Être simplement conscient
Il y a des pensées qui surgissent, qui vont et viennent, qui n’obtiennent parfois pas d’attention, qui en reçoivent peu ou qui, souvent, l’accaparent complètement pendant un temps plus ou moins prolongé. Quoi qu’il en soit, il y a des pensées ; tout le monde peut le vérifier et le confirmer, n’est-ce pas ? « On » se dit des choses, tant de choses ; ça pense ! Les pensées ne sont pas obligatoirement un problème, mais elles sont bien réelles. Elles peuvent être répétées, transcrites et considérées à loisir. Par exemple, on peut dire ou découvrir qu’elles sont dictées par un vieux conditionnement. C’est ainsi que chaque être humain compose avec des pensées spécifiques. Les pensées ne sont généralement pas considérées comme provenant d’un conditionnement, mais comme étant bien « les siennes », comme appartenant à une sorte d’autorité appelée « moi » ou « je ».
Par exemple, quand on se met à juger une personne (si on le fait effectivement), non seulement on est sûr d’avoir raison, évidemment, mais on maintient ce jugement comme s’il s’imposait en vertu d’un bon sens, d’une sagesse ou d’une intelligence qui serait sienne. Cela est vécu via un positionnement qui dit « je pense, je… pense ». Cependant, nombreux sont les cas où l’on peut finir par découvrir que ces mêmes jugements disparaissent après avoir reconnu comme jamais auparavant de l’auto-dévalorisation ou relâché tout autre vieux schéma. Beaucoup de jugements négatifs portés sur autrui soulagent de façon illusoire et passagère la culpabilité (non reconnue) de ceux qui les émettent, les infligent ou simplement les maintiennent dans leur tête.
Voici un autre point notable sur lequel tout le monde va certainement être d’emblée d’accord. Il y a ces pensées (jugements et autres) et il y a surtout conscience de celles-ci. Sans conscience des pensées, on ne pourrait même pas les évoquer. Puisqu’il est possible de revenir sur les pensées dans lesquelles on s’est éventuellement retrouvé perdu pendant un certain moment, c’est que même là, il y avait conscience des pensées. C’est encore cette conscience qui permet d’ailleurs de raconter un rêve ou un cauchemar. Les pensées sont fluctuantes et la conscience qui les contient et les perçoit ne fait jamais défaut, ni ne s’en trouve entachée pour autant.
Maintenant, si les pensées sont effectivement et si aisément reconnues, si la conscience de ces pensées est donc incontestable, qu’en est-il de l’éventualité supplémentaire de trouver celle ou celui qui pense, de voir, de reconnaître de même ce qui pense ? Il y a des pensées, oui, il y a conscience de celles-ci, à l’évidence, mais y a-t-il quelqu’un qui pense ? S’il y a quelqu’un qui pense, le « je pense » a toute légitimité, mais est-ce que « je »… pense effectivement ? « Puisque JE pense », selon « ma » croyance, « mon » conditionnement, plus précisément un positionnement, « puisque JE suis au contrôle, JE vais m’arrêter de penser pendant une bonne heure et vous dire même ce que sera ma première pensée quand je réactiverai la « machine à penser ». Pouvez-vous le faire ?
Cette prétention ou illusion ne pointe-t-elle pas vers la possibilité qu’il n’y ait personne qui pense, qu’il n’y ait pas de penseur ? Il y a des pensées qui émergent, la conscience des pensées, ainsi simplement qu’un positionnement habituel jamais remis en question qui existe à partir de l’évidence imaginaire qu’un personnage serait victime, auteur ou propriétaire de tout un conditionnement, de toute une histoire et même des inspirations plus originales. Pourquoi pas ? Mais s’il existe, trouvons-le ! Voyons-le de la même façon que nous reconnaissons les pensées et la conscience des pensées.
