Sans plus attendre
Que se passe-t-il quand on n’est pas directement la proie de l’une de ses attitudes réactionnelles ordinaires, ni avec un vouloir compulsionnel d’une chose précise ? Que se passe-t-il quand il n’y a pas une préoccupation consciente envahissante, mais qu’une forme de plénitude fasse cependant défaut ? Que reste-t-il alors pour expliquer le mal-être résiduel persistant à peine reconnu ? Qu’y a-t-il d’autre à considérer ? Que peut-on dire de plus ? Un certain conditionnement semble bien demeurer actif et il doit bien y avoir encore quelque chose à identifier, même si l’on pourrait s’en tenir au simple constat qu’on n’est toujours pas présent ou qu’on reste positionné comme si l’on était vraiment le personnage de l’histoire si bien connue et endurée.
En fait, on est généralement dans l’attente, dans une forme d’attente ! On ne sait pas ce que l’on attend, ne saurait pas le dire, et c’est d’ailleurs sans importance. On plaquera son propre mode « attente » de temps à autre sur une chose ou une autre, mais il demeure quoi qu’il en soit. On peut bien aujourd’hui attendre ceci, avoir hier attendu cela, demain ce sera encore autre chose. Il y a 30 ans, on attendait de trouver du boulot et aujourd’hui, on attend peut-être la retraite. Bref, toutes les choses attendues ont en commun l’attente. C’est une lapalissade qui mérite ici d’être relevée. On reste donc dans l’attente, y compris sans la considération de telle ou telle chose qui est attendue.
Et s’il y a la question « Qu’est-ce que j’attends ? », d’autres questions pourraient être plus pertinentes : « Depuis quand est-ce que j’attends ainsi ? Vais-je encore attendre longtemps ? ». La pertinence de ces questions est moins dans leur réponse que dans la seule invitation à regarder. Elle permet d’ailleurs un éveil, une présence. Être dans l’attente, nous l’avons dit, c’est justement ne pas être présent, ne pas l’être pleinement. Si vous êtes avec une personne amie qui attend quelqu’un d’autre, vous pouvez observer qu’elle n’est pas la même que d’habitude, autrement dit qu’elle n’est pas vraiment là. L’attente est une tension et un positionnement bien spécifique.
Peu importe, éventuellement, que vous attendiez le grand amour, le succès, l’abondance, la réussite ou une certaine place, il reste que la qualité ou l’énergie de votre mode « attente » est dictée par votre conditionnement, par ce que vous avez vécu en tout début de votre existence. Nous allons évoquer ce qu’il peut en être pour chacune des cinq blessures. Quelque chose pourra vous parler ou vous amener à approcher votre réalité. Ce qui est perçu peut être libéré, finit par l’être. La chose attendue est nommée ici, mais soyez aussi attentif à son implication conséquente également mentionnée.
J’attends l’inattendu, le miracle, et il n’y a donc rien que je puisse faire ni envisager (abandon) ;
Tout en me jugeant sévèrement, j’attends de pouvoir profiter des moindres occasions (dévalorisation) ;
Je m’attire des drames grâce auxquels j’attends d’obtenir toute l’attention (maltraitance) ;
J’attends de prendre le pouvoir, par tous les moyens, même en me mettant en danger (rejet) ;
À partir d’un retranchement que je ne quitte jamais, j’attends qu’on me donne « accès » (trahison).
Adultes, nous attendons certainement ce dont nous avons manqué enfants ou ce qui s’y apparente, mais il y a principalement un mode « attente » qui a été mis en place, qui n’a pas été relâché. Il ne s’est pas mis en place pour rien et pour être relâché, encore faudrait-il que soit perçu ce qui le précède, ce qui l’engendre. Là encore, tentons de voir ce que cela pourrait être pour chacun des cinq « blessés » ! Et j’y ajoute un commentaire potentiellement transformateur.
Je fais l’expérience qu’il n’y a personne et j’éprouve la certitude qu’il n’y aura jamais personne (abandon) ;
Eh bien, ne compte pas sur le miracle, mais perçois qu’il y a toujours eu de l’aide, à moins que le miracle se soit déjà produit !
Je lutte contre l’interdis et je retiens que je dois me faufiler, en profiter (dévalorisation) ;
Eh bien, souris aux stratégies et vois simplement que tu ne te permets toujours pas de vivre véritablement le plaisir !
Je vis le pire et je pense (parfois) qu’il doit y avoir une bonne raison (maltraitance) ;
Eh bien, la « bonne raison » ne te concerne en rien et reconnais que c’est juste qu’il y eut de la folie autour de toi !
