Un dialogue imaginaire (suite chronique Le plongeon de l’humain) 2/4
(Le début de la première partie de ce texte, chronique d’avril 2016, donne des explications utiles à sa compréhension)
Le lecteur –En cet instant même, je ne fais pas l’expérience de l’état de présence ou de la présence comme en d’autres circonstances. Et incontestablement, je reste pris. Il y a, tantôt les pensées rebattues dans lesquelles je peux me perdre un moment, tantôt seulement l’ambiance qui leur est associée ou l’impression éprouvée de l’emprise. Je ne suis pas pleinement présent à ce qui est, je ne suis pas, tout simplement ! Au lieu d’être, je pense ; au lieu d’observer, je juge. Je suis dans la tête, comme on dit !
La réponse – Observe d’abord, lors de ces autres circonstances, que l’état de présence n’a vraisemblablement pas été précédé du « vouloir », de l’attente. L’état de présence n’est pas quelque chose et encore moins quelque chose qui se fabrique. L’état de présence ou plus précisément la présence est ce que tu es et/ou ce qui reste inévitablement quand a cessé l’attrait du penser et que demeure la vigilance. Quand tu as manifesté cela, lors des circonstances évoquées, quand tu t’es manifesté en tant que présence, quelque chose t’a comme extrait du penser compulsif et de toute ambiance lourde, pénible ou compensatoirement distrayante. L’état de présence ne dépend évidemment pas d’un AJOUT (attente, vouloir, tentatives), mais il se manifeste après un RETRAIT (celui de l’attachement aux pensées et aux émotions).
Dans notre vie, quelque chose de semblable se produit parfois qui évoque la réalité de la possibilité d’un changement soudain et remarquable d’état de conscience. Par exemple, tu rentres chez toi, tout harassé par une journée de travail pleine de contrariétés, avec un moral au plus bas et, exténué, pressé d’aller te coucher. Voici que déboule chez toi un vieil ami cher que tu n’avais pas revu depuis longtemps et qui t’invite au restaurant pour fêter vos retrouvailles ou simplement passer un bon moment ensemble. Oubliés la fatigue, le moral dans les chaussettes et toutes les contrariétés du jour, et tout enjoué maintenant, tu acceptes l’invitation !
Un même changement peut avoir lieu en apprenant tout à coup une bonne nouvelle, une nouvelle dynamisante… À ce moment-là, oubliée la lourdeur, oubliées les pensées rebattues, oubliée même l’impression d’emprise, oubliée l’emprise !… N’as-tu jamais vécu pareille expérience ? L’attente n’a pas précédé l’occasion qui s’est présentée inopinément : le vieil ami cher, la bonne nouvelle ou la grâce. Ce qui se passe alors, avec le vieil ami cher, la bonne nouvelle ou la grâce, c’est l’abandon du vieux programme rejoué à ce moment-là. Il a pu t’arriver aussi de vivre un changement soudain d’état de conscience (maintenu sur une période prolongée), par exemple en te réveillant « tout autre » un beau matin, sans le support d’un vieil ami ou d’une bonne nouvelle.
Rappelle-toi une telle bonne nouvelle et la sortie émotionnelle immédiate qui en a résulté. Ensuite, retiens seulement la sortie émotionnelle, le fait ou le moment « sortie émotionnelle », sa réalité, sa possibilité. Il n’est même pas sûr que la bonne nouvelle utilisée alors produise aujourd’hui le même effet. La sortie émotionnelle est un lâcher-prise dont tu as déjà fait l’expérience. Tu peux refaire cette même expérience et tu vas nécessairement la refaire.
Ne cherche surtout pas à repousser ton état mental émotionnel du moment. Ne veuille rien de la sorte, ne sois pas dans le vouloir, mais sache vraiment ou rappelle-toi que tu peux en être libéré, être libre. On éprouve toujours « je le veux » et l’on ne ressent jamais « je le peux ». Reconnais l’ambiance différente que suggère, par exemple, « je veux [changer] » et « je peux changer ». Être avec « je veux » est un piège et un mensonge car ce que l’on veut, c’est juste… vouloir. Être avec « je peux », c’est reconnaître une vérité. Perçois bien cette différence !