Quand nous voyons qu’en réalité, il n’y a pas de penseur, qu’il n’y a pas « moi qui pense », une brèche s’ouvre vers ce que nous sommes véritablement, non pas un penseur, ni un « moi » tel que le positionnement peut le laisser croire ou vivre. Tout comme il y a des pensées qui surgissent, des ressentis (parfois même très douloureux) se présentent également. Il y a ces ressentis, ces sentiments, ces douleurs, ces réactions… et surtout et infailliblement la conscience de leur passage, mais là encore, où est donc le « je » qui ressent, qui souffre, qui réagit, qui veut, qui ne veut pas ?
Comme d’autres bien avant moi, je l’ai cherché pendant des mois, en vain ! Or, j’ai vu que la souffrance était justement dépendante du positionnement conditionné, du soi-disant « je » maintenu en place, de ce fonctionnement humain erroné commun aux milliards d’individus qui foulent la terre. J’étais prêt à voir cela, notamment parce que j’avais déjà vu que pour souffrir, il fallait obligatoirement croire des choses. Quand je dis « je » pour témoigner de ce que j’ai à endurer et/ou à faire, je ne suis évidemment pas avec le « je conscience », mais avec une sorte de « je historique », avec une histoire, un conditionnement, un positionnement…
Et pour « souffrir » encore, pour être insatisfait, préoccupé, angoissé…, il faut au moins conserver cette dernière croyance qui fut sans doute aussi la première : « JE suis quelqu’un ». D’ailleurs, avant d’être une croyance, c’est surtout une façon de vivre habituelle jamais considérée, jamais observée. C’est un conditionnement. Ce n’est que lorsque l’attention est dirigée sur ce phénomène que des croyances risquent d’interférer, par exemple croire ou ne pas croire qu’une vérité peut être révélée là. Et pour dépasser le phénomène « croyance » (qu’importe qu’elle soit favorable ou défavorable), il suffit de vérifier… « pour soi-même » ! C’est quoi ce « je » ? Où est-il ? De quoi est-il fait ?
Au début, s’il peut être un temps difficile de réaliser qu’il n’y a personne qui pense, qui souffre, qui fait quoi que ce soit, c’est juste parce que l’attention reste sur les effets de ce vieux positionnement erroné au lieu d’essayer de voir « ce qui » est concerné et qu’en réalité, il n’y a rien. Il y a conscience de ce qui apparaît, il y a ce qui apparaît, mais personne n’est jamais trouvé comme étant impliqué, le sentiment ou l’impression d’être impliqué, oui, mais le « quelqu’un impliqué », non. C’est la révélation ! La souffrance est l’attachement systématique d’un « moi » à quelque circonstance passée, actuelle ou anticipée (imaginaire).
Ce que je partage ici n’est pas d’abord le fruit d’une réflexion, mais la transcription de ce que je vois quand le « penser » n’occupe plus la première place, quand conscience, expérience et connaissance font un, en quelque sorte, de façon directe et simultanée. Tout comme vous qui lisez ces mots, ici et maintenant, je peux, soit continuer d’être pris dans des pensées comme toujours, plus ou moins tendu évidemment, soit juste être conscient de ce qui est, dans le plein accueil, la pleine reconnaissance de ce qui est, être même juste comme pleinement ouvert, disponible et bienveillant indépendamment de ce qui est.
Ce n’est pas ce qui est qui est important. L’accent n’est pas mis sur la conscience de ceci ou de cela, sur ceci ou cela dont il y a conscience, mais sur la conscience elle-même. Suis-je conscient maintenant ? Suis-je conscience, conscience assumée en quelque sorte ou conscientisée ? Quand je suis conscience ainsi, bien sûr, ce qui est sera vu… Cela sera vu, et alors ? Eh bien, cela change tout ! Soit la chose est vue ainsi, permise dans son déploiement et libérée bientôt, soit elle est soumise à de la résistance sous une forme ou sous une autre, ce qui prolonge inutilement son existence. Si « être sciemment conscient » (conscient en direct), pour ainsi dire, ne faisait aucune différence, n’offrait aucun intérêt, pourquoi la conscience serait-elle encouragée ou simplement même évoquée ?
