Le voulant attractif ou répulsif (Où est la résistance à lâcher cela ?)
Lectrice abonnée à la « Chronique du mois », Monique m’a questionné en ces termes : « En effet, j’en suis à ce stade où j’observe mes réactions et mes vouloirs, où je parviens quasi systématiquement à accueillir l’instant t, à l’apprécier et à ressentir consciemment mes états d’âme au fur et à mesure. Assez présente pour être dans cet état d’Être !
Cependant, il y a comme une insatisfaction car, même si je suis de plus en plus dans l’appréciation et jouis de ma vie sans attendre mais en profitant de ce qui est, il n’en reste pas moins que j’aimerais plus de silence là-haut, de la part de mon commentateur qui trouve toujours un os à ronger. Il revient sans cesse. La méditation et le retour vers le ressenti, le calme un moment… Mais cela ne dure pas !
Où est la résistance à lâcher cela ? Je ne vois pas ! Merci de m’éclairer et merci de vos réflexions qui tombent toujours au moment où je vis les choses impliquées. »
(En répondant à Monique, je me suis vu répondre d’une façon relativement étendue et il m’est apparu au bout de quelques paragraphes que j’étais en quelque sorte en train d’écrire une nouvelle chronique. La voici donc !)
——————————————————————————–
C’est une très bonne question que vous posez là et qui vous « donne droit » à une réponse assez développée que je vous invite à lire et relire attentivement ! D’abord, votre question renvoie au constat même qui débute la chronique (mai 2017) qui vous amène à me questionner :
« À lire ou à relire, la chronique précédente évoque subsidiairement la persistance de notre conditionnement misérable qui continue en effet de s’imposer alors même que nous l’avons bien identifié ».
Effectivement, ce conditionnement identifié et néanmoins tenace peut se manifester notamment de par l’habitude à « ronger son os ». Et ce pourrait être n’importe quelle autre attitude réactionnelle ! Certains se voient s’indigner ou se plaindre machinalement à la première occasion, d’autres continuer de se laisser faire ou de baisser les bras… On peut dire que c’est l’ego qui tient absolument à son existence ou bien que c’est le mental conditionné qui reste dynamique, qui témoigne là justement de sa propre dynamique. Or, avantageusement, vous ajoutez que vous ne voyez pas la résistance à lâcher cela !
Savez-vous que nous sommes peu nombreux, très peu nombreux, à être en mesure d’exprimer ce que vous me faites partager ici ? La plupart des gens restent dans la réaction sans le reconnaître, sans s’en rendre compte, sans donc être capables de voir ce que « réagir » pourrait bien signifier pour eux. Nous n’avons évidemment pas besoin de nous comparer, ni de nous contenter du chemin déjà parcouru, mais ne pas considérer ce chemin effectivement parcouru pourrait être une forme de résistance. Ce qui n’est pas vraiment reconnu n’est pas non plus vraiment apprécié et ce qui n’est pas vraiment apprécié n’est pas non plus « invité », encouragé. Persiste ce à quoi l’on résiste et n’abonde pas ce que l’on n’embrasse pas sciemment.
Cela n’est qu’un élément parmi tant d’autres à considérer au besoin. Pour en évoquer un autre, disons que le ressassement (tendance à ronger son os) concerne la blessure de trahison et que le « trahi » peut à la fois se contenter de miettes, faire « toute une histoire » des miettes qu’il reçoit (comme se sentir honoré) et parfois ne pas vraiment reconnaître, ne pas reconnaître pleinement le bon qui lui est offert ou auquel il peut avoir accès, alors même qu’avoir accès est son espoir, son « fantasme »…
En fait, on peut ne pas « prendre » le bon qui survient à l’improviste, tandis que l’on prend tout et n’importe quoi pour réagir, parce qu’il s’agirait alors, non plus de prendre ce bon, mais de le recevoir. On n’a pas forcément fait l’expérience du « recevoir » et c’est pourquoi l’on s’en tient dans ce cas à l’espoir.