Revenons à l’attente plus ou moins vague dont on a suggéré qu’elle « utilisait » tout et n’importe quoi pour subsister, incluant la sphère spirituelle. Elle peut et va se manifester aussi sous la forme du vouloir plus conscient, constitué néanmoins d’éléments qui sont eux complètement inconscients. Selon ta blessure, tu te mets :
À désirer et/ou à rêver (à partir d’idées fixes) ;
À envier et/ou à haïr (sous influence des apparences) ;
À convoiter et formuler exigence après exigence ;
À jalouser et revendiquer ;
À espérer et/ou fantasmer.
D’une manière ou d’une autre, tu veux alors, consciemment, sans voir que c’est vouloir que tu veux, plus que la chose utilisée pour vouloir, expliquant que l’effet devient si vite fade ou banal quand tu obtiens une chose voulue. Et l’attente continue de régner. Pour pouvoir faciliter et maintenir le vouloir, tu projettes du beau, du bon, du bien, du mieux, et tu le désires, l’envies, le convoites, le jalouses ou le fantasmes, tu le veux !
Or, tu projettes de même l’idée que « ça ne sera pas possible », que tu ne devrais pas, que tu ne le mérites pas, que tu ne dois pas, que tu n’as pas le droit, que « ça ne marchera pas », que « c’est trop dur ou trop compliqué », et tu veux de plus belle, et l’on veut de plus belle. Nous retrouvons là le schéma de la double attente contradictoire (voir chronique précédente).
On peut évoquer encore, toujours en lien à ce vouloir compensateur, ce que tu n’exprimes pas, ce que tu ne fais pas, que tu ne tentes même pas, et qui est pourtant à ta portée, ainsi que tout ce que tu fais de contraire à tes préférences… On voudrait, ce qui est toujours vouloir et ça n’en finit jamais. Quoi qu’il en soit, tu es pris, tu ne peux pas alors être présent, ni satisfait.
S’ils sont reçus, compris, ces premiers éléments peuvent être une aide en ce sens qu’ils diminuent l’intensité de son propre vouloir (aussi en termes de fréquence). Mais on peut encore aller plus loin !
L. – Ce thème « je veux versus je peux » que tu viens d’évoquer me semble si important que j’aimerais effectivement que tu le poursuives un peu. J’ai pu percevoir un effet très différent entre être dans le vouloir, avec « je veux », et être avec le pouvoir, « je peux ». J’ai bien compris que tu parlais du vouloir obsédant, du vouloir compensateur.
R. – Oui, avec ce vouloir-là, le « je peux » est complètement absent, « évacué ». Maintenant, remarquons bien qu’il est surtout remplacé par le « je ne peux pas », par du « je ne peux pas ». Plus il y a en toi du « je ne peux pas » et plus il y aura de vouloir (désir, envie, espoir, etc.). Certains de ses rêves ou fantasmes peuvent bien être irréalisables, il reste qu’ils sont nourris du seul fait de cultiver par ailleurs un « je ne peux pas » irrationnel et dû à son conditionnement. Plus on est positionné comme si l’on ne pouvait pas et plus on veut. Les intérêts compensateurs existent grâce au « je ne peux pas » et au « je veux ».
Il peut être plus ou moins difficile de reconnaître que l’on est effectivement concerné par une forme d’impuissance ou par le fait de ne pas pouvoir. Notre « je ne peux pas » est pourtant et notamment révélé à travers des positionnements et/ou ressentis tels que « c’est impossible, c’est interdit, c’est inaccessible, je n’ose pas, je n’ai pas le droit, je n’ai jamais de chance, on ne voudra pas, on refusera », etc.
Pour encore débusquer en toi l’éventuel « je ne peux pas » vérifie aussi s’il ne t’arrive pas d’éprouver quelque chose qui pourrait te faire dire : « Je ne peux pas me permettre de ne pas accepter ceci, cela, de dire non, de ne pas faire ceci, cela, de ne pas me comporter à la façon que je crois attendue de moi, de ne pas répondre à certaines invitations ou propositions…
Autrement, reconnais aussi la réaction émotionnelle éventuellement présente quand, en effet, tu ne peux manifestement pas sur le moment quoi que ce soit : joindre au téléphone quelqu’un qui ne répond pas, payer des courses quand tu n’as pas assez d’argent sur toi, ni autre mode de paiement… Le rappel du « je ne peux pas » est bien sûr douloureux, confrontant, et suscite plus de « je veux ».