Ce que je vis ne me laisse souvent aucun choix, sauf celui de me battre (rejet) ;
Eh bien, aujourd’hui, tu as tous les choix et notamment celui d’accorder ton attention à autrui ! Reconnais que tu peux te sentir bien à le faire !
Puisqu’on me fait obstacle, j’espère qu’on va bien finir aussi par me laisser passer (trahison).
Eh bien, non. Cesse simplement de croire que quiconque fait obstacle ! Ton seul obstacle est de t’attendre à un obstacle. Vois cela !
Ces quelques données gagneraient à être explicitées davantage, mais il faudrait des pages et des pages. Essayons donc de nous en tenir à des généralités communes à toutes les blessures. Il résulte de celles-ci que nous attendons le pouvoir, celui d’autrui qui pourrait nous être favorable, le nôtre de façon égoïque ou celui de la bonne fortune. Nous croyons essentiellement en un pouvoir humain et nous comptons là-dessus. Il n’existe pas. Il n’existe qu’en apparence. Il y a des gens qu’on croit puissants. Il y a des gens qui se croient puissants. Il y a aussi des gens qui se croient impuissants, mais se croire impuissant repose toujours sur la croyance en un pouvoir humain. L’humain vit les effets de ce qu’il pense par le seul pouvoir divin, universel, collectif. Peu importe comment on le nomme, il n’est jamais individuel. C’est le pouvoir de la Vie elle-même.
La vie s’écoule librement, intelligemment et aussi puissamment, quoi qu’il en soit, et le défaut d’harmonie reflète simplement les entraves ou les limitations mentales. Bien des choses se produisent si on les craint ou si on y aspire adéquatement. Tel est le pouvoir de la Vie. Elle permet toute chose jusqu’aux jeux de pouvoir entre les humains. Sans crainte ni aspiration, la vie s’écoule toujours de façon harmonieuse, nécessairement avec plus d’originalité. Comme je l’ai écrit dans « Le regard d’un non-voyant », avoir une attente, c’est surtout avoir peur qu’elle ne se produise pas. Et ça marche ! Tel est le pouvoir de la vie. S’attendre au pire est pareillement efficace…
Avec cet état permanent d’attente, il y a donc la peur de son contraire. Par exemple, si c’est le grand amour que vous attendez, vous avez surtout peur de ne jamais le vivre. Si vous attendez le succès, c’est surtout que vous avez peur qu’il ne soit pas au rendez-vous. La peur de ne pas vivre la chose attendue est en outre renforcée par une autre attente contraire. Vous attendez de gagner au loto, avec la peur de ne pas gagner, en vous attendant surtout à toujours manquer de tout. Vous attendez la liberté, avez peur d’en manquer et vous vous attendez à être partout empêché.
Autrement dit, en opposition à une attente d’épanouissement, pourrait-on dire, il y a la peur de ne pas aboutir et il y a une attente contraire. On veut ceci, quelque chose d’heureux, on a peur de ne pas le vivre et l’on s’attend à vivre quelque chose de négatif. J’insiste là-dessus pour montrer le peu de chances qu’on se laisse de cette façon. Et c’est toujours percevoir tout cela qui permet d’en sortir. En réalité, la libération, ici de l’attente, ne passe surtout pas par la satisfaction de cette dernière, parce que cela ne sert jamais à rien de façon durable. Une satisfaction qui résulte de l’attente fait apparaître bientôt et parfois instantanément un nouvel objet qui sera attendu de même.
En réalité, du fait de notre conditionnement, ce que nous voulons, c’est attendre et attendre encore et c’est pourquoi les choses attendues se succèdent ou pourraient se succéder sans fin. Au départ, comme indiqué précédemment, il y a un vécu pénible, juste avant que le mode « attente » se mette en place, mais entre les deux, il y a le ressenti « insatisfaction », douloureux lui aussi. Tomber dans l’attente devient le moyen de l’éprouver moins, bien sûr illusoirement, parce qu’on le retrouve avec l’attente qui n’en finit pas. On retrouvera encore l’insatisfaction quand il advient qu’on obtienne tout de même une chose attendue compensatoirement. N’étant pas un vrai besoin, ce qui est attendu de la sorte jamais ne peut satisfaire.
