Au fait, qu’elle est la réalité ?
Plus nous sommes présents, plus nous observons et plus nous sommes notamment inspirés. Même sans nous en rendre compte, tous, nous vivons cela ! La présence est la source de la créativité. Je n’en fais pas le thème de cette nouvelle chronique, mais cette fois, je vais montrer avec le thème du jour l’une des façons dont peuvent me venir les observations dont je fais le partage dans ces chroniques et autrement.Dès lors que l’on regarde, qui que l’on soit, on voit. Ce n’est en rien réservé à quelques « privilégiés » et il n’y a en cela aucun mérite. Regarder, pour voir vraiment, c’est s’arrêter et surtout s’arrêter de penser. Et pour ce faire, aucun diplôme n’est requis… C’est d’ailleurs le « positionnement » du tout petit enfant avant de se conformer à ce qu’on attend de lui et/ou de réagir à ce qu’il endure.
Il y a quelque temps, j’ai été amené à considérer ce à quoi je pouvais encore réagir au quotidien ou de façon épisodique. Je traduisais Eckhart Tolle qui nous proposait de vérifier et même de lister les choses susceptibles de nous faire « perdre la présence ». Qu’est-ce qui avait encore le pouvoir, pour ainsi dire, de me déstabiliser, de m’affecter, de me rendre ainsi moins présent qu’à l’accoutumée ? La question était judicieuse et les réponses plutôt révélatrices, mais une autre question m’est venue ensuite et elle m’a relativement impressionné. Elle m’a depuis permis et me permet de retrouver plus aisément la présence quand le mental a repris trop de place. À vous de vérifier si elle peut vous être également d’une aide estimable !
« Mais au fait », me suis-je soudainement demandé, « c’est quoi ma réalité existentielle ? » Intéressé à répondre à cette question, j’excluais délibérément ceci ou cela qui pourrait me poser problème dans le moment ou même de façon plus ou moins chronique et dont je peux me servir largement pour réagir à ma manière. En effet, avec un minimum d’authenticité, de bonne volonté et même d’humour, nous pouvons ou pourrions admettre aisément l’un ou l’autre de nos positionnements habituels, systématiques, « incontrôlables » : indignation, sursauts de colère, bougonnement, lamentation, fait d’être porté à accepter n’importe quoi ou d’attendre que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, etc. Chacun a son truc et tout est bon pour l’activer, mais laissons cela aujourd’hui !
« Avec quoi ai-je à composer dans ma vie quoi qu’il en soit ? » Voilà une autre façon de poser la même question (selon la signification que je lui donne en l’occurrence). Que l’on réagisse ou non, juge ou non toute circonstance qui survient, fait ou non un problème de toute chose…, qu’est-ce qui représente une réalité bien moins contestable et à quoi l’on accorde finalement peu d’attention ? Par exemple, dans mon cas, il y a surtout la cécité. J’ai longtemps fait comme si ça n’existait pas. Ce positionnement s’est avéré suspect ! Et vérifiez si quelque exemple ci-après peut être du nombre des choses avec lesquelles vous auriez à composer vous-même :
• Être ou non en couple, avoir des enfants ou non, être seul à s’occuper d’un enfant (ou de plusieurs), avoir perdu un enfant, ne pas avoir reconnu un enfant ou être cet enfant non reconnu, être sans famille, éprouver une condition physique, un manque de ressources, tel environnement, le travail ou le chômage, avoir une personne à charge, une ancienne grosse dépendance (tabac, alcool, drogue, médicaments, jeu…), sexualité, religions, origines, dons artistiques (exploités ou non), chantage subi, emprisonnement prolongé (aussi celui d’un proche), secret pesant jamais partagé (notamment associé à la honte et/ou la culpabilité)…
Pour vous-même, quelle pourrait être cette chose envers laquelle votre seule réaction consisterait à ne jamais vous en préoccuper ? De toute façon, confronté à tout conditionnement incontestable, on peut bien y réagir d’une façon ou d’une autre, ce n’est pas pour autant qu’on se soit au moins une fois arrêté pour juste reconnaître cette réalité, cette fois sans y réagir, sans rien en penser, peut-être en reconnaissant mieux ce qui est éventuellement ressenti à cet égard. Cette reconnaissance pure de la réalité vécue recèle un pouvoir libérateur. C’est déjà et notamment mettre une distance avec ce qui est autrement enduré d’une façon qui nous limite. Et y mettre une distance signifie surtout que nous ne sommes pas la chose. Percevez-le ! Le conditionnement incontestable n’est toujours pas ce que vous êtes.