« Résistance à lâcher cela », dites-vous donc, la formulation est intéressante et peut, comme nous allons le voir, être révélatrice. Tout d’abord, aspirer à lâcher prise est bien sûr légitime, mais reste à vérifier l’énergie ou l’ambiance impliquée. Nous y trouvons souvent du « vouloir se débarrasser » et vouloir se débarrasser de quoi que ce soit, c’est bien sûr y résister. On peut se débarrasser de vieilles choses, de vieux vêtements, par exemple, mais on ne peut pas se débarrasser d’une vieille tendance. Elle finit par lâcher, parce qu’au contraire, on l’a enfin pleinement acceptée. On l’a acceptée au lieu de vouloir s’en débarrasser…
Ensuite, élément peut-être plus important ici, observez que vous auriez pu dire : « Je ne vois pas à quoi je résiste pour que le commentateur ne cesse de revenir à la charge ». C’est ce que vous avez voulu dire, n’est-ce pas ? Or, disant « Où est la résistance à lâcher cela », vous suggérez directement que vous ne voulez pas le lâcher, que vous ne voulez pas lâcher le commentateur, que vous ne voulez pas arrêter de ronger votre os ou, si vous préférez, qu’il y a quelque chose en vous (dans votre conditionnement) qui fait que vous ne voulez pas encore lâcher le morceau… (C’est la révélation).
Si la proposition a de la pertinence (idée confirmée par Monique dans un message ultérieur), voici alors l’attitude appropriée : « Ah, en fait, je ne veux pas lâcher, je ne veux pas vraiment lâcher, pas encore ! Je tiens encore à réagir, à penser comme je pense, à me dire ce que je me dis ! Ah, OK ! » On voit la chose, l’accepte, et c’est tout ! Autre chose serait encore de la fameuse résistance.
Ici, on parle du « commentateur » obstiné, du « rongeur d’os », en fait de la réaction, de l’état réactionnel, du « vouloir réagir » (quelle qu’en soit la forme). Pour continuer avec l’ensemble de cette même chronique qui a inspiré votre question, on peut évoquer aussi le « voulant » ou le « vouloir vouloir » qui peut se montrer tout aussi insistant. Que l’on veuille ceci ou cela, c’est toujours le vouloir et ce vouloir a également sa propre dynamique à travers une énergie qui varie d’une blessure à l’autre (désir, envie, exigence, convoitise, revendication, jalousie, espoir, fantasme…).
On a donc à composer, tantôt avec le « réactif » (résigné, soumis, plaintif, rebelle, bougon), tantôt avec le « voulant » (aspirant, rêveur, envieux, quémandeur, prétendant, jaloux, utopiste…). On peut dire que le réactif et le voulant sont tous deux à la fois dans la réaction et dans le vouloir. Le réactif tient fort à réagir, ce qu’il veut par-dessus tout, et le voulant veut, bien sûr, de façon réactionnelle. Il est notamment en réaction à sa culpabilité qu’il croit inconsciemment pouvoir démentir s’il obtient ce qu’il veut. Bref, réside en nous un « voulant » qui veut, soit chasser, soit attirer, un voulant répulsif ou attractif. Notons tout de suite l’autre point commun, principal, qui est la culpabilité : le « vouloir répulsion » tente de la projeter à l’extérieur et le « vouloir attraction » tente de la démentir.
Nous maintenons ce double schéma, réactif et voulant, parce que nous croyons ou, plus exactement, restons positionnés comme si le monde (l’extérieur) était responsable de ce que nous éprouvons, déplorons, et du fait de nous sentir bien à l’occasion (comblés, heureux, épanouis)…
Les choses ainsi présentées, nous pourrions comprendre mieux notre difficulté à rester tranquilles, à rester en paix, à rester présents… alors que nous avons bien reconnu notre conditionnement, nombre de nos vieux schémas. Nous nous disons ou même nous sentons disposés à lâcher prise, à le « vouloir », peut-on dire, mais c’est faire fi du « voulant obstiné » qui revient sans cesse à la charge. On dit ou croit vouloir une chose et, en soi-même, ça veut tout à fait autre chose. Ça veut réagir, ça veut compenser, ça y tient très fort ! Le néologisme n’étant pas très joli, on va poursuivre en désignant conventionnellement le « voulant » par « le solliciteur », qu’il soit attractif ou répulsif.
