Juste des effets
Il serait tout à fait concevable et donc parfaitement admissible que certains d’entre vous, lecteurs, ne soyez pas d’accord avec ce qui suit, mais permettez au moins en retour que cela soit formulé et proposé à quiconque trouverait intérêt à le prendre en compte et d’abord à en être informé. Le « je » tel que nous le vivons ordinairement et depuis si longtemps, que nous affirmons à loisir, que nous trimbalons du soir au matin, le « quelqu’un » qui semble constituer nos divers positionnements, le « moi » qui pense, qui souffre, qui veut et ne veut pas… tout simplement n’existe pas. Il n’existe pas, je le répète, à la manière que nous le « mettons en avant ». Pour prendre un autre exemple, il « est » des ennemis que nous craignons et qui n’existent pas davantage.
Au moins après avoir vu que cela ne peut être le corps, ni le mental, personne jamais ne trouve le moindre « moi ») prétendu. On peut continuer de croire en son existence, mais on ne parvient pas à le distinguer de la même façon qu’on distingue une pensée, un sentiment, une réaction, une action censés lui appartenir. On finit par « voir » le « je/conscience », ainsi que l’impression de ce soi-disant « je » ordinaire, mais jamais un « je » qui pense, éprouve ou fait quoi que ce soit. Il y a bien ce qui perçoit, une sorte de « je conscience », mais ce qui n’est jamais rencontré, c’est l’auteur, la victime ou le possesseur de quoi que ce soit qui se manifeste dans la conscience.
Indiscutablement, nous restons longtemps très éloignés de cette expérience pourtant accessible à tous, d’abord et longtemps par simple ignorance, du fait d’un vieux conditionnement qui représente la fausse identification et qui est profondément enraciné, ensuite par doute ou même déni et finalement par habitude tenace. Acceptons cela ! Or, s’il n’est pas aisé, ni même a priori intéressant de remettre en question ce « quelqu’un » auquel on tient tant, commençons par nous arrêter sur le « quelqu’un qui… ». Ne vous éprouveriez-vous pas comme « quelqu’un » qui… qui endure certaines choses, qui ne peut en vivre certaines autres et qui pense tant de choses ? Et quand c’est le cas, comment vivez-vous cela, vraiment ?
Il est en fait très intéressant de se rendre compte qu’en général, toute notre attention est dirigée sur diverses circonstances qui ne sont que des effets. Nous allons voir tout de suite de quels effets il est question. C’est intéressant et surtout très utile car l’attention accordée aux effets déplorés ou attendus ne produit jamais… l’effet recherché. Tout ce que nous déplorons dans la vie, ce sont les effets d’un positionnement et d’un conditionnement (blessures) jamais considérés et qui demeurent donc inchangés. Nous utilisons des conditions extérieures pour justifier du mal-être qui se niche pourtant en nous indépendamment de ces conditions. Les circonstances plus favorables et ordinairement absentes auxquelles nous pouvons ou pourrions aspirer sont/seraient elles les effets de la transformation qui fait défaut si longtemps et qui, cependant, reste toujours accessible.
Par exemple, une maladie, un conflit relationnel, d’autant plus quand ils sont éprouvés douloureusement, sont seulement les effets d’un vieux conditionnement qui gagnera donc à être relâché tôt ou tard. Quand cette transformation libératrice a lieu, des guérisons, de l’harmonie, une forme d’abondance se manifestent dans l’existence, à savoir d’autres effets, et cela fait partie de ces choses auxquels tout être humain aspire en son for intérieur. Or, comment pouvons-nous nous attendre à ce qu’elles se produisent sans cause, sans être l’effet ou les effets de quoi que ce soit ? En fait, on ne veut pas de ce qui est à vivre sans le moindre souci de ce qui peut le causer et l’on veut ce qui ne se produit pas sans rien lâcher à cette fin, ni rien remettre en question.
Ce seul point devrait nous interpeller ou, mieux encore, être simplement reconnu. C’est un peu comme si nous nous attendions à avoir chaud sans nous couvrir quand il fait froid, à recevoir (tout) sans (jamais) rien donner, autrement sans (jamais) rien demander, à nous sentir aimés sans aimer nous-mêmes ou en continuant de nous culpabiliser… Ah, nous faisons ça aussi ! Ne serait-il pas temps d’observer d’un peu plus près ces vieux positionnements habituels qui ne font que nous empoisonner l’existence ? Face à ce que nous vivons, notre positionnement général est-il le bon, est-il efficace, produit-il des effets vraiment satisfaisants et durables ?