Enthousiasmé par cette question, je l’ai testée auprès d’un ami qui se prête volontiers au jeu de mes propositions. « Quelle est ta réalité existentielle ? », lui demandai-je sans autre explication. « Eh bien », me répondit-il, « ma réalité existentielle est ce projet dont je t’ai parlé et que je mets en place ». Il poursuivit donc avec les éléments bien concrets qu’il avait à gérer ponctuellement. Il s’en est tenu au réel, pour me répondre, mais reconnaissons qu’en pareille situation, on en parle d’habitude plus facilement de façon réactionnelle sans dire ce qu’elle est réellement, ni même reconnaître pour soi-même ce qui se passe, ce que l’on éprouve vraiment.
Ainsi, j’ai d’abord vu que la question générale posée au départ pouvait s’adapter de façon utile aux « réalités » du moment. Et cet emploi plus ciblé m’a surtout fait découvrir une application un peu différente et reformuler la question en conséquence : « Mais quelle est la réalité au juste ? » Pour prendre un premier exemple, considérez ces occasions où vous vous sentez plus ou moins mal en craignant des contrariétés, des impossibilités ou toutes autres complications. En pareille circonstance, il se pourrait bien que l’attention accordée à cette question puisse favoriser un apaisement. Il y a vraisemblablement un monde entre ce que vous vous dites, ce que vous pensez, et ce qu’est la réalité, ce qu’est « réellement la réalité », si je puis dire.
Maintenant, quand vous êtes préoccupé par quoi que ce soit, toute contrariété qui se présente, il y a toujours avantage à se rappeler la question : qu’en est-il de la réalité ? On pense bien des choses, évidemment, mais quelle est la réalité (vraie) en fonction des éléments en sa connaissance ? Dans la plupart des cas, on peut vérifier assez vite que la réalité ne mérite pas ce que l’on se dit, que l’on réagisse comme on réagit. Je rappelle régulièrement que la circonstance du moment qui nous fait réagir et qui peut représenter un aspect problématique n’est pas LE problème qui nous prend la tête (quand c’est le cas… si souvent). Le problème est ce qui est rappelé en nous, ce qui est touché en quelque sorte, ce à quoi l’on n’a jamais accordé une véritable attention.
Le problème psychologique du moment est constitué d’une association malencontreuse entre un vieux souvenir et une circonstance utilisée pour le rappeler en partie. C’est un peu comme si la moindre allumette briquée nous mettait mal à l’aise (nous faisait peur), parce qu’enfant, nous aurions été brûlé au 3ème degré. On donnerait donc ici à l’allumette une réalité qu’elle n’a pas, celle de constituer inévitablement un gros risque. Et c’est bien ce que nous faisons en permanence. Nous éprouvons telle ou telle situation comme si elle nous faisait ou allait nous faire ce qu’on a pu éprouver il y a très longtemps (en début de vie).
Et ce qui est également ou surtout notre réalité, c’est que nous continuons de fonctionner, de nous positionner comme nous l’avons toujours fait et que cela ne nous aide en rien. C’est le moins qu’on puisse dire. On pense ce qu’on a toujours pensé, on réagit comme on a toujours réagi et l’on vit bien entendu les mêmes histoires, les mêmes conflits, les mêmes contrariétés. On peut même avoir repéré son fonctionnement préjudiciable et ne toujours pas le lâcher, ne toujours pas pouvoir le lâcher. On ne reconnaît certainement pas cette réalité-là et l’on continue d’attendre autre chose que ce qui est.
Ici, il ne s’agit pas de s’inquiéter de cette seule réalité, ni même de savoir comment en sortir, mais simplement de la reconnaître enfin comme telle. « Oui, c’est un fait, je me laisse prendre par mon conditionnement, par le lot de la condition humaine. C’est d’autant moins grave que je peux me permettre, m’offrir de le percevoir, de l’admettre, voire de m’en amuser. À chaque fois que je perçois directement, quoi que ce soit, je ne joue plus le rôle de la victime, je ne suis plus effet, je ne fonctionne plus en automate. Je retrouve la légèreté, la
liberté, le bien-être.
Je pratique le vélo (le tandem) et l’autre jour, dans une côte, je commençais à me sentir plus ou moins mal et surtout à m’inquiéter : « Vais-je être dans une situation terrible jusqu’au bout de la sortie, être obligé de mettre pied à terre, mettre mon pilote dans une situation embarrassante ?… » Et je me suis alors rappelé cette fameuse question que j’avais explorée les jours précédents : « Mais quelle est la réalité, dans l’instant ? ». « Dans l’instant », ai-je perçu, « il n’y a qu’une difficulté tout à fait surmontable et rien d’autre ! ». Les pensées de peur abandonnées, même l’impression de dureté éprouvée dans l’instant a diminué en intensité et le reste de la sortie fut plutôt agréable.