L’état possible découlant de la présence, de la pleine conscience immédiate ne permet pas seulement l’absorption des tensions, mais c’est l’expérience directe et immédiate de la paix, de la douceur, de la plénitude. Et c’est de là, et de là seulement, que le meilleur peut être enfin reçu. Oui, car aussi étrange que cela puisse sembler, le meilleur que veut le « moi » est aussi ce qu’il refuse ou qu’il vit de façon inharmonieuse. Quand ce que veut le fameux « moi » se présente, voici de la déstabilisation ou la tentative de s’en emparer pour tenter de le faire durer, pour s’en prévaloir, pour en tirer avantage, pour se comparer, bref pour créer du conflit tôt ou tard.
Le soi-disant « je » se saisit de toute chose, en fait ou veut en faire quelque chose, par exemple juger, en profiter, en attendre quelque chose, etc. Ledit « je » reste introuvable, impossible à voir, à sentir, à repérer de quelque manière que ce soit, mais ce fonctionnement existe pourtant, en tant que positionnement prolongé et celui-ci est manifeste. Il apparaît à la conscience comme n’importe quoi d’autre, une pensée, une émotion, une réaction… C’est une préhension, un accaparement, une monopolisation ; c’est une habitude ancestrale et collective ; c’est le drame humain général.
Quand le meilleur advient dans « l’état » de présence consciente, c’est alors comme une célébration. Ce qui est célébré, c’est la paix, la joie, la plénitude qui étaient déjà là, qui sont toujours là. Ainsi, on ne décide pas d’être conscient pour se libérer des problèmes, ni pour tenter de s’attirer le meilleur (ce qui est l’apanage du moi fictif), mais juste parce qu’on y trouve enfin la paix. Et, manifestement, l’absorption ou la résolution des conflits et douleurs, ainsi que l’accueil du bon, du meilleur sont les effets enfin possibles, lesquels ne sont jamais ceux de toute autre option.
Que se passe-t-il si, là tout de suite, j’arrête tout, si je retire mon attention de ce qui semble la retenir ? Encore mieux proposé, que se passe-t-il, là tout de suite, s’il n’y a simplement plus que pleine présence, donc pleine conscience, où tout est vu, reconnu, permis, embrassé, reçu, sans rien en faire, sans le « vouloir en faire quelque chose », sans la moindre attente ? La pertinence est dans l’invitation suggérée et non pas dans la réponse. La réponse est l’expérience.
« Est-ce que j’entends cette invitation ? Y a-t-il ici de l’intérêt pour cette invitation ? Est-ce que j’y réponds ? Est-ce que je tire des conclusions hâtives sur l’expérience vécue ? Est-ce que je juge une fois de plus, privilégie ainsi le penser habituel ? Ah, et si c’est le cas, voici qu’il y a conscience de cela, qu’il y a donc maintenant simplement conscience ! Peu importe de quoi, il y a conscience et cela est vu ! Au moins une fois, je peux m’offrir l’expérience de ne rien penser à propos de ce qui est vu (un événement, une réaction, un ressenti, ainsi même que cette dernière nouvelle pensée de l’instant…) ».
Quand survient de quoi être plus ou moins mal, préoccupé d’une manière ou d’une autre, à travers un nouvel événement, une circonstance à venir ou une situation passée que l’on se rappelle, c’est toujours et uniquement, parce que le sentiment d’être concerné s’impose de façon adéquate. Trompeusement, il y a « je » et surtout « je » qui … (quelque chose). C’est « je » qui est mal, qui est contrarié, qui souffre, qui serait donc concerné.