Reprenons tout ça avant de poursuivre ! À certains moments de réactivation qui peuvent être nombreux et prolongés (selon son conditionnement), on peut être pris par le désir, l’envie, le fantasme ou autre, autrement dit par le vouloir. Désirer, c’est vouloir ; envier, c’est vouloir ; fantasmer, jalouser, revendiquer, exiger, c’est vouloir. L’objet utilisé pour exercer le vouloir peut être d’ordre relationnel et sexuel, mais il peut s’appliquer à n’importe quoi d’autre : des services attendus, des acquisitions envisagées, des accomplissements recherchés, un mode de vie préféré, etc. Cet objet est de si peu d’importance qu’il est très vite remplacé par un autre quand il a pu être obtenu, vécu, atteint. C’est ce qui m’a fait dire que ce que l’on veut n’est pas la chose, que ce que l’on veut, c’est la désirer, l’envier… donc la vouloir. On veut… vouloir.
C’est une manière de dire les choses, voire simplement un aspect des choses. Et l’on peut percevoir et le formuler maintenant d’une façon différente. Le vouloir compensateur découlant directement de l’éprouvé « je ne peux pas », on peut dire aussi que ce qui est voulu, outre le fait même de vouloir, c’est pouvoir. Moins on peut et plus on veut. Plus on est positionné comme si l’on ne pouvait pas et plus on va vouloir, vouloir comme pour en arriver à l’expérience compensatrice que l’on peut. Étant justement compensatrice, cette expérience ne règle rien quand elle est vécue et l’on s’empresse de plaquer sur une autre occurrence le « vouloir pouvoir ».
Si l’on parvient à ses fins, on est censé se sentir bien et ça le fait dans une certaine mesure puisqu’à ce moment-là, on est éloigné du « je ne peux pas ». Or, dans ce fonctionnement conditionné, pour maintenir la mise à distance, on reste dépendant du vouloir pouvoir et de toute circonstance où l’appliquer. Quelle énergie dépensée inutilement ! Et l’état d’insatisfaction ou même de frustration reste intact. Et, tant que l’on reste le jouet inconscient de ces vieux schémas conditionnés, tant que l’on résiste, on passe le plus clair de son temps à fonctionner ainsi. Un jour, on voit à quel point on est positionné comme si l’on ne pouvait pas, combien cela nous affecte en réalité, comment on tente vainement de le contourner, de le compenser, et l’on s’en détache progressivement.
Donc, si cet aspect des choses te parle, débusque en toi le « je ne peux pas », perçois-le, reconnais-le, accueille-le ! Ne le revendique pas, n’y crois pas, n’y tiens pas, mais vérifie justement au besoin comment ce n’est fondamentalement qu’un « mensonge », qu’un positionnement jamais remis en question. À partir de ta véritable nature qui est présence, tu es aussi puissance.
L. – Je perçois justement de la puissance ici, je reçois de l’aide, je ressens ou j’approche le possible, devine comme une autre « vérité ». J’ai encore envie de t’écouter. Je suis certainement encore dans l’attente, mais ça se réveille, ça bouge ! C’est différent !
R. –Relaxe un peu. Perçois ta « soif » et détends-toi ! C’est probablement juste du « je veux résiduel ». En même temps, apprécie un peu plus, juste ce qui est ici et maintenant, mais ne t’y attache pas. L’appréciation de ce qui est représente aussi un ajustement par rapport à l’attente quand elle est vécue sans attachement. Mais sois tranquille, ce n’est pas tout ou rien et puisque tu perçois ce qui se passe, tout est pour le mieux.
Il y a l’état de présence, être présent, s’exprimer en tant que présence, LE CŒUR, et il y a l’état de conscience ordinaire, le vagabondage mental doublé parfois d’un climat émotionnel plus ou moins pénible, LA TÊTE. Puisqu’être présent, c’est être sorti dudit climat, tu peux devenir le « vieil ami cher » qui t’y invite. Et la bonne nouvelle, c’est que cela se fait déjà. Apprécie cette bonne nouvelle. D’autant que tu sortiras de toute façon complètement de cet état du moment, de ta tête, tu le peux aussi tout de suite. J’ai juste dit que tu le peux et non pas que tu le dois. Te rappeler que tu le peux en effet est seulement une information à ton intention, rien de plus ! Mais quelle information ! « Je le peux… ».