Alors, quelle pourrait être une attitude ajustée, utile, efficace ? Mentionnons d’abord divers positionnements qui, non seulement n’entament pas le fonctionnement persistant, mais ne font que le renforcer :
• Ignorer, nier, ne pas considérer ou déplorer le solliciteur en soi (ses diverses attentes) ;
• Lutter contre le solliciteur en soi, y résister ;
• Justifier, même subtilement, les assauts du solliciteur en soi (résistances, attachements, projections, attentes…) ;
• Ne pas comprendre que le solliciteur en soi est le porte-parole réactif de la honte et/ou de la culpabilité refoulée ;
• Faire fi de son conditionnement (blessures) et surtout de la honte et/ou de la culpabilité sous-jacente ;
• Rester positionner comme si la cause de ce que l’on déplore était à l’extérieur de soi ;
• S’attendre à ce que les autres adoptent ou confirment ses perceptions plus ajustées, ses visions empreintes de sagesse…
On devine que l’attitude ajustée implique le contraire de ce qui vient d’être énoncé. Or, nous pouvons aller encore plus loin. Le solliciteur en soi est reconnu comme tel, c’est déjà magnifique, un point de départ excellent. On l’accueille un peu plus, lui permet d’être là puisqu’il est là quoi qu’il en soit. Et ce qui va être déterminant est précisément la façon dont va se passer l’accueil. Qui va accueillir ou, en quelque sorte, où va avoir lieu cet accueil ? On ne fait pas la même expérience si l’on accueille un ami sur le seuil de la porte ou si on lui ouvre sa maison toute grande, si l’on est coincé, engoncé, ou si l’on est complètement ouvert, disponible.
Nous ne sommes pas ce solliciteur, notre conditionnement, notre passé, notre histoire. Nous y sommes cependant encore bien trop identifiés. Nous n’avons pas idée de combien nous nous prenons pour ce que nous ne sommes pas. Nous sommes ce qui est conscient, conscient du solliciteur, par exemple ; nous sommes la conscience et la conscience est vaste, illimitée ou au-delà de toutes les limites imaginables. On est conscient de ce qui est ; on peut être conscient d’être conscient ; on peut alors être conscient d’être la conscience vaste, l’espace intérieur infini et de là, à partir de cette conscience spacieuse reconnue, accorder une attention bienveillante à quoi que ce soit, un ressenti, une réaction, un assaut du solliciteur…
Si vous essayez de considérer votre réaction, quelle qu’elle soit (comme n’importe quoi d’autre), en étant complètement identifié à cette dernière, en vous prenant pour elle, « Je réagis, je suis celui qui réagit. Je réagis, oui, et tout le monde réagit ou réagirait comme moi !… », il ne se passera pas grand-chose. Vous ne verrez rien. Vous continuerez de réagir. Vous subirez votre réaction, « vous vous subirez ». Vous serez pris et vous resterez pris. Vous ferez un avec la réaction qu’il s’agirait d’observer, ce que vous ne pouvez pas faire en l’occurrence.
Pour admirer, apprécier, voir vraiment une grande toile, il faut être à bonne distance, ne pas y être collé. Il en va intérieurement de même quand il s’agit d’observer une réaction, un ressenti, ses pensées… C’est alors qu’intérieurement, il n’y a plus que cette chose observée minuscule dans la conscience spacieuse infinie que l’on est sans même qu’il soit question d’observateur.
Nous pouvons tenter d’explorer ce qui est suggéré là ou n’en rien faire (avant longtemps), mais nous ne devrions pas avoir de mal à soupçonner que cela permet une expérience différente. Quiconque est accueilli répond différemment suivant le « contexte » dans lequel a lieu l’accueil. Avoir ou simplement envisager cette compréhension pourrait tôt ou tard faire de l’invitation une auto-invitation plus facile à suivre alors. Et nous allons même nous donner de quoi nous ouvrir davantage à cette possibilité, pour en faire un choix plus éclairé.
Avez-vous déjà ressenti l’amour, l’amour inconditionnel, l’amour que vous auriez pu alors ne pas imputer à une personne ? Vous êtes-vous déjà ressenti dans un état d’amour indépendant de toute circonstance extérieure ? Cela vous est arrivé bien sûr, mais reste à savoir si vous pouvez vous le rappeler ! Si c’est momentanément difficile, pouvez-vous avoir à l’esprit ce qui évoque le mieux pour vous cet amour ? Autrement dit, « débrouillez-vous » pour évoquer l’amour, pour le sentir, et permettez-vous ensuite de vivre cet amour telle une vraie présence, là en vous, là avec vous, là pour vous…
Oui, l’amour inconditionnel est une présence, une présence forcément discrète, bienveillante, respectueuse, et l’on peut l’identifier à la représentation divine qui compte pour soi, éventuellement. En référence à Un cours en miracles, voici ce que dit Bernard Groom à quelqu’un qui le questionne : « S’il y a un souvenir ou une présence de cet Amour dans tes pensées et dans ton expérience, alors tu peux dire qu’il y a la présence de Jésus et aussi du Saint-Esprit ».