Rappelons ce qui se passe habituellement. C’est très simple, il suffit de décrire ou d’évoquer notre façon ordinaire de vivre l’existence. J’évoque des ambiances psychologiques dont l’énergie se concentre encore davantage en présence d’une circonstance appropriée (simplement révélatrice et jamais justificative). Pour que cela parle au plus grand nombre, je vais indiquer cinq modes de faire par rapport à ce que nous pouvons déplorer et également aux bonnes fortunes qui pourraient se présenter (qui sait ?). La dernière ligne de chaque paragraphe indique la façon d’envisager aussi bien une solution que ce qui pourrait correspondre à quelque chose de simplement heureux.
• Eh oui, la vie est ainsi et l’on n’y peut rien ! On ne peut rien y faire ! Mieux vaut accepter les choses telles qu’elles sont. C’est pénible, c’est sûr, mais c’est comme ça ! Mieux vaut parler d’autre chose, penser à autre chose, chercher à s’occuper d’une manière ou d’une autre, y compris en faisant du bénévolat. (La fatalité à laquelle croit l’abandonné).
Et quel dommage que cela ne soit pas possible d’obtenir ce qui me fait rêver !
• C’est dingue, il y a toujours des gens dans mon entourage qui ont ce que je n’ai pas, qui réussissent à vivre ce que je ne vis pas, qui sont appréciés comme je ne le suis jamais. C’était tout de même mieux avant ! Bon, ça finira par s’arranger, je profiterai de la première occasion qui se présentera ! (Le démérite auquel croit le dévalorisé).
Et, finalement, pourquoi ne veut-on pas que je me fasse plaisir ?
• Ah, si vous saviez tout ce qui m’arrive, toutes les misères auxquelles je suis confronté ! Vos problèmes ne sont rien à côté des miens. La vie est injuste, tout le monde est injuste avec moi ! J’ai des ennuis de santé, mes enfants se comportent mal. Au travail, ce n’est pas mieux. En plus, personne ne fait jamais rien pour moi ! (L’injustice à laquelle croit le maltraité).
Je tiens absolument à ce que vous fassiez quelque chose, tout de suite !
• Décidément, je n’ai jamais de chance ! Il m’arrive toujours des pépins ! Y en a ras-le-bol ! Cela dit, ça ne va pas se passer comme ça ! On va voir si je ne vais pas arriver à mes fins ! Il faut absolument que je me tire d’affaires, que j’obtienne satisfaction. Je vais tout faire pour me faire entendre. (La malchance à laquelle croit le rejeté).
Il vaut mieux pour toi que tu fasses ce que je te demande !
• Je ne m’en rends pas nécessairement compte, mais je suis toujours en train de penser à un problème, tantôt pour essayer de le comprendre, pour trouver des preuves, tantôt pour juger, critiquer, condamner, certain que l’on me veut du mal. Autrement dit, je rumine le truc dans mon coin et je m’organise autrement. (La malédiction à laquelle croit le trahi).
J’espère qu’un jour tout s’arrangera !
Que ce soit de façon plus ou moins molle ou vigoureuse, voilà comment nous réagissons à ce que nous pouvons déplorer (quand déjà nous le reconnaissons), à ce qu’il nous est donné de vivre, parce que, oui, cela nous est donné de le vivre. Rien n’arrive par fatalité, démérite, injustice, malchance ou malédiction. Le hasard n’est pas oublié. C’est lui que l’on incriminera pour expliquer les choses quand tout autre positionnement sera épisodiquement moins marqué. Et, plutôt que fatalité, démérite, injustice, malchance, malédiction ou hasard, s’il y avait surtout une intelligence à la base de tout ce qui arrive ? Peu importe ici comment les choses nous sont données, il reste qu’elles finissent/finiront par nous montrer que nous faisons « fausse route » !