Et oublie même ta disposition à être présent car, faite aussi en partie du « je veux », elle risque fort d’encourager des pensées, d’autres pensées, de te maintenir dans la tête. Je ne t’en blâme pas, bien sûr, mais quand tu es dans la tête, tu n’es pas vraiment là, pas vraiment avec moi et, d’une certaine façon, tu pourrais même « me manquer ». Alors, viens avec moi, viens un peu plus près ! On va danser et chanter ensemble. On va jouer ou faire ce que tu veux. On peut même aller prendre un verre ! Vois qu’ainsi, tu sors de ta tête et tu gagnes… en présence !
L. – Oui, ça le fait, ça marche ! Ça donne envie !
R. – Si ça donne envie, c’est sans doute que quelque chose est déjà apprécié ici et maintenant. Reconnais davantage cette appréciation (si c’est le cas) et profite-s-en !
L. – Je suis désolé, mais j’ai l’impression que l’expérience de l’appréciation reste toute relative, proportionnelle au relâcher mental momentané, au fait d’être encore avec [l’attente] ou ce « vieux truc tenace ». Je peux dire tout de suite que le seul fait d’avoir dit cela, de l’avoir posé ici a en soi un effet heureux. Je reconnais l’effet de l’expression juste, sinon plus juste.
R. – Outre l’importance de l’expression juste dont tu viens encore de faire l’expérience, une chose très importante doit être précisée ou expliquée maintenant. Rappelons tout d’abord que les périodes éprouvantes que l’on vit, parfois même dépressives, existent, parce qu’il y a en soi du douloureux qui n’a jamais pu être reconnu et accueilli en tant que tel, qui n’a donc pas été « décollé ». Quand ça va mal, c’est toujours du revécu, du « réchauffé ». Ce qui est là, en soi, ordinairement caché, recouvert, évité, ce qui a toujours été là depuis sa prime enfance, se met en certaines circonstances propices à frémir, à bouillir, à exploser…
Et puis on sort de la « dépression », du dernier gros clash émotionnel ou les choses s’apaisent, soit simplement avec le temps, soit parce que l’on a pu y mettre de la conscience, de la lumière, « y être pleinement présent ». Or, il y a alors éventuellement comme un malaise résiduel, qui peut même au début être assez prenant ou dérangeant, ou comme une ombre qui plane et qui peut se muer en vague émotionnelle passagère. Il ne s’agit de rien d’autre que ce « vieux truc tenace », comme tu l’as appelé. Il a toujours été là, il a toujours été cause des conditions de vie difficiles, et en circonstances plus violentes, il s’est fait connaître ou reconnaître davantage, pourrait-on dire. Il s’est surtout fait éprouver !
Grâce à la dernière tourmente, nous savons donc (au moins) un peu mieux ce qu’est ce truc conditionné qui a « empoisonné » notre existence toute entière, qui nous a maintenus dans la tête, qui a incité nos réactions… Nous le percevons, nous le ressentons, nous le tenons ; nous pouvons le ressentir davantage que l’éprouver encore, le reconnaître davantage que le subir et en souffrir encore. Disons que c’est le conditionnement lui-même ou l’un de ses aspects primordiaux et il ne pourra jamais être modifié. Il ne pourra pas être modifié, mais, ce qui est bien mieux, il pourra être abandonné et c’est déjà ce qui se passe. « Maintenant, je sais ce qui est à lâcher et maintenant, je peux le lâcher ! »
Grâce aux pannes de ta voiture ou de ton ordinateur, par exemple, tu as peut-être pu repérer l’un des points faibles de la machine. Et maintenant que tu le connais, tu peux peut-être t’épargner certaines pannes. Maintenant que tu connais ton propre point faible, ton talon d’Achilles, ton « vieux truc tenace », ton conditionnement, tu vas pouvoir de même t’épargner des plongeons ténébreux. Tu vas surtout assister à la dissipation de ton attachement au vieux conditionnement. La qualité de présence est relative au détachement du passé. (À suivre)
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