Alors, que va-t-il se passer si l’on accueille quoi que ce soit, comme le solliciteur, à partir de la conscience spacieuse que l’on est et soutenue par cette présence qu’est l’amour représentant le Christ, le Bouddha ou qui l’on préfère ? On s’en remet à cette présence pour que soit accompli ce qui doit être accompli, consentant au passage à cesser de vouloir contrôler, de prétendre à pouvoir seul tout gérer. Et c’est encore une « exploration » que l’on peut faire, avec douceur, avec humilité, sans attente. Dans la conscience spacieuse et aimante, le solliciteur qui n’est plus alors traité en ennemi va pouvoir se détendre, se relâcher, se retirer…
Ces invitations ne sont pas lancées avec la croyance qu’elles constitueraient une panacée et elles ne doivent donc pas non plus être transformées en croyances. Une invitation est faite au mieux pour être suivie et quiconque la suit fait sa propre expérience. Les invitations présentes peuvent sembler « originales », mais elles nous rappellent en même temps une voie ou une voix familière. On n’est jamais complètement ignorant de ce qu’est la « bonne attitude », l’attitude utile, libératrice, et nous nous culpabilisons même, plus ou moins subtilement, de ne pas l’adopter.
Tôt ou tard, il nous faut composer avec notre sentiment irrationnel de culpabilité et c’est plus spécifiquement à ce stade que nous allons « devoir » nous en remettre à l’Amour, à la Présence, à Dieu. Si nous avons nié notre sentiment de culpabilité, si nous avons cherché à le projeter à l’extérieur, si nous avons tenté de le démentir de mille manières, c’est que nous n’avons pas su faire mieux. Et nous ne pouvons toujours pas faire mieux, pas faire mieux que de nous en remettre enfin à l’Amour. Il nous faut donc découvrir, envisager la possibilité de nous en remettre, goûter intérieurement à cette possibilité et la « tester ».
« Considérer toute réaction ou tout ressenti douloureux, plus spécialement son sentiment de honte et/ou de culpabilité, à partir de la conscience spacieuse que l’on est, comme en se sentant infini, et avec l’aide humblement demandée à l’Amour, à la Présence pour sa libération, pour un pardon libérateur… ». Telle est la proposition, l’invitation. La suivre ne garantit pas une libération instantanée, même si une expérience heureuse immédiate est souvent possible. Quoi qu’il en soit, suivre cette proposition n’est pas sans effets.
On n’emprunte pas un chemin sans découvrir ce qui le compose : divers obstacles, d’autres ressentis, d’autres réactions, des compréhensions aussi, de la résistance bien sûr. D’ailleurs, cette dernière est en général la première à montrer son nez et c’est pourquoi l’on a vite fait d’abandonner l’invitation. Or, avec un peu d’honnêteté, on va comprendre pourquoi l’on « n’avance pas » plus vite, comment on résiste à la « solution », pourquoi l’on en est là où l’on en est… En fait, on résiste à la paix et à l’amour.
La plupart du temps, nous sommes dans la réaction, à quel degré le reconnaissons-nous ? Penser comme nous pensons, en général, c’est déjà être dans la réaction (juger, interpréter, regretter, anticiper, comparer…). Rester positionné dans un état d’attente ou avec l’impression subtile de subir le monde et les circonstances, c’est encore être dans la réaction. Cette compréhension est fondamentale car il faut savoir ou se rappeler, quand on réagit, que l’on ne veut rien d’autre que réagir. Cela veut dire que l’on maintient en l’état ce que l’on déplore, l’empirant même très souvent, et s’attire de quoi réagir encore et encore. Alors, voyons tout cela tranquillement, sans plus y réagir, ce qui signifie « emprunter le chemin de la libération ».
(Les deux prochaines chroniques devraient être très utiles pour permettre de recevoir mieux ce qui est mentionné ici. La première explore le sentiment irrationnel de culpabilité comme je ne l’ai jamais fait jusque-là et la seconde l’amour vrai.)
Merci, j’aime bien vous lire.