En consultation, même après avoir clairement identifié sa blessure, Rémy déclare : « En fait, j’ai besoin maintenant d’être approuvé ». C’est ce qu’il « croit » et qu’il a toujours cru d’ailleurs, ce qu’il a toujours tenté d’obtenir. En se sentant approuvé, parfois, il a vécu une sorte de soulagement, bien éphémère, et il lui fallait rechercher encore et toujours cette même approbation. « Si tu veux vraiment faire une différence définitive dans ta vie », lui ai-je alors expliqué, « ton vrai besoin est par exemple, non pas d’être approuvé, même si tu as passé toute ton enfance à être ou à te sentir désapprouvé, mais de reconnaître enfin, de ressentir enfin en conscience directe, cette forte impression douloureuse ‘désapprobation’, ‘manque d’approbation’… ». Ceci n’est qu’un début et qu’un exemple.
Dans une autre consultation, Anne dit : « Si j’avais mille euros en plus par mois, tout serait plus simple ! ». Pour savoir qu’il n’en est rien, on n’a pas besoin de penser aux personnes connues qui ont fini par doubler leurs revenus en continuant à déplorer le même genre de circonstances. Quand l’abondance manifestée, par exemple, n’est pas l’effet d’un vrai lâcher-prise, elle n’évite en rien la confrontation avec ce qui reste à libérer (peur, manque, insécurité, culpabilité ou autres). Aucun objet et personne ne peut nous apporter du bonheur sous quelque forme que ce soit, mais le bonheur qui se révèle ici et maintenant avec l’effondrement des obstacles ne manque pas d’attirer personnes et objets pour le célébrer encore davantage.
La contrariété, le malaise, l’état dépressif, autrement dit la souffrance, représente cet effet qui retient tant l’attention. Une cause générale, peut-être une première cause, pourrait-on dire, c’est la résistance à ce qui est, le refus, le déni, l’ignorance ou même l’acceptation suspecte de ce qui est, et cela n’est jamais vu vraiment ou jamais simplement accueilli en tant que tel. C’est ce qui a pourtant un effet magnifique ! Percevez la différence entre les deux positionnements suivants :
• « Bien sûr que je refuse ça, c’est insupportable, et j’en suis donc bien conscient ! Tout le monde à ma place réagirait comme moi. »
• « Ah, c’est pourtant vrai qu’il y a là une forte résistance et elle est vue désormais comme elle ne l’avait jamais été jusque-là ; parfois, je peux même la sentir dans le corps. ».
Dans le premier cas, c’est de la réaction, donc de la résistance persistante, de la réaction « en action ». Dans le second, c’est de la perception pure, la perception pure de ce qui est. Percevez-vous cette différence ? Cette différence est primordiale car elle fait passer de la lourdeur à la légèreté, de l’insatisfaction au contentement, du mal-être au bien-être…
Ce qui voit, ce qui perçoit n’est en rien affecté par ce qui est vu, le problème étant la résistance à cela. Non seulement la chose n’est pas dédaignée de cette façon, mais elle est au contraire considérée comme jamais elle ne l’a été. N’étant en rien affecté, ce qui voit n’a donc aucune attente, ni ne veut se débarrasser de quoi que ce soit et c’est pourquoi c’est si efficace. Ce à quoi l’on résiste persiste, mais ce qui voit ne résiste à rien. Ce qui voit est illimité, n’est pas limité au problème apparent. Le problème est vu ; son apparence est vue ; ce qu’il fait éprouver est vu ; la résistance est vue… Tout est vu. Le regard transforme quand il y a vision pure directe immédiate.
Tout ne peut qu’être vécu comme cela l’a toujours été, dans une forme de souffrance, tant qu’il n’y a pas basculement conscient du mode réactionnel dans ce qui le perçoit pourtant déjà quoi qu’il en soit. On ne se met pas à percevoir, à être conscient. Il y a toujours conscience. Ce qui se passe, en quelque sorte, c’est quelque chose qui s’arrête à un certain niveau ou c’est comme un changement de priorité. Ce qui voit prend le pas sur ce qui est vu. Ordinairement, ce qui est vu est au premier plan et ce qui voit au second. C’est l’inversement qui permet la perception pure directe immédiate.