Il apparaît donc que ce que l’on veut éviter se représente à nous. C’est une illustration du « Ce à quoi l’on résiste, persiste » de Karl Jung. Pour ne pas être frustré ou pour ne pas vous ennuyer, par exemple, vous attendez une chose ou une autre et, en attendant, vous êtes frustré et vous vous ennuyez. La perception pure de nos divers positionnements contraires à notre bien-être – l’attente en est un – nous en libère peu à peu. Comme on ne fait que revivre ce qu’on a enduré dès le début, il est possible et facile de pratiquer utilement. Quand vous vous voyez dans l’attente d’une chose ou d’une autre, bien sûr supposée vous satisfaire, gagnez du temps et reconnaissez simplement que vous vous sentez insatisfait.
Un jour, vous pouvez très bien être surpris en vous rendant compte que le ressenti « insatisfaction » a disparu, qu’un véritable élan s’est fait connaître alors, que vous pouvez le suivre et le réaliser cette fois sans peine. Cet élan vous arrive dans la joie, donc dans la satisfaction. Vous le suivez, vous en occupez dans la même énergie et quand vous l’avez réalisé, vous demeurez dans la joie et la satisfaction. On ne peut pas fabriquer cette expérience ; elle finit simplement par arriver ! « En attendant », on nie, ignore ou sous-estime l’existence et les effets de son conditionnement.
Pourrait-on croire que l’enfant qui s’est senti abandonné, parce qu’il l’a effectivement été ou parce que des circonstances l’ont trop souvent et/ou trop longtemps séparé de ses parents, n’en a pas éprouvé et conservé de l’insatisfaction ?
Pourrait-on croire que l’enfant qui s’est senti dévalorisé, notamment parce qu’il n’a jamais été valorisé pour ce qu’il était, parce qu’il a parfois été traité en objet (beau bébé ou bête de cirque), n’en a pas éprouvé et conservé de l’insatisfaction ?
Pourrait-on croire que l’enfant qui s’est senti maltraité, parce qu’il l’a été d’une manière ou d’une autre (frappé, abusé, malmené…), n’en a pas éprouvé et conservé de l’insatisfaction ?
Pourrait-on croire que l’enfant qui s’est senti rejeté, notamment parce que ses parents étaient trop occupés ou même préoccupés, n’en a pas éprouvé et conservé de l’insatisfaction ?
Pourrait-on croire que l’enfant qui s’est senti trahi, notamment parce qu’il ne pouvait occuper une juste place, n’en a pas éprouvé et conservé de l’insatisfaction ?
Si le mode « attente » repose en grande partie sur le manque éprouvé en tout début de vie, il est bien sûr renforcé par le sentiment de culpabilité qui résulte de l’expérience vécue : « Si l’on me traite comme on me traite, c’est de ma faute ! ». L’enfant fixe en lui le dysfonctionnement qu’il n’est pas à même de percevoir en l’adulte. Avec les sentiments de honte et de culpabilité, il y a nécessairement beaucoup de retenue, donc autant d’insatisfaction et l’attente.
Ne t’étonne pas de ne pas te sentir bien, vois que tu es dans l’attente !
Ne t’étonne pas d’être dans l’attente, vois que tu es insatisfait !
Ne t’étonne pas d’être insatisfait, vois que tu nies ou méconnais un manque éprouvé !
Ne t’étonne pas de nier ou d’ignorer un manque, vois que tu as honte ou que tu culpabilises !
Ne t’étonne pas de ta honte ni de ta culpabilité, vois que tu crois des choses, à tort !
Ne t’étonne pas de tes convictions, vois que tu sous-estimes des vécus de ta prime enfance !
Ne t’étonne pas de ces expériences traumatisantes, vois que tes parents étaient, tout comme toi, conditionnés et qu’eux n’ont rien vu !
Et ne t’étonne pas de ne pas les voir ainsi, tu ne voudrais surtout pas remettre en cause Papa et Maman (si ce n’est parfois dans la réaction bien vaine) !
Enfin et surtout, ne t’étonne pas de tout ce jeu, vois qu’il est celui, inévitable, du « je » humain chimérique !
Entre vous et vos parents, entre vous et tant d’autres autour de vous aujourd’hui encore, il n’y a qu’une seule différence qui soit réellement et positivement déterminante : à l’inverse de ceux-ci, pour la plupart, vous regardez et vous voyez. Vous vous racontez de moins en moins d’histoires et vous accueillez la réalité telle qu’elle est. Parce que vous percevez, reconnaissez, acceptez ce qui est, vous permettez à la vie de s’écouler de façon de plus en plus harmonieuse et épanouissante. Autrement, cela peut devenir votre vérité… maintenant… sans plus attendre !
Merci…..:) Ca sonne tellement juste… Ca libère…:) !