplement à reconnaître l’existence et la force destructrice du phénomène « avoir raison ». N’ignorez pas ce phénomène, ne le niez pas, n’en faites pas non plus un problème. Rappelez-vous que, si vous voulez une transformation, il vous faut préalablement faire l’expérience de l’observation et de l’acceptation. Il n’y a pas de transformation sans acceptation. Il n’y a pas d’acceptation sans observation. Renoncer à l’intérêt à avoir raison ne sera pas au seul bénéfice de notre qualité relationnelle. Toute notre existence pourrait bien s’en trouver transformée (gardons cela pour une prochaine chronique).
En cas d’autodévalorisation, on peut trouver une application « inattendue » du « vouloir avoir raison » et, pour être « complet », celle-ci doit être mentionnée ici. C’est quand une personne cherche à prouver son incapacité, son indignité, sa culpabilité. Par exemple, cette tendance peut faire dire à certains : « Je suis vraiment bon à rien ». Quoi qu’il en soit, c’est toujours par culpabilité qu’une personne veut avoir raison, qu’elle s’accuse elle-même ou qu’elle veut donner tort à autrui. Dans ce dernier cas, bien entendu, c’est pour tenter de faire taire cette culpabilité. « Héhé, si j’ai raison, je n’ai donc rien à me reprocher, je ne suis donc pas coupable ! ».
En bref, nous avons vu jusque-là que nous cultivons et empirons notre malaise, notre souffrance en traitant nos conflits comme si l’on avait seul raison, comme si l’autre avait seul tort et même en cherchant manifestement à avoir raison. « Mais dites-moi un peu : n’est-ce pas possible que nous ayons raison de temps en temps ou même souvent ? » Eh bien, toujours en lien à l’un ou l’autre de leurs conflits, il se peut même que certaines personnes aient réellement toujours raison ! Et là encore – lisez attentivement ce qui suit -, avoir raison devient justement le problème. Ce peut être étonnant a priori, mais c’est pourtant bien le cas.
D’abord, vérifiez pour vous-même si, en cas de conflit, avoir raison vous a jamais permis de recouvrer la paix, de vous sentir en paix de façon durable. Et ne confondez pas le sentiment de paix avec un gros soulagement bien éphémère que peut procurer le fait d’avoir raison. Ajoutons encore que ce soulagement ne ressemble en rien à l’amour auquel tout le monde aspire. Par ailleurs, parce que vous avez raison, parce que vous le savez, parce que vous pouvez même le prouver…, vous continuez d’éviter votre ressenti de culpabilité. Vous avez raison, mais à quel prix ! Parce qu’on a raison, on se croit légitimé à… souffrir. Quel piège !
Vous avez raison, il vous faut y penser, y penser encore, peut-être même en parler beaucoup. Et bientôt, il vous faudra vous attirer une nouvelle situation conflictuelle où, une fois de plus, vous aurez raison. Vous accusez l’autre de vous traiter d’une certaine manière et, le cas échéant, vous en avez la preuve. Reconnaissez que d’autres avant lui (elle) ont eu droit aux mêmes accusations (prouvées). Il y a donc que la chose vous arrive, qu’elle vous concerne… Vous avez raison et vous restez dans le conflit, dans le drame, dans l’insatisfaction. Voulez-vous avoir raison ou être heureux ? En surface, vous pouvez vous enorgueillir d’avoir raison tandis qu’au tréfonds de votre âme, vous continuez de vous croire coupable, à tort. Et c’est à cause de cette culpabilité enfouie, qu’on tient tant à avoir raison.
Essayez de reconnaître le cercle vicieux dans lequel nous sommes tous tombés. Enfant, on s’est senti traité d’une certaine manière (abandonné, rejeté, dévalorisé…) et l’on en a déduit et nourri de la culpabilité (si je suis traité de la sorte, c’est que je suis…). Adulte, par peur inconsciente de revivre ce qu’on a vécu, on s’attire de quoi se sentir traité pareillement (la peur est créatrice). Pour réprimer ou démentir le tout, « droit dans ses bottes » et en souffrant parfois de plus belle, on pense que, on sait bien et l’on se gargarise de certitudes pourtant toujours inutiles.
Cette vision se veut en réalité plus drôle qu’impitoyable. Ne vous laissez pas impressionner ! On peut aussi être la proie d’un « j’ai raison » en demeurant plus discret, sans se montrer arrogant, mais la souffrance associée n’en est pas pour autant amoindrie. D’ailleurs, celui (celle) qui a la conviction saugrenue d’être sans valeur est par nature moins impertinent. Pour souffrir (au moins émotionnellement), il reste qu’il faut penser, se dire des choses, y croire évidemment.
D’accord, vous avez raison. Vous êtes mal traité en effet, traité injustement. Tout le monde en convient d’ailleurs. La situation vous est familière ! A part au mieux un éventuel apitoiement suscité et accordé, cette situation ne vous apporte rien d’heureux, rien qui vous libère. Ne serait-il pas temps de diriger votre attention ailleurs que sur ce fait d’avoir raison une fois de plus ? Les personnes et les détails événementiels peuvent bien changer de circonstance en circonstance, votre insatisfaction ou votre souffrance reste la même (parfois intensifiée).
Je ne peux rien vivre, absolument rien, qui ne soit mon histoire, qui ne m’appartienne, qui n’engage ma responsabilité d’une manière ou d’une autre. Par exemple, si se niche en moi de la culpabilité que je m’emploie inconsciemment à garder secrète, je risque fort de m’attirer de quoi me punir ou, pour mieux dire, m’attirer ce qui est justifié par cette culpabilité même. Le manque de conscience maintiendra mon attention sur le caractère injuste de la situation (sur le fait que personne ne pourrait me donner tort). Quelle folie, finalement ! En définitive, pourrait-on dire, j’ai tort de m’intéresser tant au fait d’avoir raison…
Quand vous vous découvrirez en train, soit de discourir mentalement ou à voix haute en partant du postulat que vous avez raison, soit de tenir manifestement à avoir raison, soit de ruminer l’évidence incontestable de votre légitimité, arrêtez-vous quelques instants et, au-delà de toute considération mentale, reconnaissez surtout ce que vous ressentez. Il y a là une douleur qui réclame votre attention, qui a juste besoin d’être reconnue, accueillie, libérée. Entraînez-vous à faire la différence entre ce que vous pensez, les mille choses que vous vous dites, et ce que vous ressentez. Accordez-vous ces instants de présence, d’accueil, de ressenti conscient, et voyez à la longue ce qui se passe pour vous ! Ce sera le meilleur.
Commentaire
Avoir raison et le payer cher — Aucun commentaire
HTML tags allowed in your comment: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>