Je le répète, ce sur quoi reste fixée notre attention ne sont que les effets de vieux conditionnements, des mémoires qui n’ont pour intérêt que les ressentis d’ici et maintenant qui en témoignent et qui seuls requièrent une reconnaissance bienveillante. Elle est offerte par la vision pure directe immédiate. En fait, il n’y a pas une mauvaise façon de regarder et de voir. Il y a ou non vision. L’attention accordée aux effets n’est en rien un regard, mais seulement du penser, de la réaction pure, du jugement… Il y a soit vision pure directe immédiate, soit vision plus jugement plus ou moins compulsionnel.
On pourrait dire que regarder consiste à reconnaître ce qui est vu de toute façon. Pour prendre un autre exemple sensoriel, vous ne pouvez pas ne pas entendre les sons qui retentissent autour de vous, mais quand vous vous mettez à les écouter, l’expérience est différente. Là encore, écouter, c’est se rendre compte de ce qui est déjà entendu et qui était précédemment subi, pourrait-on dire. Maintenant, que va-t-il se passer si, au lieu de continuer de subir ce qui se passe pour vous, qui est donc déjà connu, vous vous mettez à le regarder, à l’écouter, à juste le reconnaître ? C’est l’invitation ! Beaucoup pourrait encore être dit à ce sujet, mais cela ne remplacera jamais l’expérience que vous pourriez en faire.
Terminons alors avec ce qu’il est utile de se rappeler et de considérer le plus souvent possible, jusqu’à ce qu’il y ait intégration. C’est une première expérience heureuse dans ce sens qui constituera l’auto-invitation à persévérer. Tant que cette autre façon d’appréhender l’existence n’est pas connue, tant qu’il n’y a pas le moindre intérêt pour l’explorer, nous ne pouvons et ne ferons que subir les choses comme nous les avons subies jusque-là. Sachez au moins que vous ne risquez rien à vous prêter pour un temps à un nouveau positionnement et que vous pouvez même faire connaître toute difficulté que vous pourriez rencontrer. Personne ne fera jamais ce qui vous incombe, jamais ! Ayez à l’esprit n’importe quelle circonstance qui vous pèse, vous contrarie, vous « met » plus ou moins mal et voyez si vous pouvez le soumettre à ce qui suit.
• Une fois de plus, je réagis là comme j’ai toujours réagi. Je le vois, le reconnais sans le moindre jugement. Et s’il y a jugement, je reconnais cela !
• Je suis positionné comme si la situation « difficile » du moment justifiait tout ce que j’éprouve, voire comme si je n’avais aucun autre problème (sinon d’autres circonstances que j’incrimine de la même façon).
• Or, quoi qu’il en soit, il y a bien un malaise ici : que se passe-t-il si je le reconnais désormais sans l’associer à aucune histoire ? Cela peut être de la colère, de la peur, du ressentiment, de la culpabilité, de la honte, de la tristesse, de l’angoisse, le sentiment de ne pas compter, de ne pas être apprécié, reconnu, attendu… ou n’importe quel autre ressenti douloureux.
• J’ai du mal à reconnaître simplement ce ressenti douloureux, parce que je ne l’ai jamais vraiment fait, parce que j’ai surtout l’habitude d’en penser des choses, de me dire tant de choses à ce sujet (ce qui ne sert à rien) et, plus encore, parce que je veux surtout m’en débarrasser, ne pas l’éprouver, parce que j’y résiste…
• Eh bien, c’est d’abord cette résistance que je reconnais purement et simplement, que je laisse être sans la juger. En fait, si je la reconnais ainsi, elle s’apaise déjà. C’est un effet de la vraie reconnaissance et non pas le fruit d’un « il faut que je lâche ».
• Que se passe-t-il quand la résistance a été relâchée ? Tantôt l’essentiel est accompli, tantôt quelque chose demeure qui requiert à son tour la même reconnaissance bienveillante. Il y en aura toujours assez et sa présence consciente sera toujours immédiatement gratifiante. Oui, quand il y a bienveillance, c’est si bon !
• Et finalement, au lieu d’être tellement investi dans le problème, quel qu’il soit, que va-t-il lui arriver, si tout mon intérêt se cantonnait désormais à ce qui en est conscient ? JE suis conscient de ce qui se déroule. Il y a conscience de ce qui se déroule. Il y a surtout et toujours conscience. Il y a conscience.
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