Quand ce « je » est « évincé », il n’y a plus de contrariété, plus de souffrance, mais on ne peut pas l’éliminer. On ne peut pas éliminer ce qui n’existe pas. Il s’agit simplement de voir que cela n’existe pas, mais ce n’est de loin pas banal. Ce n’est pas qu’une habitude qui est en cause. D’abord, cette habitude est partagée par « tout le monde ». Ensuite, l’emploi du « je » est nécessaire aux relations humaines et toutes les interactions pourraient laisser croire à une implication du « je » qui dépasse la nécessité de l’instant.
Si l’on me demandait dans l’instant ce que je suis en train de faire, par exemple, je répondrais tout naturellement que je suis en train d’écrire une nouvelle chronique. Ce serait inattendu, étrange et même inutile de dire qu’une nouvelle chronique est en train d’être écrite, même si c’est une réalité observable. Des idées surgissent, des doigts s’agitent sur un clavier et des mots apparaissent à l’écran quand il est allumé. Il y a conscience des idées, les doigts agités peuvent être vus et les mots être lus. Personne ne verra jamais un « je » impliqué. Ce ne peut être le corps, lequel est vu globalement comme le sont ses doigts, ni le mental, les pensées étant vues de la même façon. Ce qui n’est pas vu, qui n’existe donc pas, c’est un « je » qui pense et qui écrit.
Du point de vue de la communication, c’est donc pratique de dire que J’écris la chronique, mais comment prétendre qu’un « je » est réellement en cause ? Que serait-ce ? Où serait-il ? Où le « voir », même le sentir ? Quand je regarde, je ne vois rien d’autre que les idées qui surgissent en étant déjà validées et les doigts qui s’agitent. La formule « je pense » est abusive en ce sens que si la pensée est vue, le « je » ne l’est pas. La difficulté principale à percevoir la non-existence du « moi » réside dans l’amalgame de ce qui perçoit avec ce qui réagit à ce qui est perçu. Ce qui perçoit est présent ou présence et ce qui réagit implique une histoire, le passé, un conditionnement.
Une question peut être posée ici : sommes-nous ce qui perçoit ou sommes-nous l’histoire ? On ne peut pas être l’histoire car quand elle est abandonnée, ce qui demeure est la présence. Certes, ordinairement, si une histoire est effectivement abandonnée, nous ne tardons pas à nous attacher à une autre ou, pour mieux dire, à voir à l’œuvre l’attachement à une autre. Même si nous ne nous le rappelons pas, en bien des circonstances dans notre existence, nous nous sommes pris pour « quelqu’un qui… », alors qu’il n’en reste plus de trace aujourd’hui. Cela ne montre-t-il pas que l’identification était complètement fausse ?
Il y a toute l’histoire, faite de plein d’histoires, le conditionnement qui en résulte, des causes et des effets, tant de choses que l’on se dit, que l’on affirme, des mots, du bruit, un « pilonnage »… Disons que c’est juste un vieux CD, un vieux disque ! Juste ici et maintenant, que va-t-il se passer si l’on s’invite à tout lâcher, à simplement lâcher ? Simplement, invoquons ce que suggère la seule idée de lâcher ! Rappelons-nous l’expérience de lâcher, de « laisser tomber », de l’allègement qui s’ensuit ! Vivons l’expérience de lâcher, même sans la moindre attention sur ce qui est lâché ! Tout est lâché ici et maintenant, incluant toute nouvelle pensée qui peut surgir et qui surgit certainement. Tout est lâché et il ne reste plus que l’essentiel, juste la conscience, ce que nous sommes.
Si vous suivez ou quand vous suivrez cette invitation, cantonnez-vous à juste voir ce qui se passe et n’en pensez rien ! Ne vous emballez pas, ne parlez pas d’échec ou, là encore, juste voyez que c’est ce qui est si cela se présente effectivement. Simplement, voyez. Regarder, voir est essentiel. Ce qui est vu ne l’est pas. Les instants de pure observation produiront leurs effets, d’autant plus si vous ne vous en souciez pas. Autant que vous le pouvez, à chaque fois que vous le pouvez, restez avec la simple évocation des mots « lâcher, détente, ouverture, légèreté, paix, amour…
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