Ce qui s’applique à un épisode plutôt anodin peut s’appliquer de même à une circonstance plus cruciale. Dès lors qu’on est affecté émotionnellement, on souffre, non pas du fait de la circonstance en présence, quelle qu’elle soit, mais du seul fait de ce que l’on en pense. Ce que l’on en pense est toujours loin de la réalité, parfois très très loin ! Si vous pouvez vous rappeler la question en ces moments où vous êtes éprouvé et si vous la testez honnêtement, vous vérifierez immanquablement qu’une libération émotionnelle se produit alors. Eh oui, comme nous l’avons évoqué largement dans la chronique de juillet 2014, les pensées sur toute situation éprouvante font mal si nous ne nous cantonnons pas à seulement les observer, si nous y croyons !
Au départ, quand j’évoque notre réalité existentielle, j’ai à l’esprit une circonstance dont nous ne tenons ordinairement aucun compte, non que nous l’ayons pleinement acceptée, mais que notre dureté éventuelle nous fait dédaigner. Je ne parle pas d’une situation dont nous pourrions nous plaindre ou qui fait l’objet de nos pensées d’une manière générale. Même une personne portée à se plaindre beaucoup pourrait reconnaître une réalité plus ou moins délicate dont elle ne parle « jamais ». Dans les exemples que j’ai donnés, si vous y avez lu quelque chose que vous déplorez généralement en conscience, ne le prenez pas comme venant illustrer votre réalité insuffisamment considérée. À l’inverse, percevez plutôt que vous projetez là une « réalité inexistante ».
Il peut donc y avoir une réalité existentielle longtemps dédaignée et une réalité d’instant en instant faussement interprétée ou plus exactement inexistante. La « réalité » qui m’avait mis mal sur mon tandem l’autre jour n’existait pas. On pourrait donc retenir la question suivante : « Quelle est ma réalité existentielle dont je ne tiens jamais compte et quelle est la réalité qui n’est que le fruit de mon imagination ? ». Quand on est mal à propos de l’avenir, par exemple, c’est qu’on imagine une réalité qui n’existe évidemment pas. Ce qui n’est pas là n’existe pas, mais y croire tout de même, s’y attendre très fort, contribue largement à le faire advenir.
Quand nous sommes mal émotionnellement, quand nous « souffrons », nous souffrons du fait de penser ce que nous pensons et les pensées en cause sont la projection mentale d’une réalité inexistante. Nous souffrons… pour rien ! Or, c’est tout de même très « efficace » : cela tend à donner vie à la réalité projetée avec la possibilité ainsi de continuer de souffrir… pour rien ! En nous attirant ce que nous craignons, nous nous donnons raison, en quelque sorte, et nous continuons de craindre de plus belle. Nous utilisons le potentiel créateur en imaginant le pire ou au moins du négatif.
« Mais quelle est la réalité au juste ? » Bien comprise, cette simple question permet de lâcher la tête, le crédit accordé aux pensées et d’accueillir l’instant présent. En l’occurrence, puisqu’il y avait projection négative, on y trouve vraisemblablement du « douloureux », mais ce dernier va être reconnu pour la première fois. Jusqu’à présent, il a été subi avec bien des efforts pour l’éviter – notamment à travers les pensées – et maintenant, il est reconnu, accueilli, permis. C’est ainsi et enfin qu’il pourra être absorbé, libéré… Pour repousser une vraie douleur qui réclamait notre attention une seule fois, nous avons projeté mentalement une réalité inexistante en souffrant de la sorte des milliers de fois. La vraie et profonde douleur contenue est encore une réalité jamais considérée.
Quant à considérer la réalité existentielle, d’une manière plus vaste, nous pouvons nous rappeler avec bienveillance notre dimension humaine. Longtemps, nous avions méconnu la dimension spirituelle – la connaissons-nous désormais ? – mais c’est le conditionnement humain qui l’a voulu ainsi, qui nous a fait fonctionner comme nous avons fonctionné. C’est dire qu’il n’y a rien à regretter, rien à se reprocher, rien à déplorer. L’humain pense, croit et réagit. Il y a identification en tant qu’humain, ce qui représente une limitation extraordinaire, et l’impulsion à jouer des rôles illusoirement, à rester « en représentation », comme nous le verrons avec la prochaine chronique.
Oui, considérons désormais cet humain avec bienveillance, pour soi-même comme pour autrui, et reconnaissons que nous sommes conscients, que nous pouvons et allons l’être de plus en plus. Percevons le sentiment de culpabilité sans plus plaider coupable, les pensées qui apparaissent sans plus leur accorder de crédit, la peur sans plus la confondre avec la vérité. Laissons être ce qui est, en le percevant tout simplement ! Adopter ce nouveau positionnement, à son propre rythme, c’est la disposition à la paix, à la légèreté, à l’harmonie.
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